Le Turbulent Destin de Jacob Obertin – Catalin Dorian Florescu – Le Seuil

LES FEUILLES ALLEMANDES

 Catalin Dorian Florescu, est un écrivain suisse, de langue allemande,  d’origine roumaine, né à Timişoara  (1957).

Le roman, 381 pages, est la saga de la famille Obertin (ou Aubertin) originaire de Lorraine et établie dans le Banat – région de Timişoara. Le  roman historique commence  en 1635 à  avec la Guerre de Trente ans  quand Caspar, mercenaire aussi bien du côté des Suédois que des Impériaux, rentre dans son village en Lorraine.

allaient dans une région dont Frédéric n’avait jamais entendu parler et où le Saint Empire avait énormément de terres mais trop peu de gens. Les nouveaux arrivants étaient donc exemptés d’impôts pendant trois ans. Ils
recevaient en bail une ferme et une terre, ainsi qu’une avance de bêtes et d’outils, afin de survivre aux premiers temps. 

Il se poursuit avec l’installation des colons dans le Banat à l’appel de Marie-Thérèse d’Autriche (1717 – 1780) désireuse de peupler les régions marécageuses et dépeuplées  non  loin des frontières de l’empire Ottoman. Embarqué sur le Danube à Ulm, Frederick Obertin tente sa chance de devenir paysan propriétaire. Intelligent, entreprenant, il prend la tête d’un groupe de colons et sera reconnu comme le fondateur du village de Treibwetter. 

Vous savez tous qui je suis. Vous avez trop souvent détourné le regard pour ne pas le savoir très exactement. Je suis celui qui est arrivé ici il y a un peu plus d’un an et demi par le plus grand orage que vous ayez jamais connu, et qui a d’abord trouvé refuge chez Neper. Je suis aussi celui qui travaille depuis tout ce temps chez les Obertin, et vous le savez sûrement aussi : vous avez trop souvent craché en nous voyant ensemble.

La famille Obertin va s’enrichir avec le voyage en Amérique d’Elsa  au début du XXème siècle. Ils deviendront donc de riches propriétaires jalousés de leurs voisins. Jakob, surgi de nulle part, hardi et entreprenant s’impose comme prétendant d’Elsa et consolide la fortune, employant de nombreux ouvriers, souvent des Tziganes, et devient un riche commerçant. Son fils Jacob de santé fragile ne peut pas prétendre à la succession de la ferme et des affaires….

Village saxon en Roumanie

Les Souabes  de Roumanie forment une population germanophone qui se laisse entraîner à la suite d’Hitler dans la Guerre mondiale. Le sort des Juifs est à peine abordé : une couturière et la boulangère juives disparaissent sans que l’auteur ne s’y attarde. En revanche, les Tziganes, nombreux  sont déportés, chassés par la population. Le curé dénonce la famille serbe, exécutée sur place.

L‘arrivée de l’Armée Russe donne lieu à une nouvelle déportation, celle de tous les jeunes germanophones en Sibérie. Puis l’installation des Communistes est la ruine de tous les propriétaires allemands. Certains Souabes se souviennent de leurs origines lorraines et tentent de retourner en Lorraine mais les Obertin ne sont pas du voyage.

Les diables alors mirent en place douze postes de douane. Pour aller voir Dieu, il fallait d’abord passer par ces postes et corrompre les diables : toute âme morte devait se présenter douze fois à eux et douze fois les convaincre, les séduire. L’âme devait faire douze fois ses preuves, sinon les diables la récupéraient. C’était leur vengeance contre Dieu.

Le Turbulent Destin de Jacob Obertin n’est pas seulement un passionnant roman historique, c’est aussi un roman d’aventures. L’écriture originale  entraîne le lecteur dans les tempêtes, orages et diableries des Tziganes avec  les récits de Ramina, la guérisseuse, un peu sorcière. Le lecteur est bousculé par une chronologie fantaisiste avec des retours en arrière inopinés, bousculé aussi par des invraisemblances et des mensonges. J’ai pris grand plaisir à lire ce roman parfois déjanté. 

Lire également l’avis du blog Si on bouquinait.

 

Le Joueur d’Echecs – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

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Quand revient Novembre et les feuilles allemandes je retourne à Zweig qui ne me déçoit jamais. Le Joueur d’Echecs, lu d’une traite m’a encore éblouie. Dernier œuvre romanesque de l’auteur exilé, écrite – selon la préface – au milieu des valises, publiée d’abord en américain (1941) en allemand à Buenos Aires plus tard. Le décor : un paquebot de New York à Buenos Aires, . La date :  après l’Anschluss et l’entrée des nazis en Tchécoslovaquie. Le narrateur : Zweig lui-même?

Les deux protagonistes : Czentovic, le champion d’échecs dont

« l’inculture atteignait la même universalité dans tous les domaines »  » fils d’un batelier yougoslave »

 « Il arriva ainsi que dans l’illustre galerie des maîtres des échecs, laquelle réunit les types d’esprits supérieurs les
plus variés – des philosophes, des mathématiciens, des gens au tempérament calculateur, imaginatif et souvent créatif – pénétra pour la première fois un outsider parfaitement étranger au monde de l’esprit, un jeune paysan lourdaud et taciturne »

« Toute ma vie, les diverses espèces de monomanies, les êtres passionnés par une seule idée m’ont fasciné, car
plus quelqu’un se limite, plus il s’approche en réalité de l’infini « 

Face au champion, un aristocrate autrichien, éduqué, avocat proche du parti clérical et de l’empire, secret, silencieux, cérébral le met au défi.

 Entre deux parties, le narrateur aborde l’Autrichien qui lui livre une longue confession. Interné par les nazis, l’isolement, utilisé comme torture pour qu’il livre ses secrets :

Or, même si elles semblent immatérielles, les pensées ont besoin d’un point d’appui, sinon elles se mettent à
tourner, à tourbillonner sans but sur elles-mêmes ; elles non plus ne supportent pas le néant. Du matin jusqu’au
soir on attendait quelque chose, et rien ne se passait. On recommençait à attendre. Il ne se passait rien. On
attendait, on attendait, on attendait ; on réfléchissait, on réfléchissait, on réfléchissait jusqu’à en avoir mal aux tempes. Rien ne se passait. On restait seul. Seul. Seul.

Les attentes entre les interrogatoires, interminables, sont une autre forme de torture. Mais au cours d’une de ces attentes, le prisonnier fait une découverte qui va changer sa détention

J’avais découvert que sur l’un des manteaux la poche latérale était légèrement boursouflée. Je m’approchai et
crus reconnaître à la forme rectangulaire de cette bosse ce que recelait cette poche un peu gonflée : un livre !
Mes genoux se mirent à trembler : un livre ! Pendant quatre mois, je n’en avais pas tenu un entre mes mains, et la simple idée d’un livre dans lequel on puisse voir une suite de mots, des lignes, des pages et des feuilles, un livre où l’on puisse lire des pensées différentes, nouvelles, inconnues, distrayantes, pour les suivre et se les mettre dans la tête, avait quelque chose de grisant et d’étourdissant à la fois.

Ni poésie,  ni roman, ni un essai mais un recueil de 150 parties d’échecs. Les échecs ont meublé  son existence. Partie cérébrale, à l’aveugle, le prisonnier ne disposait ni d’échiquier ni de pièces.

Leur affrontement tient le lecteur en haleine, même totalement ignorant en ce qui concerne les échecs.

Oskar Kokoschka – un fauve à Vienne -MAM

Exposition temporaire jusqu’au 23 février 2023

Oskar Kokoschka – Autoportrait 1917

Un enfant terrible à Vienne(1904-1916)

C’est ainsi que s’ouvre cette exposition sous-titrée « Un fauve à Vienne » qu’on associe volontiers aux acteurs de la Sécession viennoise (Klimt et Schiele) mais aussi aux expressionnistes par la crudité du dessin, l’expression des portraits où les mains  et le regard intense traduisent le caractère du sujet

Le joueur de Transe

Oskar Kokoschka excelle dans les portraits et l’exposition du MAM les a mis en valeur en choisissant un petit nombre et en accrochant sur un mur blanc ou noir. Il a aussi peint des paysages et comme ses contemporains a illustré des livres, fait des séries de gravure. Deux peintures aux sujets religieux m’ont étonné comme le Saint suaire et Véronique ou une étrange Annonciation. 

Véronique et le suaire

Original ce dessus de cheminée, image de mariage dans le style de la Renaissance

Hans et Erica Tieze portrait de mariage à la mode Renaissance

Ses portraits sont très intéressants

Carl Moll

Si les portraits dominent, l’œuvre viennoise est variée comme les séries de gravures et dessins très fins des cycles graphiques , ses collaborations avec la Presse Der Sturm d’Adolf Loos, ses illustrations et affiches, les éventails offerts à Alma Mahler avec qui il a entretenu une relation amoureuse et fait des voyages.

Träumenden Knaben (illustration)

Engagé militaire dans la Grande Guerre, il fut deux fois blessé. On le voit en photo avec son camarade le peintre hongrois Rippl Ronaï. Il a également fait des pastels et des dessins de guerre.

les années de Dresde (1916-1923)

Blessé, réformé il fait une dépression et il est soigné dans un centre de convalescence près de Dresde. 

Autoportrait au chevalet

Sa peinture devient plus colorée, moins empâtée avec plus d’à-plat

Diptyque Hans Mordersteig et Carl Georg

Voyages et séjour à Paris

Dans cette section sont accrochés des paysages colorés de Marseille, Annecy. Il voyage en Afrique du Nord : beau portrait Le Marabout de Temocine. Il exécute aussi des séries d’animaux : chevreuil, lion, tortues géantes ou Poissons sur une plage de Djerba

Poissons sur une plage de Djerba

Résistance à Prague 

mais sa peinture n’est pas appréciée, 5 de ses tableaux sont décrochés du Musée de Dresde et il s’exile à Prague. Sa peinture figurera dans une exposition nazie d’Art Dégénéré. En 1937 il se représente lui-même en artiste dégénéré dans une attitude en même temps de tristesse et de défi

Autoportrait en Artiste Dégénéré (1937)

Exil en Angleterre (1938-1946)

Les peintures que je retenues sont des allégories politiques comme L’Anschluss

Anschluss: Alice au pays des merveilles

ou le Crabe

le Crabe

Sur une plage britannique le crabe monstrueux cache une scène de noyade

L’oeuf rouge

tandis que dans l’oeuf rouge les accords de Munich sont mis en scène avec ma figure colossale de Mussolini, Hitler grimaçant, la France, un chat indolent et la Grande Bretagne détourne le regard.

un artiste européen (1946-1980)

Autoportrait 1969

Il s’établit en Suisse et reprendra sa nationalité autrichienne en 1975. Il continue à peindre et dessiner (suite lithographique de pan sur un thème de Hamsun

Cette très belle rétrospective m’a fait découvrir un peintre dont je ne connaissais que ses oeuvres viennoises de jeunesse.