Bel Abîme – Yamen Manai – Elyzad

TUNISIE

 

Incipit :

« Maître Bakouche? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme l’ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. Vous pouvez vous brosser, je ne le dirai pas, je ne suis pas votre chien. Monsieur, c’est tout ce que je vous dois, et encore, parce que je ne vous connais pas… »

Un adolescent de 15 ans attend son procès, c’est ainsi qu’il accueille l’avocat commis d’office. il ne recevra pas mieux la visite du psychiatre. Son affaire se présente mal. Il a tiré sur son père, sur le Maire, le ministre de l’Environnement et ne regrette pas son geste.

« Est-ce que je suis conscient que de tels actes, doublés de tels propos  condamnent mon avenir? C’est une bonne blague, monsieur Bakouche, et si j’avais pas mal partout, je rirais de bon coeur. »

Parce que le jeune a la rage.

Est-il salafiste? Sûrement pas . Terroriste encore moins. Ce serait plutôt un  intellectuel, un grand lecteur – pour son âge.

« j’ai remarqué que personne ne vous cherche de noises quand vous avez le nez dans un livre. Ce n’était pas
comme si vous deveniez invisible, mais votre visibilité devient d’une autre nature. Elle surprend, elle interloque. Les livres, pour beaucoup, c’est un truc qu’ils ne comprennent pas et qu’ils essayent de bien éviter comme des allergiques. Plus le livre est épais, plus vous faites fuir les gens autour de vous. »

Un violent? Avant son geste, pas vraiment. Il a vécu dans un monde cruel et violent. Sa description de la Tunisie d’après la révolution de 2011 est sans concession

« J’avais le sentiment qu’on était tous dans la cale d’un même bateau, secoués par la tempête, à se vomir les uns sur les autres, parce qu’il n’y avait là-haut aucun capitaine capable de nous mener à bon port.[…..]
Et même les enfants n’étaient pas le terminus de la cruauté. Ils réussissaient à trouver plus faible qu’eux pour déverser ce qui les dévastait. Enfants plus petits, animaux, insectes. »

Il a vécu sans affection, ni de son père qui préfère sa voiture à sa famille, ni de sa mère incapable de le protéger.

Il trouve Bella et lui voue tous son amour, pour Bella il est capable de muscler son corps, de se dévouer, il sera capable de tirer. Une passion qui l’entraînera jusque dans cette prison. C’est donc le livre de cette passion inconditionnelle. Et c’est un beau texte!

«  tu l’aimes ce chien ? Plus que les gens. Prends-en soin alors, Allah aime ceux qui prennent soin de Ses créatures.
Passez donc voir mes darons, et les autres darons du quartier, et même les profs. Dites-leur ça. Rappelez-leur que les enfants aussi sont des créatures d’Allah. »

L’Amas Ardent – Yamen Manai – Elyzad

TUNISIE

Dans les situations de guerre comme pour Les Abeilles Grises ou l’Apiculteur d’Alep ou de crise la figure de l’apiculteur apaise, équilibre et offre un contraste avec la folie destructrice des hommes.

L’Amas Ardent se déroule dans un village perdu de Tunisie dans l’effervescence de la campagne électorale qui a suivi la révolution tunisienne. Le village de Nawa vit en dehors de toute agitation politicienne : ses habitants sont très pauvres, pour la plupart, illettrés, et la plus grande ville proche s’appelle Walou! 

Les Nawis ont à peine entendu parler de la destitution de Ben Ali surnommé Le Beau mais ils sont sollicités par les factions pour les élections. Une première caravane électorale leur laissera un bureau de vote préfabriqué et un paquet de tracts dont personne ne comprendra l’usage. Les islamistes qui viendront avec des cartons entiers de vivres, couvertures et vêtements seront bien plus convaincants, avec des prêches enflammés ils embarqueront les plus naïfs dans leur djihad.

Le Don, l’apiculteur, a d’autres soucis : ses abeilles sont décimées par un ennemi nouveau qu’il va traquer. Il connaît les barbus, il a travaillé autrefois en Arabie Saoudite et ne se laisse pas influencer.

L’Amas Ardent traite donc de ce double sujet : l’arrivée des islamistes au pouvoir en Tunisie et l’arrivée des frelons asiatiques (peut être apportés malencontreusement par les premiers). Certaines abeilles ont adopté une stratégie pour se défendre : celle de l‘Amas ardent les villageois trouveront ils la leur ? 

Ce court roman 220 pages se lit très facilement, c’est une lecture agréable. Au début, j’ai  un peu tiqué devant des jeux de mots faciles puis je me suis laissé prendre. 

Juifs d’Orient – une histoire plurimillénaire à l’Institut du Monde Arabe

Exposition temporaire jusqu’au 13 mars 2022

L‘IMA poursuit avec Les Juifs d’Orient la série : Hajj pèlerinage à la Mecque et Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire avec la même ambition et la même approche chronologique dans un Orient qui s’étend de l’Atlantique à la Perse et à l’Arabie. Coexistence millénaire des Juifs et des Musulmans .

brique funéraire – Espagne IV -VI ème siècle

La chronologie remonte à la destruction du premier temple (586 av JC) et l’exil à Babylone, puis à la destruction du second temple (70)et l’interdiction  aux Juifs de vivre à Jérusalem qui devient Aelia Capitolina (130)

Des papyrus trouvés dans l’Île Eléphantine sont datés 449 – 427 – 402 av JC

Des objets illustrent l’époque romaine : lampes portant la ménorah en décor,(Egypte, Tunisie, Maroc) des ossuaires de marbre, mosaïques de la synagogue de Hammam Lif (Tunisie)  avec des inscriptions en latin. magnifique vase de Cana en albâtre.

Doura Europos traversée de la Mer rouge

La synagogue de Doura Europos (Syrie 244 -245) fut entièrement peinte à fresques sur des thèmes bibliques. On entre dans une petite salle où les photographies des fresques ont un aspect saisissant. On s’y croirait. C’est une surprise totale. Je n’imaginais pas de telles peintures figuratives. 

Doura Europos scène du Livre d’Esther

Un dessin animé montre la rencontre du prophète Mohamet avec les tribus juives de Médine qui se soldera mal.

En parallèle une peinture de J Atlan  rappelle la figure de la Kahena (reine berbère, peut être juive qui mourut en 703 dans les Aurès combattant les invasions arabes;

Dans une petite salle un documentaire nous montre la Gueniza du Caire et les  autographes de Maïmonide. C’est très émouvant de voir ces documents : en plus des écrits religieux on découvre même la punition d’un écolier qui a fait des lignes, répétant 500 fois que « le silence est d’or » on imagine le garçonnet turbulent! Dans une vitrine sont exposés des manuscrits et même celui de la main de Maïmonide (la photo était floue à travers le verre) .

Une salle reproduit la synagogue de Tolède je remarque le sceau personnel de Todros Halevi fils de Don Samuel halevi Aboulafia de Tolède. 

Souvenir de pèlerinage à Jérusalem (affiche)

Le Temps des Séfarades raconte la vie des Juifs à Istanbul avec des photos anciennes et d’amusants souvenirs de pèlerinages à Jérusalem

Istanbul, les trois religions

Le temps de l’Europe avec un grand tableau de Crémieux, des photos de classe de l’Alliance Israélite évoque l’Algérie et la colonisation française. En face des dessins et aquarelles de Delacroix, Chasseriau montre l’intérêt pour l’orientalisme. 

tikim pour la Torah

La vie des communautés juives au tournant du XXème siècle 

montre des objets venant du Maroc (vêtements, bijoux, objets)

bijouxMaroc

 

bijoux et photos du Yémen . Un film m’a étonnée : un pèlerinage  à la Ghriba de Djerba, ces Juifs semblent sortis de la haute Antiquité alors qu’il a été filmé en 1952. La Ghriba était bien vide lors de nos passages il y a 3 ans. 

Ctouba : contrat de mariage

Dans une salle, des photos de familles marocaines, algériennes et tunisiennes montrent l’exil vers la France ou le départ en Israël. Un monde disparu.

La fin de l’exposition montre la création de l’Etat hébreu et ses conséquences : départ des juifs marocains (Aliya spirituelle pour ces populations très religieuses, mais aussi émigration économique de villageois très pauvres), l’arrivée des Juifs Irakiens, accueillis au DDT alors qu’ils avaient revêtu leurs plus beaux habits. Déchirements de ces Irakiens établis depuis l’Exil à Babylone bien avant l’arrivée des Arabes.

Une vidéo très joyeuse de Yemennight 2020, Talia Collis jeunes yéménites rappeuses préparant la mariée avec le maquillage au henné, danses et musique aux paroles ironiques sur le pays où coule le miel, le lait, les dattes….j’aimerais retrouver sur Internet cette vidéo.

Cette exposition est très ambitieuse, peut être trop. Très riche en documents, peut être trop. Qui trop embrasse, mal étreint. Je me suis sentie un peu perdue dans tous ces témoignages très touchants mais pas toujours bien mis en évidence. Il y avait matière à plusieurs expositions.

 

 

De l’autre côté des Croisades – L’Islam entre Croisés et Mongols – Gabriel Martinez-Gros

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

L’Islam entre Croisés et Mongols XIème – XIIIème siècle

Attention! Livre d’Histoire savante destiné à des initiés qui maîtrisent histoire et géographie sur le monde d’Islam, de l’Atlantique (Maroc et Espagne) jusqu’à la Chine d’où viennent les Mongols, en passant par les steppes d’Asie Centrale, Afghanistan et Transoxiane, Perse et Mésopotamie. J’ai interrompu ma lecture à nombreuses reprises  pour saisir mon ami smartphone et GoogleMaps pour situer les villes Merv, Tus, Nichapour… Coquetteries de l’auteur qui utilise les vocables d’Ifrikiya (Tunisie) ou Jéziré (Mésopotamie) que je connaissais déjà.  De même quand il assimile les envahisseurs nomades aux Bédouins. Bédouins les Almoravides ou Almohades qui conquièrent l’Andalousie, cela me paraît naturel, comme les Berbères au Maghreb… Bédouins, les hordes des Turcs et Mongols, c’est déjà plus étonnant, encore plus quand les Chevaliers Francs entrent dans cette catégorie. 

L’auteur nous rend accessible les textes de trois historiens arabes médiévaux : Ibn Khaldoun (1332 -1406), Ibn Al-Athir (1160 – 1233) et Maqrizi (1364- 1442) qu’il fait dialoguer avec Machiavel (1469 -1527). Chacun de ces chroniqueurs va raconter à sa manière l’histoire de la région. 

shawbak

Même si ma lecture fut laborieuse et lente ce fut un réel plaisir d’entrer dans ces chroniques pratiquement sans filtre ni anachronisme. L’universitaire contemporain s’efface pour nous présenter les textes, intervenant fort peu pour nous laisser la saveur orientale et l’authenticité médiévale. Il cite les textes racontant les massacres mongols, les dialogues entre les différents chefs de guerre hésitant entre telle ou telle alliance (Ibn Al-Athir) .

Comme les historiens médiévaux, il enregistre toutes les dynasties, les changements d’alliances, de capitales. Là, je me perds un peu. Un ouvrage de vulgarisation aurait simplifié, mis l’accent sur tel ou tel chef de guerre en laissant de côté les intrigues secondaires. Mais De l’autre Côté des croisades n’est pas une vulgarisation, c’est un ouvrage universitaire suivi d’un corpus de notes (70 pages) avec index, bibliographie, repères chronologiques etc… Rien que pour cette somme de notes, il est à ranger à côté des encyclopédies et des dictionnaires. Pour qui voudrait une histoire plus accessible Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf donnent un récit vivant que j’avais beaucoup apprécié .  Le récit de la conquête du pouvoir par Baybars (1277 -1223) dans Hakawati de Alameddine sur le mode d’un conte oriental m’a aussi beaucoup appris. 

le Caire Bab zoueila (1090)

Chronique de la succession des dynasties, des migrations des capitales, c’est aussi une réflexion plus générale sur la conquête du pouvoir, de la succession dynastique, et du renversement par un conquérant plus agressif. Ibn Khaldoun oppose le centre sédentaire qui perçoit l’impôt, s’enrichit, s’amollit tandis que les bédouins en périphérie, guerriers, s’enrichissant de razzias et prédations vont à la conquête du centre, s’associant à un chef charismatique ‘asabiya, puis se sédentarisant, s’amollissent. D’après Ibn Khaldoun, la durée moyenne d’une dynastie serait d’une « vie »(120 ans). J’ai eu du mal à cerner cette notion d‘asabiyaUn autre concept est resté flou malgré mes efforts : le « dépotoir d’empire » situé en marge des capitales Bagdad, Mossoul, Damas ou Le Caire. 

p.73 : « L’ironie de l’histoire a voulu que l’Anatolie soit aujourd’hui devenu la « Turquie », expression politique majeure du monde turc et surtout que Constantinople ait remplacé Bagdad et Le Caire… »

Ibn Al-Athir va moins généraliser et montre les choix et les stratégies individuelles : alliances ou appel au Jihad

p157 : « s’éloigner de plus puissant que soi et ne céder aux instances et aux raisons de la religion sont de véritables structures de l’Histoire selon Ibn Al-Athir. Il en existe d’autre comme le balancement d’Orient en Occident »

Une autre stratégie serait le maintient d’un glacis favorisant un voisin peu dangereux pour se protéger des incursions bédouines. 

Ajloun : château de Saladin pont levis et barbacane

Et les Croisades? Evènements majeurs de la géopolitique de l’époque et de la région, mais moins redoutées que l’intervention des Mongols. L’auteur les présente comme la reconquête de l’empire romain, les resituant dans le cadre plus vaste des expéditions des Normands en Sicile et  Afrikiya, et la Reconquista en Espagne et de la maîtrise des mers par les républiques Italiennes dans le Bassin Méditerranéen.

Maqrizi a un point de vue égyptien. L’Egypte occupe une position privilégiée. Le rôle des mamelouks est bien mis en évidence. 

Quant à Machiavel, théoricien de la prise du pouvoir, il introduit une nouvelle notion : le peuple dont le prince doit tenir compte s’il veut se maintenir au pouvoir. 

Malgré mes difficultés, malgré certaines longueurs, j’ai été contente d’aborder de si près les auteurs de l’époque.

 

 

Tunisian Yankee – Cecile Oumhani – Elyzad

LIRE POUR LA TUNISIE

De Cécile Oumhani,  j’avais aimé Une Odeur de Henné chez le même éditeur et je m’étais promise de suivre cette auteure et cet éditeur qui fait de si jolis livres.

Tunisian Yankee est un roman plus complexe qui commence en 1918, dans la Grande Guerre, dans l’Oise. Dawood, le héros, est blessé il  raconte sa vie, en pensées et en parole au médecin qui est à son chevet. Daoud, est le fils d’un commerçant aisé de Tunis, tyran domestique qui se ruinera au fil du temps. Il est élevé par Mouldia, une esclave. Il y avait encore des esclaves au début du XXème siècle!

Jeune adulte, Daoud rencontre Berensky, un aventurier russe, qui le fait voler en montgolfière au dessus du Cap Bon.  De cette expérience, Daoud retirera le goût des voyages et le désir de devenir pilote. Du temps du Protectorat, un indigène ne peut postuler à un brevet de pilote! Cette première brimade marquera le jeune homme qui fréquente au café de Bab Souika de jeunes activistes, nationalistes un peu journalistes…C’est l’occasion pour Céciel Oumhani d’évoque une période de l’histoire que j’ignorait : les premières révoltes nationales contre le Protectorat. En  1906, la révolte des Fraichiches , paysans privés de terre se plaignant de la brutalité des colons et le procès à Sousse qui l’a suivie. En 1911, l‘invasion de la Libye par l’Italie .Le boycott des tramways par les indigènes à la suite d’un accident. Les jeunes tunisiens ne restent pas inertes et les puissances coloniales réagissent en arrêtant les amis de Daoud.

Daoud est contraint à l’exil. Son père est ruiné. En 3ème classe, il rejoindra Ellis Island avec les pauvres de l’Europe : Italiens mais aussi, Maltais, Grecs…Il trouvera à New York un travail chez un Syrien, parent d’un ancien client de son père. Il trouvera aussi Elena, une jeune veuve italienne, après que son mari, révolutionnaire ait été abattu par les autorités. A New York, Daoud Kaci deviendra Dawood Casey. Les Etats Unis entrent en guerre en 1917, Dawood est incorporé dans les forces armées.

C’est un très joli livre métissé.Livre de résistance. Livre d’exil. Fantaisie de la montgolfière, ou de l’acrobate du cirque. Routine de la maison traditionnel, du commerce….Livre de guerre aussi.

Et en prime,  cette chanson qui est celle qui accompagne Daoud à New York, surprise elle est grecque Smyrneiko minore et les poèmes de Khalil Gibran.

la Dernière Odalisque – Fayçal Bey

LECTURES TUNISIENNES 

Ingres : la Grande Odalisque

L’auteur Fayçal Bey est un descendant de la dynastie husseinite  régnant sur la Tunisie, arrière-petit-fils du dernier Bey Lamine Bey (1943-1957). Il est né au Palais de Carthage  et raconte dans La Dernière Odalisque l’histoire de sa grand mère Safiyé. Biographie ou roman? Sur la couverture du livre, il est écrit roman. Je l’ai donc lu comme un « roman historique » sans savoir faire la part de l’inventé.

Qu’est-ce donc qu’une odalisque?

Matisse : harmonie en rouge

la définition que j’ai trouvée sur Wikipédia :« Une odalisque était une esclave vierge, qui pouvait monter jusqu’au statut de concubine ou de femme dans les sérails ottomans, mais dont la plupart étaient au service du harem du sultan. Le mot vient du turc odalık, qui signifie « femme de chambre », d’oda, « chambre ». »

Pour moi, l’odalisque était plutôt une figure de la  peinture orientaliste : La Grande Odalisque d’Ingres, bien sûr, mais aussi d’autres dans le Bain turc de Delacroix ou d’autres de Matisse. Femmes alanguies, lascives, nues ou très dénudées dans des harems fantasmés?

Ingres Le bain turc

La Dernière Odalisque raconte l’histoire d’une femme au caractère bien trempé. Il fallait une volonté et une énergie peu commune pour une fillette achetée à prix d’argent – une esclave en somme – pour s’élever jusqu’au rang de presque souveraine. Les marchandes d’odalisques achetaient de belles circassiennes dans le Caucase pour les revendre à Istanbul dans les harems des dignitaires turcs, pourquoi pas dans celui du sultan?  L’histoire de Safiyé commence donc dans le Caucase à la fin de la Grande Guerre, au moment de la Révolution d’Octobre. On assiste à Istanbul à la chute de l’Empire Ottoman, à l’ascension de Mustafa Kémal. La fillette se fait remarquer par sa vivacité, son intelligence acérée et surtout son caractère indomptable.  Une insolente au harem? Et bien oui, c’est comme cela qu’elle va se faire acheter  par une princesse qui l’élève comme sa fille et qui assurera son avenir en l’envoyant à la cour du Bey de Tunis à une de ses amies, circassienne et odalisque également. C’est cette dernière qui insistera sur la fermeté de caractère pour éviter les pièges des intrigues de la cour; La beauté, certes, est indispensable pour une odalisque, elle ne suffit pas, si elle veut faire un beau mariage. Son ami les plus fidèle est un eunuque noir, lui aussi esclave acheté à prix d’argent.

Henri Matisse odalisque chaise turc

C’est donc une tranche d’histoire d’un demi siècle ou presque (1918_1957) . On voit s’effondrer les empires et les palais, on voit l’ascension des républicains laïcs : Kemal et Bourguiba. Les puissances coloniales ne sont pas ignorées. Le rôle des Anglais et des Alliés à la suite de la Première Guerre Mondiale dans le dépècement de l’Empire Ottoman, le Protectorat français, les influences fascistes à Tunis,  puis l’occupation allemande. C’est une histoire que j’ai lue dans La Villa Jasmin, et dans qui se souvient du café rubens? l’histoire était racontée par des Juifs . L’éclairage est différent, vu des Palais.

Qui se souvient du café Rubens – Georges Memmi

LECTURES TUNISIENNES

Georges Memmi est l’auteur de Une île en Méditerranée que j’ai eu le plaisir de lire à Djerba.

Qui se souvient du café Rubens a été publié en 1984, l’auteur, « à 50 ans, se souvient de son enfance juive à Tunis[….]Une fête de couleurs vives, d’odeurs raffinées, de saveurs douces qui prendra un goût amer : celui de l’exil » nous apprend le 4ème de couverture. 

Contemporain de la Villa Jasmin de Moati, cet ouvrage est aussi un hommage à ses parents et à son enfance tunisienne, qui se terminera par le départ des Juifs tunisiens et l’exil. Toutefois, c’est un livre bien différent. Les deux enfants juifs ne sont pas issus du même milieu : l’enfant du Café Rubens, est fils de bourrelier et habite dans une ruelle.

Le livre commence par un véritable hymne à sa mère, alors qu’il se souvient de sa petite enfance lorsqu’il pouvait encore la suivre au hammam..la mère tendre. La femme analphabète qui connaît des histoires :

« elle était notre théâtre et, cent acteurs à la fois, elle nous enseigna le juste et le bon l’inévitable. Et combien Rabbi Samuel du Kef qui tenait le mal pour masque de la vie et apprenait à le réduire.  Âgée de douze siècle au moins, ma mère se souvient de la reine Kahena…. »

La mère cuisinière et nourricière, et le livre devient presque livre de recettes des douceurs tunisiennes ou guérisseuse. Beignets au miel, makroud, ou pigeon farci. On imagine les saveurs, les parfums de Tunis.

L’auteur se souvient aussi de ses frères et sœurs. Il évoque le Seder de Pâques, les cabanes dans la cour..

Quand il a grandi le père le prend en apprentissage et nous apprenons les secrets des meilleurs bourreliers, les cuirs, les outils et les gestes. Évocation du père, de sa fierté mais aussi de son amertume : la guerre arrive, les Allemands vont occuper Tunis. Disette, bombardements. Mais aussi les humiliations spécialement dirigées contre les Juifs :« au dire des Allemands et des pétainistes, les bombardements sortaient de nos doigts comme une vannerie habile. Du sol et dans la nuit nous dirigions les avions allés grâce à des signes secrets »

La demande d’un Allemand au bourrelier de faire une blague à tabac avec le parchemin de la Torah.

L’exil, le départ de toute la communauté juive est évoqué avec nostalgie alors que les Juifs étaient en Tunisie depuis des siècles et des siècles, depuis les temps de Carthage

« Les navires de la princesse Didon ont jeté l’ancre à l’ombre de ces rives neuves, de ces collines boisées sur lesquelles va bientôt naître Carthage. Mille esclaves enchaînés aux flancs de ces galères ont ramé jour et nuit. Parmi eux des juifs dont on récompensera la tenacité. Ils seront affranchis sur cette terre sauvage, africaine… »

Déracinement.

Je ne peux oublier ces absents, et je cherche leurs traces, étoiles de David sur les bijoux, les portes ou les décors et lis avec émotion ces récits.

 

Une île en Méditerranée – Georges Memmi

LECTURES TUNISIENNES

 

« vous souvenez vous du village de Sabika, lorsque de sa splendeur paisible s’écoulait le temps, qui fut pour tant de générations celui de l’innocence et de la piété?

Deux mille juifs y vivaient, persuadés que Sabika était « l’antichambre de Jérusalem ». Qui se souvient de ces cardeurs, de ces tisserands, de ces négociants, tous talmudistes ergoteurs et lettrés... »

Lu à Djerba, à quelques encablures de la Ghriba! J’aime lire sur place.

Téléchargé presque par erreur:je voulais relire Albert Memmi et j’avais cherché ce qui est disponible en lecture électronique. Nous voyageons léger et je ne me charge plus de livres depuis que j’ai une liseuse. Presque par erreur, parce que j’avais bien remarqué que le prénom n’était pas le même. Même sans l’homonymie le Titre seul : Une île en Méditerranée aurait justifié le téléchargement.

Et c’est une excellente surprise!

Comment ne pas reconnaître Djerba dans cette Sabika? Sabika est le nom de la colline de Grenade portant l’Alhambra. L’auteur a écrit un roman, non un reportage. Le bombardement israélien en Tunisie qui a provoqué, dans le roman l’incendie de la synagogue  n’a pas eu lieu en 1984 mais en 1985. La Ghriba de Djerba a subi un attentat plusieurs années plus tard en 2002. Les personnages sont sans doute fictifs. mais l’histoire de la Communauté millénaire arrivée après la Destruction du Temple est celle des Juifs de Djerba, comme la coexistence entre juifs arabophones et musulmans était celle des Juifs tunisiens.

J’ai beaucoup aimé le début qui est une succession de portraits de personnages : Siméon, le bijoutier, le personnage principal. L’histoire de  Houtane, le menuisier, écrivain public, veuf inconsolable m’a émue. Et que dire de l’aveugle Baba Soussi qui rassemblait les jeunes filles pour leur raconter des contes et qui disparaissait comme il était venu.

« Mes frères, dit-il, les Hébreux sont venus jusqu’ici régler leurs problèmes avec les Philistins. J’aurais préféré qu’ils choisissent un autre champ de bataille. Ce qui est fait appartient à Dieu. Voudront-ils nous faire payer le prix de leur humiliation. Peut être, en effet. Cette terre de miel et de fleurs a souvent été une terre de tragédies. Nous leur avons souvent survécu. Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, le bandit Roger de Sicile avait tué tous els hommes de l’île et emmené en esclavage toues les femmes et les enfants. Du moins, le crut-il. Mon grand-père a vu abattre par le Bey de l’époque la tour de Borj Erouss que le pirate Dragut édifia avec des crânes de cinq mille de ses victimes. Parmi elles combien de Juifs, que sa querelle ne concernait pas? De Juifs qui nous ressemblaient et qui furent enlevés par un jour semblable à celui-ci après une circoncision ou un mariage? Nous avons traversé ces épreuves et nous en connaîtrons d’autres; Avec l’aide de Dieu, nous vaincrons comme toujours celle qu’Il nous envoie aujourd’hui… »

dit Siméon, après le bombardement israélien.

La deuxième partie est infiniment triste.

C’est l’incendie

« C’est donc ainsi que brûle le Temple se disaient les hommes. Et l’incendie leur parlait de Titus et de Nabuchonosor. »

« Un à un, ils allaient partir, leurs valises ficelées, pour être absorbés à Tel-Aviv ou à Belleville, comme des pierres dissoutes par la pluie »

Fin du séjour à Djerba : les vacances!

CARNET TUNISIEN DU NORD AU SUD

DJERBA samedi 23

Le circuit touristique s’achève, nous avons passé 5 jours à Djerba il y a quelques années, nous sommes un peu saturées de visites culturelles. Les retrouvailles avec MBarka, Salah et leurs enfants sont chaleureuses. Nous avons tout simplement envie de nous poser dans cette atmosphère familiale, de partager trois jours de convivialité et de douceur de vivre.

A notre arrivée, nous avons eu à peine le temps de poser les valises que nous partons à deux voitures dans la nuit et les flaques dans les faubourgs de Houmt Souk pour assister à un mariage. Des tentes ont été dressées pour les invités, dans une cuisine extérieure des cuisiniers mijotent un couscous géant pour plusieurs centaines d’invités. Dans la grande tente toutes les tables sont occupées, on en apporte deux dans une chambre. La mère du marié vient nous embrasser, c’est une cousine de MBarka. La fête se déroule sur trois jours et c’est le deuxième. Certaines femmes ont revêtu des habits de fêtes traditionnels brodés, dorés, l’une d’elle a une belle robe bleue avec des pièces dorée (d’or ?) cousues. D’autres sont en jeans. D’autres encore se serrent dans de longs manteaux de laine. C’est l’hiver, il fait froid à Djerba ! Les jeunes femmes qui nous tiennent compagnies ont leurs mains tatouées au henné et des bagues à tous les doigts. Toutes sont voilées sauf Israr et Omaima, je m’emballe dans mon écharpe de cachemire gris. Le couscous est très savoureux. J’aurais aimé voir les mariés, mais ils se préparent dans une autre maison et on n’a aucune idée de l’heure où ils vont venir. Il y a un va et vient incessant, des voitures se garent d’autres repartent. Cette foule nous étourdit un peu.

DJERBA – Dimanche 24

Au petit déjeuner Salah a une surprise pour nous : un agneau est né, il a trait la brebis et lui a soustrait le colostrum pour le faire chauffer et confectionner une sorte de confiture de lait hyper-grasse et calorique. J’ne mange une cuiller, pas plus tant c’est nourrissant. Après le petit déjeuner pris au soleil sur la terrasse nous allons voir les brebis, les deux agneaux nouveau-nés accompagner MBarka qui les fait pâturer sous leurs oliviers et libérer les poules. Avec les deux chiens, les trois chats, ce sont des vacances à la campagne !

Le soleil brille, il fait très beau, un peu frais avec le vent. Nous décidons de passer la matinée à la plage : ce sont les vacances !

Arrêt sur la route en corniche pour photographier les flamands roses dans les marais de salicorne ; Ils sont tout près !

Nous allons dans la zone hôtelière. Les hôtels sont vides. La plage est magnifique avec les beaux rouleaux qui déferlent. J’ai le plaisir de marcher pieds nus, les pieds dans l’eau sur 3 km (6 aller-retour, j’ai mis les podomètre). Nous déjeunons à la terrasse du seul restaurant « les pieds dans l’eau » ouvert en cette saison. Dar el Bahr qui est un hôtel de charme avec une jolie piscine et un petit patio arboré. Le déjeuner est rapide : pizza 4 saison et trio de bricks. Cuisine un peu décevante, la pâte à pizza est bonne mais la garniture laisse à désirer ; les bricks sont quelconques. Décidément rien n’égale la cuisine familiale et raffinée de Maisons d’Hôtes.

Au souk

Houmt souk

Salah, Mbarka et leurs enfants m’emmène au souk de Houmt Souk. C’est un marché immense où l’on trouve de tout : du chauffe-biberon, aux jantes de pneus, un peu marché aux puces, un peu marché de fripes. Il y a quand même des stands qui vendent du neuf.  La famille Saïdi part en vacances dans le désert mardi : ils achètent des chèches et des lunettes de soleil. Les textiles neufs sont en provenance de Turquie. Nous passons un temps infini à choisir les nuances qui conviennent au teint de chacun. Pour les lunettes de soleil c’est encore plus long : Dior, Gucci, Ray ban, ce sont des produits de contrefaçon bien sûr (les modèles se ressemblent tous seule l’étiquette change, et encore c’est la même typographie et la même étiquette quelle que soit la marque).

Sous des auvents s’étalent les stands des fripiers sur des centaines de mètres ; Nous allons y passer un long moment. Les vendeurs se promènent entre les étals en criant 5/dinar, 7/dinar ce qui signifie qu’on peut acheter 5 pièces pour 1 dinar (30 centimes d’Euro) ; A ce prix on ne va pas être difficile, on farfouille, on retourne tout, on cherche ce qui pourrait éventuellement convenir. On découvre des articles étonnants, certains neufs avec leurs étiquettes, il y a même un Levi Strauss 501 tout neuf pour 100 millimes, deux robes noires improbables, des drapeaux de supporteurs de clubs de foot italiens ou allemands, un torchon souvenir des îles Lipari…c’est un jeu. Pour qui a du temps et une machine à coudre, c’est un trésor et on ne prend aucun risque puisque cela ne coûte rien ;

Comme ma valise est pleine et que rien ne me tente j’observe les acheteurs, ou plutôt les acheteuses. Il semble que tout le monde viennent au marché aussi bien les paysannes enveloppées dans les voiles blancs à rayures chapeau de paille sur la tête (costume traditionnel djerbien, que des jeunes filles élégantes, court vêtues mais voilées, des femmes ordinaires enfoulardées  emmitouflées dans de grands manteaux, des élégantes maquillées, des bourgeoises lunettes noires et permanentes…C’est un amusement, une loterie, un jeu de détecter la bonne affaire.

Après les habits, les chaussures. C’est encore plus avantageux, du neuf pour 10 dinars la paire. Tout est mélangé, il faut d’abord reconstituer les paires, ensuite évaluer les tailles, parfois c’est marqué, le plus souvent non. Et de toutes les façons les tailles italiennes, américaines ou allemandes ne correspondent pas. L’abondance des après-ski et moon-boots m’étonne dans une île où il ne neige pas (mais il a grêlé récemment, Salah m’a montré les photos des glaçons qu’il appelle des pierres dans son téléphone). Et pourtant ces après-skis plaisent ! Essayage impossible, cela ne fait rien, on achète quand même.

Nous revenons chargés de paquets, on s’est bien amusés !

C’est le Réveillon de Noël. Pour les Tunisiens cela ne veut rien dire. Le dîner à la grande table familiale se compose de soupe chaude et épicée, de brick, et de poisson. Le téléphone de Salah vibre. Il doit aller « pour une urgence ». On passe au salon sans lui. MBarka apporte du thé à la menthe. Nous n’avons pas entendu Salah revenir mais un gâteau au chocolat est arrivé par miracle sur un plateau ! Comme les Djerbiens ne fêtent pas Noël c’est un gâteau d’anniversaire Joyeux anniversaire Nawel a inscrit le pâtissier. Cela fait rire tout le monde.

Lundi 25 décembre

Le soleil est encore plus chaud qu’hier, le vent est tombé. Nous avions pensé à un tour en bateau, sur l’Île aux flamands mais c’est une excursion pour touristes. Nous préférons passer notre dernier jour à la plage. Nous allons directement au restaurant Dar el Bahr, Dominique s’installe sur les canapés de skaï tandis que j’arpente la plage.

Déjeuner de fruits de mer.

Journée détente, quel plaisir ce soleil, cette douceur !

 

 

 

 

 

 

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La route de Kerkennah à Djerba

CARNET TUNISIEN DU NORD AU SUD

Une bergeronnette grise vient voleter à notre carreau. » Elle est migratrice » dit Rahma qui fait partie de la LPO. Les grands oiseaux qui volaient groupés le cou tendu sont des grues cendrées qui hivernent sur Kerkennah.

Petit déjeuner différent de celui d’hier : une omelette décorée avec une feuille de menthe, des câpres, des rondelles de tomates et un radis. Dans une coupelle du miel de datte-maison.

Au moment du départ, Rahma coupe des narcisses à multiples pétales et cueille deux grosses oranges. Elle me montre les escargots qui sortent de leur cachette avec la pluie. Sur l’île une espèce d’escargots s’enterre pour estiver. C’est une espèce en danger que Rahma protège.

Le vent, la pluie ont lavé l’air et les végétaux ; les rafles des dattiers sont orange vif.

Arrêt pour photographier la kerkenaise en ciment du carrefour : dans les jattes le blé a germé, de belles pousses vertes sortent. On pense à Osiris.

Ferry

C’est un ancien bateau grec, sous la peinture bien rouillée on lit son ancien nom. Un homme vient taper au carreau : il vient nous rendre le livre que nous avons laissé à la Maison d’Hôtes (on l’a terminé et on l’avait laissé pour les prochains). C’est amusant de se rendre compte comment on a été vite rattrapées et de constater la gentillesse des tunisiens.

Il fait beau sur le continent alors qu’il pleut sur les îles. Dès l’embarquement je distingue Sfax avec la montagne de phosphate qui parait blanche de loin et qui devient noirâtre au fur et à mesure qu’on s’approche.

Nous quittons Sfax plus facilement qu’on y était entrées en traversant des zones industrielles, raffineries mais peu de villages. A Nakta une plage organisée. Dans les oliveraies la récolte bat son plein. La route de Sfax à Gabès(135 km) est bien roulante et contourne Gabès. Après Gabès elle devient étroite et saturée en camions. Les ventes de carburant clandestines sont à touche-touche, les quantités proposées aussi bien en bouteilles qu’en bidon sont importantes. Comment tolère-ton un tel commerce. Aux alentours de Gabès un marché de poteries est organisé avec des emplacements numérotés : vente de jarre, plats à tajine, dattes paniers, vanneries ; A qui sont-elles destinées ces marchandises ? Je vois mal des touristes rapporter une grande jarre, vu la taille et la qualité proposée : céramique d’usage courant.

Nous quittons la route P1 Médenine-Tripoli à Mareth pour la route de Djerba. A mesure qu’on s’approche de Djerba, le paysage se transforme : on voit des étendues sableuses arides. Les puits ressemblent à ceux de Djerba.

A Jorf la file d’attente est longue. Les bacs font des aller-retours. Ils sont au moins quatre à se relayer.  Il semble qu’ils font la course. Le passage est très court, environ un quart d’heure.

Je suis étonnée par la densité des habitations sur Djerba et du nombre de constructions neuves ; je ne reconnais plus rien. A Houmt Souk je téléphone à MBarka qui me donne les directions par téléphone.