Autre Etude de Femme – Balzac

LECTURE COMMUNE BALZAC

Balzac

Ces rendez-vous mensuels autour d’une nouvelle ou d’un roman de Balzac m’enchantent. Lors de la dernière lecture Claudialucia avait reproché mon laxisme vis à vis de la misogynie de l’auteur. Au temps de Meetoo, on devient exigeante! J’ai tendance à pardonner beaucoup à Balzac parce qu’il m’amuse beaucoup. Le titre Autre Etude de Femme me laisser craindre encore des débordements. Promis je serai vigilante!

L’auteur nous entraîne dans une soirée mondaine, au dîner qui ne compte que des convives choisis, quand les langues se délient et que les confidences s’échangent.

« Le souvenir d’une de ces soirées m’est plus particulièrement resté, moins à cause d’une confidence où l’illustre de Marsay mit à découvert un des replis les plus profonds du cœur de la femme, qu’à cause des observations auxquelles son récit donna lieu sur les changements qui se sont opérés dans la femme française depuis la triste révolution de juillet. »

De Marsay conte un amour de jeunesse pour une femme du monde un peu plus âgée qui l’a guéri de la passion amoureuse…. et dont la conclusion est encore peu amène :

« Il y a toujours un fameux singe dans la plus jolie et la plus angélique des femmes !
A ce mot, toutes les femmes baissèrent les yeux comme blessées par cette cruelle vérité, si cruellement formulée. « 

La conversation continue par la déploration de la perte de l’image de la femme du monde d’avant la Révolution : la grande dame

« L’éventail de la grande dame est brisé. La femme n’a plus à rougir, à médire, à chuchoter, à se cacher, à se
montrer. L’éventail ne sert plus qu’à s’éventer. »

et plus loin :

« Autrefois une femme pouvait avoir une voix de harengère, une démarche de grenadier, un front de courtisane audacieuse, les cheveux plantés en arrière, le pied gros, la main épaisse, elle était néanmoins une grande dame ; mais aujourd’hui, fût-elle une Montmorency, si les demoiselles de Montmorency pouvaient jamais être ainsi, elle ne serait pas une femme comme il faut. »

Une femme comme il faut!

Qu’est-ce donc qu’une femme comme il faut dans la fin des années 1830?

La femme comme il faut paraît tout ignorer pour tout apprendre ; il y a des choses qu’elle ne sait jamais, même quand elle les sait.

[….]
la science encyclopédique des riens, la connaissance des manèges, les grandes petites choses, les musiques de
voix et les harmonies de couleurs, les diableries angéliques et les innocentes roueries, le langage et le mutisme, le sérieux et les railleries, l’esprit et la bêtise, la diplomatie et l’ignorance, qui constituent la femme comme il faut.

Balzac m’a perdue avec sa « femme comme il faut« . Si au moins il avait bâti une bonne intrigue, une histoire bien cynique, bien noire…Pour une fois, et c’est très rare, je m’ennuie. Je me suis lassée de ces conversations oiseuses, les souvenirs d’ancien militaire après la Bérézina ne m’ont pas captivée.

Comme si de rien n’était… Alina Nelega – des femmes

LE MOIS DE L’EUROPE DE L’EST /ROUMANIE

Pour ce mois de mars 2023, j’ai pris un peu d’avance dans mes lectures puisque nous serons aux Antilles.

« Notre Conducator – notre lumière divine,/Source nourricière prenant ses eaux/De Maramures et de Bucovine/ Grand timonier, chêne majestueux », Nana s’applique à appuyer sur les mots »

J’ai découvert  deux livres roumains récents Comme si de rien n’était de Alina Nelega et Iochka de Christian Fulas. L’action dans les deux ouvrages se déroule pendant l’ère Ceausescu en Transylvanie. Il m’a semblé que Comme si de rien n’était était le pendant féminin de Iochka qui mettait en scène des hommes isolés dans une vallée sauvage, très portés sur la boisson tandis que leurs fantasmes sexuels portaient sur une notion très primaire de la femme, putain, mère ou sainte ; ce qui m’avait un peu énervée. 

Que vienne le temps des varices et des poils sur le visage pour que personne ne s’excite plus en voyant ses seins
tombants – là elle sera enfin libre et moche. Mais elle ne sera toujours qu’une femme, objet digne de mépris
parce que les femmes n’ont pas le droit d’être moches, seuls les hommes peuvent puer,

« Voyons, les femmes n’ont pas accès à la fierté, à l’honneur et au courage, elles doivent être juste sensibles, délicates et vulnérables, autrement ce ne sont pas des femmes mais des hommes, et ça c’est pas permis, elles sont élevées pour pleurer et pleurnicher, pour demander aide et protection, pour montrer leurs émotions tandis qu’eux, ces braves et honorables individus, eux ils ont le droit de se soûler au lieu de pleurer et peuvent même, à la limite, donner des coups de poing pour se défouler. »

Au contraire Comme si de rien n’était est une histoire d’amour lesbien. Depuis le lycée, en 1979, Nina et Cristina s’aiment. Elles font du théâtre. Nina vient d’un milieu privilégié, sa mère est journaliste et son père architecte. Cristina est la fille d’un officier tankiste et d’une enseignante et vit sur pied beaucoup plus modeste. L’année suivante Nana sera prise dans les études de théâtre à Bucarest tandis que Cristina poursuivra des études de lettres se marie à Radu, le frère de Nana, accouche d’un fils. . Si Nana réussit sa carrière d’actrice, la vie est plus dure pour Cristina professeur de roumain dans un collège provincial qui doit batailler pour se nourrir convenablement et ne pas dévier de la ligne et du conformisme du Parti. 

« Alors la conscience de Parti elle connaît – donc le type a pas envie de la piquer, ni de la violer, ni de la manger,
il veut juste qu’elle lui prête son studio l’après-midi et le soir pendant deux semaines pour pouvoir surveiller des activités suspectes dans son immeuble, son couloir et l’étage du dessus. »

Un chapitre Le Poulet montre toutes les difficultés pour échapper à la faim et à la surveillance de la Securitate. Elle se trouve, plus tard,  mêlée à un incident qui lui vaut des ennuis avec les autorités : elle doit se soumettre à l' »organe« 

« Organes internes, organes génitaux, organes des sens – et à côté de ça, il y en a un autre, un Organe qui est au- dessus de tous les autres qui contrôle le foie, l’estomac, le cerveau – les cerveaux lui sont tous subordonnés, il faut obéir à l’Organe, aux ordres de l’Organe, l’Organe tout-puissant, le plus fort, qui décide de tout, l’Organe vous voit, l’Organe vous entend, l’Organe vous protège et il vous punit si vous avez fauté, l’homme a besoin de l’Organe, l’homme n’est pas seul dans l’univers, l’Organe est partout, comme le vent et la pluie, on ne peut pas lui résister, on ne discute pas avec l’Organe »

Après bien des péripéties, les deux amies se retrouvent, partent en vacances ensemble mais la vie n’est pas facile. Cristina ne rédige pas le livre qu’elle a commencé depuis l’adolescence, elle ne peut pas assumer toute la vérité et la médiocrité  de son existence et finalement se brouille d’avec Nana.

Nana , lors d’une tournée en Serbie de sa compagnie va passer à l’Ouest. le roman se termine avec la chute du mur de Berlin, on connait la suite  en Roumanie. Se retrouveront elles?

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le témoignage d’une femme sur le quotidien de la vie en Roumanie au temps des Ceausescu. Témoignage politique mais surtout regard de femmes sur la vie quotidienne dans les privations matérielles et de liberté. Comment faire quand surviennent les règles en voyage et que le coton est introuvable? Comment faire quand envoyer un simple télégramme à sa voisine lui demandant de « vider la poubelle » parait à la postière un message subversif?

Un roman dense et riche, que je recommande.

 

 

Les Abeilles d’hiver – Norbert Scheuer

LES FEUILLES ALLEMANDES 2022

J’ai trouvé ce titre dans le blog Et si on bouquinait et dans celui de Dominique A sauts et  à gambades et je les remercie pour avoir recommandé ce livre qui est un coup de cœur!

Des abeilles, il est beaucoup question par ces temps d’extinction des insectes et  troubles par de guerres. J’ai donc lu Les Abeilles grises de Kourkov récemment primé Médicis étranger – récompense bien méritée. L’Amas ardent de Yamen Manaï , L’Apiculteur d’Alep de Christy Lefteri. Ces ruches sont-elles une métaphore de société idéale pacifiée, industrieuse, douce comme le miel pour une humanité déchirée? L’apiculteur un modèle de sérénité dans le monde troublé par la guerre?
Les abeilles sont aussi les sentinelles de la nature, les ouvrières de la pollinisation. Leur destruction ayant pour conséquence celle des récoltes et finalement de l’humanité? 

Dans Les Abeilles d’hiver se mêlent trois histoires.

 

J’ai toujours été un marginal, peut-être à cause de la maladie qui, déjà, a fait de moi un marginal dans ma
jeunesse, me coupant de la vie dans mon village natal.

Depuis la guerre, il n’y a presque plus de médicaments, surtout pour quelqu’un comme moi qui, pour la
Volksgemeinschaft, n’a aucune valeur et qui, d’après l’idéologie du régime, est un parasite qui devrait être
supprimé.

L’histoire de l’apiculteur, Egidius Arimond, épileptique que les nazis ont stérilisé, évincé du métier d’enseignant de Latin et de Grec et qui n’a échappé à l’élimination physique que grâce à l’influence de son frère glorieux aviateur, héros de la Wehrmacht. Exclu de la guerre, il consacre sa vie à ses ruches et passe le reste de son temps dans la bibliothèque de sa ville où il donne des leçons particulières de latin et traduit des manuscrits médiévaux. Pour se procurer l’argent nécessaire à l’achat de ses médicaments indispensable pour éviter les crises, il est aussi passeur pour des Juifs cachés qui fuient vers la Belgique proche. Passeur pour de l’argent, mais aussi parce que c’est un homme juste qui traite avec bonté les fugitifs. 

La tâche des abeilles d’hiver qui vivent maintenant est de garder au chaud la nouvelle génération de larves
attendue au printemps, de les protéger, de les nourrir et d’assurer ainsi la survie de la colonie. Pendant la saison
froide, elles maintiennent la température dans leur ruche à environ vingt degrés, ce qui est juste assez chaud pour les empêcher de geler, elles et leur reine.

[…]

les abeilles d’été butinent si inlassablement qu’elles meurent d’épuisement au bout de quelques semaines et sont ensuite systématiquement remplacées par une nouvelle génération.

Histoire des abeilles. Le lecteur apprend de nombreuses notions sur la vie des ruches au cours des saisons, les soins qu’on leur apporte, les dangers.

ruches dans troncs à l’horizontale!

 

Histoire d’un moine, le bénédictin Ambrosius, venu d’Italie avec des abeilles italiennes, ancêtre de l’apiculteur qui a écrit sur des parchemins des notes précieuses conservées dans le monastère. Il raconte le difficile périple à travers des Alpes d’une caravane transportant des manuscrits précieux et le coeur embaumé de Nicolas de Cues, un proche conseiller du pape. Les écrits du moine conservent aussi des observations sur l’apiculture au 15ème siècle.

Je voudrais me souvenir du chant de mes abeilles. Mais chaque fois que j’essaie, il se transforme en grondement et en sifflement de chasseurs-bombardiers. J’ai peur de ne plus pouvoir sortir un jour de cet autre monde dans
lequel j’ai atterri.

[…]
vais voir les abeilles, je mets à nouveau mon oreille contre les ruches et je les entends fredonner très doucement, chaque ruche a une mélodie différente, qui lui est propre. Elles vont bien, les bombardements ne semblent pas les déranger du tout.

 

A ces trois aspects,  on pourrait aussi ajouter le thème des avions de guerre qui fascinent Egidius. Son frère, l’aviateur lui sauve la vie et les deux frères se sont toujours intéressés à l’aviation. D’autre part, le village de l’Eifel où se déroule le roman est bombardé ces années 1944 et 1945. Les bombardiers sont donc un élément du quotidien des habitants. Ce thème ne m’a pas passionné même si le contexte de la guerre est essentiel au déroulement de l’histoire.

Le roman est un journal intime que rédige Egidius, les écrits médiévaux sont aussi des feuilles d’un journal. J’ai beaucoup aimé le ton de confidences, précis employé par Egidius qui mêle ses démêlés avec le pharmacien et ses relations avec les femmes du villages, ses crises d’épilepsie et sa vie quotidienne.

Livre sensible, complexe dans le contexte de la fin de la Deuxième Guerre, historique et naturaliste.

la Maison Allemande – Annette Hess – Actes Sud 2019

LETTRES ALLEMANDES 2022

 

Pour commencer ces Feuilles allemandes, j’ai cherché un livre récent.

Annette Hess, la romancière, est née en 1967 à Hanovre est une scénariste pour des séries historiques. 

La Maison Allemande se déroule à Francfort en 1963 au moment du « second procès d’Auschwitz ». A sa parution en Allemand en 2018, il a connu un grand succès et fut traduit dans de nombreuses langues. Dans une interview Annette Hess reconnait que la thématique d’Auschwitz est très populaire actuellement et qu’elle a fait bien  attention à ne pas tomber dans cette littérature d’Auschwitz faisant appel à un certain voyeurisme qu’elle qualifie de « kitsch« . 

La Maison allemande est le nom du restaurant des parents de l’héroïne. Eva Bruhns est traductrice polonais-allemand, elle est amoureuse d’un riche commerçant qu’elle doit présenter à ses parent. C’est aussi une jeune fille naïve qui ignore tout du passé de sa famille quand elle est appelée comme interprète au procès qui va s’ouvrir. 

Son fiancé et sa famille ne sont pas favorables à l’engagement d’Eva comme interprète pour des raisons diverses : Jürgen, le fiancé, ne veut pas que sa femme travaille, même avant le mariage, il lui ordonne de renoncer à ce projet. Ses parents savent qu’elle risque de découvrir l’histoire sombre de la famille qui  a participé à l’Holocauste et n’en a rien raconté. D’ailleurs, selon l’auteure, en 1963, 70 % des Allemands s’opposaient à la tenue du Procès d’Auschwitz; préférant faire silence sur ce passé gênant.

Traduisant les témoignages, Eva prend conscience de l’horreur, des images lui reviennent, elle se trouvait, petite fille aux portes du camp.

Ce roman, tout en délicatesse, montre comment elle prend connaissance des faits que les accusés nient avec vigueur. Eva s’implique de plus en plus dans le procès et découvre ainsi une nouvelle volonté, une personnalité qui lui permet de s’affranchir de son avenir de femme au foyer soumise à son riche mari. De même, elle s’affirme en quittant la maison familiale pour mener une existence indépendante.

Difficile pour elle d’admettre que ses parents ont participé au « système » nazi, comme beaucoup de leur génération.

 

La Messe de l’Athée – Balzac

LECTURE COMMUNE BALZAC 

Courte nouvelle dans les Scènes de la Vie parisienne qui peut se lire d’un trait. Grande sobriété  : deux personnages principaux , deux médecins, le célèbre chirurgien Desplein et son jeune collègue Horace Blanchon. Desplein professe un athéisme convaincu et une pleine confiance dans la science. Et pourtant, Blanchon le surprend à Saint Sulpice à la messe, non pas une seule fois mais à plusieurs reprises. Comme Blanchon, le lecteur est intrigué….

naturellement pris de curiosité, l’interne qui connaissait les opinions de son maître, et qui était Cabaniste en dyable par un y grec (ce qui dans Rabelais est u

Il vous faudra lire la nouvelle pour résoudre ce mystère!

Balzac vous tiendra en haleine, comme d’habitude. Mais contrairement aux autres œuvres de l’auteur, pas de cynisme ni de malignité. Balzac bienveillant? Il vous surprendra encore.

Comme il m’a étonnée par l’emploi de locutions originales que je recopie ici

« Ni puritain ni sermonneur, il jurait de bonne grâce en donnant un conseil et faisait volontiers un tronçon de chière lie quand l’occasion s’en présentait. »

Lire également les avis de pativore maggie claudialucia,  Rachel

Maus – Art Spiegelman

LECTURES COMMUNE AUTOUR DE L’HOLOCAUSTE (2022)

 

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Comme l’an passé, je me joins à la  lecture commune initiée par Passage à l’Est & Si on bouquinait. 

Maus s’est imposé à moi à l’occasion de plusieurs coïncidences récentes. Au MAHJ l’exposition Si Lewen : La Parade a été l’occasion de voir et écouter Art Spiegelman qui a édité La Parade et qui introduit et commente l’exposition. j’ai le plaisir de l’écouter sur plusieurs podcasts de RadioFranceFrance culture ; PAR LES TEMPS QUI COURENT (8/12/2021) : la BD est mon obsession : ma loupe  pour regarder le monde et d’autres L’Heure bleue 10/11/2021 et encore d’autres plus anciens. Plus récemment, la polémique de l’interdiction de Maus dans les écoles du Tennessee et certaines réfexions étranges comme celle de Whoopie Goldberg a relancé l’intérêt pour cette œuvre. 

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Je lis assez peu de Romans graphiques ou de BD. Je ne me sens pas qualifiée pour commenter le graphisme (N&B, impressionnant) ou le parti pris de donner des têtes d’animaux impersonnelles aux personnages, seules des petites lunettes permettent de reconnaître Vladek (le père d’Artie).

Deux sujets m’ont particulièrement intéressées :

-le déroulement de l’histoire qui conduit les parents d’Artie dans les camps et la vie quotidienne avec les débrouilles que Vladek « organise » pour survivre. Si une santé de fer et une  force physique étaient nécessaires pour survivre, la débrouillardise et l’ingéniosité de Vladek ont été l’atout indispensable, sans parler de des bijoux et argent qui ont été bien utiles au marché noir.

-les rapports psychologiques père/fils, survivant/ martyrs avec toutes les culpabilisations  et les traumatismes qui en découlent, y compris le suicide d’Anya, la mère, le frère disparu…

je n’ai trouvé aucun motif (nudité ou gros mots) capable de choquer les écoliers du Tenessee, la cruauté des faits sont autrement plus choquants que leur représentation. Il semble bien que la censure vienne d’ailleurs!

La Pitié Dangereuse – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES

« Il y a deux sortes de pitié. L’une, molle et sentimentale, qui n’est en réalité que l’impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d’autrui, cette pitié qui n’est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l’âme contre la souffrance étrangère.
Et l’autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu’elle veut et est décidée à
persévérer avec patience et tolérance jusqu’à l’extrême limite de ses forces, et même au-delà. C’est seulement
quand on va jusqu’au bout, quand on a la patience d’y aller qu’on peut venir en aide aux autres. C’est seulement
quand on se sacrifie et seulement alors…

Je poursuis, et toujours avec autant de bonheur, la lecture de Zweig initiée par les Feuilles Allemandes de Et si on bouquinait et Passage à l’Est. Les mêmes proposant des lectures communes Autour du Handicap, La Pitié dangereuse peut figurer dans ces deux challenges. 

Golovien : paysage pavlosk

En 1938, lorsque les bruits de bottes se font entendre, l’auteur rencontre un « héros » de la Première Guerre mondiale qui lui confie son histoire : jeune lieutenant pauvre, dans une ville de garnison, il se fait inviter au château  . Ebloui par la richesse, dans l’ivresse de la fête,  sans se rendre compte que la fille de la maison est paralysée, il l’invite à danser. Voulant réparer cette bévue, il revient s’excuser auprès de la jeune fille et devient un familier de la maison et lui tient compagnie. Naïf et inexpérimenté, il ne se rend pas compte de la passion que la jeune fille va ressentir. Il n’ a jamais imaginé qu’une jeune paralysée puisse éprouver les mêmes sentiments que n’importe quelle femme. Point de désir ou de séduction, à la place de la pitié. Cette pitié occupe le jeune homme:

« chaud jaillissement de l’intérieur, cette vague de pitié douloureuse, épuisante et excitante à la fois, qui s’empare
de moi dès que je songe au malheur de la jeune fille. »

La vie militaire se résume à une routine d’exercices, de camaraderie et de cartes au café qui ne contente pas le jeune lieutenant, trop modeste pour se payer le voyage jusqu’à Vienne. Absurdité de ces manœuvres qui n’ont guère de sens pour lui. En revanche son rôle auprès de la jeune handicapée donne un sens à sa vie.

« Tout ce que je comprenais, c’était que j’étais sorti du cercle solide où j’avais mené jusqu’alors une vie calme et tranquille, et que je pénétrais dans une zone nouvelle, passionnante et inquiétante à la fois, comme tout ce qui est nouveau. Je voyais ouvert devant moi un abîme du sentiment qui m’attirait étrangement, »

La pitié s’adresse à la jeune fille mais aussi à son père, cardiaque, fragile, émouvant. Le jeune homme passez par des phases d’exaltation à des moments dépressifs quand il se sent piégé par des responsabilités qu’il n’a jamais souhaitées.

« Ce soir-là, j’étais Dieu. J’avais apaisé les eaux de l’inquiétude et chassé de ces cœurs l’obscurité. Mais en moi-
même aussi j’avais banni la crainte, mon âme était calme comme jamais elle ne l’avait été […]

Pourtant à la fin de la soirée, lorsque je me levai de table, une légère tristesse s’empara de moi, la tristesse
éternelle de Dieu le septième jour, lorsqu’il eut terminé son œuvre – et cette mélancolie se refléta sur tous les
visages. Le moment de la séparation était venu. Nous étions tous étrangement émus, comme si nous savions que
quelque chose d’unique prenait fin, »

Mais cette pitié est aussi humiliante pour Edith qui veut être aimée et non l’objet de pitié. Elle se rebelle, passe par des crises très éprouvantes.

« Je ne veux pas que vous vous croyiez obligé de me servir ma portion quotidienne de pitié, je me fiche pas mal de
votre pitié – une fois pour toutes, je m’en passe »

Zweig analyse tous ces sentiments avec une grande finesse. Merveilleux conteur, il va faire surgir des personnages complexes : le père, le médecin, le colonel. Il décrit aussi l’Empire à la veille de son écroulement avec les nuances des classes sociales et les rapports entre aristocrates et bourgeois : en filigrane, mépris et antisémitisme.

Encore un grand livre!

Fouché – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

J’ai rejoins avec curiosité l’aventure de Les feuilles allemandes alors que je suis bien ignorante de la littérature allemande contemporaine. Comme je ne suis jamais déçue par Stefan Zweig et que son œuvre est inépuisable j’ai choisi la biographie de Fouché après la lecture de celle de Balzac, Magellan, Marie Stuart….Et bien sûr, ce fut un bonheur de lecture! 

Traître né, misérable intrigant, nature de reptile, transfuge professionnel, âme basse de policier, pitoyable
immoraliste, aucune injure ne lui a été épargnée

Fouché a traversé la Révolution, le Directoire, l’Empire, la Restauration toujours au premier plan de l’action politique. Mitrailleur de Lyon, régicide, ministre de la Police de Napoléon, artisan du retour de Louis XVIII. Arriviste, sans scrupule, mais gros travailleur, traître, joueur presque plaisantin selon Zweig. L’analyse psychologique de ce personnage complexe est très bien conduite. Zweig est un maître de la biographie!

Charles Thevenin (1764-1838). « La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ-de-Mars » (1795). Paris, musée Carnavalet.

Leçon d’histoire Zweig nous fait partager tous les épisodes de la Révolution. La visite récente au Musée Carnavalet fournit les illustrations! Une galerie de personnages, de Couthon à Robespierre en passant par Marat et Chalier que je ne connaissais pas, pendant la Terreur.

Une révolution, il le sait, dans son expérience précoce, n’appartient jamais au premier qui la déclenche, mais
toujours au dernier qui la termine, et qui la tire à lui, – comme un butin.

Ami de Barras qu’il trahit au 18 Brumaire. Bonaparte puis Napoléon se méfie de Fouché mais reconnaît la compétence de son ministre de la Police.

Cette puissance de Fouché sur Napoléon, qui était une énigme pour tous les contemporains, ne doit rien à la magie ou à l’hypnotisme. C’est une puissance acquise avec science et assurée par le travail, l’habileté et l’observation systématique.

Le duo Fouché-Talleyrand est décrit avec finesse. Quand Fouché prend trop d’initiatives Napoléon cherche à l’éloigner, le couvre de richesses et d’honneur : Fouché devient Duc d’Otrante.

La Malmaison : Chambre de Joséphine

Fin analyste politique, Fouché se rangera toujours du côté du pouvoir, aussi bien pendant les Cent Jours qu’à la Restauration, négocie un ministère avec Louis XVIII. Quand l’Ancien Régime se trouve restauré, le sang du régicide qui a voté la mort de Louis XVI lui vaudra sa disgrâce et l’exil.

 

Maison de Balzac – La Comédie Humaine par Arroyo

TOURISTE DANS MA VILLE 

Balzac par Arroyo

La Maison de Balzac a été rénovée récemment, je me suis dépêchée d’aller visiter  l’exposition Comédie Humaine par Arroyo qui se termine le 16 Août.

Maison de Balzac

La Maison de Balzac est situé rue 47 Raynouard, à mi-pente sur la colline de Chaillot, à la limite entre les villages d’Auteuil et de Passy. Construite sur une terrasse d’où il y a une belle vue. Un jardin y est installé et un café qui semble très accueillant. Promenade tranquille. Wikipédia raconte que Balzac s’y était installé sous le pseudonyme de Monsieur Breugnol pour fuir ses créanciers et qu’il avait chois cette demeure parce qu’elle disposait de deux entrées (l’autre au 24 de la Rue Berton). J’aime bien ces anecdotes. Balzac occupa cette maison de 1840 à 1847.

la cafetière de Balzac en porcelaine de Limoges

Le musée conserve peu de souvenirs personnels : la cafetière en porcelaine de Limoges,  la canne ornée d’or et de turquoises. Cette canne a inspiré un roman à Emilie de Girardin qui est  disponible gratuitement en lecture électronique et que j’ai téléchargé de retour à la maison. Cette canne aurait  été acquise à la suite du succès d’Eugénie Grandet, ce serait un objet magique conférant l’invisibilité à son porteur. Seul le cabinet de travail est meublé avec son bureau, son fauteuil, une bibliothèque et la  cheminée au manteau sculpté de noyer et tilleul.  

manteau de la cheminée de Balzac noyer et tilleul

En revanche, les images, bustes, têtes de Balzac me fourniront assez d’images pour les futures lectures communes de la Comédie Humaine et aussi de lectures personnelles.

Balzac par David d’Angers

Une salle est entièrement couverte de citations d’écrivains ou critiques : une lettre de Marie d’Agout (1857), des textes de Simenon, Marguerite Duras, Cendrars, Mauriac, Proust,  Henry Miller….

Plaque pour la gravure de Pierrette;

Une autre pièce contient une bien intéressante exposition : les manuscrits, épreuves corrigées et différentes éditions revues par l’auteur de Pierrette. On voit les rajouts dans les marges des épreuves qui augmentaient le texte de moitié. Cette recherche de la perfection exigea 13 épreuves.

Une autre salle est couverte de vitrines présentant les plaques des gravures qui ont servi à illustrer la Comédie Humaine. toutes utilisent la même technique de gravure sur bois et étaient imprimées en même temps que le texte.

la vendetta

2500 personnages apparaissent dans la Comédie Humaine; pas étonnant que je n’en connaisse qu’une toute petite fraction! Les érudits doivent se régaler.

Arroyo Elisabeth Baudoyer

Je découvre Eduardo Arroyo,  plasticien espagnol. Né en 1937 à Madrid, il quitte l’Espagne franquiste en 1958 pour Paris. A la suite d’une exposition à Madrid : les quatre dictateurs, il ne peut plus retourner en Espagne avant la mort de Franco et ne s’y réinstallera qu’en 1977. Les cartels parlent plutôt d’une rêverie-promenade  dans le monde de Balzac et d’Aragon où littérature et peinture se fondent.

 

Arroyo le père Goriot

j’ai surtout été étonnée par la technique des collages que le plasticien a employée. Mosaïque ou marqueterie? Les pièces collées sont des photographie découpées qui forment un puzzle. Le plus souvent du noir et blanc, parfois sépia, plus rarement en couleur. je m’approche, je cjerche l détails qui ne sont pas anodins. le résultat est bluffant.

Balzac et madame Hanska

Il a réuni Balzzac et Madame Hanska pour un collage original (noter que la dame n’est pas madame Hanska mais une élégante anonyme)

Et pour finir un peu d’humour : tout le monde connait Jean Mineur Balzac 0001 des publicités du cinéma

Balzac 0001

Le cabinet des antiques – Honoré de Balzac

L’expression Cabinet des Antiques m’avait suggéré un Cabinet de curiosités et je pensais trouver  le monde des artistes. J’avais confondu avec le Chef d’Oeuvre inconnu. Les Antiques ne sont en rien des marbres ou des objets de l’Antiquité. Les Antiques sont les Ultras, les Nobles émigrés à la Révolution de 1789,  fidèles à la Monarchie et revenus à la Restauration, pensant retrouver leurs domaines, leurs privilèges de l’Ancien Régime. Entre-temps, la noblesse d’Empire,banquiers et hommes d’affaires tentent de conquérir leur place dans la société. 

 

Les exclus avaient donc, en haine de ce petit faubourg Saint-Germain de province, donné le sobriquet de Cabinet
des Antiques au salon du marquis d’Esgrignon….[….]

Il continuait donc alors à trôner dans son salon, si bien nommé le Cabinet des Antiques. Sous la Restauration, ce surnom de douce moquerie s’envenima lorsque les vaincus de 1793 se trouvèrent les vainqueurs.

Il s’agit donc d’une cabale ourdie par du Croisier, méprisé par les Antiques,qui a poussé le jeune Comte D’Esgrignon, à ruiner l’honneur de la famille.

Monsieur Chesnel, le vieux notaire, fidèle à la Maison d’Esgrignon, mettra tout en oeuvre pour sauver le jeune Comte. Il remuera ciel et terre pour que le scandale ne l’éclabousse pas.

Monsieur Chesnel, il s’agit de la France ! il s’agit du pays, il s’agit du peuple, il s’agit d’apprendre à messieurs
vos nobles qu’il y a une justice, des lois, une bourgeoisie, une petite noblesse qui les vaut et qui les tient ! On fourrage pas dix champs de blé pour un lièvre, on ne porte pas le déshonneur dans les familles en séduisant de pauvres filles, on ne doit pas mépriser des gens qui nous valent, on ne se moque pas d’eux pendant dix ans, sans que ces faits ne grossissent, ne produisent des avalanches, et ces avalanches tombent, écrasent, enterrent
messieurs les nobles.

Même si les Antiques sauvent les meubles, le monde a changé et les privilèges ne sont plus ce qu’ils étaient sous l’Ancien Régime :

Mes chers enfants, il n’y a plus de noblesse, il n’y a plus que de l’aristocratie. Le Code civil de Napoléon a tué les
parchemins comme le canon avait déjà tué la féodalité. Vous serez bien plus nobles que vous ne l’êtes quand
vous aurez de l’argent. Epousez qui vous voudrez, Victurnien, vous anoblirez votre femme, voilà le plus solide
des privilèges qui restent à la noblesse française. 

Balzac délivre ici une leçon d’histoire  en plus d’une analyse psychologique comme dans toutes les oeuvres de la Comédie Humaine. Un monde que je découvre toujours avec grand plaisir.