A l’ombre des jeunes filles en fleurs : Partie 2 – Balbec

LECTURE COMMUNE AVEC CLAUDIALUCIA …et d’autres 

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J’ai  bien aimé suivre Proust à Balbec. Je n’ai pas forcément retrouvé Cabourg et la Côte Normande.  J’ai surtout aimé le dépaysement, le voyage en train qu’il présente de façon très plaisante avec beaucoup d’humour. 

Malheureusement ces lieux merveilleux que sont les gares, d’où l’on part pour une destination éloignée, sont
aussi des lieux tragiques,

Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les oeufs durs, les
journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s’évertuent sans avancer.

Lever de soleil et œufs durs, quel rapprochement osé!

L’installation au Grand-Hôtel de la Plage est toute une aventure, le narrateur est plutôt timide et routinier, apprivoiser une nouvelle chambre n’est pas évident.

La pendule — alors qu’à la maison je n’entendais la mienne que quelques secondes par semaine, seulement
quand je sortais d’une profonde méditation — continua sans s’interrompre un instant à tenir dans une langue
inconnue des propos qui devaient être désobligeants pour moi, car les grands rideaux violets l’écoutaient sans répondre, mais dans une attitude analogue à celle des gens qui haussent les épaules pour montrer que la vue d’un tiers les irrite. Ils donnaient à cette chambre si haute un caractère quasi-historique qui eût pu la rendre appropriée à l’assassinat du duc de Guise, et plus tard à une visite de touristes, conduits par un guide de l’agence Cook, mais nullement à mon sommeil.

La découverte de l’« église persane de Balbec » m’a fait penser à sa déconvenue au théâtre quand il est allé entendre la Berma. Enorme attente, déception de ne pas être aussi enchanté.

Et puis, bien sûr la mer :

Car chacune de ces Mers ne restait jamais plus d’un jour. Le lendemain il y en avait une autre qui parfois lui
ressemblait. Mais je ne vis jamais deux fois la même. Il y en avait qui étaient d’une beauté si rare qu’en les
apercevant mon plaisir était encore accru par la surprise. Par quel privilège, un matin plutôt qu’un autre, la fenêtre en s’entrouvrant découvrit-elle à mes yeux émerveillés la nymphe Glaukonomèné, dont la beauté paresseuse et qui respirait mollement avait la transparence d’une vaporeuse émeraude à travers laquelle je voyais affluer les éléments pondérables qui la coloraient? Elle faisait jouer le soleil avec un sourire alangui par une brume invisible qui n’était qu’un espace vide réservé autour de sa surface translucide rendue ainsi plus abrégée et plus saisissante, comme ces déesses que le sculpteur détache sur le reste du bloc qu’il ne daigne pas dégrossir. Telle, dans sa couleur unique, elle nous invitait à la promenade sur ces routes grossières et terriennes, d’où, installés dans la calèche de Mme de Villeparisis, nous apercevions tout le jour et sans jamais l’atteindre 

Ne nous impatientons pas, les jeunes filles en fleurs ne ferons leur apparition que plus tard dans le roman, il faudra d’abord décrypter les subtiles hiérarchies sociales, les titres de noblesse, les relations compliquées. Agacement devant sa fascination pour l’aristocratie !

L’homme qui tonnait ainsi contre Israël sortit enfin de la tente, nous levâmes les yeux sur cet antisémite. C’était mon camarade Bloch.

Sur la plage, nettement moins aristocrate mais très drôle, Bloch et sa tribu : caricature ou humour juif? Proust force le trait, en fait un sujet pittoresque.

Bloch était mal élevé, névropathe, snob et, appartenant à une famille peu estimée, supportait comme au fond des mers les incalculables pressions que faisaient peser sur lui non seulement les chrétiens de la surface, mais les couches superposées des castes juives supérieures à la sienne, chacune accablant de son mépris celle qui lui était immédiatement inférieure. Percer jusqu’à l’air libre en s’élevant de famille juive en famille juive eût demandé à Bloch plusieurs milliers d’années. Il valait mieux chercher à se frayer une issue d’un autre côté.

Avant les jeunes filles, les garçons! Et l’amitié avec Robert de Saint-Loup  qui lui révèle « les vertus de l’amitié » qu’il considère « comme une oeuvre d’art« 

Une fois que j’avais quitté Saint-Loup, je mettais, à l’aide de mots, une sorte d’ordre dans les minutes confuses que j’avais passées avec lui; je me disais
que j’avais un bon ami, qu’un bon ami est une chose rare et je goûtais, à me sentir entouré de biens difficiles à acquérir, ce qui était justement l’opposé du plaisir qui m’était naturel, l’opposé du plaisir d’avoir extrait de moi-même et amené à la lumière quelque chose qui y était caché dans la pénombre.

par son intermédiaire, il fait connaissance du  Baron de Charlus, Palamède de Guermantes. Et nous revoici en terrain connus depuis Combray et toujours entiché des Guermantes. Les titres de noblesse, les lignages anciens ne me font pas rêver et auraient plutôt tendance à m’ennuyer. En revanche, les châteaux achetés par les financiers juifs et les réactions de Saint-Loup, de Proust sont très ambigües et intéressantes. Sachant que Proust était un Dreyfusard de la première heure, les allusions antisémites sont à prendre au deuxième degré. J’ai eu cette même surprise avec Zola dans l’Argent.    A creuser….

Enfin, scène touchante aigre-douce avec le portrait que Saint Loup devait tirer de la Grand-Mère du narrateur qui se met sur son 31 pour la photo tandis que le jeune homme la rabroue.

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

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