Le tunnel aux pigeons – John Le Carré

ESPIONNAGE ET LITTERATURE, SOUVENIRS D’UN ECRIVAIN

Dans le bleu, France culture dans les écouteurs….

« Le présent ouvrage rassemble des anecdotes vraies racontées de mémoire. Mais que sont donc la vérité et la mémoire pour un romancier qui atteint ce que nous appellerons pudiquement le soir de sa vie ? me demanderez-vous à juste titre. Pour l’avocat, la vérité, ce sont les faits bruts – quant à savoir si les faits peuvent jamais se trouver à l’état brut, c’est une autre histoire. pour le romancier, les fait sont une matière première, un instrument plutôt qu’une contrainte, et son métier est de faire chanter cet instrument. La vérité vraie, pour autant qu’elle existe, se situe non pas dans les faits mais dans la nuance. « 

A défaut de voyages lointains, je parcours mes itinéraires de proximité en m’évadant par les podcasts de France Culture. Philippe Sands parle de John Le Carré qui fut son voisin . Le Carré est une vieille connaissance.  

Je lis régulièrement les romans de Le Carré depuis L’Homme qui venait du Froid  lu chez des amis à Glyfada à 17 ans jusqu’au Retour de Service (2019). J’ai dévoré ces thrillers et j’ai commencé à en apprécier le style quand je suis passée à la Version Originale. Pensant qu’un roman d’espionnage serait facile à lire, je me suis retrouvée avec le lourd Harraps sur les genoux presque en permanence en raison de la richesse du vocabulaire technique et de la variété des styles selon le sujet abordé. Sa traductrice interviewée lors de l’émission suivante de la série consacrée à Le Carré, explique aussi que la fascination que la langue allemande exerce sur lui,  explique peut-être la complexité des phrases de l’auteur, alors que l’Anglais privilégie plutôt des phrases courtes. 

L’écoute de ces podcasts m’a incitée à acheter le Tunnel aux Pigeons qui rassemble une collection de souvenirs. Ces mémoires d’un écrivain racontent  par courts chapitres comment  il a écrit ses livres (et les films tirés de ses œuvres) . Il livre assez peu d’anecdotes concernant sa vie familiale (sauf ce qui concerne son père, un vrai personnage de roman) rien de son passé d’espion (cela se comprend). Il construit ses romans en se documentant précisément et raconte tous ses voyages préparatoires  : lieux mais surtout rencontre de personnalités qui l’inspirent. Comme ses intrigues s’articulent  dans la géopolitique et que sa notoriété lui ouvre de nombreuses portes, il a l’occasion de danser avec Arafat, de dîner avec Margaret Thatcher, Alec Guinness ou Robert Burton, et même le président Italien Cossiga. 

Chaque rencontre est mise en scène de manière spirituelle.  On découvre une galerie de portraits  pittoresques. L’histoire de la seconde partie du XXème siècle se déroule , de la construction du Mur de Berlin à l’exil d’Arafat à Tunis, Glastnost et  Tchetchénie, Le Carré égrène ses souvenirs pour le grand plaisir du lecteur. Je me régale de cette évocation historique. Il y a juste quelques longueurs pour qui n’est pas britannique quand il s’attarde sur ses anciens collègues du MI5 ou MI6 ou sur des personnalités anglaises, mais cela ne concerne que quelques pages, le reste est vraiment très amusant.

« Mais ce qui m’importait encore plus, je le soupçonne même si je ne me l’avouais pas alors, était mon amour-propre* d’écrivain. Je voulais que mes romans soient lus non pas comme les révélations camouflées d’un transfuge littéraire, mais comme des œuvres d’imagination qui devaient très peu à la réalité dont elles s’inspiraient. »

Un autre aspect du Tunnel des pigeons est la construction d’un roman, la réflexion sur l’écriture. Un personnage de roman s’impose à l’auteur, il veut le voir s’incarner, rencontre dans monde réel son équivalent, Le Carré étudie sa manière de s’habiller, de parler, ses expressions. Le Carré peut parcourir le monde entier pour le voir évoluer, saisir sa psychologie. C’est fascinant. Comme l’espionnage est un monde de manipulation, l’écriture est aussi une manipulation de la vérité. 

L’écrivain rend compte de la complexité du monde sans manichéisme ni jugement de valeur. Il démonte les rouages des acteurs du pouvoir, politiques, militaires, grands firmes pharmaceutiques ou magnats de Presse comme Murdoch ou Maxwell…

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

4 réflexions sur « Le tunnel aux pigeons – John Le Carré »

  1. J’ai écouté la série d’émissions sur France-Culture avec grand plaisir. J’ai lu plusieurs de ses romans dans ma jeunesse, j’aimerais bien m’y remettre, surtout les derniers.

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