LITTERATURE ITALIENNE
« Depuis la terrasse, nous voyons un fleuve de nuages bas qui se répand depuis le lac de Côme, une masse liquide et lente, qui se heurte contre les parois rocheuses, engendre un ressac, des brisants, des marées, des vagues anormales, comme des doigts crochus qui se forment et se dissipent sans interruption dans les dernières lueurs du jour. Un bref instant, les montagnes ont recommencé à naviguer ».
Paolo Rumiz est un écrivain-voyageur, un journaliste de La Repubblica natif de Trieste (1947) . Il a également écrit L’Ombre d’Hannibal et Aux frontières de l’Europe que j’ai beaucoup aimés et qui sont des récits de voyage.
La Légende des montagnes qui naviguent raconte l’exploration des Alpes le plus souvent à vélo sur huit itinéraires de la Dalmatie à Nice en passant par l’Autriche et la Suisse. L’auteur en huit étapes descendra la botte italienne sur les Appenins à bord d’une Topolino bleue.
L’écrivain triestin commence son périple aux portes de Trieste dans les montagnes de Dalmatie.
Incipit :
Si par une soirée d’été en Dalmatie, on entend un chant de montagnard sortir d’un voilier à l’ancre, il n’y a pas de
doute : c’est un bateau triestin.[…]
Qu’était la Dalmatie, sinon un système de vallées remplies d’eau salée, de prairies d’algues, de bancs de
poissons gras et d’épaves ? »
Entre Slovénie et Croatie, il connaît les toponymes en italien, les frontières fluctuantes, auberges habsbourgeoises, kiosques post-communistes. Son voyage est imprégné d’un passé que j’ignore, je me suis perdue dans les cols et les lacs et les souvenirs de guerre. Quelle est cette armée perdue en 1915? L’effondrement plus récent de la Yougoslavie ne facilite en rien le repérage.
En revanche toutes les histoires d’ours me plaisent, surtout quand les ours nagent jusqu’aux îles ou quand ils volent le miel.
C’est un voyage à vélo ou à pied, loin des destinations touristiques à la rencontre des autochtones. Interrogation sur les identités après le démantèlement de la Yougoslavie et l’adhésion de la Slovénie à l’Europe :
« C’est, en outre, le syndrome de Lilliput, l’envie de se refermer sur soi-même, de chercher parmi les os des ancêtres, afin de diviser le monde entre les autochtones et les autres. Beaucoup se demandent si l’Europe unie vaut vraiment la peine »
Il passe alors en Autriche par « la tanière de Jörg Haider, gouverneur de Carinthie et croquemitaine du populisme alpin » qu’il va rencontrer. En ce début du XXIème siècle, il s’attarde sur cette montée de la démagogie et de la xénophobie, non seulement en Autriche mais aussi en Italie. Ce thème sera récurrent dans l’ouvrage.
Il décrit la vie des alpages, équilibre séculaire mis en danger par les aménagements hydrauliques et raconte la catastrophe du barrage Vajont (1963), dans les montagnes qui naviguent il sera beaucoup question d’eau! je découvre une montagne insolite , milieu fragile et menacé qui se referme sur lui-même.
C’est aussi l’occasion de très belles rencontres : avec l’écrivain Mario Rigoni Stern, des alpinistes ou Mauro Corona, alpiniste et sculpteur qui lui offre un couteau. Histoire d’alpinistes. Histoire de bois, de luthiers..
Hommes des bois, charpentiers de marine, manieurs d’archet, luthiers, c’est du pareil au même. Le bois chante toujours.
puis il y a le secret de cet art entièrement originaire de la plaine du Pô – l’art des luthiers – concentré entre
Venise, Brescia et Crémone, dans une caisse de résonance embrumée où confluèrent les techniques de trois
grandes écoles : Espagne, Angleterre et monde arabe.Brunello ouvre l’étui, enfonce la virole de l’instrument dans la zone la plus oble de l’arbre abattu[…] il joue une gavotte[…]Voilà, ici, ici c’est parfait ! » Le luthier écoute les vibrations du bois vivant, avec la main entre son oreille et l’écorce.
Je pense au film sorti récemment La Symphonie des arbres de Hans Lukas Hansen où un luthier de Crémone était à la recherche de l’arbre idéal pour construire un Stradivarius parfait dans les forêts bosniennes.
Histoires de trains, de trains italiens parfois négligés, de trains autrichiens, et surtout d’un train modèle suisse. Histoires de tunnels ferroviaires suisses et aussi de tunnels qu’on aménage sans concertation avec les riverains. Incendie du tunnel du Mont Blanc (1999)
Quelle transformation pour cette Haute-Savoie qui rivalisait avec la Vénétie en matière de richesse récente, mais aussi de mal-être, de tyrannie du travail et de populisme de la petite bourgeoisie, allant, comme tant d’autres, jusqu’aux fantasmes autonomistes et aux vociférations…
Histoires de glaciers malades, de changement climatique….
La comptabilité fait peur : le glacier du côté nord de l’Adamello a disparu, celui de la Lobbia s’est détaché du refuge, le Pian di Neve s’est abaissé d’une centaine de mètres. La face nord du Montefalcone est devenue impraticable, le couloir du Monte Nero sur la Presanella n’existe pratiquement plus. Et sur le Mont-Blanc aussi tout a changé.
J’ai lu avec un plaisir immense ce récit qui soulève des questions très actuelles et qui nous promène dans ces montagnes magnifiques.
J’ai fait une pause dans la lecture quand Rumiz a changé de direction pour découvrir les Appenins. Encore huit chapitres qui méritent bien un autre billet.(à suivre…)