Les règles du Mikado – Erri De Luca – Gallimard

LITTERATURE ITALIENNE

 

« Une des règles du Mikado consiste à oublier le tour précédent. C’est le contraire des échecs où les joueurs se
souviennent des combinaisons des parties. Le Mikado fait table rase. »

Chez Babélio, j’avais postulé pour la rencontre avec Erri De Luca à l’occasion de la parution de son livre. Depuis Montedidio, je suis les sorties de ses livres (à peu près un par an) . J’ai eu le grand plaisir d’écouter sa voix en podcast sur RadioFrance. J’aurai tant aimé le rencontrer « en vrai ». Mais je ne devais pas être la seule. 

L’œuvre d’Erri De Luca est diverse et réserve des surprises au lecteur qui découvre le livre sans avoir lu le 4ème de couverture ou de nombreuses critiques. Une constante :  le style, sobriété et épure. Densité pour ce court roman, 159 pages que j’ai lues d’une traite, d’un souffle.

« On dirait, oui, mais chaque position a un point d’équilibre. Maintenant je retire le noir qui se trouve sous les autres. — Comment as-tu fait ? — Les bâtonnets recouvraient le noir mais ne le touchaient pas. C’est comme démonter une montre. Une des règles du Mikado dit de retirer un bâtonnet sans respirer. Essaie. »

La vie avec le mikado comme métaphore, jeu solitaire, jeu d’adresse, de concentration, d’équilibre….

Engrenage de la vie, pour le héros de l’histoire, qui est horloger, adresse et patience.

D’autres jeux surgiront dans ce roman : échecs bien sûr, bridge ou poker, cartes, et le grand jeu comme l’aurait dit le regretté Le Carré. Mais j’en ai déjà trop dit ….Surtout ne pas spoiler!

S’il y a eu un metteur en scène au-dessus de nos têtes, il a joué aux marionnettes avec nous. Mais j’ai cessé
d’appeler destin ces événements. Tu as raison de désigner nos activités par le nom de Mikado.

 

 

Fille de Cendre – Ilaria Tuti

LITTERATURE ITALIENNE

Merci à Babélio et à la Masse Critique pour cet envoi que j’ai dévoré.  Mauvais genre? plutôt genre polar addictif qu’on ne lâche pas.  Après, difficile de rédiger une chronique qui ne divulgâche pas….

Comme Sur le toit de l’enfer  l’histoire se déroule dans le Frioul et j’ai le plaisir de retrouver la Commissaire Teresa Battaglia et son assistant Massimo Marini. Policière tout à fait atypique, profileuse, empathique, s’intéressant à la psychologie du tueur en série. Combattive, dans un monde d’hommes avec un supérieur macho, et un mari abusif, elle a gagné ses galons de commissaire de haute lutte. La commissaire livre un autre combat, perdu d’avance, contre la maladie d’Alzheimer qui progresse…

Trois histoires, à trois époques s’entrelacent dans le livre : une enquête « aujourd’hui » le début de l’intrigue «  27 ans plus tôt » et un récit « Au IVème siècle »  du temps de l’Empire romain, quand coexistaient le culte d’Isis, les débuts du Christianisme, et un curieux christianisme égyptien, cultes barbares aussi avec des guerriers Sarmates et leur chamane. J’ai eu l’occasion de découvrir le site d’Aquilée avec des mosaïques mystérieuses.

Un polar que je vous recommande!

 

 

Perspective(s) – Laurent Binet

RENTREE LLITTERAIRE 2023

Quelle plaisir, cette aventure dans Florence, 1557  en compagnie des plus grands. Roman épistolaire où les plus grands correspondent : Cosimo de Medicis le Duc régnant (1537-1569), Catherine de Médicis reine de France et Piero  Strozzi, maréchal de France…pour les politiques mais surtout, Michel-Ange Buenarroti fort occupé à peindre la Chapelle Sixtine mais sollicité, Benvenuto Cellini dont on connaît le Persée, Giorgio Vasari, moins connus, Bronzino , Allori et Bacchiacca (Francesco d’Ubertino). A tous ces artistes illustres s’ajouteront un page, le chef de police du Bargello, un broyeur de couleurs…et d’autres comparses, y compris des religieuses assez retorses…

Enigme policière : Jacopo da  Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques de la chapelle qu’il décorait depuis de nombreuses années dans un secret jaloux. Vasari, dépêché par le Duc et chargé de l’enquête découvre une anomalie, le mur a été repeint. Seul un artiste de talent a pu commettre le meurtre. Florence regorge d’artistes!

A ce meurtre, se mêle une affaire gênante pour les Médicis : Pontormo a peint un portrait de Maria de Medicis, fille du duc, dans une position compromettante. Il s’agit de faire disparaître le tableau.

Les deux affaires s’entremêlent, l’affaire du tableau semble prendre beaucoup plus d’importance que la découverte de l’assassin du vieux peintre.

Et pour compliquer le tout deux religieuses fanatiques, partisanes de Savonarole, mais se piquant de peinture sont mêlées à l’affaire du tableau.

Une révolte des petites mains de la peinture, broyeurs de couleurs, préparateurs des fresques, etc… s’organise. Exclus des corporations, ils tiennent des réunions secrètes….

La lectrice s’y perd un peu, mais s’amuse beaucoup en faisant de nombreuses incursions avec le smartphone dans les tableaux et fresques maniéristes. Quel plaisir de découvrir les œuvres dont il est question dans le livre.

Les péripéties autour du tableau sont rocambolesques, caché dans le cadre du lit de Cosimo, suspendu à une corde pour franchir le poste de garde de la Seigneurie, transporté dans l’inondation de l’Arno…c’est un vrai roman d’aventure.

Et voici que Vasari, pris dans une embuscade qui a mal tourné est forcé de se défendre avec une arbalète et qu’en tendant le carreau, il découvre (re-découvre) …la Perspective (?) et assène à son correspondant – Michel-Ange) toute une leçon d’histoire de l’art, de Masaccio à Uccello en passant par Brunelleschi. Echappant de peu à la mort, menacé par un Scaroncolo (oh Lorenzaccio!), il trouve le temps de faire de la théorie. Jouissif!

« C’est en vain que tu tends ton arc si tu ne sais pas où diriger ta flèche » – et moi je savais à cet instant! je déclenchais mon tir, et le carreau d’arbalète, suivant une trajectoire parfaite que mon esprit avait calculé et qu’une main invisible avait tracée dans l’air vint se ficher exactement entre ces deux yeux. Il bascula en arrière, le coup de feu se perdit dans le vide, et j’eus l’impression que la détonation me réveillait d’un long rêve d’une seconde.

Mais je n’avais pas rêvé. je m’étais souvenu de la perspective. Et voilà de quoi je veux m’entretenir, Messire Michel-Ange, mon cher maître. Dans notre soif de trouver une nouvelle manière de peindre pour surmonter, ou plutôt pour contourner la perfection atteinte nos pères et la vôtre, celle de Raphaël et celle de Léonard…..

Je ne veux quand même pas divulgâcher…et vous laisser le plaisir de vous perdre dans ces aventures et d’apprendre tout sur la peinture maniériste!

les blogueuses et blogueurs ont été nombreuses (x) à donner leur avis : Claudialucia,

Nathalie, 

eimelle

et j’en oublie sûrement que j’invite à se faire connaître….

La Malnata Beatrice Salvioni – Albin Michel

LITTERATURE ITALIENNE

Monza, 1935, le corps d’un jeune fasciste est retrouvé noyé dans le Lambro.

Francesca, 13 ans, raconte l’histoire son amitié passionnée pour la Malnata, celle qu’on ne doit ni fréquenter, ni même nommer, celle qui porte malheur. Francesca est la fille unique du patron d’une usine textile, éducation bourgeoise, conformiste, catholique, fasciste et hypocrite. Dès la fin de l’école primaire, elle est fascinée par La Malnata, Maddalena, farouche, violente, fille d’une famille nombreuse pauvre. Maddalena n’a peur de rien, elle joue avec les garçons de son âge sur les bords de la rivière, pêche, chasse les lézards. Rien ne lui fait peur. Pour se faire admette Francesca devra subir des épreuves initiatiques. On pense aux deux filles de l’Amie prodigieuse quoique le roman n’a pas la même ampleur

 

Toutes les autorités habillées de pied en cap se tenaient au garde-à-vous devant le casque renversé où les dames jetaient leur alliance, à côté des noms des morts de cette guerre où avait combattu le frère de maman et qu’ils appelaient « la Grande Guerre ».

[…]
Tout le monde s’en fiche du sang versé par ceux qui sont morts. La vieille guerre, ils l’ont déjà oubliée, ou ils ne
s’en souviennent que quand ça les arrange. Maintenant, ils parlent de la nouvelle, tu ne le vois pas ?

 

Roman historique : l’ambiance de Monza, à la veille de la guerre d’Ethiopie est racontée avec beaucoup de soin. Rites fascistes, compromissions, menaces pour ceux qui s’opposent. La Malnata sera renvoyée du collège pour avoir mal parlé (en latin) du Duce. Sanctions de la GrandeBretagne et de la France à l’invasion de l’Ethiopie.

 » A cause de la Grande-Bretagne et de la France, qui pendant ce temps jouissaient de leur place au soleil et
colonisaient à loisir tous les pays d’Afrique, on ne trouvait même plus de thé et ma mère en était réduite à boire du karkadè – du thé d’hibiscus. »

Roman d’apprentissage. Au début, Francesca et Maddalena sont des petites filles qui jouent avec les garçons. Puis viennent les premières règles, les premières « affaires de femmes » elles découvrent la place assignée aux jeunes filles. Et celle des hommes qui doivent aller à la guerre.

« C’était peut-être cela, être grande et être une femme : ce n’était pas le sang qui vous vient une fois par mois, ce n’étaient pas les commentaires des hommes ou les beaux vêtements. C’était rencontrer les yeux d’un homme qui vous disait : « Tu es à moi », et lui répondre : « Je ne suis à personne. » »

 

Je me suis laissé emporter par l’histoire et j’ai dévoré ce roman.

 

Madre piccola – Ubah Cristina Ali Farah – Zulma

LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE

Mon « Voyage en Italie » 2023, m’a entraînée beaucoup plus loin que je ne l’imaginais :  en Erythrée avec Lucarelli et en Somalie avec Madre piccola. La colonisation italienne fait encore parler d’elle aujourd’hui, des décennies plus tard, surtout quand la guerre pousse encore jusqu’à ses rivages des réfugiés venant de la Corne de l’Afrique. 

Madre piccola a été rédigé en italien. L’auteure, Ubah Cristina Ali Farah, est italo-somalienne comme Domenica, l’une des héroïnes du roman. L’histoire se déroule en partie à Rome, en partie à Mogadiscio mais aussi aux Pays Bas, aux Etats Unis, à Londres, même en Finlande où la diaspora somalienne a trouvé asile. 

« Les voix de la diaspora ont lentement envahi mes sens, en chœur, s’entremêlant et se mélangeant de façon
parfois vertigineuse, mais stable. »

[…]
« Madre piccola naît donc d’une urgence et, encore une fois, d’une interrogation : comment une femme ou un
homme peuvent-ils de nouveau s’enraciner, retrouver leur centre de gravité dans un monde où ils ont perdu tout repère ? »

C’est un roman à plusieurs voix : celle de Domenica de mère italienne et de père somali qui se fait appeler Ahado, de son  nom somalien et qui recherche son  identité à la veille de donner naissance à son enfant. Barni, sa cousine, sage-femme, retrouve Domenica après une longue séparation. Taguere est le père de l’enfant, éloigné il raconte sa version de l’histoire en un monologue assez incohérent. 

C’est le roman des exilés après une cruelle et interminable guerre civile que je ne suis pas arrivée à situer dans le temps. Selon Wikipedia les troubles auraient commencé en 1978 et la guerre civile aurait éclaté en 1991. C’est à cette dernière date que les principaux protagonistes de l’histoire se sont exilés. C’est aussi le roman de la solidarité qui permet aux réfugiés de chaque fois trouver une solution à une situation inextricable.

« J’avais pris la solidarité pour un fait culturel qui nous était propre. Mais quelle culture refuse la solidarité ? »

Offrir un toit, garder un enfant, prêter son passeport. Partager des fêtes…

Fraternité ou plutôt sororité, c’est souvent le point de vue des femmes qui est envisagé dans une civilisation patriarcale :

« Un chapitre pénible. Il est tellement difficile pour les hommes de chez nous de trouver leur place. De se
redéfinir. De s’adapter. De s’accepter. De s’humilier. Parce que vous voyez, nous les femmes, au fond, on a des points de repère immuables : la maison, le quotidien, la maternité, l’intimité des relations humaines, c’est ça qui nous empêche de sombrer. »

Roman d’amour aussi, et de filiations avec des liens si distendus qu’ils paraissent irréels.

J’ai été happée par ce livre, agacée parfois par les incohérences des comportements masculins, bluffée par le courage des femmes.

Le Neveu du Négus – Andrea Camilleri – Fayard

LIRE POUR L’ITALIE

Les romans historiques de Camilleri sont des lectures jubilatoires.  Même si je lis régulièrement et avec grand plaisir ses polars avec Montalbano je garde un souvenir inoubliables des rigolades du Roi Zozimo, qui m’a fait découvrir l’auteur et de tous ceux qui m’ont fait rire ou sourire. 

Sous couvert d’un roman épistolaire, échange de courriers administratifs , (avec entête du Ministère, de l’Ecole des mines, du commissariat…., numéro de référence, formules consacrées « Au nom du Duce! »  « Salutations fascistes, A NOI.. ») c’est une farce qui se déroule. 

 

« Je me présente : Porrino au rapport. – Qualité ? Motifs de votre venue ? On se dépêche. L’homme qui emploie
dix mots quand cinq suffisent n’a rien compris à l’esprit dynamique du fascisme. »

[…]
« On ne vous demande pas de comprendre, Porrino ! Tout ce qu’on vous demande, c’est de croire et d’obéir !
Ainsi que de combattre le moment venu ! »

Comme dans nombreux livres de Camilleri, l’action se déroule à Vigatà cité inventée par l’auteur qui a fini par devenir le second nom de Porto Empedocle. Le roman débute à la veille de la rentrée de septembre 1929 pour se terminer en janvier 1930., donc avant l’invasion mussolinienne de l’Abyssinie. Pour favoriser des négociations diplomatiques avec l’Ethiopie, les autorités fascistes exigent du Directeur de l’Ecole des Mines de Vigatà d’inscrire dans ses rangs un prince éthiopien Gfhané Solassié, neveu du Négus.

 « Dans ce cas, vous tempérerez la rigoureuse discipline fasciste avec un peu de bon sens romain. Les Romains faisaient marcher leurs légions invincibles en utilisant le bâton et la carotte ! Une punition aujourd’hui, une récompense demain. Compris ? »

Les échanges de courrier montrent les compromissions et les bassesses de tous les intermédiaires qui sont forcés d’avaler toutes sortes de couleuvres, de financer le train de vie princier du jeune homme et surtout d’éviter tout incident diplomatique, sous peine de sanctions lourdes et même de relégation et d’exil.

Par conséquent, le bon sens exige que tous les communistes, socialistes, anarchistes et subversifs encore présents à Vigàta, bien que déjà fichés, soient l’objet d’une surveillance accrue de la part des forces de l’ordre et que,pour les cas d’insoumission caractérisée et incontrôlable, l’on prenne les mesures de coercition qui s’imposent, détention comprise.

Et justement, le prince va leur faire subit un véritable cauchemar avec ses caprices, ses exigences burlesques, et ses dépenses inconsidérées. De peur de spoiler, je vous laisse découvrir ces aventures burlesques et vous promet beaucoup d’amusement. 

Camilleri s’est inspiré d’un fait historique : la présence à Caltanissetta du prince Brhané Silassié à l’Ecole des Mines de 1929 à 1932, qui mena grande vie et se couvrit de dettes. Evidemment le personnage de la farce est imaginaire. 

« Ainsi je le répète : si les faits principaux, tels que la tentative d’impliquer le prince dans les visées
expansionnistes de Mussolini, ses aventures amoureuses et le pied de nez final, relèvent de la pure invention, le climat général est authentique – une véritable stupidité collective à mi-chemin entre la farce et la tragédie qui, hélas, marqua toute une époque. »

Publié en 2010, ce conte drolatique serait il en 2023 politiquement correct alors que la mode est de supprimer le nom « nègre » par des paraphrases, et que la cancel culture chasse tout black face? Il me semble que la critique de la bêtise mussolinienne et du racisme fasciste l’emporte sur ces détails. D’ailleurs la couverture, une marionnette, donne tout de suite le ton.

 

 

 

Meurtre aux Poissons Rouges – Camilleri et Lucarelli

POLAR ITALIEN/ROMAN EPISTOLAIRE

 

Un très mince Pocket de 156 pages réunit les détectives de ces deux auteurs connus. Plaisir de les retrouver, surtout Salvo Montalbano qui n’aura plus de nouvelle enquête (mais la production de Camilleri est abondante et je suis loin d’avoir épuisé le sujet). 

L’éditeur, Daniele di Gennaro, à l’occasion du tournage d’un documentaire réunissant les deux auteurs suggère :

« Comment se comporteraient vos personnages, Salvo Montalbano et Grazia Negro, avec un cadavre sur les bras? Comment agiraient-ils ensemble?  « 

et qualifie les échanges de Jam-session littéraire 

Cinq ans plus tard, un roman épistolaire concrétise cet essai!

Et c’est réussi! Cela ne restera pas dans les annales comme un chef d’œuvre, plutôt comme un clin d’oeil amusant pour les lecteurs fidèles.

La Huitième Vibration – Carlo Lucarelli

LE MOIS ITALIEN

“Nous y sommes allés sans préparation, mal commandés et indécis et, ce qui est pire, sans le sou. En nous fiant à la chance, à l’art de s’arranger et à notre bonne mine. Nous l’avons fait pour donner un désert aux plèbes déshéritées du Midi, un débouché au mal d’Afrique des rêveurs, pour la mégalomanie d’un roi et parce que le président du Conseil doit faire oublier les scandales bancaires et l’agitation de la rue. Mais pourquoi est-ce que nous faisons toujours ainsi, nous autres, Italiens ?”

Comme Le Temps des Hyènes, La Huitième Vibration, raconte la colonisation italienne de l’Erythrée et la guerre contre l’Ethiopie en 1896 qui a abouti à la défaite d’Adoua le 1er mars 1896. L’action se déroule dans la ville portuaire de Massoua, sur la rive africaine de la Mer Rouge. 

Les personnages sont pour la plupart des Italiens militaires. Les officiers ont choisi (pas toujours) le service en Afrique, et pas toujours pour de bonnes raisons. Les soldats ne comprennent pas tous ce qu’ils viennent faire. Ils proviennent de différentes régions d’une Italie qui n’a été unifiée que depuis une trentaine d’années et qui ne se comprennent pas tous. L’auteur s’applique à jouer avec les différents dialectes, accents si différents que le berger des Abruzzes ne comprend pas ses chefs, et ne s’en fait même pas comprendre, que le carabinier sarde  né à Bergame, mélange les deux prononciations, Siciliens et Vénitiens sont aussi très différents… le traducteur s’amuse à différentier les différents parlers : c’est Quadruppani rompu à l’exercice quand il traduit Camilleri. Mon niveau en Italien ne me permettrait pas d’apprécier les nuances. 

Différentes origines sociales se croisent, se toisent. Il y a même un anarchiste pacifiste, réussira t il à ne pas tirer? Le journaliste cherche un scoop. Un carabinier cherche un meurtrier d’enfant, anonyme, il poursuit le suspect. Roman policier. Roman d’amour.

Les Africains, tigréens, éthiopiens, arabes vivent à la marge de la colonie. Les femmes sont le plus souvent des prostituées. Askaris, zaptiés, supplétifs de l’armée italienne. Espions de Ménélik aussi….

 

« Vous le savez comment on l’appelle, Otumlo ? – Non. – Minableville, on l’appelle. – Bon, d’accord. Et qu’est-
ce qu’il vend, le Grec ? – Les personnes. Il vend des sharmutte… des putains, des gamins, des ouvriers agricoles… autrefois aussi des esclaves, quand il y avait les Égyptiens. Maryam a dit à mon espionne que l’autre
soir un soldat italien est venu pour acheter un enfant. »

Il fait très chaud à Massoua. L’action s’englue. L’histoire se traîne  (c’est voulu) dans une atmosphère de corruption. Elles ne sont pas jolies, les colonies.

Quand les troupes partent en guerre des fiers-à-bras, des lâches, des idiots se révèlent

Non, ce n’est pas du patriotisme, non, par Dieu, d’envoyer de nouveaux soldats au massacre… ni de garder là-bas ceux qui y ont été envoyés, parce que vos erreurs, ce sont vos fils qui les paient… mais vous ne comprenez pas, oh, bande de crétins, que les patriotes, ce sont les Abyssins ?” Et il aurait même ajouté : Ribellione, d’Ulysse Barbieri, un grand auteur, mais le sergent s’était immobilisé d’un coup. »

Et le désastre est inéluctable.

Après Le Temps des Hyènes , l’effet de surprise ne joue plus. J’avais été bluffée par ce dernier livre. Je retrouve la même histoire ; policier, historique, africain. 

Une bonne lecture!

Péché Mortel – Carlo Lucarelli

POLAR HISTORIQUE

Bologne 1943

L’histoire commence le  24 juillet 1943 tandis que les combats font rage en Sicile et se termine , le jeudi 2 décembre 1943 avec la déportation des Juifs. Entre temps, la situation politique et militaire est très confuse : juillet, Mussolini démissionne, le Roi prend le commandement des armées avec Badoglio. Début septembre, les Allemands occupent Bologne, la République est proclamée et les fascistes sont de retour sous la coupe des occupants.

« Mais qu’est-ce qui se passe ? – Mussolini est tombé, dit l’agent. – Il s’est fait mal ? demanda De Luca. Les
policiers échangèrent des regards perplexes avant de se mettre à rire. – Mais non ! Le gouvernement est tombé. »

L’auteur rythme le récit de l’intrigue policière par les titres du journal local, Il resto del Carlino, évènements marquants  aussi rationnement alimentaire, sortie de films et même émissions de la radio.

Le commissaire De Luca est un policier consciencieux, en cherchant à démanteler un réseau de marché noir, il butte sur un cadavre. Cadavre sans tête. Suivant son flair d’enquêteur, il découvre une tête sans corps. Affaire résolue? Pas du tout, la tête n’est pas celle du cadavre! De Luca se laisse emporter par cette énigme malgré la réticence de ses chefs.

« Alors qu’il peut arriver n’importe quoi… les fascistes, bon, ceux-là, maintenant… mais les communistes, qui  sait, bref, il peut arriver n’importe quoi et nous, au lieu d’aider à garder la situation en main, on va à la chasse…  de quoi, De Luca, mon garçon, de quoi ? « 

Alors que les bombardements font des dizaines de victimes civiles, que les combats dans le sud de l’Italie sont meurtriers, que des italiens sur le front de l’Est ne reviendront pas, qui se soucie de l’assassinat de deux inconnus? Même s’ils deviendront quatre. Et encore moins s’il s’agit d’un Trafiquant de marché noir, un aristocrate débauché, joueur et de trafic de cocaïne! La corruption gangrène aussi bien les autorités. Et surtout quand on découvre que l’une des victimes était un juif et l’autre un albanais, c’est connu, les Albanais ont un code, le Kanun, qui dicte des vengeances cruelles!

« Un apatride et un interné. Qui ça intéresse ? Je ne peux pas nier qu’on l’aurait fait encore, mais faites-moi
confiance, je n’aurais choisi que des gens comme ça. Juifs, exilés, réfugiés, internés, deux ou trois, quatre au
maximum, pas plus. Qui ça intéresse ? Qui en sent le manque ? »

Alors que dans les rues on défile en chantant Bandiera Rossa 

 une inscription à la peinture rouge sur le mur, “Nous voulons des pâtes et de l’huile, Badoglio et le roi à la cave, le Duce à la guillotine”,

Dans les bureaux des chefs, on complote, on cache les portraits du duce compromettants, on organise sa fuite et on met à l’abri ce qui peut être utile. On se défile de ses responsabilités. Cachotterie, copinages, corruption à tous les étages, même menaces. J’ai eu un peu de mal à identifier qui était milice, police, fascistes. Peut-être, cette confusion est intentionnelle? Quant au fichage des Juifs, personne ne veut ouvertement prendre la responsabilité de transmettre une liste aux Allemands mais tout le monde se moque de leur sort.

Un polar addictif, une lecture qu’on ne veut pas lâcher.  J’ai aussi appris beaucoup sur la vie quotidienne sous les bombes. De nombreux détails sont marquant. Saviez-vous qu’en 1943 un film est sorti dans les salles « la vie est belle? »

 

Grandeur nature – Erri de Luca

LITTERATURE ITALIENNE

Quand revient le mois de mai, revient le Mois de la littérature italienne/ Il Viaggio initié par Eimelle d’abord, puis administré par Martine, il a changé récemment de nom pour intégrer la cuisine et la culture italienne. J’attends chaque année ce rendez-vous qui est aussi celui de mes auteurs italiens préférés. Chaque année je lis un livre (ou plus) de Camilleri, d‘Erri de Luca, et j’en découvre d’autres sur les conseils des blogueuses.eurs. 

J’ai découvert Erri de Luca avec Montedidio qui m’a incité à partir illico pour Naples, j’ai fait confiance à l’auteur et ai rarement été déçue quoique ses romans napolitains sont mes préférés. Impossible et les textes écrits pendant le confinement Le Samedi de la Terre ont aussi trouvé un écho militant et écologique qui m’ont parlé. Récemment j’ai écouté sa voix dans des podcasts de Radio France : L’Heure Bleue. 

Grandeur nature est un recueil d’une vingtaine de nouvelles et textes courts  souvent autobiographiques, sur le thème du rapport père-fils. Erri de Luca même septuagénaire, se considère toujours un fils puisque qu’il n’a jamais eu d’enfant. 

Chagall – Portrait du Père

Le texte GRANDEUR NATURE s’ouvre sur le portrait du père de Chagall avec l’émancipation du fils qui s’exile, de sa ville et de sa langue, le yiddisch, mais il se mêle au texte biblique du sacrifice d’Abraham et de l’obéissance d’Isaac qui se laisse lier, attacher pour le sacrifice . Obéissance insensée.

N’existe-t-il pas de légitime défense contre son père, n’existe-t-il pas un droit de rébellion ? Est-ce bien moi qui ai écrit cette phrase, démenti de moi-même, des jeunes d’une génération qui s’est insurgée contre les pères ?

Je n’arrive pas à adhérer aux références au textes sacrés et surtout à l’hébreu bibliques. Pourquoi donc traduire lecaved en « donner du poids » et non pas en « honorer »? Quand on félicite quelqu’un « col hacavod » c’est un honneur et  non pas une charge! peut être mon hébreu moderne parasite la lecture religieuse. La recherche du sacré dans les textes m’est totalement étrangère et même m’agace un peu. Ironie de cette référence quand je lis plus avant dans le livre le chapitre sur Mai 68

Un court texte intitulé Note rappelle que Marc Chagall  et Stravinsky étaient détenteurs d’un passeport Nansen 

« Un apatride est quelqu’un qui perd sa nationalité par privation d’État. En Italie, les lois raciales de 1938 la retirèrent aux personnes d’origine juive.
Nansen reçut le prix Nobel de la paix en 1922 pour le passeport qu’il avait voulu et réalisé. »

Utile rappel dans l’Italie de Meloni!

Dans Notion d’Economie, Erri de Luca raconte son enfance, son éducation, les rapports à l’argent que lui ont transmis ses parents. 

le texte suivant raconte les enfants misérables de Naples. Erri de Luca n’est jamais meilleurs que quand il raconte sa ville.

le Tort du Soldat est une histoire plus longue, tirée d’une version théâtrale ancienne. la culpabilité peut-elle se transmettre à travers les générations? La fille doit-elle porter le lourd héritage du père (alors qu’on lui a caché le tort?). Ici aussi, j’ai calé aux références de la kabbale. Décidément je suis anticléricale totale! le nazi se penchant sur la kabbale, très tordu! 

MERCI est une histoire sur la relation mère/fille que j’ai bien aimé.

UNE EXPRESSION ARTISTIQUE  illustré par un pavé lancé : Qui chute Anvidalfarei  

1968 fut l’année académique du pavé extrait de sa base et projeté en l’air.

nous étions nombreux, enfants de l’après-guerre, de l’élan d’un peuple à se reproduire après les décimations. Nous étions aussi la première génération cultivée en masse. Les deux vertus réunies étaient incendiaires.

Continuons le combat ». De là aussi le nom de l’organisation révolutionnaire italienne qui a suivi : Lotta Continua

Expression artistique : il cite les artistes qui ont donné des oeuvres pour la lutte :

Beuys, Boetti, Castellani, Kounellis, Matta, Schifano.

et il termine :

On me demande parfois ce qu’il en a été de ce temps-là, ce qu’il a laissé. Je réponds : le vide, celui du trou des
parasols retirés à la fin de l’été, profond, même beau à voir, avant que le sable le recouvre sans laisser de trace.

Erri de Luca ancien militant soixante-huitard m’intéresse décidément plus que l’exégèste de la Bible. Et Impossible m’a plus accrochée.