Comme si de rien n’était… Alina Nelega – des femmes

LE MOIS DE L’EUROPE DE L’EST /ROUMANIE

Pour ce mois de mars 2023, j’ai pris un peu d’avance dans mes lectures puisque nous serons aux Antilles.

« Notre Conducator – notre lumière divine,/Source nourricière prenant ses eaux/De Maramures et de Bucovine/ Grand timonier, chêne majestueux », Nana s’applique à appuyer sur les mots »

J’ai découvert  deux livres roumains récents Comme si de rien n’était de Alina Nelega et Iochka de Christian Fulas. L’action dans les deux ouvrages se déroule pendant l’ère Ceausescu en Transylvanie. Il m’a semblé que Comme si de rien n’était était le pendant féminin de Iochka qui mettait en scène des hommes isolés dans une vallée sauvage, très portés sur la boisson tandis que leurs fantasmes sexuels portaient sur une notion très primaire de la femme, putain, mère ou sainte ; ce qui m’avait un peu énervée. 

Que vienne le temps des varices et des poils sur le visage pour que personne ne s’excite plus en voyant ses seins
tombants – là elle sera enfin libre et moche. Mais elle ne sera toujours qu’une femme, objet digne de mépris
parce que les femmes n’ont pas le droit d’être moches, seuls les hommes peuvent puer,

« Voyons, les femmes n’ont pas accès à la fierté, à l’honneur et au courage, elles doivent être juste sensibles, délicates et vulnérables, autrement ce ne sont pas des femmes mais des hommes, et ça c’est pas permis, elles sont élevées pour pleurer et pleurnicher, pour demander aide et protection, pour montrer leurs émotions tandis qu’eux, ces braves et honorables individus, eux ils ont le droit de se soûler au lieu de pleurer et peuvent même, à la limite, donner des coups de poing pour se défouler. »

Au contraire Comme si de rien n’était est une histoire d’amour lesbien. Depuis le lycée, en 1979, Nina et Cristina s’aiment. Elles font du théâtre. Nina vient d’un milieu privilégié, sa mère est journaliste et son père architecte. Cristina est la fille d’un officier tankiste et d’une enseignante et vit sur pied beaucoup plus modeste. L’année suivante Nana sera prise dans les études de théâtre à Bucarest tandis que Cristina poursuivra des études de lettres se marie à Radu, le frère de Nana, accouche d’un fils. . Si Nana réussit sa carrière d’actrice, la vie est plus dure pour Cristina professeur de roumain dans un collège provincial qui doit batailler pour se nourrir convenablement et ne pas dévier de la ligne et du conformisme du Parti. 

« Alors la conscience de Parti elle connaît – donc le type a pas envie de la piquer, ni de la violer, ni de la manger,
il veut juste qu’elle lui prête son studio l’après-midi et le soir pendant deux semaines pour pouvoir surveiller des activités suspectes dans son immeuble, son couloir et l’étage du dessus. »

Un chapitre Le Poulet montre toutes les difficultés pour échapper à la faim et à la surveillance de la Securitate. Elle se trouve, plus tard,  mêlée à un incident qui lui vaut des ennuis avec les autorités : elle doit se soumettre à l' »organe« 

« Organes internes, organes génitaux, organes des sens – et à côté de ça, il y en a un autre, un Organe qui est au- dessus de tous les autres qui contrôle le foie, l’estomac, le cerveau – les cerveaux lui sont tous subordonnés, il faut obéir à l’Organe, aux ordres de l’Organe, l’Organe tout-puissant, le plus fort, qui décide de tout, l’Organe vous voit, l’Organe vous entend, l’Organe vous protège et il vous punit si vous avez fauté, l’homme a besoin de l’Organe, l’homme n’est pas seul dans l’univers, l’Organe est partout, comme le vent et la pluie, on ne peut pas lui résister, on ne discute pas avec l’Organe »

Après bien des péripéties, les deux amies se retrouvent, partent en vacances ensemble mais la vie n’est pas facile. Cristina ne rédige pas le livre qu’elle a commencé depuis l’adolescence, elle ne peut pas assumer toute la vérité et la médiocrité  de son existence et finalement se brouille d’avec Nana.

Nana , lors d’une tournée en Serbie de sa compagnie va passer à l’Ouest. le roman se termine avec la chute du mur de Berlin, on connait la suite  en Roumanie. Se retrouveront elles?

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le témoignage d’une femme sur le quotidien de la vie en Roumanie au temps des Ceausescu. Témoignage politique mais surtout regard de femmes sur la vie quotidienne dans les privations matérielles et de liberté. Comment faire quand surviennent les règles en voyage et que le coton est introuvable? Comment faire quand envoyer un simple télégramme à sa voisine lui demandant de « vider la poubelle » parait à la postière un message subversif?

Un roman dense et riche, que je recommande.

 

 

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

8 réflexions sur « Comme si de rien n’était… Alina Nelega – des femmes »

  1. … »une notion très primaire de la femme, putain, mère ou sainte « …:
    En fait, la véritable expression était : « Une femme doit être: vraie dame dans le monde, mère dévouée à ses enfants et putain au lit ». Je ne sais pas qui l’a inventé et pourquoi. Les hommes et les femmes ici n’en ont parlé qu’en plaisantant et très rarement. La première fois que je l’ai entendu, j’ai été choqué, car ici, personne ne pense comme ça.
    L’expression a circulé (avant 1989) dans la capitale et dans plusieurs autres villes, en aucun cas en province, dans les villages. Là, si vous voulez, des expressions beaucoup plus dures ont été utilisées, mais uniquement par rapport au travail qui doit être fait par un homme et une femme sur leur ferme, pour qu’ils ne soient pas des paresseux critiqués par les gens du village pour leur paresse.
    Ici, pour chaque homme, sa mère et/ou sa femme est sainte. L’offenser entraîne immédiatement un… « passage à tabac » très dur et impitoyable de celui qui l’offense, qui finit mal à chaque fois à la police, au tribunal, à l’hôpital ou au cimetière. (Plus simplement : « Tu peux dire n’importe quoi, mais ne touche pas à ma mère/ma femme! »).

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  2. C’est une vraie trouvaille qui va vraiment enrichir notre mois thématique, merci pour cette participation et ce témoignage vraiment intéressant !

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  3. J’ai entendu parler de « Iochka » de Christian Fulas, par contre je ne connaissais pas Alina Nelega . Cela doit être effectivement très intéressant de lire les deux romans en parallèle. Sur la Roumanie au temps de Ceaușescu, j’ai lu récemment « Animal du coeur » d’Herta Müller. L’autrice est d’origine roumaine mais vit désormais en Allemagne.

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