Ségou -t.1 Les Murailles de terre – Maryse Condé

LECTURE COMMUNE EN HOMMAGE A MARYSE CONDE

C’est une relecture. Lu avant le premier voyage au Bénin. J’ai repris ce livre avec les souvenirs de nombreux voyages où se déroulent l’histoire et les développements géopolitiques actuels.

Une saga familiale

Ségou est au Mali sur les bords du Niger appelé ici Joliba. 

La saga de la famille de Dousika Traoré commence à la fin du XVIIIème siècle avec l’arrivée d’un blanc qui ne sera pas admis dans les murs de la ville. Dousika est un noble bambara, fétichiste, bien en cour, père de quatre fils. 

Son aîné, Tiekoro, se convertit à l’Islam et part étudier à Tombouctou. Son père ordonne à son frère Siga, fils d’une esclave, de l’accompagner. A Tombouctou, les deux frères ne sont pas bien accueillis. Tiekoro, musulman et lettré, devra faire ses preuves. Siga, rejeté par son frère, devient  ânier, puis gagne la confiance d’un marchand, qui l’envoie à Marrakech et Fès où il apprend les techniques des tanneurs et des maroquiniers. Il y rencontre Fatima, une mauresque, qu’il enlève pour l’épouser et fonde une famille. Sans rancune, il héberge Tiekoro et sa femme Nadié quand il vivra un revers de fortune

Le troisième fils, Naba, est razzié au cours d’une chasse et vendu comme esclave. Nous le retrouvons à Gorée, jardinier d’une signare, baptisé Jean Baptiste. Il suit une jeune esclave Ayodélé/Romana, au Brésil.  Elle lui donne trois enfants mais il va mourir mêlé à une rébellion. Romana rachète sa liberté et retourne en Afrique au Dahomey. Les Brésiliens (anciens esclaves au Brésil, catholiques ayant pris des noms brésiliens) forment une classe sociale très respectées à Ouidah. C’est là qu’aboutit après une longue errance le plus jeune fils : Malobali. Confondue par sa ressemblance avec Naba, Romana l’épouse….Olubunmi leur fils arrivera à Ségou, et la boucle sera bouclée.

Si vous avez peur de vous égarer dans tous ces personnages et ces noms, un arbre généalogique est prévu! Il n’est pas nécessaire, chacune des histoires se présente presque indépendante, l’une de l’autre. C’est un plaisir de suivre toutes ces aventures.

Géographie et histoire : 

Ségou, la ville et ses palais, est le centre du roman. C’est une ville commerçante, animée. Son roi, le Mansa, est au nœud des alliances et des équilibres politiques entre différentes ethnies, Bambara, mais aussi Peules et plus loin Touaregs, Haoussas. La conquête musulmane est au centre de l’histoire. Au début du roman, les musulmans ont déjà quelques mosquées à Ségou mais ils sont minoritaires. La 5ème partie du livre s’intitule « Les Fétiches ont tremblé » , le roi fait appel à une faction musulmane pour en combattre une autre. On voit plusieurs courants, plusieurs confréries,  certaines rigoristes combattant les plus tièdes. Le Djihad est en marche.

Du côté de la Côte Atlantique, catholiques européens mais aussi Brésiliens et protestants britanniques ou africains se livrent une belle concurrence. Les intérêts marchands et coloniaux sont transparents sous le prétexte religieux.

L’esclavage est aussi un thème fort du roman. Les esclaves sont partout. Pas seulement la Traite Atlantique racontée dans les pérégrinations de Naba et de Romana de Gorée au Brésil puis à Ouidah où on croise un curieux personnage, riche commerçant négrier Chacha. Cependant, les esclaves sont partout, du Maroc à Ségou. Esclave, la mère de Siga et Sira, la Peule, prise de guerre, concubine. A Ségou, des esclaves travaillent dans le champs, dont on ne parle pas. 

Maryse Condé n’a pas oublié les femmes, les mères et la plus majestueuse Nya. Elle n’en fait pas des objets de convoitise et de désir des hommes bien qu’ils se comportent souvent en prédateurs et violeurs. Chacune a sa personnalité, sa fierté même si , deux fois, cela aboutit à la solution affreuse de se jeter dans un puits. 

Maryse Condé est une merveilleuse conteuse qui m’a embarqué sur près de 500 pages qui se tournent toutes seules. Attention, roman d’aventure addictif!

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L’autre moitié du soleil – Chimamanda Ngozi Adichie,

LIRE POUR L’AFRIQUE (NIGERIA)

Chimamanda Ngozi Adichie est l’auteure d’Américanah que j’ai beaucoup aimé. Le soleil du titre fait référence au soleil ornant le drapeau du Biafra

drapeau du Biafra

Qui se souvient de la guerre du Biafra (1966-1970), guerre civile meurtrière? Aux massacres ethniques s’ajouta une terrible famine orchestrée par le pouvoir Nigérian soutenu par les britanniques, les soviétiques, égyptiens…ligués contre les sécessionnistes Igbo. A l’époque, je n’avais rien compris des enjeux géopolitiques et économiques (le territoire du delta du Niger recèle des gisements pétroliers importants).

Imagine des enfants aux bras comme des allumettes, Le ventre en ballon de foot, peau tendue à craquer. C’était le kwashiorkor – mot compliqué, Un mot pas encore assez hideux, un péché.

je me souviens des images d’enfants dénutris au ventre gonflé et aux membres squelettiques. 

Une carte n’est superflue pour suivre le roman

L’autre moitié du  soleil raconte donc ces évènements du côté igbo. Nous allons suivre deux soeurs jumelles, filles d’un riche homme d’affaires Igbo. Olanna, belle, intellectuelle, vit avec un universitaire « révolutionnaire » autour de qui gravitent des intellectuels, des activistes.  Ugwu, le boy du couple,  treize ans au début de l’histoire, d’une fidélité sans faille, suit ses patrons dans leurs tribulations.  Kainene, moins jolie, mais d’un caractère bien trempé,  fait  fructifier les affaires du père à Port Harcourt, intérêts pétroliers, importations diverses. Son amant, un écrivain britannique,  essaie d’écrire un livre – sans succès -il se mettra au service du Biafra en rédigeant des articles dans la Presse anglophone. 

L’auteure fait vivre ces personnages et toute une société de domestiques, de voisins de villageois, de militaires avec une attention particulière pour les personnages secondaires.

L’histoire commence dans les années 1960. En 1966, un premier coup d’état met au pouvoir des militaires igbos, un second coup d’état militaire chasse les Igbos . Des massacres ethniques d’une ampleur inédite provoquent , en réaction la sécession du Biafra qui se constitue en état indépendant. La guerre civile tourne à la catastrophe quand le pouvoir nigérian organise un véritable blocus alimentaire et que des bombardements des nigérians et de leurs alliés britanniques, égyptiens., russes réduisent la région à des ruines.

Je suis entrée lentement dans cette lecture. Je n’ai été prise par le récit que vers le tiers de l’histoire. Les amours de l’écrivain britannique, les minauderies et les rivalités des deux soeurs m’ont d’abord agacées. Ces riches nigérianes avec leur accent britannique, leur éducation anglophone, leurs belles maisons avec domestiques ne m’ont pas accrochée de prime abord. Dès que la situation politique se tend et que le Biafra fait sécession, j’ai été happée par la tragédie.

Il y a deux réponses aux choses qu’on t’enseignera sur notre pays : la vraie réponse et celle que tu donnes à l’école
pour passer. Tu dois lire des livres et apprendre les deux réponses. Je te donnerai des livres, d’excellents livres. »
Master s’interrompit pour boire une gorgée de thé. « On t’enseignera qu’un Blanc du nom de Mungo Park a
découvert le fleuve Niger. C’est n’importe quoi. Notre peuple pêchait dans le Niger bien avant la naissance du
grand-père de Mungo Park. Mais le jour de ton examen, écris que c’est Mungo Park.

J’ai énormément aimé le personnage d’Ugwu, lien entre la population rurale avec ses traditions et l’élite universitaire. En grandissant, l’adolescent devient un acteur important de l’histoire et témoins de l’horreur:

Ugwu l’avait remercié et avait secoué la tête en réalisant que jamais il ne pourrait traduire cet enfant sur le papier, jamais il ne pourrait décrire assez fidèlement la peur qui voilait les yeux des mères au camp de réfugiés quand les bombardiers surgissaient du ciel et attaquaient. Il ne pourrait jamais décrire ce qu’il y avait de terriblement lugubre à bombarder des gens qui ont faim.

Quand j’ai refermé la dernière page, j’ai quitté ces personnages à regrets, j’aurais tellement aimé connaître la suite.