LIRE POUR L’ITALIE
Les romans historiques de Camilleri sont des lectures jubilatoires. Même si je lis régulièrement et avec grand plaisir ses polars avec Montalbano je garde un souvenir inoubliables des rigolades du Roi Zozimo, qui m’a fait découvrir l’auteur et de tous ceux qui m’ont fait rire ou sourire.
Sous couvert d’un roman épistolaire, échange de courriers administratifs , (avec entête du Ministère, de l’Ecole des mines, du commissariat…., numéro de référence, formules consacrées « Au nom du Duce! » « Salutations fascistes, A NOI.. ») c’est une farce qui se déroule.
« Je me présente : Porrino au rapport. – Qualité ? Motifs de votre venue ? On se dépêche. L’homme qui emploie
dix mots quand cinq suffisent n’a rien compris à l’esprit dynamique du fascisme. »[…]
« On ne vous demande pas de comprendre, Porrino ! Tout ce qu’on vous demande, c’est de croire et d’obéir !
Ainsi que de combattre le moment venu ! »
Comme dans nombreux livres de Camilleri, l’action se déroule à Vigatà cité inventée par l’auteur qui a fini par devenir le second nom de Porto Empedocle. Le roman débute à la veille de la rentrée de septembre 1929 pour se terminer en janvier 1930., donc avant l’invasion mussolinienne de l’Abyssinie. Pour favoriser des négociations diplomatiques avec l’Ethiopie, les autorités fascistes exigent du Directeur de l’Ecole des Mines de Vigatà d’inscrire dans ses rangs un prince éthiopien Gfhané Solassié, neveu du Négus.
« Dans ce cas, vous tempérerez la rigoureuse discipline fasciste avec un peu de bon sens romain. Les Romains faisaient marcher leurs légions invincibles en utilisant le bâton et la carotte ! Une punition aujourd’hui, une récompense demain. Compris ? »
Les échanges de courrier montrent les compromissions et les bassesses de tous les intermédiaires qui sont forcés d’avaler toutes sortes de couleuvres, de financer le train de vie princier du jeune homme et surtout d’éviter tout incident diplomatique, sous peine de sanctions lourdes et même de relégation et d’exil.
Par conséquent, le bon sens exige que tous les communistes, socialistes, anarchistes et subversifs encore présents à Vigàta, bien que déjà fichés, soient l’objet d’une surveillance accrue de la part des forces de l’ordre et que,pour les cas d’insoumission caractérisée et incontrôlable, l’on prenne les mesures de coercition qui s’imposent, détention comprise.
Et justement, le prince va leur faire subit un véritable cauchemar avec ses caprices, ses exigences burlesques, et ses dépenses inconsidérées. De peur de spoiler, je vous laisse découvrir ces aventures burlesques et vous promet beaucoup d’amusement.
Camilleri s’est inspiré d’un fait historique : la présence à Caltanissetta du prince Brhané Silassié à l’Ecole des Mines de 1929 à 1932, qui mena grande vie et se couvrit de dettes. Evidemment le personnage de la farce est imaginaire.
« Ainsi je le répète : si les faits principaux, tels que la tentative d’impliquer le prince dans les visées
expansionnistes de Mussolini, ses aventures amoureuses et le pied de nez final, relèvent de la pure invention, le climat général est authentique – une véritable stupidité collective à mi-chemin entre la farce et la tragédie qui, hélas, marqua toute une époque. »
Publié en 2010, ce conte drolatique serait il en 2023 politiquement correct alors que la mode est de supprimer le nom « nègre » par des paraphrases, et que la cancel culture chasse tout black face? Il me semble que la critique de la bêtise mussolinienne et du racisme fasciste l’emporte sur ces détails. D’ailleurs la couverture, une marionnette, donne tout de suite le ton.