By the Sea – Abdularazak Gurnah

EXIL/ TANZANIE

Le Prix Nobel (2021) a fait connaître ce grand écrivain totalement inconnu ici et indisponible alors (les éditeurs se rattrapent depuis). J’ai donc exploré son œuvre en anglais même si Près de la mer épuisé chez Galaad est réédité maintenant chez Denoël. J’ai adoré Paradise et Afterlives qui racontent l’histoire de la Tanzanie du début du XX ème siècle  à l’Indépendance, le premier dans le regard d’un enfant-esclave, le second rappelle la colonisation allemande et le rôle des supplétifs africains dans la Guerre mondiale. 

Près de la mer aborde le thème de l’exil, un vieil homme arrive en Angleterre et demande l’asile, prétendant ne pas comprendre l’Anglais. Il s’est dépouillé de tout, de son identité et voyage sous le nom d’un autre. Seul souvenir de sa vie d’avant : un coffret d’encens qui lui est confisqué. L’encens donne un parfum d’Orient, de voyages très lointain (jusqu’en Indonésie) en passant par la Perse, l’Inde. A lui seul c’est un Conte des Mille et unes nuits dans la réalité très prosaïque de l’Angleterre des demandeurs d’asile. 

Il se trouve que le nom que l’exilé a choisi est celui du père du traducteur que les services sociaux ont trouvé pour communiquer avec celui qui ne parle pas anglais. Si la traduction s’avère totalement inutile, les deux tanzaniens se trouvent, et se reconnaissent. Leur histoire s’est croisée, autrefois. Loin de leur pays d’origine, ils prennent plaisir à reconstituer le puzzle de leurs histoires respectives. Histoires africaines, errances européennes. Un autre objet symbolique : une table marquetée joue un peu le même rôle que le coffret d’encens. Elle renvoie à un moment où le commerce des épices et des belles choses se faisait au rythme de la mousson et des alizés (trade winds) , du cabotage le long des rives de l’océan indien, Pakistan, Aden et Yémen – By the Sea.

Dans la réalité d’aujourd’hui se greffent des histoires anciennes, de commerce, de familles et dynasties, de pouvoirs et d’influences quand le pays est décolonisé. Chez Abdulrazak Gurnah, politique, littérature et contes orientaux s’entremêlent pour le plus grand plaisir du lecteur!

Afterlives – Abdulrazak Gurnah (Prix Nobel 2021) – Bloomsbury publishing

LIRE POUR L’AFRIQUE

Le prix Nobel 2021 a donné l’occasion de découvrir cet écrivain  inconnu des francophones – éditions épuisées à l’attribution de la récompense – depuis réédité récemment (Paradis et Près de la Mer par Denoël). J’ai donc téléchargé Paradise et Afterlives en VO sur ma liseuse ce qui était une riche idée parce que j’ai eu accès aux dictionnaires Anglais/Français ou Anglais/Anglais et aussi à la traduction Bing des mots en swahili. Lecture facile que je recommande chaudement. 

Afterlives est une publication récente (2020) qui raconte l‘histoire de la Tanzanie de la Première Guerre Mondiale jusqu’à la période contemporaine.  Commençant par l’histoire du commerce caravanier des marchands indiens et la colonisation allemande puis britannique et enfin l’accession à l’indépendance de la Tanzanie (1961-1964). Il  fait allusion aux  répressions sanglantes des révoltes d’Al Bushiri (1888) de Wahehe (1898) et Maji Maji (1905-1907) réduites par des troupes allemandes et leurs supplétifs askaris. 

Quatre livres . Le premier est centré autour du personnage de Khalifa employé du marchand Amur Biashara  employé d’une banque Gujarati. Ces commerçants musulmans sont à la tête d’entreprises familiales, exportation (Khalifa les qualifient de pirates) ou usuriers, artisanat varié.

The way of the old marchants was lending and borrowing from each other on trust. Some of them only knew each others by letters or through mutual connections. Money passed from hand to hand[…]These connections were as far away as Mogadishu, Aden, Muscat, Bombay, Calcutta, and all those other places
of legend. The names were like music to many people who lived in the town, perhaps because most of them had not been to any of them.

Le jeune Ilyas qui a étudié auprès de colons allemands et qui a un bon niveau d’éducation est embauché par le marchand et devient le protégé de Khalifa. Il laisse sa petite soeur Afyia auprès de Khalifa lorsqu’il s’enrôle comme askari – supplétif allemand – dans la première guerre mondiale.

Le livre 2  se déroule pendant la Guerre dans l’armée allemand. Il  pour héros Hamsa, un jeune askari, protégé d’un officier allemand qui en fait son ordonnance et lui apprend l’allemand. A la fin de la guerre il sera capable de lire Schiller et Heine. Engagement assez absurde pour un africain qui se bat pour des puissances qui se disputent l’Afrique.

le livre 3 commence quelques années après la fin de la Guerre. Les Britanniques ont remplacé les Allemands. Hamza retourne dans la ville côtière, il est embauché dans l’entreprise de Nassor Biashara, accueilli par Khalifa dans sa maison. Le récit se déroule dans ce cadre familial pendant plusieurs décennies. Cette chronique familiale décrit la vie quotidienne, traditions et arrivée de la modernité.

Dans le livre 4 le fils de Hamza, Ilyas part en Allemagne à la recherche de son oncle Ilyas perdu. La colonisation allemande n’est pas tout à fait oubliée et ce qu’il trouve m’a étonnée.

J’ai beaucoup aimé ce récit qui complète l’histoire inachevée de Paradise (1994) que j’ai lu juste avant. Hamsa, comme Yusuf de Paradise, était un enfant-esclave retenu comme gage pour les dettes de ses parents, comme ce dernier il vivait chez un marchand qui se déplaçait dans le pays avec une caravane. Comme lui, il s’est engagé comme askari pour fuir l’esclavage. Cependant, les deux récits sont différents. Paradise était écrit dans le style d’un conte oriental qui m’avait séduite. Afterlives est plus réaliste, plus historique, plus politique aussi. 

Et comme j’ai vraiment beaucoup aimé les deux œuvres je compte lire bientôt By the Sea!

 

Paradise – Abdulrazak Gurnah

LITTERATURE AFRICAINE

Abdulrazak Gurnah est le lauréat du Prix Nobel de littérature 2021 . Parfait inconnu des lecteurs francophones puisque ses livres n’étaient pas disponibles en Français, épuisés. Depuis, ils ont été réédités en urgence. J’ai commandé Paradise sur ma liseuse Kindle. La lecture électronique est facilitée par les 5 dictionnaires intégrés gratuitement. Plaisir de la lecture en version originale. Le style de Abdelrazak Gurnah est fluide sans aucun piège spécial et la lecture aisée. De plus, les livres en anglais sont bien meilleurs marché. 

Leyli-et-Majnun

Le Paradis pour Yusuf, enfant  c’est un jardin enclos dans des murs à Dar es Salam où coulent des ruisseaux, où des arbres fruitiers donnent fleurs et fruits, grenades, oranges, amandes…., où des petits miroirs reflètent les fleurs, où s’élèvent les chants des oiseaux et celui d’une femme.

‘Isn’t it pleasant to think that Paradise will be like this?’ Hamid asked, speaking softly into the night air which was full of the sound of water. ‘Waterfalls that are more beautiful than anything we can imagine. Even more beautiful than this one, if you can imagine that, Yusuf. Did you know that is where all earthly waters have their source? The four rivers of Paradise. They run in different directions, north south east west, dividing God’s garden into quarters. And there is water everywhere. Under the pavilions, by the orchards, running down
terraces, alongside the walks by the woods.' »

Le Paradis pour Yusuf adolescent, c’est une cascade dans la montagne dans une végétation luxuriante – Paradis où règne un colon européen qui chasse les intrus – Le Paradis, les jardins d’Hérat, dans le récit d’un voyageur…

Le Paradis, c’est l’Afrique de l’Est avant la colonisation britannique, mosaïque de cultures et de peuplement. Traversée de la Tanzanie par la caravane des marchands arabes ou omanais, « sauvages » aux corps peints de rouge – probablement masaïs, commerçants indiens, pêcheurs des Grands Lacs, quelques aventuriers européens…La colonisation allemande se met en place, le commerce des caravanes commence à être entravé, et la mobilisation pour la Grande Guerre mettra fin à une époque.

Le Paradis , c’est un conte oriental. L’enfant Yusuf, illettré, est sensible aux récit des conteurs, il se souvient des contes de sa mère, il boit les paroles des anciens. Son monde et ses rêves sont peuplés de créatures étranges, d’hommes-loups, de djinns, d’afrits, de chiens menaçants. Ses rêves rappellent ceux de Joseph, son homonyme qui a sauvé l’Egypte de la famine. Conte d’une caravane avançant avec tambours et trompettes avec à sa tête l’altier Oncle Azziz et ses séides qui commandent aux porteurs. Il y a aussi une Maîtresse recluse, une fille de roi amoureuse, une orpheline à sauver….

Le Paradis, c’est un roman d’apprentissage : Yusuf est retiré à ses parents alors qu’il est encore enfant, enfant-otage des dettes de son père, enfant-esclave? On va croiser d’autres enfants de cette traite,  d’un esclavage qui ne dit pas son nom. Yusuf en apprentissage du métier de commerçant, dans la boutique de son maître, puis dans un entrepôt, enfin en expédition quand il arrive vers l’âge adulte. Au cours de ses tribulations il va apprendre à lire le Coran (alors qu’il ne comprend pas l’arabe), des rudiments d’anglais avec un indien un peu mécanicien, un peu trafiquant…

Yusuf est un beau personnage qui traverse un monde souvent cruel. A côté du paradis, il verra un peu de l’Enfer sur terre mais n’en concevra pas d’amertume. Et le lecteur le suivra émerveillé.