Le Typographe de Whitechapel – Rosie Pinhas Delpuech – Actes Sud

LIRE POUR ISRAEL

« Il s’appelle Yossef Hayim Brenner. Il est né en 1881 à Novy Mlini, à la frontière entre la Russie et la Biélorussie.
Il est avec H. N. Bialik et S. Y. Agnon l’un des trois grands écrivains fondateurs de l’hébreu contemporain, et sans doute le plus audacieux. Sa vie est brève, il meurt assassiné lors d’émeutes arabes à Jaffa en 1921. »

Rosie Pinhas Delpuech raconte la vie de Brenner mais cette biographie, trame du livre, est entrelacée par une réflexion sur la langue hébraïque. L’auteure, traductrice de l’hébreu, s’implique personnellement dans la narration ;  elle  nous fait entendre l’hébreu actuel, le Brouhaha d’un autobus déchiffrant les accents, les langues qui se mêlent. 

« Dans mon métier – je suis transporteuse de langues –, les vacances sont rares, nous mettons longtemps à
transporter notre cargaison de mots d’une rive à une autre,

[…]
Pourquoi cette langue, l’hébreu, pourquoi ça ne me lâche pas, pourquoi ce livre sur un écrivain que je ne parviens même pas à lire, ni à traduire, mais autour duquel je tourne depuis des années ? »

Avant d’être la langue de la vie de tous les jours en Israël, l’hébreu était la langue de la religion et le retour à la Bible est une évidence. Les références anciennes, au personnage de Moïse, le bègue traversent le récit.

L’auteure situe le personnage de Brenner dans son contexte, écrivain juif russe, exilé à Londres arrivant à Whitechapel. Brenner écrit en hébreu, ce n’est pas une évidence à l’époque, le yiddish est beaucoup plus pratiqué alors, en hébreu manquent encore des vocables de la vie quotidienne, cependant. D’autres alternatives existent comme l’Espéranto  ou lz langue du pays de résidence, allemand, russe, anglais….

« Comme si, à l’orée du XXe siècle, le peuple juif laborieux, ouvrier, se découvrait non seulement sans terre et sans
abri, mais dans une détresse linguistique semblable à une détresse respiratoire. »

Whitechapel est le quartier des pauvres. Brenner s’installe en même temps que Jack London. De quelques semaines d’expérience, London rapporte Le Peuple de l’Abîme.  Brenner s’installera le 2 avril 1904 parmi les juifs démunis travaillant dans les sweatshops pour des salaires dérisoires provoquant le rejet et l’antisémitisme des ouvriers locaux qui voient en eux des immigrés gâchant les conditions de travail.

 

Même si les conditions de vie sont misérables, des journaux circulent parmi les juifs. Dès 1976, Aaron Liberman fonde avec dix ouvriers dont quatre imprimeurs l’Union des Socialistes hébraïques, en 1884 un journal rédigé en yiddish est destiné au public ouvrier; en 1885, paraît  l’Arbeter Fraynt de tendance anarchiste et yiddishisant . On croise un personnage singulier Rudolf Rocker, catholique allemand qui épouse le destin des anarchistes juifs et devient directeur de l‘Arbeter Fraynt. Brenner s’installe au dessus du local de l’imprimeur Narodiski et apprend le métier de typographe. Brenner raconte ce monde des petits journaux dans son roman Dans la détresse . Il crée une revue littéraire en hébreu qui a des abonnés en Europe et en Amérique. Malgré l’aspect artisanal de sa fabrication Brenner est célèbre. Lorsque Freud est de passage à Londres, ils se donnent rendez-vous devant les dessins de Rembrandt. Et encore, en filigrane, apparaît le personnage de Moïse

Rembrandt : le festin de Balthazar

« Dieu écrit directement avec son doigt, comme un artisan, et rien ne m’intrigue autant depuis mon enfance que ce doigt de Dieu qui montre une direction, qui écrit. Rembrandt le peint dans Le Festin de Balthazar, »

J’ai adoré cet entrelac d’histoire et d’exégèse de la Bible alors que justement la renaissance de l’Hébreu se veut laïque

Faire renaître un hébreu simple, encore gauche, détaché de son contexte religieux, ancré dans la réalité prosaïque
de l’humain. La langue, toute langue, ne peut qu’être humaine, ramassée dans la poussière et la sueur de la rue. 

Brenner quitte Londres en 1908, passe à Lemberg une année, hésite entre Ellis Island et la Palestine. Il accoste en février 1909 à Haïfa. 

Commence alors une nouvelle histoire, celle de la Seconde Aliya, celle des coopératives  agricoles, des communautés ouvrières. L’hébreu est alors la langue quotidienne, de Hedera au Lac de Tibériade, il n’existe pas toujours de mots pour désigner les choses. l’hébreu est façonné par des eshkenazes, L’écrivaine note

Il faudra aussi l’éclatement de l’utopie cinq ans plus tard, en 1967, pour que l’espace se fissure et que par
l’interstice s’engouffre l’arabe palestinien

Cette irruption de l’arabe remet en circulation l’ « l’arabe honteux des juifs orientaux » La traductrice ne se lasse pas d’interroger l’évolution de la langue, et j’apprécie ses digressions 

Brenner aboutit dans une cité-jardin Ein Ganim et vit dans une communauté laïque

Il se lie d’amitié avec deux grandes figures fondatrices du sionisme socialiste : A. D. Gordon et Berl Katznelson.

Elle note que sur le sionisme ils sont lucides

Herzl s’est trompé, ce n’est pas une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Il y a des habitants, ici, les Arabes, ils tiennent à cet endroit. 

Le 1er mai 1921, les ouvriers juifs défilent avec des drapeaux rouges, la population arabe réagit, c’est une journée sanglante

Brenner succombera, victime des journées d’émeutes.

Merci à Aifelle de m’avoir signalé ce livre qui traite de trois sujets que je poursuis : l’histoire du peuple juif, l’hébreu et le rapport de la traductrice à la langue.

Personnellement, j’aurais mis 5* sur Babélio mais peut être suis-je trop subjective!

 

 

 

 

 

 

Martin Eden , un film de Pietro Marcello (DVD)

CHALLENGE JACK LONDON

J’ai raté le film de Pietro Marcello, en salle à cause du confinement et il ne s’est libéré à la Médiathèque que récemment. J’étais très impatiente de visionner cette adaptation napolitaine du roman de Jack London qui m’avait beaucoup intéressée. C’est un peu dommage de le découvrir sur le petit écran,  depuis la pandémie, on se contente de moins. 

Il y a quelques années, deux blogs amis de Claudiaducia et Wens publiaient une rubrique « un livre, un film » que je lisais avec curiosité. Ils seraient plus qualifiés que moi pour cet article.  J’ai parfois du mal avec les adaptations.  Quand je viens de terminer un livre, je me suis fait une image mentale des héros ;  découvrir les traits de tel ou tel acteur me perturbe. Le réalisateur peut accorder une moindre importance à des scènes qui me paraissaient capitales. Faire tenir une œuvre de 600 pages en 1h30 ou 2h de film nécessite d’opérer des coupures. 

Un film  fidèle qui colle exactement au livre risque de l’affadir. L’idée de dépayser l’action, de la situer à Naples m’a séduite. J’aime cette ville, ses rues populeuses cadrent bien avec l’esprit du livre. Luca Marinelli est un Martin Eden convaincant, aussi bien en marin mal dégrossi qu’en apprenti écrivain, vers la fin,  décadent, il est moins séduisant mais bien dans l’esprit du personnage. Elena-Jessica Cressy m’a semblé plutôt falote, il lui manque l’éclat de la  Ruth du roman. Les étapes de l’apprentissage de Martin suivent la progression du livre. En revanche, avec le dépaysement de l’action, j’aurais aimé plus de couleur locale dans les luttes politiques.

Si le déplacement géographique ne m’a pas gênée, au contraire, le déplacement temporel  dans une modernité  floue m’a perturbée. La famille de sa sœur et son beau-frère est installée devant la télévision, années 70? 80? Des images bleues ou sépia montrent un magnifique trois-mâts d’un autre siècle.

London, au tout début du 20ème siècle découvre la philosophie avec Darwin, Nietzsche et Spencer, dans le film il ne reste que l’illustre Spencer, peut-être Marx et Gramsci auraient été plus couleur locale?

Une soirée agréable mais pas le grand film que j’espérais!

 

Le Talon de Fer – Jack London / Le Capital au XX1ème siècle Piketty

CHALLENGE JACK LONDON

« De la poitrine de l’humanité terrassée, nous arracherons le Talon de Fer maudit ! Au signal donné vont se
soulever partout les légions des travailleurs, et jamais rien de pareil n’aura été vu dans l’histoire. La solidarité
des masses laborieuses est assurée, et pour la première fois éclatera une révolution internationale aussi vaste que
le monde. »

 

Le Talon de Fer  c’est d’abord l’exploitation qu’exercent les trusts et le grand capital (Oligarchie ou Ploutocratie) sur le prolétariat, mais pas seulement, également sur la bourgeoisie et les petites entreprises qui se font dévorer par les grandes. 

Le  Talon de Fer c’est une dictature qu’ont qualifierait aujourd’hui de fasciste, avec milice, censure de la Presse et des intellectuels, corporatisme… mais qui est sortie de l’imagination de Jack London en 1908. Prémonitoire! 

Le Talon de Fer est une dystopie géniale, qui prédit aussi bien la guerre avec l’Allemagne (nuance Etats Unis/Allemagne), la Révolution et la Grêve Générale comme réponse au conflit armé, mais surtout l’avènement de la dictature des Grands Monopoles qui ont éliminé les petites entreprises, les Grands Travaux au bénéfice de vainqueurs, la résistance souterraine du monde ouvrier. 

Le Talon de Fer est aussi un ouvrage didactique où Ernest Everhard, leader socialiste porte la contradiction dans les réunions d’intellectuels californiens en faisant la démonstration de la Lutte des Classes. Brillante démonstration d’économie marxiste et explication lumineuse de la Plus-value dans le chapître intitulé Un Rêve mathématique

« Prenons par exemple une manufacture de chaussures. Cette fabrique achète du cuir et le transforme en souliers.
Voici du cuir pour cent dollars. Il passe à l’usine et en sort sous forme de chaussures d’une valeur de deux cents
dollars, mettons. Que s’est-il passé ? Une valeur de cent dollars a été ajoutée à celle du cuir. Comment cela ?C’est le capital et le travail qui ont augmenté cette valeur. Le capital a procuré l’usine, les machines, et payé les
dépenses. La main-d’œuvre a fourni le travail. Par l’effort combiné du capital et du travail, une valeur de cent
dollars a été incorporée à la marchandise. Sommes-nous d’accord ? »

C’est aussi un roman original avec une foule de personnages vivants, attachants ou haïssables.

L’originalité vient aussi du fait que c’est un roman écrit au féminin : la narratrice Avis est la fille d’un célèbre universitaire de Berkeley qui reçoit à sa table le gratin des scientifiques,  des hommes d’église et des grands bourgeois. Esprit éclairé et ouvert, il a invité Ernest Everhard pour connaître l’opinion des socialistes. Avis se laisse entraîner dans l’enquête concernant le cas d’un ouvrier estropié par sa machine, réduit à la misère, ayant perdu son procès contre le patron quand il réclamait des indemnités. Elle découvre la réalité des théories d’Ernest, en tombe amoureuse et devient sa femme. Elle assumera le rôle subalterne de la « femme du leader » jusqu’à l’emprisonnement de son mari et deviendra une résistante à part entière. Amoureuse, certes, mais capable de décisions, femme d’action.  D’autres femmes seront des révolutionnaires aguerries.

Dans le Talon de Fer j’ai retrouvé Martin Eden, le personnage d’Ernest ressemble par de nombreux aspects à Martin, le prolétaire reçu à la table de grands bourgeois et qui s’éprend de la fille de la maison. Avis n’est pas Ruth : Ruth est prisonnière des préjugés conservateurs de son milieu bourgeois tandis qu’Avis et son père vont être convaincus par la force du raisonnement d’Ernest. Comme Martin, Ernest écrit, vit de sa plume en faisant des articles et des traductions….J’ai aussi retrouvé le Peuple de l’Abîme, expression qu’il emploie à plusieurs reprises dans le roman. 

« La condition du peuple de l’Abîme était pitoyable. L’école communale avait cessé d’exister pour eux. Ils vivaient
comme des bêtes dans des ghettos grouillants et sordides,
……
En vérité, elle est bien là dans les ghettos, la bête rugissante de l’Abîme tant redoutée des Oligarques : mais c’est
eux-mêmes qui l’ont créée et l’entretiennent, c’est eux qui empêchent la disparition du singe et du tigre dans
l’homme. »

Je ne sais où London va mener à ma prochaine lecture du Challenge initié par Claudialucia, mais je suis partante pour une nouvelle aventure.

En complément, et sur un sujet analogue quoique 112 ans plus tard : La Capital au XXIème siècle de Picketty film de Justin Pimberton Un documentaire que j’ai vu au Cinéma. Propos percutant, images intéressantes immersives. Mais un peu trop docu-Arte à mon goût.

 

L’Appel de la Forêt – Jack London – 10/18

CHALLENGE JACK LONDON

J’ai retrouvé dans la bibliothèque familiale ce gros livre de poche (445 p.)rassemblant 14 nouvelles HISTOIRES DU PAYS DE L’OR avant L’APPEL DE LA FORÊT court roman éponyme. Très jeune,  j’ai lu L’Appel de la Forêt, j’en avais gardé un  bon souvenir mais, quelque peu,  imprécis. 

L’ensemble se déroule dans le Klondike et le Yukonau temps de la Ruée vers l’Or comme dans le recueil de Construire un Feu qui m’a éblouie. J’en redemande et admire la capacité de l’auteur à construire des histoires toutes différentes avec des personnages variés : mineurs creusant et lavant à la battées, voyageurs sur des trajets d’une difficulté inimaginable, vieil homme qui a déjà vécu une autre ruée vers l’or et qui réalise son rêve de faire fortune, spéculateur qui transporte mille douzaines d’œufs alors que la famine règne chez les chercheurs d’or. Hommes jeunes, aventuriers chevronnés ou novices, indiens autochtones, chiens,ours. Tout un monde! Dans cet environnement viril (et parfois, il faut le dire, misogyne) une belle figure :  celle de l’indienne Jees-Uck.

L’Appel de la Forêt est d’un autre calibre. Le lecteur s’attache au héros : Buck qui est un chien. Tout le roman s’organise autour des tribulations de l’animal qui est un personnage à part entière. Chien de luxe en Californie, chien magnifique, il est volé par des trafiquants qui le vendront pour un bon prix dans le Grand Nord comme animal de trait. Buck n’est pas seulement une bête hors norme physiquement, il est aussi capable de s’adapter à sa nouvelle condition. Il saura gagner sa place de chien dominant, par sa force, sa férocité, mais surtout son intelligence. Il change de propriétaires jusqu’à ce qu’il trouve le maître à qui il donnera tout son amour canin, sa fidélité. 

London n’humanise pas le chien. C’est bien un chien parmi les hommes et parmi ses congénères. Ses réactions sont celles d’un chien même si à force de vivre dans la nature, il ressent la proximité des loups. Un chien avec un instinct de chien, mais aussi avec une intelligence exceptionnelle.

Dans l’épilogue Le chien, ce frère dit « inférieur », London se défend de « maquiller la nature« comme l’ont accusé ses détracteurs. Il démontre que les chiens possèdent, en plus de leur instinct inné, une réelle intelligence, une capacité d’apprendre de nouveaux comportements, de s’adapter à un environnement inconnu. Sa démonstration la plus convaincante concerne la capacité de son chien de le berner ou de réagir avec discernement quand l’homme cherche à le moquer ou à le tromper. 

L’Amour de la Vie – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

Cette nouvelle est dans la même veine que Construire un Feu. Dans l’Arctique,   la nature sauvage est plus puissante que l’homme qui doit déployer des efforts surhumains pour survivre. Survivre seul est une gageure. Dans Construire une Feu, le héros affrontait le froid intense de l’hiver polaire. L’Amour de la Vie se déroule en été, l’homme abandonné par son compagnon Bill, blessé marche péniblement. Il est torturé par la faim; à cours de munitions il ne peut pas chasser et se trouve en concurrence avec les animaux. Les caribous abondent, sa carabine ne lui sert à rien, les étangs sont poissonneux mais il doit pêcher avec ses mains. Il est réduit à la condition animale. Un loup malade le suit.

La vie était là, tout autour de lui, mais c’était de la vie forte, résistante et pleine de santé. Il savait bien que le
loup malade s’attachait aux pas de l’homme malade dans l’espoir que l’homme mourrait le premier. Le matin, en
ouvrant les yeux, il remarqua le loup qui le regardait avec des yeux envieux et affamés.

mais chaque fois, la vie est plus forte, l’homme s’attache à la vie même s’il s’affaiblit. On comprend le titre « L’amour de la vie »

Pourtant la vie qui l’habitait le poussait en avant ; il était très fatigué ; mais cette étincelle de vie refusait de
mourir.

Cette expérience à la limite de la mort, me fait penser à un autre roman de London : Le vagabond des Etoiles quand, prisonnier de la camisole de force, le héros entrait en catalepsie et que la vie « quittait » son corps.  

suivit la trace de l’autre homme qui s’était traîné et arriva bientôt à… quelques os fraîchement nettoyés, dans un
endroit où la mousse spongieuse était marquée par les traces de pattes d’un grand nombre de loups. Il vit un petit
sac bien bourré, en peau d’élan, le frère du sien, et que les dents aiguës avaient déchiré. Il le ramassa malgré le
poids qu’il représentait pour ses doigts faibles. Bill l’avait porté jusqu’au bout, ha ! ha ! C’est lui qui pourrait
rire de Bill ; il survivrait et porterait le sac au bateau sur la mer éclatante. Son rire était rauque et horrible comme
un cri de corbeau, et le loup malade hurlant lugubrement se joignit à lui. L’homme coupa court à son hilarité.
Comment pouvait-il rire de Bill, s’il s’agissait bien de lui, si ces os si blancs, si rosés et propres étaient Bill ?

Une lecture éprouvante, magnifique. 

Pour une analyse plus détaillée lire le blog de Claudialucia ICI

et celui de Maggie

Construire un feu – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

J’ai lu d’un  trait ce recueil de nouvelles se déroulant dans le Grand Nord. Alaska ou Canada?

En tout cas un No mans land où la loi écrite n’est pas encore arrivée et ou règne la force brutale du Grand Froid et de la Mort. Terre d’hommes rudes bravant le froid, la solitude, la douleur.

 

Magie de la neige,  des fleuves gelés ou en débâcle…Fièvre de l’or. Fièvre de l’alcool aussi qui conduit à faire des folies. j’ai été séduite par cette écriture, envoûtée. 

Hommes solitaires dans l’immensité froide. Hommes et chiens. Je me suis bien amusée de la  nouvelle Spot ou deux aventuriers courageux sont tyrannisés par leur chien. Juste retour des chose dans un monde où le chien est surtout un esclave.

Monde viril? Certes. Deux belles figures féminines apparaissent : Braise d’Or et surtout la squaw El-Sou. 

Domination de la nature : le froid fait sa loi, en-dessous de 50° F, interdit de partir seul. Le Yukon aussi exécute les condamnations des assassins et des voleurs qui lui sont confiés par le juge. Traîtrise de la neige. La nouvelle Construire un Feu qui donne son titre au livre est ma préférée. J’ai été éblouie par le style.

les grandes eaux du printemps avaient, sous les sapins, amassé un dépôt de bois mort. Il y avait de fines herbes
sèches et de menues brindilles, et aussi des tas de branches et de bûches de toutes dimensions. Il commença donc
par étaler et ranger sur la neige un certain nombre de grosses bûches, pour servir de foyer à son feu et empêcher
la jeune flamme de se noyer dans la neige fondue. Puis il opéra comme précédemment, en grattant une allumette
sur un petit morceau d’écorce de bouleau, et en alimentant la flamme, tout d’abord avec des touffes d’herbes
desséchées et des brindilles. Accroupi sur la neige, l’homme procédait méthodiquement et sans hâte, avec la
pleine conscience du danger qu’il courait. Graduellement, à mesure qu’elle grandissait, il jetait à la flamme des
bouts de bois de plus en plus gros. Il était certain de réussir ainsi.[…..]
L’homme sentait, sur toute la surface du corps, sa peau se refroidir. Mais la vie n’était pas entamée en lui. Le feu
commençait à flamber superbement. Le moment approchait où il allait pouvoir l’alimenter avec de grosses
bûches. Alors il enlèverait ses chaussures et, pendant qu’elles sécheraient, il réchaufferait ses pieds au brasier,
non sans les avoir au préalable selon le rite coutumier, frictionnés avec de la neige. Non, sa vie n’était pas
entamée.

Lire aussi le billet de Claudialucia,

et celui de Kathel mais qui concerne plus la BD de Chabouté

Les vagabonds du Rail – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

Par la lecture, je vagabonde beaucoup, avec London et Kassak….

« De temps à autre, dans les journaux, magazines et annuaires biographiques, je lis des articles où l’on m’apprend,
en termes choisis, que si je me suis mêlé aux vagabonds, c’est afin d’étudier la sociologie. Excellente attention
de la part des biographes, mais la vérité est tout autre : c’est que la vie qui débordait en moi, l’amour de
l’aventure qui coulait dans mes veines, ne me laissaient aucun répit. La sociologie ne fut pour moi qu’un
accident : elle vint ensuite, tout comme on se mouille la peau en faisant un plongeon dans l’eau. Je « brûlai le
dur » parce que je ne pouvais faire autrement, parce que je ne possédais pas dans mon gousset le prix d’un billet de chemin de fer, parce qu’il me répugnait de moisir sur place, parce que, ma foi, tout simplement…. »

Les vagabonds du rail est un texte autobiographique assumé. Pendant ses tribulations, dès sa jeunesse, London prenait des notes, une sorte de journal. Contraint à mendier sa nourriture et quelque monnaie, il « rétribuait  » ses bienfaiteurs en racontant sa vie et en distrayant les braves gens qui voulaient bien lui offrir un oeuf, un thé… De ses années de vagabondages, l’auteur a donc appris l’art d’être conteur.

« Le hobo doit être un artiste et créer spontanément, non d’après un thème choisi dans l’épanouissement de sa propre
imagination, mais suivant le thème qu’il lit sur le visage de l’individu qui ouvre la porte : homme, femme ou
enfant, bourru, généreux ou avare, enjoué ou méchant, juif ou chrétien, noir ou blanc, qu’il ait ou non des
préjugés
[…..]
Poussé par l’inexorable nécessité, on acquiert le don de convaincre et de faire naître l’émotion sincère, qualités
qui sont l’apanage des bons romanciers. »

London raconte avec beaucoup de vivacité comment il se débrouille dans les villes, comment il grimpe à bord des différents trains, et comment il déjoue la surveillance des employés de la compagnie de train ou des policiers (taureaux). Ses aventures sont amusantes, mais j’ai fini par m’ennuyer un  peu. 

En revanche quand il est incarcéré pour vagabondage 30 jours à Niagara Falls, son analyse du fonctionnement carcéral est passionnant. Débrouillard, il arrive à tirer profit des failles de surveillance et parvient à entrer dans les réseaux de trafics lucratifs.

Nous n’étions, après tout, qu’une imitation de la société capitaliste : nous prélevions sur nos clients un lourd
tribut. C’étaient des services rendus dont nous tirions avantage ; cependant il nous arrivait parfois d’obliger notre
prochain sans le moindre esprit de lucre.

J’ai été très intéressée par ce témoignage qui complète le récit du système carcéral dans le Vagabond des étoiles (quoiqu’il s’agissait de condamnés à des peines lourdes et non pas de simples vagabonds)/ 

Un troisième volet concerne les relations que les vagabonds entretenaient entre eux, solidarité et parfois concurrence (surtout quand il s ‘agit de monter à bord d’un train). J’ai été très étonnée d’apprendre que dans les années 1890, il existait une « armée industrielle de Kelly« , bataillon de chômeurs ou de vagabonds. l’expression armée industrielle de chômeurs est un concept de Marx. Deux mille vagabonds ont traversé Les Etats Unis. Les villes traversées par cette « armée » les aidaient à arrêter des trains (pour les voir débarrasser la ville) et leur fournissaient parfois des repas (pour éviter des pillages). Alors que la compagnie ferroviaire refusait de prendre à son bord l’armée de Kelly, on affréta des bateaux sur la rivière Des Moines et le Missouri. Là aussi, la débrouillardise de London fit des merveilles dans le passage des rapides ou des bancs de sable ainsi que dans le pillage provisions que les villages mettaient à la disposition de l’armée de Kelly.

Une nouvelle occasion de rencontrer London, peut-être pas son chef d’oeuvre mais un bout de route ensemble!

Un lien vers l’article de Lilly

 

 

Le Vagabond des Etoiles – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

Confinement: pas de librairie, pas de médiathèque.

Téléchargeons!

Le Vagabond des étoiles

 

Premier essai 0.99€. Illisible! il manque des lettres :   mots étranges, vais-je jouer aux devinettes?

 

 

 

Le Vagabond des étoiles  Deuxième essai :  7€93 encore des coquilles, mais moins Une typographie bizarre centrée. Ce n’est pas confortable à lire.

Au confinement comme au confinement!.

Avant que Claudialucia n’initie le challenge, je pensais que London – auteur de l’Appel de la Forêt et de Croc-blanc écrivait de romans d’aventure et de nature sauvage, lectures jeunesse. Une Fille des Neiges pouvait entrer dans cette catégorie. La Peste Écarlate, une dystopie…Martin Eden, un roman d’apprentissage plutôt autobiographique changent de ton. Le Peuple de l’Abîme est un reportage social, autre facette de l’oeuvre finalement très diverse.

le Nomade des étoiles a pour titre américain The Star Rover et anglais The Jacket. C’est encore une oeuvre originale qui ne ressemble pas aux précédentes, roman fantastique ou témoignage, dénonciation de traitements cruels en prison.

Ô mes concitoyens, ô vous qui tolérez tous ces chiens pendeurs, vous qui les payez et leur permettez de lacer en votre nom des malheureux dans la camisole de force, laissez moi vous expliquer un peu de quoi il s’agit, car vous l’ignorez sans doute. Alors vous comprendrez comment, à force de souffrances, je me suis, vivant, enfui de cette vie, et devenu maître de l’espace et du temps, j’ai pu m’envoler hors des murs de ma géhenne, jusqu’aux étoiles. 

La dénonciation de l’isolement « la cellule solitaire » de la camisole de force « jacket » et très accessoirement de la peine de mort m’ont énormément touchée.

Ces pratiques cruelles sont difficilement imaginables, il faut le talent de London pour que le lecteur ressente la douleur du condamné, la barbarie de la prison californienne. Témoignage ou fiction? Darrell Standing, Ed Morell et Oppenheimer ont-ils véritablement existé ou sortent-ils de l’imagination de London? Les conditions de détention sont décrites avec réalisme. On imagine le prisonnier jouer avec les mouches, communiquer avec les cellules voisines en frappant de petits coups d’un alphabet secret, le laçage de la camisole est impressionnant. A la suite de la parution du Vagabond des Etoiles,  la punition de la camisole de force fut abolie  en Californie.

Oui, durant deux cent quarante heures. Cher et douillet concitoyen, sais-tu que ces deux cent quarante heures équivalent à dix jours et dix nuits? Tu hausses les épaules, en déclarant que nulle part dans le monde civilisé, dix-neuf cents ans après la venue du Christ ont lieu de telles horreurs. Je ne demande pas de le croire. Je ne le crois pas moi-même.  Je sais seulement que je les ai subies à Saint Quentin et que je leur ai survécu. 

J’ai été moins sensible à l’aspect fantastique du roman. Pour supporter la douleur intolérable de la camisole de force sur des délais très longs le condamné « s’évade » par la pensée de son corps en catalepsie. C’est ainsi que libéré de son corps il explore les étoiles. Catalepsie? Expérience de mort imminente? Je suis assez incrédule.

Darrell s’évade de sa cellule, dans l’espace (les étoiles) et dans le temps. Il retrouve ses vies antérieures, soldat romain de l’entourage de Pilate à Jérusalem, enfant dans une caravane de pionniers dans la conquête de l’Ouest, marin hollandais échoué en Corée, naufragé solitaire sur un îlot rocheux. Si on considère chacune de ses « vies » comme des nouvelles aventureuses, ou des contes.  Certains récits sont très réussis. J’ai vibré pour la migration des chariots dans les terres des Mormons, la soif des migrants,  l’attaque des Indiens. La survie du Robinson sur son îlot m’a aussi transportée. En revanche, les tribulations coréennes m’ont agacée et les épisodes bibliques m’ont laissée froide. Je ne crois pas à la réincarnation ou la métempsycose. A l’époque de la rédaction du roman, certaines personnes pourtant très sérieuses d’adonnaient au spiritisme. Même Victor Hugo faisait tourner les tables. je suis complètement imperméable à ces pratiques et même cela m’agace.

Evidemment cela ne doit pas préjudicier de la valeur littéraire d’un livre. London transporte le lecteur même si le fond de l’histoire est peu réaliste. Les incursions de London dans le domaine fantastique sont une nouvelle preuve du génie de l’auteur.

voir l’article de Claudialucia

et celui de Lilly

Le peuple de l’Abîme – London

CHALLENGE JACK LONDON

« Je suis descendu dans les bas-fonds londoniens avec le même état d’esprit que l’explorateur, bien décidé à ne croire que ce que je verrai par moi-même »

écrit London dans la préface du livre. Ce n’est donc pas un roman mais plutôt un essai,  un témoignage, un reportage journalistique.

London se met lui-même en scène.  D’abord comme « touriste » il s’adresse à l’agence Cook.  Il se rend ensuite chez un fripier et se déguise en clochard, prend pension à la limite de l’East End. Il s’invente un personnage : un marin américain qui aurait perdu ses économies et qui serait contraint de partager le sort des habitants des quartiers déshérites.

« Je découvris un tas d’autres changements, survenus à cause de mon nouvel accoutrement. Lorsque je traversais, par exemple aux carrefours, les encombrements des voitures, je devais décupler mon agilité pour ne pas me faire écraser. Je fus frappé par le fait que ma vie avait diminué de prix proportionnellement avec la modicité de mes vêtements »

Tout d’abord, il cherche une chambre. Il découvre les conditions de logements des ouvriers et d’abord de la « saturation » qui joue sur le prix des loyers et qui fait fuir les classes

Elle m’expliqua le procédé de la saturation, parlaquelle la valeur locative de tout un quartier monte en même temps que la qualité des ses habitants descend : « vous voyez, monsieur, les gens comme nous ne sont pas habitués à nous entasser comme les autres….. »

 

En s’adressant à la tenancière d’un café pouilleux, il découvre que des ouvriers « des gens tout à fait comme il faut« , se partagent une chambre à trois lits. Il découvre enfin comment des familles s’entassent dans des chambres insalubres où il faut aussi travailler, coudre des chaussures ou des cravates. Et encore ! il s’agit de travailleurs qui gagnent leur vie (mal) et ont un toit au dessus de la tête.  

Il existe encore des malheureux plus mal lotis dont il va partager le sort : ceux qui doivent fréquenter les Asiles de nuit ou prendre un repas à l’Armée du Salut. London nous fait partager  les rencontres dans les queues  avec des personnages réduits à cette extrémité : parfois des ouvriers qualifiés seulement vieux ou après un accident du travail,  incapables de retrouver un travail, dockers, anciens soldats  ou marins, des cueilleurs de houblons dans les campagnes environnantes. 

Pire encore, il va « porter la bannière » expression imagée décrivant le calvaire des clochards sans toit qui marchent toute la nuit sans pouvoir se reposer un instant, fuyant le policier qui les chasse du moindre recoin où ils pourraient se poser un moment. 

Des rencontres, des aventures, des personnages pittoresques suffiraient à rendre passionnante cette lecture. Mais ce n’est pas tout. London ne se contente pas de raconter les péripéties de ce reportage. Il décrit les conditions de vie, logement et sous-alimentation avec des chiffres  et comparaisons avec le régime alimentaires de soldats ou gardiens de prison, il donne les salaires de tous les travaux. Toutes les données sont extrêmement précises.

Il analyse les rouages économiques : la concurrence qui entraîne les baisses de salaires

« L’exploitation de la main d’oeuvre; les salaires de misère, les hordes de chômeurs, et la foule de sans-abri et des sans-maisons, c’est ce qui arrive lorsqu’il y a plus d’hommes pour faire le travail qu’il n’y a de travail à faire. »

même un syndicat puissant, disons de vingt-mille adhérents, ne peut tenir le taux des salaires s’il a en face vingt-mille chômeurs qui essaient de rivaliser avec les syndicalistes. 

De même quand les syndicats essaient de faire interdire le travail des enfants de moins de quinze ans, ce sont les ouvriers eux-même dépendant des gains de leurs enfants qui refusent cette mesure.

Il analyse aussi l’inaptitude au travail et ses causes : la sous-alimentation, l’alcoolisme ou les conditions de vie déplorables : logement, pollution, il prend comme exemple le saturnisme des ouvrières dans les usines de plomberie….Certains arguments sont encore actuels! Chaque fois on perçoit l’empathie de London et surtout l’absence de jugement moral. Il explique, ne juge pas.

Au contraire, il porte un regard très critique sur les « bienfaiteurs » qui n’apportent que des solutions dérisoires comme une exposition d’art japonais ou une journée à la campagne pour les enfants. Il est assez sceptique sur les bienfaits de la Civilisation, comparant le mode de vie des Inuits loin de toute civilisation et des Anglais. 

Aucune erreur n’est possible. La civilisation a centuplé le pouvoir de production de l’humanité, et par suite d’une mauvaise gestion, les civilisés vivent plus mal que des bêtes, ont moins à manger et sont moins protégés de la rigueur de éléments que les sauvages Inuits, dans un climat bien plus rigoureux. 

Ce reportage d’une réalité vieille de 120 ans, est toujours actuel. Peut-être les lieux ont changé mais l’analyse des mécanismes demeure intéressante.

vers le billet de claudialucia

et celui de nathalie et celui de lilly

Martin Eden – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

Difficile de rédiger ce billet après l’excellente analyse de Claudialucia

Il se sentit comme enivré, car là était l’aventure à tenter, le monde à conquérir et du fond de lui-même, une pensée fulgura : devenir digne d’Elle, le conquérir, ce lis pâle qui se trouvait à ses côtés[…..]

Pour la première fois il se montra tel qu’il était – avec effort d’abord – mais bientôt il s’oublia lui-même en remarquant combien sa façon de raconter plaisait à son auditoire. Il avait fait partie de l’équipage du contrebandier Alcyon, lors de sa capture par un cotre des douanes. Et il sut leur faire voir ce que ses yeux avaient vu. Il évoqua la grande mer violente, les bateaux, les marins avec une telle puissance, qu’il leur sembla être avec lui. D’une touche d’artiste, il choisissait els détails à mettre en valeur, l’image claire saisissante, et leur donnait ensuite une couleur et une lumière si vivantes que ses auditeurs étaient emportés par son éloquence….

J’ai beaucoup aimé le début du roman qui présente le jeune marin  maladroit quand il est introduit dans la maison bourgeoise de la famille Morse. Martin a vécu de nombreuses aventures en mer, il a connu les bagarres et a fréquenté voyous et sauvages, mais il est tout intimidé par les livres, tableaux, musique et toute la culture. Roman d’amour, ou Martin, ivre d’amour pour Ruth, manque de se faire arrêter par un policier. Tellement amoureux qu’il veut mériter cet amour et va policer son langage, soigner son habillement, même arrêter de boire et de fumer! Véritable frénésie amoureuse de ce grand timide qui vénère sa dame et la porte au pinacle.  Ruth n’est pas indifférente, elle est attirée par Martin et pygmalion à l’envers, va lui corriger sa grammaire déficiente, lui faire apprécier la musique et la poésie.

Mais à quoi sert le cerveau? …Ce qu’ils avaient fait, il pouvait le faire. Ils avaient appris la vie dans les livres, et lui l’avait vécue…

Par amour, et par curiosité naturelle, Martin se lance en autodidacte dans la culture livresque qu’il dévore à la bibliothèque. Cet appétit de culture est impressionnant. Martin est vraiment très doué.

Par amour, il devient écrivain. Il veut raconter le monde, son monde, la mer, ses aventures, à Ruth. Il est vraiment très doué, et il est conscient de la valeur littéraire de ses poèmes et de ses nouvelles. Il les offrira à Ruth quand il sera publié!

L’adorable splendeur du monde le transportait et il souhaitait ardemment la partager avec Ruth, il décida de lui décrire tout ce qu’il pourrait des beautés des mers du Sud […]Alors dans une auréole de splendeur et de gloire, naquit la grande idée : il écrirait. Il serait de ces être privilégiés à travers lesquels le monde entier voit, entent et sent. Il écrirait.

Cette fougue, cet enthousiasme, cet appétit de savoir est séduisant, Ruth tombe amoureuse, il est même question de fiançailles…Même si, pour la famille ce serait une mésalliance. Ils ne sont pas du même milieu social. Pour s’élever au-dessus de sa condition de prolétaire, une seule issue : publier. Avec la même énergie forcenée que ses lectures en bibliothèque Martin noircit du papier, expédie ses nouvelles et ses poème à des revues. Il se prive de dormir, de manger, met au clou son costume, sa bicyclette et écrit, encore et encore…

Elle avait une de ces mentalités comme il y en a tant, qui sont persuadées que leurs croyances, leurs sentiments et leurs opinions sont les seules bonnes et que les gens qui pensent différemment ne sont que des malheureux dignes de pitié. C’est cette même mentalité qui de nos jours produit le missionnaire qui s’en va au bout du monde pour substituer son propre Dieu aux autres dieux. A Ruth, elle donnait le désir de former cet homme d’une essence différente, à l’image de banalités qui l’entouraient et lui ressemblaient

La famille de Ruth ne reconnaît ni son talent ni ses qualités intellectuelles. Ruth, elle-même n’apprécie pas ses écrits et ne comprend pas les théories que Martin énonce. Malgré son amour, Martin prend conscience de l’étroitesse d’esprit des Morse et leur conservatisme. Il provoque les invités des Morse, choque tout le monde et finit par être indésirable à leur table. La rupture est inévitable.

Ce fut ainsi que Martin se trouva face à face avec la morale économique, ou morale de classe ; et bientôt elle lui apparut comme un épouvantail. Personnellement c’était un moraliste intellectuel et la morale de son entourage lui était encore plus désastreuse que la platitude pompeuse des raisonneurs

Misérable, proscrit, il connait brusquement un succès fulgurant. Une revue accepte un texte, puis les autres. Martin est recherché dans les dîners, justement là où on le méprisait, Ruth vient le supplier de renouer….Avec le succès, Martin perd le goût de vivre.

Sans boussole, sans rames, sans port à l’horizon, il se laissait aller à la dérive, sans lutter davantage puisque lutter c’est vivre et que vivre c’est souffrir

Le début du roman m’a emportée, les récits des mers du sud, les bagarres et aventures. L’épisode de la blanchisserie, la description de la vie des prolétaires, le personnage de Maria, Lizzie, les soeurs de Martin sont très bien rendus. On sent sa profonde empathie avec les ouvriers, les artisans et même les clochards. Jamais, même quand il distribue ses richesses il ne renie son milieu d’origine.

En revanche je me suis un peu ennuyée dans les analyses philosophiques et politiques, la découverte de Spencer, de Nietzsche, du socialisme. Toutes les recherches de l’autodidacte, les discours provocateurs m’ont semblé bien longs et embrouillés. Pourquoi Martin cherche-t-il tant à se démarquer des socialistes? Pourquoi part-il dans une cabine de première classe alors qu’il rêve d’aventure avec les matelots?

Je regrette d’avoir raté l’adaptation napolitaine du roman, adaptation très libre selon les critiques. j’espère avoir l’occasion de le voir quand le confinement sera terminé