IDENTITE JUIVE
Je suis entre les deux bords. Comme j’ai toujours vécu : entre. Ni ici, ni plus loin. J’habiterais sur le Jourdain,
alors que mon destin, si j’en avais eu un, m’aurait incité à un mariage à Bagatelle avec buffet et traiteur « all
inclusive ».Une minorité à deux enchâssée dans les minorités : « La vraie communauté est le Sinaï de l’avenir. » Qui a écrit
cette phrase ? Nadia Tuéni ? Non : Martin Buber.
Vu de la montagne libanaise, à quelques pas de la frontière israélienne, Manuel Carcassonne, éditeur parisien, marié à une Libanaise, Nour, et père d’un petit Hadri, cherche son identité juive.
Je ne suis pas entrée immédiatement dans le livre qui ressemble plutôt à un catalogue de philosophes et d’intellectuels juifs : Martin Buber, Yosef Haim Yerushalmi, Derrida, Levinas, Benny Levy, Alain Finkielkraut, Amos Oz…penseurs qui méritent chacun une lecture attentive et savante. De ces références il a tiré le titre du livre « Le Retournement »
Retour vers le passé et les origines?
« Le plus grand danger n’est pas tant l’oubli de ce qui advint dans le passé, que l’oubli de l’essentiel, comment le passé advint », résume l’historien Yosef Yerushalmi dans Zakhor. »
Passé de l’Histoire Juive, en revenant à l’Antiquité et aux Guerres Juives, à Bar Kokhba et l’Empereur Hadrien
La révolte nationale sera un désastre en Judée. Martin Buber, dans L’Esprit de l’Orient et le judaïsme, insiste sur« cet événement qui a coupé en deux l’histoire du judaïsme »
Retour sur les origines familiales, sa mère, son enfance dans le XVIème arrondissement…
ou Retour vers la religion comme pour Benny Levy « la Pensée du Retour »
« Soit s’agit-il d’un retour, d’un revirement, d’un repentir, au sens de l’hébreu « techouva » : le juif qui s’ignore est une sorte d’Ulysse, qui après avoir bourlingué rentre chez lui fourbu, retrouve pleinement la douceur oubliée de sa Nation »
ou ce retournement plus énigmatique :
Le Juif religieux va vers son unité. Il rejoint son être. Le mien est divisé, et quoi que je fasse, je serai à la fois
mouvant et immobile, amoureux de Nour et persécuté sur sa terre, ici et là-bas, scindé en deux.[…]
J’ai été « retourné », comme on le disait avant la chute du mur de Berlin. Comment me retourner dans l’autre
sens ?
J’ai lu tous ces arguments avec curiosité sans vraiment suivre avec empathie Carcassonne.
En revanche, j’ai été très intéressée par son analyse de Sabra et Chatila et les écrits antisémites de Jean Genêt ainsi que les prises de positions israéliennes et américaines.
Carcassonne s’attarde aussi sur le cas de Benny Levy, personnage marquant de Mai 68 et du maoïsme retourné à la religion.
Si toute cette théorie ne m’a pas vraiment convaincue, j’ai vraiment beaucoup aimé son retour vers les racines de sa famille et les Juifs Provençaux-comtadins, les Carcassonne d’Avignon, les rabbins ce Lunel, Maïmonide, les « carrières » (ghettos) de Carpentras, Avignon, Cavaillon ou l’Isle-sur-la Sorgue où se succédèrent ses aïeux forment un récit historique bien documenté, vivant et émouvant. J’ai découvert toute une « aristocratie juive » parlant provençal, négociants en tissus, médecins ou lettrés. De même quand il décrit les diamantaires, son témoignage est passionnant.
La dernière partie du livre est plus intime puisqu’il met en scène Nour, sa compagne, et l’histoire récente du Liban et l’explosion du 4 Août 2020, les ruines et le statut des chrétiens d’Orient qu’il compare aux Juifs de Provence.
« Les chrétiens d’Orient occupent dans la représentation musulmane la fonctions symbolique que la société européenne a longtemps assignée aux Juifs » Jean-François Colosimo
Lire aussi l’avis de Vagabondage autour de soi qui m’a convaincue de télécharger le livre