Paléontologie – Une histoire illustrée – David Bainbridge – Delachaux et Niestlé

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

C’est un très joli cadeau que Babélio et Delachaux et Niestlé m’ont offert et je les remercie!

Un très beau livre, dont les illustrations sont remarquables, dessins scientifiques classiques comme on savait le faire autrefois, d’une précision scientifique mais aussi de grande beauté. Rien que pour les images, ce livre va rester en bonne positions sur les rayons de ma bibliothèque! iconographie abondante, bien expliquée, aussi belle qu’étonnante!

Une histoire de la Paléontologie, des origines – citation de Léonard de Vinci en exergue – plus inattendu, un monstre sur un vase grec antique, à nos jours avec les découvertes les plus récentes comme les études menées sur le petit mammouth sibérien découvert en 2007 et même des découvertes encore plus récentes.

Cette histoire n’est pas exhaustive, elle se veut distrayante, avec des chapitres consacrées à des personnalités marquantes, aussi bien des aventuriers chasseurs de fossiles à la Indiana Jones, que des chercheurs universitaires nobélisés comme les Alvarez. Des découvertes marquantes qui mettront des décennies à faire surface, des batailles épiques autour  » guerre des os », des montages spectaculaires et même des fraudes avérées…L’auteur s’est attaché à faire ressortir des personnages originaux. Il n’oublie pas de citer des femmes comme  Mary Anningsou Mary Leaky (dont je ne connaissais que le mari)  ou Jenny Clack. Comment dit-on paléontologue au féminin?

En revanche, Bainbridge, britannique, ignore superbement les scientifiques non anglophones.  Cuvier n’apparaît que dans une légende d’illustration dans le chapitre dédié à Mary Annings, de même Coppens au détour d’une phrase. Buffon et Lamarck ne sont pas cités du tout, Le Pichon (tectonique des Plaques) non plus.

J’avais vraiment besoin de rafraîchir mes connaissances en Géologie et j’ai été ravie des découvertes récentes aussi bien mises en évidence.

A lire, à feuilleter!

L’espion qui aimait les livres – John Le Carré

 

 

Au dernier recensement, les Proctor comptaient deux éminents juges, deux avocats-conseils de la reine, trois
médecins, un rédacteur en chef de grand quotidien national, aucun homme politique (Dieu merci !) et une
palanquée d’espions.

[…]
Comme toutes les familles de ce genre, les Proctor apprenaient dès le berceau que les services secrets constituent le sanctuaire spirituel des classes dirigeantes britanniques.

Roman posthume, John Le Carré nous a quitté le 12 décembre 2020, et L’Espion qui aimait les Livres est sorti en France en septembre 2022. je n’espérais plus lire de livre récent de l’auteur que je suis depuis mon adolescence avec toujours autant de plaisir.

Avec sa classe habituelle Le Carré nous entraîne dans les coulisses des Services secrets de Sa Majesté. Pas de voyage lointain, mais des coups tordus à souhaits. Comment vit un couple d’espions et leurs enfants? partagent-ils les secrets de Sa Majesté ou font-ils téléphone à part? 

« On est des espions, OK ? Maman est une espionne, Papa est un espion et moi je suis leur intermédiaire. »

déclare leur fille .

Comme on se trouve chez des gens très bien élevés on se soumets aux rites  les plus british et les plus raffinés. Des gens très bien élevés qui ont des connaissances littéraires plus pointues que celles du narrateur qui se pique de tenir une libraire. Au passage, une recommandation : Les Anneaux de Saturne de Sebald (que je note pour ma PAL). 

A la marge des mondanités, Proctor est en service commandé : il fait un dossier sur un de leurs agents dont ils doutent de la fiabilité. mais je ne trahirai pas le suspense.

Encore un bon Le Carré! heureusement il m’en reste à lire.

 

les Graciées – Kiran Millwood Hardgrave – Pavillons

FEMMES/NORVEGE

Avignon mars 2022, je viens de terminer le finlandais Un pays de neige et de cendres de Petra Rautianen et je l’ai apporté à Claudialucia qui me confie Les Graciées. Echange de blogueuses….coïncidence, ce dernier livre est aussi un livre de neige et de cendres. Sauf que 4 siècles séparent ces deux romans historiques qui se déroulent en pays sami. Tous deux sont des romans historiques, tous les deux montrent comment les Samis ont subi des discriminations terribles. 

Les Graciées relate la Chasse aux Sorcières que l’Eglise luthérienne a mené en 1617 dans l’île de Vardö, au Finnmark pour asseoir l’autorité royale de Christian IV, roi de Danemark-Norvège. Ce dernier fait appel à Absalom Cornet, originaire des Orcades qui a déjà brûlé des sorcières en Ecosse. 

La veille de Noël, une tempête soudaine chavire et emporte tous les hommes de la petite île de Vardö où il ne reste que deux vieillards et quelques enfants en bas-âge. Les femmes vont devoir se débrouiller seules pour affronter l’hiver arctique  et ne pas mourir de faim. On leur enverra quand même un pasteur, faible et falot quelques mois plus tard.

Dans le Grand Nord, les Samis peuvent se déplacer si la mer est gelée. Ils sont animistes et leurs chamans ont une grande influence sur les norvégiennes démunies. Une veuve, Diinna, sami, fait venir un chaman pour honorer les naufragés que la mer a rendus. Elle a gardé ses coutumes  : elle est bien intégrée au village sauf qu’elle ne fréquente pas l’église. Kirsten, forte personnalité, va former des équipages de femmes pour aller pêcher. la pêche est une activité masculine, mais on ne peut pas mourir de faim! Elle va aussi prendre soin du troupeau de rennes. Les femmes se réunissent pour des travaux d’aiguille, des commérages et s’entraident en l’absence des hommes.

Le roi envoie enfin un Délégué qui assistera le gouverneur de la forteresse. Il arrive avec sa jeune femme Ursula, une citadine qui ne sait rien faire de ses dix doigts. Le délégué ne sera d’aucune aide effective, son rôle est ailleurs : il est missionné pour la chasse aux sorciers samis et cherchera avec l’aide des dévotes à démasquer les sorcières de l’île. Par jalousie, intérêt ou par désœuvrement, les dévotes vont dénoncer la femme sami, puis d’autres.

La fin sera tragique.

La Filière – Philippe Sands

HOLOCAUSTE

Rome, 1949, à l’hôpital San Spirito, décède Otto Wächter, un nazi de haut rang, accusé de meurtres  de masse, adjoint de Hans Frank, Gouverneur général de la Pologne, Gouverneur de Galicie, responsable de la déportation des Juifs de Lemberg. Comment un nazi de si haut rang a-t-il échappé au procès de Nuremberg, aux poursuites des Polonais?

Philippe Sands va mener une enquête minutieuse à la suite de celle du Retour à Lemberg. Au cours de ses recherches précédentes, il a rencontré le fils de Otto Wächter, Horst Wächter qui a conservé les archives familiales, le journal intime de sa mère, Charlotte, des photos de familles ainsi que des enregistrements vocaux que sa mère a fait.

« Horst, doux et ouvert, n’ayant en apparence rien à cacher amis réticent à admettre la responsabilité d’Otto Wächter dans les évènements terribles qui s’étaient produits sur le territoire qu’il avait administré »

Philippe Sands, va étudier ce corpus de documents,  vérifier les pistes, imaginer que certaines lettres sont codées, chercher les témoins ou  les enfants des témoins et va nous livrer pas à pas les résultats de ses recherches. une cinquantaine de pages de notes complète le récit. Il va se voyager en Autriche, en Italie et même aux USA.

La première partie du livre raconte « une histoire d’amour nazie » relatée en détail dans le journal de Charlotte, femme exemplaire, mère de six enfants, skieuse, randonneuse, femme de goût (elle a fait des études d’art), femme du monde qui sait recevoir et sortir à l’Opéra…Otto est beau, élégant, bon skieur, nageur, marcheur. C’est un nazi très bien noté qui a mené sa carrière avec brio même dans les circonstances les plus dures comme l’exécution d’otages polonais ou la liquidation des Juifs de Galicie. Seul bémol, c’est un séducteur mais Charlotte s’en est accommodée. Cette relation par le menu de la vie de couple et de famille de ces deux nazis exemplaires m’ont mise mal à l’aise. Quel besoin ai-je de lire cela? Elle est cependant utile pour l’enquête. Il faut établir les faits, les responsabilités dans les meurtres de masse.

Un autre aspect du livre est la question : comment vivre avec le lourd passé d’un père nazi?  Niklas Frank  a condamné son père ; Horst  Wächter n’a pas la même attitude : il minimise le rôle de son père dans le génocide en  niant la responsabilité directe. Son père n’a tué personne, selon lui, il a aidé des gens. Il espère que la relation de Sands permettra d’exonérer son père des horreurs qui lui sont imputées. Sands confronte les deux fils dans des entretiens publics à Londres. Un film What our Father Dud? A Nazi Legacy est passé au festival de Tribeca.

1945, « notre magnifique Reich est détruit » écrivit Charlotte qui se trouve en Autriche et doit se cacher. Quand elle doit loger des Américains dans les montagnes près du lac de Zell,  elle affirme « Bien sûr j’ai été une nazie heureuse » à leur plus grand étonnement. Pour Otto, accusé de meurtre de masse,  c’est la fuite. Otto se cache dans les montagnes proche du lac de Zell, puis passe en Italie. Ses vacances à la montagne, randonnées et ski vont lui permettre de survivre dans des conditions extrêmes.

1948, Otto passe en Italie, à Bolzano. Il a vécu à Trieste dans son enfance (alors autrichienne). En 1944, il a représenté les nazis auprès de la République de Salo. Il a déjà une bonne expérience de la clandestinité après le putsch de 1934 contre Dolfuss, il a échappé aux poursuites en se cachant sous une autre identité en Allemagne. Et surtout,  une Filière ayant pour but de soustraire les anciens nazis aux poursuites judiciaires passe par Rome et le Vatican. Suivant cette Filière ils sont exfiltrés en Amérique du Sud, accueillis par Péron, entre autres, ou en Syrie. C’est l’enquête sur cette Filière qui donne le titre au livre.

La lecture est haletante avec de nombreux rebondissements : un véritable thriller d’espionnage comme les écrivait John Le Carré. D’ailleurs, Le Carré n’est pas très loin, non seulement c’est un ami et un voisin de Sands, mais il était lui-même espion à cette période. Il apparait brièvement dans le livre. Il est question de la responsabilité du Vatican, de Pie XII, et d’ecclésiastiques de haut rang qui ont gardé une influence pronazie après la chute de Hitler. Il est aussi question du rôle trouble des services secrets américains qui ont recruté d’anciens nazis pendant la Guerre Froide. Agents doubles aussi travaillant pour les Soviétiques.

Sands essaie de démêler la question très trouble du décès de Wächter : a-t-il été empoisonné? Et si oui, par qui? les Américains, les Russes ou les chasseurs de nazis juifs? L’enquête devient rocambolesque et pourtant toujours aussi étayée par des preuves irréfutables. La fin du livre devient addictive, je ne le lâche plus avant de lire le mot de la fin  (bien sûr je ne vous révèlerai rien).

J’ai cependant préféré Retour à Lemberg à cause des notions de Droit International introduites au Procès de Nuremberg où j’ai appris beaucoup de choses.

 

L’Apiculteur d’Alep – Christy Lefteri – Seuil

LA ROUTE DE L’EXIL

Donner un nom, une histoire, à ceux qui traversent la Turquie, la Grèce, aux demandeurs d’exil.

Afra et Nuri Ibrahim, syriens,  sont arrivés dans une petite ville côtière d’Angleterre et demandent l’exil. Nuri était apiculteur et Afra peintre. Ils ont quitté Alep quand leur fils Sami est mort dans une explosion. Afra a perdu la vue.

Le livre raconte leur histoire heureuse en Syrie avant le désastre. Il raconte aussi leur Odyssée à travers l’Europe, la passage sur un canot avec un petit garçon Mohamed qui disparait mystérieusement. Passage dans un camp sur une île grecque, puis longue attente à Athènes. Comment se reconstruire de ces traumatismes?

Coïncidence? Après les Abeilles grises de Kourkov, c’est le deuxième livre que je lis cette année associant abeilles et guerre. Est-ce la parfaite société des abeilles qui est comparée à la barbarie des hommes? où est-ce la conscience de la fragilité des abeilles, et des hommes dans ces tragédies de Syrie et d’Ukraine?

J’ai lu L’Apiculteur d’Alep avec beaucoup d’empathie pour ces personnages. Mais il manque un quelque chose pour faire de cette histoire exemplaire un grand livre. La perte d’un enfant est une tragédie indicible et la traversée de l’Europe par Afra aveugle et presque mutique est difficile à imaginer. Je n’ai ressenti que le désespoir et pas l’histoire d’amour fou promis par la banderole!

 

Un long si long après-midi – Inga Vesper – Ed La Martinière

POLAR FEMINISTE, ANTIRACISTE

« Hier, j’ai embrassé mon mari pour la dernière fois.  Il ne le sait pas, bien sûr. Pas encore »

Ainsi commence le roman,  Joyce, disparaît et laisse dans sa cuisine une inquiétante flaque de sang et un pyjama de bébé. Ses deux filles attendent son retour. 

La police appelée sur place, arrête Ruby, la femme de ménage. Seule raison : elle est noire.

Toutes les femmes du quartier se mobilisent pour retrouver Joyce. Quartier cossu, pavillons de rêve, avec piscine et jardin, une pelouse bien entretenue, des géraniums en pot, une cuisine modèle, deux jolies petites filles, un gentil mari : le rêve américain!

Joyce a disparu, rien ne laisse supposer qu’elle est morte. Au contraire, on pense plutôt qu’elle quitte le domicile conjugal pour son amant, ou pour sa vocation de peintre, pour respirer tout simplement.

Le sang est un indice dérangeant. L’inspecteur chargé de l’enquête, Mick soupçonne un avortement qui aurait mal tourné. Justement, Joyce a consulté un médecin dans la matinée. Ces ménagères comblées par le rêve californien sont, pour beaucoup, sous anti-dépresseurs…

L’enquête  conduit Mick dans une réunion de club féminin:  leçons de peinture, d’économie domestique, réunions amicales. L’enquêteur découvre un monde qu’il ne soupçonnait pas, même si sa femme fréquente aussi un club analogue. De lourds secrets se cachent sous le bonheur affiché.

Mick a fait libérer Ruby : aucune charge ne pesant sur elle. Il aimerait l’interroger, mais la jeune femme est méfiante. Elle n’attend rien d’un policier blanc, que des ennuis. Elle n’est donc pas très coopérative. Quoique…la récompense que la police fait miroiter ferait bien son affaire ; elle économise pour entrer à l’université. Mais ce n’est pas la seule raison qui motive Ruby. Elle veut savoir ce qui est arrivé à Joyce. Etrangement les deux femmes étaient  proches, elles s’étaient confiées des blessures intimes.

Après la disparition de sa femme, Frank, le mari est incapable de gérer les tâches ménagères et de s’occuper de ses filles : il fait appel à Ruby. Elle est donc sur place pour chercher des indices, écouter Barbara jouer avec ses poupées, sûrement la gamine a vu ou entendu quelque chose.

Qui de Mick ou de Ruby trouvera la clé du mystère?

Je ne vais pas vous livrer plus d’éléments. Lisez-le livre!

Lecture agréable, avec ce qu’il faut de rebondissements pour vous captiver.

C’est aussi une lecture intéressante qui fait revivre la fin des années 50, ces années où la prospérité des banlieues résidentielle cachait la pauvreté des quartiers noirs, où le rêve américain était pour les femmes limité à la frustration du rôle d’épouse et de mère. Temps révolus ? Pas si sûr, quand on voit que le racisme de la police a encore récemment tué, que le droit à l’avortement est remis en question dans certains états américains et que la crise des opiacées fait encore des ravages.

 

 

Le Typographe de Whitechapel – Rosie Pinhas Delpuech – Actes Sud

LIRE POUR ISRAEL

« Il s’appelle Yossef Hayim Brenner. Il est né en 1881 à Novy Mlini, à la frontière entre la Russie et la Biélorussie.
Il est avec H. N. Bialik et S. Y. Agnon l’un des trois grands écrivains fondateurs de l’hébreu contemporain, et sans doute le plus audacieux. Sa vie est brève, il meurt assassiné lors d’émeutes arabes à Jaffa en 1921. »

Rosie Pinhas Delpuech raconte la vie de Brenner mais cette biographie, trame du livre, est entrelacée par une réflexion sur la langue hébraïque. L’auteure, traductrice de l’hébreu, s’implique personnellement dans la narration ;  elle  nous fait entendre l’hébreu actuel, le Brouhaha d’un autobus déchiffrant les accents, les langues qui se mêlent. 

« Dans mon métier – je suis transporteuse de langues –, les vacances sont rares, nous mettons longtemps à
transporter notre cargaison de mots d’une rive à une autre,

[…]
Pourquoi cette langue, l’hébreu, pourquoi ça ne me lâche pas, pourquoi ce livre sur un écrivain que je ne parviens même pas à lire, ni à traduire, mais autour duquel je tourne depuis des années ? »

Avant d’être la langue de la vie de tous les jours en Israël, l’hébreu était la langue de la religion et le retour à la Bible est une évidence. Les références anciennes, au personnage de Moïse, le bègue traversent le récit.

L’auteure situe le personnage de Brenner dans son contexte, écrivain juif russe, exilé à Londres arrivant à Whitechapel. Brenner écrit en hébreu, ce n’est pas une évidence à l’époque, le yiddish est beaucoup plus pratiqué alors, en hébreu manquent encore des vocables de la vie quotidienne, cependant. D’autres alternatives existent comme l’Espéranto  ou lz langue du pays de résidence, allemand, russe, anglais….

« Comme si, à l’orée du XXe siècle, le peuple juif laborieux, ouvrier, se découvrait non seulement sans terre et sans
abri, mais dans une détresse linguistique semblable à une détresse respiratoire. »

Whitechapel est le quartier des pauvres. Brenner s’installe en même temps que Jack London. De quelques semaines d’expérience, London rapporte Le Peuple de l’Abîme.  Brenner s’installera le 2 avril 1904 parmi les juifs démunis travaillant dans les sweatshops pour des salaires dérisoires provoquant le rejet et l’antisémitisme des ouvriers locaux qui voient en eux des immigrés gâchant les conditions de travail.

 

Même si les conditions de vie sont misérables, des journaux circulent parmi les juifs. Dès 1976, Aaron Liberman fonde avec dix ouvriers dont quatre imprimeurs l’Union des Socialistes hébraïques, en 1884 un journal rédigé en yiddish est destiné au public ouvrier; en 1885, paraît  l’Arbeter Fraynt de tendance anarchiste et yiddishisant . On croise un personnage singulier Rudolf Rocker, catholique allemand qui épouse le destin des anarchistes juifs et devient directeur de l‘Arbeter Fraynt. Brenner s’installe au dessus du local de l’imprimeur Narodiski et apprend le métier de typographe. Brenner raconte ce monde des petits journaux dans son roman Dans la détresse . Il crée une revue littéraire en hébreu qui a des abonnés en Europe et en Amérique. Malgré l’aspect artisanal de sa fabrication Brenner est célèbre. Lorsque Freud est de passage à Londres, ils se donnent rendez-vous devant les dessins de Rembrandt. Et encore, en filigrane, apparaît le personnage de Moïse

Rembrandt : le festin de Balthazar

« Dieu écrit directement avec son doigt, comme un artisan, et rien ne m’intrigue autant depuis mon enfance que ce doigt de Dieu qui montre une direction, qui écrit. Rembrandt le peint dans Le Festin de Balthazar, »

J’ai adoré cet entrelac d’histoire et d’exégèse de la Bible alors que justement la renaissance de l’Hébreu se veut laïque

Faire renaître un hébreu simple, encore gauche, détaché de son contexte religieux, ancré dans la réalité prosaïque
de l’humain. La langue, toute langue, ne peut qu’être humaine, ramassée dans la poussière et la sueur de la rue. 

Brenner quitte Londres en 1908, passe à Lemberg une année, hésite entre Ellis Island et la Palestine. Il accoste en février 1909 à Haïfa. 

Commence alors une nouvelle histoire, celle de la Seconde Aliya, celle des coopératives  agricoles, des communautés ouvrières. L’hébreu est alors la langue quotidienne, de Hedera au Lac de Tibériade, il n’existe pas toujours de mots pour désigner les choses. l’hébreu est façonné par des eshkenazes, L’écrivaine note

Il faudra aussi l’éclatement de l’utopie cinq ans plus tard, en 1967, pour que l’espace se fissure et que par
l’interstice s’engouffre l’arabe palestinien

Cette irruption de l’arabe remet en circulation l’ « l’arabe honteux des juifs orientaux » La traductrice ne se lasse pas d’interroger l’évolution de la langue, et j’apprécie ses digressions 

Brenner aboutit dans une cité-jardin Ein Ganim et vit dans une communauté laïque

Il se lie d’amitié avec deux grandes figures fondatrices du sionisme socialiste : A. D. Gordon et Berl Katznelson.

Elle note que sur le sionisme ils sont lucides

Herzl s’est trompé, ce n’est pas une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Il y a des habitants, ici, les Arabes, ils tiennent à cet endroit. 

Le 1er mai 1921, les ouvriers juifs défilent avec des drapeaux rouges, la population arabe réagit, c’est une journée sanglante

Brenner succombera, victime des journées d’émeutes.

Merci à Aifelle de m’avoir signalé ce livre qui traite de trois sujets que je poursuis : l’histoire du peuple juif, l’hébreu et le rapport de la traductrice à la langue.

Personnellement, j’aurais mis 5* sur Babélio mais peut être suis-je trop subjective!

 

 

 

 

 

 

Notre agent à La Havane – Graham Greene

LITTERATURE ET ESPIONNAGE

Dans le bleu, France culture dans les écouteurs….

La série des podcasts de France Culture commencée avec Le Carré, se poursuit logiquement avec Graham Greene qui servit également dans les Renseignements de Sa Majesté et qui se servit de son expérience d’espionnage pour écrire des romans d’espionnage. 

Plutôt que du côté des thrillers, l’auteur lorgne vers la comédie. Humour réjouissant, très british, comme il se doit. Dérision totale des services secrets qui recrutent un marchand d’aspirateurs bien tranquille pour bâtir un réseau dans le Cuba troublé de 1958, juste avant la Révolution Castriste. Le héros se laisse enrôler non pas par patriotisme, ni par goût de l’aventure (il est très plan-plan) mais parce que sa fille adorée a engagé des dépenses inconsidérées et que cela lui semble un bon moyen de renflouer ses caisses. 

Et cet homme bien tranquille, boutiquier sans histoire, plutôt routinier développe une créativité et une imagination incroyable! Ses supérieurs de Londres lui envoient des aides : une secrétaire et un opérateur radio. Comment va-t-il  s’en sortir? De façon très réjouissante, ma foi. Le rythme de l’action s’accélère, fusillades, attentats, accidents se succèdent….

Graham Greene a situé l’action dans le contexte particulier de la corruption du régime et des violences castriste dans les provinces. Contrairement à Le Carré, il ne propose pas de vision géopolitique mondiale ni régionale et ne contextualise pas l’action dans la Guerre Froide. Il tourne en dérision des services secrets bureaucratiques où l’efficacité est le cadet des soucis des grands pontes.

« Il me semblait que les Affaires étrangères autant que les services de renseignements avaient amplement mérité
d’être un peu ridiculisés. »

Chacun place ses pions comme à ce jeu de dames où le héros joue avec le capitaine Segura, policier cubain : 

 » Il y a dans tous les jeux des pions sans importance, dit le capitaine Segura. Comme celui-ci. Je le prends, et il vous
est indifférent de le perdre. Et n’oubliez pas que le docteur Hasselbacher réussit admirablement les mots croisés. »

Obispo

Loin de l’analyse politique, dans cette période troublée l’auteur utilise Cuba comme décor exotique avec ses boites de nuit, ses rues pittoresques d’Obispo ou les villas luxueuses du Vedado ainsi que ses coutumes amusantes comme la numérologie appliquée au loto:

« -j’ai besoin de votre aide. j’ai été piqué par une guêpe, ce matin.

-C’est vous qui êtes médecin, pas moi.

-Aucun rapport Une heure après, en allant voir un malade, de l’autre côté de l’aéroport, j’ai écrasé un poulet.
— Je ne comprends toujours pas. — Mr Wormold, Mr Wormold, vos pensées sont loin d’ici. Redescendez sur terre. Il faut que nous trouvions, immédiatement, un billet de loterie, avant le tirage. Vingt-sept, c’est une guêpe, trente-sept un poulet.

[…] Comme Milly, le docteur Hasselbacher avait la foi. Il vivait sous la loi des nombres, comme Milly obéissait aux
saints.

[…] la loterie est un commerce sérieux que n’ont pas corrompu les touristes. Une fois par semaine, les numéros sont
distribués par un service du gouvernement, et chaque homme politique reçoit un nombre de billets correspondant
à l’importance de son appui. »

Je me suis bien amusée avec ce livre distrayant!

 

Mr Ashenden agent secret – Somerset Maugham

LITTERATURE ET ESPIONNAGE

Dans le bleu, France culture dans les écouteurs

Toujours les podcasts de France Culture, « Grande Traversée : John Le Carré affinités » ; dans la série d’émissions, sont évoqués d’autres écrivains britanniques : Graham Greene et  Somerset Maugham  et particulièrement Mr Ashenden agent secret.

« Espion du gouvernement de Sa Majesté, Ashenden n’en restait pas moins un humoriste et soupira de voir qu’il
manquait son effet.« 

Recueil de nouvelles (8) ayant pour personnage principal Ashenden, écrivain jouissant d’une certaine notoriété et agent secret au service des Renseignements britanniques. 7 de ces nouvelles se déroulent pendant la Première Guerre Mondiale, le plus souvent Ashenden est basé à Genève qui se déplace entre la France en guerre et la Suisse neutre. La septième se déroule en Novembre 1917 dans le Transsibérien et à Petrograd. La dernière, dans un Sanatorium après la Guerre, est différente des premières qui pourraient former un roman cohérent. 

« Ashenden se dit que c’était l’erreur commise très souvent par l’humoriste amateur, par opposition au professionnel. Lorsqu’il fait une plaisanterie, il insiste lourdement. Les relations du plaisantin avec sa plaisanterie devraient être aussi rapides et fantaisistes que celles de l’abeille avec sa fleur. Il devrait faire sa plaisanterie et passer à autre chose. Il n’y a bien sûr aucun mal si, comme l’abeille qui approche de la fleur, il
bourdonne un peu. »

J’ai lu avec beaucoup de plaisir, le sourire aux lèvres, ce livre à l’humour très british. Ashenden,  comme Somerset Maugham régale le lecteur de finesse, d’ironie et d’observations très précises sur ce monde désuet, quelque peu snob, où le savoir-vivre est cultivé comme un art. A côté des diplomates, des militaires un peu attendus, une galerie de personnages plus flous gravitent.

« Comme la vie serait plus simple si les gens étaient tout blancs ou tout noirs et comme notre conduite à leur égard
en serait facilitée ! Caypor était-il un bon attiré par le mal ou un méchant attiré par le bien ? »

Ashenden, espion ou romancier, analyse ces caractères  sans jugement à l’emporte-pièce. Sociable, il est plutôt bien disposé vis-à-vis de son prochain. Il sait voir le bon côté des humains et même si ses supérieurs des Services Secrets ont décidé d’éliminer un traître ou un agent double, il suit sa mission avec le plus possible de bienveillance.

« Harrington était un raseur. Il exaspérait Ashenden et le faisait sortir de ses gonds. Il lui tapait sur les nerfs et le
mettait dans des rages folles. Mais Ashenden ne le détestait pas. »

 

 

Le tunnel aux pigeons – John Le Carré

ESPIONNAGE ET LITTERATURE, SOUVENIRS D’UN ECRIVAIN

Dans le bleu, France culture dans les écouteurs….

« Le présent ouvrage rassemble des anecdotes vraies racontées de mémoire. Mais que sont donc la vérité et la mémoire pour un romancier qui atteint ce que nous appellerons pudiquement le soir de sa vie ? me demanderez-vous à juste titre. Pour l’avocat, la vérité, ce sont les faits bruts – quant à savoir si les faits peuvent jamais se trouver à l’état brut, c’est une autre histoire. pour le romancier, les fait sont une matière première, un instrument plutôt qu’une contrainte, et son métier est de faire chanter cet instrument. La vérité vraie, pour autant qu’elle existe, se situe non pas dans les faits mais dans la nuance. « 

A défaut de voyages lointains, je parcours mes itinéraires de proximité en m’évadant par les podcasts de France Culture. Philippe Sands parle de John Le Carré qui fut son voisin . Le Carré est une vieille connaissance.  

Je lis régulièrement les romans de Le Carré depuis L’Homme qui venait du Froid  lu chez des amis à Glyfada à 17 ans jusqu’au Retour de Service (2019). J’ai dévoré ces thrillers et j’ai commencé à en apprécier le style quand je suis passée à la Version Originale. Pensant qu’un roman d’espionnage serait facile à lire, je me suis retrouvée avec le lourd Harraps sur les genoux presque en permanence en raison de la richesse du vocabulaire technique et de la variété des styles selon le sujet abordé. Sa traductrice interviewée lors de l’émission suivante de la série consacrée à Le Carré, explique aussi que la fascination que la langue allemande exerce sur lui,  explique peut-être la complexité des phrases de l’auteur, alors que l’Anglais privilégie plutôt des phrases courtes. 

L’écoute de ces podcasts m’a incitée à acheter le Tunnel aux Pigeons qui rassemble une collection de souvenirs. Ces mémoires d’un écrivain racontent  par courts chapitres comment  il a écrit ses livres (et les films tirés de ses œuvres) . Il livre assez peu d’anecdotes concernant sa vie familiale (sauf ce qui concerne son père, un vrai personnage de roman) rien de son passé d’espion (cela se comprend). Il construit ses romans en se documentant précisément et raconte tous ses voyages préparatoires  : lieux mais surtout rencontre de personnalités qui l’inspirent. Comme ses intrigues s’articulent  dans la géopolitique et que sa notoriété lui ouvre de nombreuses portes, il a l’occasion de danser avec Arafat, de dîner avec Margaret Thatcher, Alec Guinness ou Robert Burton, et même le président Italien Cossiga. 

Chaque rencontre est mise en scène de manière spirituelle.  On découvre une galerie de portraits  pittoresques. L’histoire de la seconde partie du XXème siècle se déroule , de la construction du Mur de Berlin à l’exil d’Arafat à Tunis, Glastnost et  Tchetchénie, Le Carré égrène ses souvenirs pour le grand plaisir du lecteur. Je me régale de cette évocation historique. Il y a juste quelques longueurs pour qui n’est pas britannique quand il s’attarde sur ses anciens collègues du MI5 ou MI6 ou sur des personnalités anglaises, mais cela ne concerne que quelques pages, le reste est vraiment très amusant.

« Mais ce qui m’importait encore plus, je le soupçonne même si je ne me l’avouais pas alors, était mon amour-propre* d’écrivain. Je voulais que mes romans soient lus non pas comme les révélations camouflées d’un transfuge littéraire, mais comme des œuvres d’imagination qui devaient très peu à la réalité dont elles s’inspiraient. »

Un autre aspect du Tunnel des pigeons est la construction d’un roman, la réflexion sur l’écriture. Un personnage de roman s’impose à l’auteur, il veut le voir s’incarner, rencontre dans monde réel son équivalent, Le Carré étudie sa manière de s’habiller, de parler, ses expressions. Le Carré peut parcourir le monde entier pour le voir évoluer, saisir sa psychologie. C’est fascinant. Comme l’espionnage est un monde de manipulation, l’écriture est aussi une manipulation de la vérité. 

L’écrivain rend compte de la complexité du monde sans manichéisme ni jugement de valeur. Il démonte les rouages des acteurs du pouvoir, politiques, militaires, grands firmes pharmaceutiques ou magnats de Presse comme Murdoch ou Maxwell…