Toussaint Louverture – Poème dramatique de Alphonse de Lamartine

LECTURES CARAÏBES 

Après avoir terminé l’excellente biographie de Toussaint Louverture par Alain Foix, j’ai eu la curiosité de télécharger la pièce de Lamartine. 

Depuis 1834 les hommes politiques qui croient que les gouvernements doivent avoir une âme, et qu’ils ne se
légitiment aux yeux de Dieu que par des actes de justice et de bienfaisance envers les peuples, s’étaient formés à
Paris en société pour l’émancipation des noirs ; j’y fus admis à mon retour d’Orient ;

Dans son intéressante préface, Lamartine s’enorgueillit d’avoir été le signataire du décret de l‘Abolition de l’Esclavage,

Trois jours après la révolution de Février, je signai la liberté des noirs, l’abolition de l’esclavage et la promesse d’indemnité aux colons.

Ma vie n’eût-elle eu que cette heure, je ne regretterais pas d’avoir vécu.

En revanche, il n’est pas spécialement fier du poème dramatique. Le manuscrit fut perdu, et retrouvé par son caviste au fond d’un panier. Selon Lamartine,  le succès au Théâtre de La Porte Saint Martin où la pièce fut représentée est plutôt dû à la performance des acteurs qu’au texte lui-même. 

Une étrange Marseillaise noire a attiré mon attention, version d’époque ou poème de Lamartine? 

MARSEILLAISE NOIRE

. I. Enfants des noirs, proscrits du monde,

Pauvre chair changée en troupeau,

Qui de vous-mêmes, race immonde

Portez le deuil sur votre peau !

Relevez du sol votre tête,

Osez retrouver en tout lieu
 Des femmes, des enfants, un Dieu : Le nom d’homme est votre conquête !

REFRAIN.

Offrons à la
concorde, offrons les maux soufferts,

[…]
Ouvrons (ouvrons) aux blancs amis nos bras libres de fers. II.

Un cri, de l’Europe au tropique,

Dont deux mondes sont les échos,

A fait au nom de République

Là des hommes, là des héros

 L’esclave enfin dans sa mémoire

Épelle un mot libérateur,

Le tyran devient rédempteur :

Enfants, Dieu seul a la victoire !

Offrons à la concorde, offrons les maux soufferts, Ouvrons (ouvrons)…

Malheureusement, la suite se gâte. Je m’ennuie des péripéties lyriques et familiales. Une fade Adrienne, jeune pupille parfaite, guide Toussaint déguisé en mendiant aveugle qui épie les fortifications de Leclerc. Les fils de Toussaint, élevés en métropole, sont amenés comme appâts pour fléchir Toussaint. Foix raconte cet épisode, historique, mais le drame familial s’étire en guimauve. Pas d’analyse politique, ni stratégique, point de bataille homérique. Du sentiment sucré.

De même, le meurtre de Moïse n’est en rien contextualisé. Brutus et César! De la tragédie, certes mais pas d’explications. Décevant.

Le livre se termine par les discours prononcés par A de Lamartine, à la Chambre des Députés le 23 avril 1835, le 25 mai 1836, à un banquet le 10 Février 1840, le 10 Mars 1842

Autre Etude de Femme – Balzac

LECTURE COMMUNE BALZAC

Balzac

Ces rendez-vous mensuels autour d’une nouvelle ou d’un roman de Balzac m’enchantent. Lors de la dernière lecture Claudialucia avait reproché mon laxisme vis à vis de la misogynie de l’auteur. Au temps de Meetoo, on devient exigeante! J’ai tendance à pardonner beaucoup à Balzac parce qu’il m’amuse beaucoup. Le titre Autre Etude de Femme me laisser craindre encore des débordements. Promis je serai vigilante!

L’auteur nous entraîne dans une soirée mondaine, au dîner qui ne compte que des convives choisis, quand les langues se délient et que les confidences s’échangent.

« Le souvenir d’une de ces soirées m’est plus particulièrement resté, moins à cause d’une confidence où l’illustre de Marsay mit à découvert un des replis les plus profonds du cœur de la femme, qu’à cause des observations auxquelles son récit donna lieu sur les changements qui se sont opérés dans la femme française depuis la triste révolution de juillet. »

De Marsay conte un amour de jeunesse pour une femme du monde un peu plus âgée qui l’a guéri de la passion amoureuse…. et dont la conclusion est encore peu amène :

« Il y a toujours un fameux singe dans la plus jolie et la plus angélique des femmes !
A ce mot, toutes les femmes baissèrent les yeux comme blessées par cette cruelle vérité, si cruellement formulée. « 

La conversation continue par la déploration de la perte de l’image de la femme du monde d’avant la Révolution : la grande dame

« L’éventail de la grande dame est brisé. La femme n’a plus à rougir, à médire, à chuchoter, à se cacher, à se
montrer. L’éventail ne sert plus qu’à s’éventer. »

et plus loin :

« Autrefois une femme pouvait avoir une voix de harengère, une démarche de grenadier, un front de courtisane audacieuse, les cheveux plantés en arrière, le pied gros, la main épaisse, elle était néanmoins une grande dame ; mais aujourd’hui, fût-elle une Montmorency, si les demoiselles de Montmorency pouvaient jamais être ainsi, elle ne serait pas une femme comme il faut. »

Une femme comme il faut!

Qu’est-ce donc qu’une femme comme il faut dans la fin des années 1830?

La femme comme il faut paraît tout ignorer pour tout apprendre ; il y a des choses qu’elle ne sait jamais, même quand elle les sait.

[….]
la science encyclopédique des riens, la connaissance des manèges, les grandes petites choses, les musiques de
voix et les harmonies de couleurs, les diableries angéliques et les innocentes roueries, le langage et le mutisme, le sérieux et les railleries, l’esprit et la bêtise, la diplomatie et l’ignorance, qui constituent la femme comme il faut.

Balzac m’a perdue avec sa « femme comme il faut« . Si au moins il avait bâti une bonne intrigue, une histoire bien cynique, bien noire…Pour une fois, et c’est très rare, je m’ennuie. Je me suis lassée de ces conversations oiseuses, les souvenirs d’ancien militaire après la Bérézina ne m’ont pas captivée.

La Recherche de l’Absolu – Balzac

LECTURE COMMUNE BALZAC

Un roman, 383 pages.

« L’archéologie est à la nature sociale ce que l’anatomie comparée est à la nature organisée. Une mosaïque révèle toute une société, comme un squelette d’ichthyosaure sous-entend toute une création. De part et d’autre, tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet, comme chaque effet permet de remonter à une cause. »

Balzac nous entraîne à Douai dans la demeure cossue où 5 générations de marchands flamands ont accumulé des trésors : tableaux de maîtres, panneaux de bois sculpté, meubles anciens, argenterie jusqu’à une collection de tulipes précieuses. La Maison-Claës est un élément central du roman et Balzac se fait un plaisir de la décrire minutieusement.

Il nous rappelle que les Flandres, Pays Bas et Belgique, furent autrefois espagnoles et la famille Claës a aussi des titres de noblesse espagnole. 

Balthazar Claës a tout pour être comblé : riche, beau, instruit (il a étudié la chimie chez Lavoisier , rencontré Helvétius). Il épouse Josephine de Temninck, en 1795, riche héritière de noblesse espagnole très pieuse,  mais un peu contrefaite, 

« Peut-être faudrait-il graver dans l’Évangile des femmes cette sentence : Bienheureuses les imparfaites, à elles appartient le royaume de l’amour. »

C’est un  mariage heureux, mariage d’amour qui a donné de beaux enfants..

Rien ne présage de la suite de l’histoire qui déraille en 1809 quand un soldat polonais est logé chez Claës pour un très court séjour. Quel secret a-t-il transmis à Balthazar? Il s’éloigne de sa femme et de ses enfants, néglige la vie sociale et s’enferme à la « Recherche de l’Absolu ». Cette expression qui donne son titre à ce volume n’est évoqué que p.62, au tiers du livre et j’ai hésité à le dévoiler dans ce billet pour ne pas divulgâcher le plaisir de la découverte. Un seul indice seulement :  il s’agit de chimie (Balthazar a été l’élève de Lavoisier).

Jan Davidsz de Heem : la desserte Intérieru bourgeois flamant

Balzac a déjà emmené le lecteur dans les ateliers d’artistes, les théâtres, l’étude de notaire. Dans la Recherche de l’absolu,  il l’entraine dans le champ de la Science. Chimie ou alchimie? Quelle est la chimère qui va dévorer toute la fortune des Claës? En rédigeant ce billet j’ai eu la surprise d’apprendre qu’un procès avait été intenté  en 1831 par le banquier Arson au mathématicien polonais Wronski, l’accusant de l’avoir escroqué en lui vendant le secret de l’Absolu.  

Les admirables portraits des personnages féminins : Josepha, la mère et Marguerite, la fille contrastent avec les caricatures de vieilles filles ou les femmes de salon intrigantes que j’ai rencontré dans nombreuses œuvres de l’auteur. Au moins un roman où les femmes sont à l’honneur!

Encore une fois, Balzac a réussi à me surprendre là où je ne l’attendais pas!

Avis très mitigé de claudialucia ICI 

Le Curé de Tours – Balzac

SCENES DE LA VIE DE PROVINCE / LES CELIBATAIRES

Avec Pierrette et La Rabouilleuse, Le Curé de Tours  forme la trilogie des Célibataires . Court roman qui se lit d’un seul trait.

« Être le pensionnaire de mademoiselle Gamard et devenir chanoine, furent les deux grandes affaires de sa vie ; et peut-être résument-elles exactement l’ambition d’un prêtre, qui, se considérant comme en voyage vers l’éternité, ne peut souhaiter en ce monde qu’un bon gîte, une bonne table, des vêtements propres, des souliers à agrafes d’argent, choses suffisantes pour les besoins de la bête, et un canonicat pour satisfaire l’amour-propre, ce sentiment indicible qui nous suivra, »

Il contient les ingrédients balzaciens. Le décor bien planté et décrit avec minutie : une maison dans le Cloitre , rue de la Psalette, à l’ombre de Saint Gratien. Une collection de caractères : deux ecclésiastiques, l’un débonnaire et naïf : l’Abbé Birotteau, l’autre ambitieux et retors, l’abbé Troubert, la vieille fille logeuse des deux prêtres, mademoiselle Gamard. A ces célibataires s’ajoutent les personnages gravitant dans les salons, avec intrigues, ragots et ambitions politiques. 

La tragédie de l’Abbé Birotteau s’annonce par des contrariétés minimes :

« quatre circonstances capitales de la porte fermée, des pantoufles oubliées, du manque de feu, du bougeoir porté chez lui, pouvaient seules lui révéler cette inimitié terrible « 

Des vétilles, dont l’accumulation trahit l’hostilité subite de sa logeuse. L’abbé Birotteau et loin de savoir qu’elles ne sont les prémisses du drame.

On s’ennuie parfois en province. Les soirées sont occupées par des parties de whist ou de boston en bonne société. Et c’est la première faute de l’abbé Birotteau que de s’être soustrait aux parties de Mademoiselle Gamard pour fréquenter le cercle de Madame Listomère. Et privant mademoiselle Ggamard de sa société il s’attire l’inimitié de la vieille fille – caractère redoutable que caricature Balzac

« restant fille, une créature du sexe féminin n’est plus qu’un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. »

En effet, Balzac n’est pas tendre avec les femmes et sa misogynie est poussée à l’extrême dans le cas des « vieilles filles »

préjugé dans lequel il y a du vrai peut-être jette constamment partout, et en France encore plus qu’ailleurs, une grande défaveur sur la femme avec laquelle personne n’a voulu ni partager les biens ni supporter les maux de la vie. »

Jalousie et ambition politique sont le moteur de l’intrigue qui pousseront à sa perte le naïf abbé, sûr de son bon droit, qui ira se jeter dans un procès perdu d’avance…

Un roman écrit au vitriol, bien méchant et diablement mené!

 

Balzac – Les Chouans

Vendémiaire an VIII, (sept 1799) de Mortagne à Falaise

Roman d’aventures, roman historique, roman d’amour, Balzac s’essaie à tous les genres pour le plus grand bonheur des lecteurs. 

Quand je fais une pause dans mes challenges, ou lectures de voyage, je reviens toujours à Balzac avec la certitude d’une lecture agréable. D’ailleurs nous avions une lecture commune Balzac, copines blogueuses avez-vous abandonné?

Dans l’Ouest, à la limite de la Normandie et de la Bretagne, les Chouans sont en armes et attendent l’arrivée d’un chef Le Gars pour prendre la tête de la révolte. Les soldats de la République, les Bleus, commandés par un vieil officier, Hulot essaient de venir à bout des foyers de chouannerie et lèvent le conscription

« Cette colonne était le contingent péniblement obtenu du district de Fougères, et dû par lui dans la levée que le
Directoire exécutif de la République française avait ordonnée par une loi du 10 messidor précédent.[…]
une gasconnade législative : ne pouvant rien envoyer aux départements insurgés, il leur donnait sa confiance…. »

La première partie du roman se nomme L’Embuscade, dans le cadre verdoyant du bocage nous allons assister aux échauffourées et à l’attaque de la Turgotine , roman de cap et d’épée, sifflements de chouettes, peaux de chèvres, version bretonne du western. 

Cette turgotine était un méchant cabriolet à deux roues très-hautes, au fond duquel deux personnes un peu
grasses auraient difficilement tenu. 

Que recherchent les Chouans dans la turgotine? du butin, de l’or,

Ne savez-vous pas le proverbe : Voleur comme une chouette. Or, qu’est-ce qu’un Chouan ? D’ailleurs, dit-elle en élevant la voix, n’est-ce pas une action juste ? Les Bleus n’ont-ils pas pris tous les biens de l’Eglise et les nôtres, et ne nous faut-il pas d’ailleurs des munitions ?[…]
Ni l’un ni l’autre, lui répondit Coupiau. Je suis postillon, et Breton qui plus est ; partant, je ne crains ni les Bleus
ni les gentilshommes. – Tu veux dire les gens-pille-hommes, reprit le patriote avec ironie. -Ils ne font que reprendre ce qu’on leur a ôté , dit vivement le recteur. 

La deuxième partie s’intitule Une Idée de Fouché, le roman bascule dans l’espionnage . Mademoiselle de Verneuil fait route de Mortagne à Alençon avec Francine, sa servante bretonne et fait la rencontre d’une dame et de son fils qui leur tiendront compagnie. Marivaudage entre la jeune fille et un  étudiant de l’Ecole Polytechnique, futur marin. Evidemment l’étudiant n’est pas plus marin que la dame, sa mère….Je m’ennuie un peu pendant que l’intrigue amoureuse se noue. L’escorte républicaine tombe dans un piège dans le manoir de la dame

Les chefs de cette guerre entreprise pour Dieu et le Roi ressemblaient bien peu aux portraits de fantaisie qu’elle
s’était plu à tracer. Cette lutte, véritablement grande, se rétrécit et prit des proportions mesquines, quand elle les vit[…]Ces physionomies paraissaient annoncer d’abord plutôt un besoin d’intrigue que l’amour de la gloire,[…]Si quelques têtes originales se faisaient distinguer entre les autres, elles étaient rapetissées par les formules et par l’étiquette de l’aristocratie.

Cette assemblée nocturne, au milieu de ce vieux castel en ruine et sous ces ornements contournés assez bien
assortis aux figures, la fit sourire, elle voulut y voir un tableau symbolique de la monarchie.

Les Chouans, ou plutôt les aristocrates qui les manipulent ne sont pas à leur avantage dans cet épisode sanglant.

Falaise

Chacun se dévoile, (mais je vais m’arrêter ici, pour ne pas divulguer l’intrigue). Mademoiselle de Verneuil et son escorte de bleus échappera de justesse. Amoureuse, choisira-t-elle l’amour ou ses convictions républicaines?

J’en ai déjà trop écrit. La fin sera haletante.

Encore une fois, Balzac aura réussi à me surprendre et à me captiver.

Antigone – Henry Bauchau – Actes sud

LIRE POUR LA GRECE

« Oui, moi Antigone, la mendiante du roi aveugle, je me découvre rebelle à ma patrie, définitivement rebelle à Thèbes, à sa loi virile, à ses guerres imbéciles et à son culte orgueilleux de la mort.  » dans LA COLERE

Antigone est l’héroïne du Théâtre grec qui me fascine le plus : Antigone est la femme qui dit NON! Celle qui le crie. C’est aussi la fille d’Œdipe qui l’a guidé, aveugle sur les chemins de Grèce, qui a mendié pour lui. Fille de Roi, de Reine, mendiante.  

Antigone de Sophocle a inspiré de nombreux écrivains et metteurs en scène. C’est la tragédie la plus impressionnante, jouée chaque fois dans un  paroxysme de l’Histoire. La version qui m’a impressionnée le plus est celle de Adel Hakim jouée par le Théâtre national palestinien aux Théâtre des Quartiers d’Ivry  que j’ai été voir deux fois. Tragédie de Beyrouth dans le  4ème Mur de Sorj Chalandon . J’ai même vu une Antigone Ukrainienne/Russe, un peu punk et musicale de Lucie Bérelowitsch qui a choisi une version de Brecht/Sophocle. Bien sûr, il y a celle d‘Anouilh(1944). 

Antigone de Bauchau n’est pas une pièce de théâtre mais un roman qui fait suite à Oedipe sur la Route lu il y a douze ans qui m’avait laissé un souvenir inoubliable. Avec  368 pages, l’auteur développe une histoire plus longue avec de nombreux personnages, avec des retours dans l’épopée de Thébes :  Œdipe et Jocaste  et sur les pérégrinations d’Œdipe. 

Antigone de Bauchau commence avec le retour de l’héroïne à Thèbes après la mort d’Œdipe. Antigone est entourée des compagnons de son père : Clios qui peint une fresque pour Thésée à Athènes et qui la met en garde:

« En retournant à Thèbes tu vas suivre, toi aussi, le chemin du rouge. Tu seras en grand danger, au centre de la guerre entre tes frères. Est-ce nécessaire Antigone? »

Bauchau développe l’histoire des jumeaux : Polynice et Etéocle, désiré et souverain, Etéocle toujours en rivalité. De la jalousie d’Etéocle et de la domination de Polynice, il ne peut que résulter le combat, combat à mort. Dédoublements, Etéocle demande à Antigone de sculpter deux statues de Jocaste , il offre un étalon noir à Polynice qui part à la recherche d’un cheval aussi fougueux, aussi beau, blanc.

« mon corps, bien avant moi, sait ce qu’il faut faire. Il se jette à genoux et, le front sur le sol, extrait de la terre elle-même un non formidable. C’est un cri d’avertissement et de douleur qui brise la parole sur les lèvres d’Ismène. C’est le non de toutes les femmes que je prononce, que je hurle, que je vomis avec celui d’Ismène et le mien. Ce non vient de bien plus loin que moi, c’est la plainte, ou l’appel qui vient des ténèbres et des plus audacieuses lumières de l’histoire des femmes. »

 

Au lieu de se tenir comme Sophocle,  à l’épisode de l’interdit de la a sépulture de Polynice, par Créon, et du refus de  la tyrannie par Antigone,  privilégiant  la loi des Dieux avec  la tradition des honneurs dus aux morts, par rapport à la loi de la Cité (le décret de Créon), Bauchau inscrit les funérailles à la fin de l’histoire de la guerre de Thèbes. Il raconte toute une épopée. Epopée guerrière, histoire d’amour, relations familiales…La tyrannie de Créon n’entre en scène qu’après les trois quarts du livre.

« Nous les femmes, les sœurs, nous devons seulement enterrer Polynice et dire non, totalement non à Créon. Il est le roi des Thébains vivants, il n’est pas celui des morts. »

Antigone n’est pas seulement celle qui dit non. C’est aussi celle qui ne veut pas choisir l’un ou l’autre de ses frères, qui va tenter de faire la paix entre eux. C’est aussi l’héroïne qui va soigner les blessés, faire de sa maison un refuge pour les pauvres et pour des personnalités un peu étranges, comme le faux aveugle Dirkos qui chante les chants d’Oedipe, ou Timour, le Nomade cavalier et archer, qui apprend à Antigone le « chant de l’arc ». Antigone est une femme puissante, cavalière accomplie, archère.

Sans affaiblir la tragédie, Bauchau brode, interrompt son récit comme l’aède qui peut réciter des milliers de vers. Ce n’est pas un théâtre politique. C’est une véritable épopée.

Lu dans le cadre du MOIS BELGE 2022

La Messe de l’Athée – Balzac

LECTURE COMMUNE BALZAC 

Courte nouvelle dans les Scènes de la Vie parisienne qui peut se lire d’un trait. Grande sobriété  : deux personnages principaux , deux médecins, le célèbre chirurgien Desplein et son jeune collègue Horace Blanchon. Desplein professe un athéisme convaincu et une pleine confiance dans la science. Et pourtant, Blanchon le surprend à Saint Sulpice à la messe, non pas une seule fois mais à plusieurs reprises. Comme Blanchon, le lecteur est intrigué….

naturellement pris de curiosité, l’interne qui connaissait les opinions de son maître, et qui était Cabaniste en dyable par un y grec (ce qui dans Rabelais est u

Il vous faudra lire la nouvelle pour résoudre ce mystère!

Balzac vous tiendra en haleine, comme d’habitude. Mais contrairement aux autres œuvres de l’auteur, pas de cynisme ni de malignité. Balzac bienveillant? Il vous surprendra encore.

Comme il m’a étonnée par l’emploi de locutions originales que je recopie ici

« Ni puritain ni sermonneur, il jurait de bonne grâce en donnant un conseil et faisait volontiers un tronçon de chière lie quand l’occasion s’en présentait. »

Lire également les avis de pativore maggie claudialucia,  Rachel

Exposition autour du Chef d’Œuvre Inconnu à la Maison de Balzac

Exposition temporaire jusqu’au 6 mars 2022

Bension Enav – édition du chef d’oeuvre inconnu

Le chef d’œuvre Inconnu traite de peinture, il n’est donc pas surprenant qu’il ait inspiré de nombreux peintres et plasticiens. Il y a quelques temps j’ai lu cet ouvrage et visité la Maison de Balzac

C’est toujours avec grand plaisir que je retourne Rue Raynouard , en balcon dominant les quais de Seine où l’on peut descendre la Falaise de Passy par de raides escaliers du square de l’Alboni, Rue des Eaux, ou la pittoresque rue Berton étroite et pavée.

Nous avons revu les collections permanentes, manuscrits annotés, bustes de Balzac, son bureau, sa canne….Je me suis longtemps attardée devant les figures de la Comédie Humaine gravées sur 250 plaques typographiques pour chercher les personnages que j’ai rencontrés récemment lors de mes lectures.

L’exposition temporaire est situé en dessous. On entre d’abord dans une salle dédiée à la Belle Noiseuse – film de Rivette (1991) dont on peut visionner un extrait et où se trouve les tableaux de Dufour qui figurent dans le film. 

Michel Piccoli joue le peintre, Emmanuelle Béhart le modèle.

Dufour – la belle noiseuse
Je n’aime pas cette peinture et m’étonne qu’elle puisse être le « chef d’oeuvre inconnu ». Des goûts et des couleurs….
édition du Chef d’oeuvre inconnu de Balzac par Vollard, illustration Pablo Picasso

La salle suivante est consacrée à l’édition de Vollard qui a demandé à Pablo Picasso de l’illustrer. Picasso n’a pas illustré l’histoire à la lettre et a dessiné à son idée autour du motif de la peinture, du peintre et de son modèle. Comme il dessinait des taureaux et minotaures à cette époque, on les voit figurer ici. Pour notre plus grand plaisir.

Picasso : peintre modèle

Dans la troisième salle je retrouve le tableau de Paula Rego qui m’avait donné envie de lire le livre, je retrouve également Arroyo. Un peu plus étrange ce Chef d’Oeuvre inconnu d’Anselm Kiefer qui ne représente pas un portrait de femme mais une salle vide, dessin d’architecture. 

Paula Rego

Et je n’en ai sûrement pas fini avec Balzac!

 

Un Episode sous la Terreur – Honoré de Balzac

Guillotine – boucles d’oreilles musée Carnavalet

Une nouvelle, 45 pages , qui se lit d’un souffle.

Avec Balzac, on peut s’attendre à toutes les surprises, et il y en aura.

L’histoire commence le 22janvier 1793, sous la Terreur (pas d’étonnement: le titre l’affirme). Une femme marche dans la nuit, seule,  dans la neige ; elle se sent suivie. C’est la terreur ordinaire, celle d’une femme suivie dans les rues désertes. Elle se réfugie dans une boulangerie encore ouverte. L’impression de terreur s’installe.

La femme est âgée, l’homme qui la poursuit ne cherche pas à attenter à sa vertu. Un espion? Je me souviens alors de l’époque. Cette dame est une ci-devant qui a oublié les civilités d’époque : aurait dû  dire « citoyenne » .

La vieille femme se cache dans une bicoque chancelante….

De peur de gâcher le suspens, je m’arrête-là!

Lisez la suite!

Lire aussi Maggie

La Pitié Dangereuse – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES

« Il y a deux sortes de pitié. L’une, molle et sentimentale, qui n’est en réalité que l’impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d’autrui, cette pitié qui n’est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l’âme contre la souffrance étrangère.
Et l’autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu’elle veut et est décidée à
persévérer avec patience et tolérance jusqu’à l’extrême limite de ses forces, et même au-delà. C’est seulement
quand on va jusqu’au bout, quand on a la patience d’y aller qu’on peut venir en aide aux autres. C’est seulement
quand on se sacrifie et seulement alors…

Je poursuis, et toujours avec autant de bonheur, la lecture de Zweig initiée par les Feuilles Allemandes de Et si on bouquinait et Passage à l’Est. Les mêmes proposant des lectures communes Autour du Handicap, La Pitié dangereuse peut figurer dans ces deux challenges. 

Golovien : paysage pavlosk

En 1938, lorsque les bruits de bottes se font entendre, l’auteur rencontre un « héros » de la Première Guerre mondiale qui lui confie son histoire : jeune lieutenant pauvre, dans une ville de garnison, il se fait inviter au château  . Ebloui par la richesse, dans l’ivresse de la fête,  sans se rendre compte que la fille de la maison est paralysée, il l’invite à danser. Voulant réparer cette bévue, il revient s’excuser auprès de la jeune fille et devient un familier de la maison et lui tient compagnie. Naïf et inexpérimenté, il ne se rend pas compte de la passion que la jeune fille va ressentir. Il n’ a jamais imaginé qu’une jeune paralysée puisse éprouver les mêmes sentiments que n’importe quelle femme. Point de désir ou de séduction, à la place de la pitié. Cette pitié occupe le jeune homme:

« chaud jaillissement de l’intérieur, cette vague de pitié douloureuse, épuisante et excitante à la fois, qui s’empare
de moi dès que je songe au malheur de la jeune fille. »

La vie militaire se résume à une routine d’exercices, de camaraderie et de cartes au café qui ne contente pas le jeune lieutenant, trop modeste pour se payer le voyage jusqu’à Vienne. Absurdité de ces manœuvres qui n’ont guère de sens pour lui. En revanche son rôle auprès de la jeune handicapée donne un sens à sa vie.

« Tout ce que je comprenais, c’était que j’étais sorti du cercle solide où j’avais mené jusqu’alors une vie calme et tranquille, et que je pénétrais dans une zone nouvelle, passionnante et inquiétante à la fois, comme tout ce qui est nouveau. Je voyais ouvert devant moi un abîme du sentiment qui m’attirait étrangement, »

La pitié s’adresse à la jeune fille mais aussi à son père, cardiaque, fragile, émouvant. Le jeune homme passez par des phases d’exaltation à des moments dépressifs quand il se sent piégé par des responsabilités qu’il n’a jamais souhaitées.

« Ce soir-là, j’étais Dieu. J’avais apaisé les eaux de l’inquiétude et chassé de ces cœurs l’obscurité. Mais en moi-
même aussi j’avais banni la crainte, mon âme était calme comme jamais elle ne l’avait été […]

Pourtant à la fin de la soirée, lorsque je me levai de table, une légère tristesse s’empara de moi, la tristesse
éternelle de Dieu le septième jour, lorsqu’il eut terminé son œuvre – et cette mélancolie se refléta sur tous les
visages. Le moment de la séparation était venu. Nous étions tous étrangement émus, comme si nous savions que
quelque chose d’unique prenait fin, »

Mais cette pitié est aussi humiliante pour Edith qui veut être aimée et non l’objet de pitié. Elle se rebelle, passe par des crises très éprouvantes.

« Je ne veux pas que vous vous croyiez obligé de me servir ma portion quotidienne de pitié, je me fiche pas mal de
votre pitié – une fois pour toutes, je m’en passe »

Zweig analyse tous ces sentiments avec une grande finesse. Merveilleux conteur, il va faire surgir des personnages complexes : le père, le médecin, le colonel. Il décrit aussi l’Empire à la veille de son écroulement avec les nuances des classes sociales et les rapports entre aristocrates et bourgeois : en filigrane, mépris et antisémitisme.

Encore un grand livre!