LIRE POUR L’ITALIE
la deuxième partie de La Légende des montagnes qui naviguent se déroule dans les Apennins de Savone au Capo Sud, à l’extrême sud de la Calabre.
En prologue :
Entre Florence et le bassin du Mugello, j’ai traversé dix-huit kilomètres au milieu d’une angoissante succession de plaques verticales de roche fracturée, de lames dégoulinantes d’eau qui m’enserraient[…] je voyageais dans une éponge. Les Apennins étaient un fond marin criblé de fissures.
….saignée qui, en quelques années à peine, avait volé aux Apennins cent vingt millions de mètres cubes d’eau, soit
cinquante litres à la seconde. On m’a parlé de caporalato1, de pots-de-vin, de main-d’œuvre tuée au travail.Le tunnel de la ligne Bologne-Florence m’apparaissait de plus en plus comme une allégorie dantesque.
En contrepoint, il va chercher à suivre la colonne vertébrale de l’Italie en suivant sa crête, il part
avec des règles de fer. Pas de grande ville. Pas de plaine. Pas de guides rouges, verts ou bleus en direction des monuments.
Et pour moyen de transport une Topolino 1953 bleue, une voiture de collection, qui suscite curiosité et sympathie partout où il va passer. Ce roadtrip est presque une histoire d’amour entre lui et sa voiture qui va imprimer son rythme particulier, et ses limites (elle prend l’eau). Il sera beaucoup question de pannes, de réparations qui imposeront des étapes imprévues et des rencontres.
Les rencontres sont inattendues comme celle de la baleine des Apennins, fossile bien sûr mais inspirante. Autres mastodontes : les éléphants d’Hannibal . Hannibal sera un personnage récurrent au cours de cette expédition ainsi que Frédéric II. Cette montagne que les humains désertent est une sorte de bout du monde
« C’est un endroit où ne viennent que les bêtes sauvages. Les montagnes sont pleines de hérissons, de vipères, de renards et de buses »
C’est aussi le domaine du loup, et celui des bergers et des agneaux.
Si les montagnes sont désertées, les auberges sont chaleureuses
« Mon cher ami, ton voyage t’ouvrira la porte d’un monde oublié et méconnu. Tu trouveras l’âme d’un pays malheureux, aimé de tous, sauf des Italiens. »
On y joue de la musique : on y apprend que la cornemuse en serait originaire. Les souvenirs historiques racontent la dernière guerre, les partisans, les Américains mais aussi un passé plus ancien des guerres napoléoniennes
On l’appelle Camp dei Rus, le champ des Russes. C’est à cause des cosaques. Ils ont commis de telles atrocités parmi les villageois, après avoir défait les armées de Napoléon en 1799, que les gens se sont mis à les zigouiller dès qu’ils étaient
ivres.les années 1950, on a vu arriver les charrues motorisées, la terre a été retournée jusqu’à ses profondeurs,
régurgitant des sabres, des baïonnettes et des boutons frappés d’étranges lettres en écriture cyrillique, et ce n’est
qu’alors que la mémoire a repris corps.
L’Antiquité a laissé des noms puniques :
« écriteau qui indique le village de Zerba, puis devant une plaque portant le nom Tàrtago. Les noms comportent toujours un secret et mon incomparable navigateur en détient, de toute évidence, la clef : « Il paraît que ces deux noms veulent dire respectivement Djerba et Carthage. À cause des Carthaginois qui se seraient cachés ici, après la deuxième guerre punique. »
il importe que, après vingt-deux siècles, la vallée revendique encore maintenant de fabuleux antécédents puniques. »
Il traverse aussi des villages remaniés par Mussolini où le souvenir du Duce est encore honoré avec boutiques de gadgets fascistes. L’auteur note avec humour
« Il nous suffit de savoir que, par un perfide retour des choses Mussolini repose dans la via Giacomo Matteotti; locataire de sa propre victime »
Dans les Marches, il passe par les monts Sybillins, quel beau nom, qui évoque la Sibylle, les mystères, les forces cosmiques des orages, les ermitages et les couvents, Camaldules et Padre Pio… on approche du Gargano.
Le Monte Sibilla n’était que le commencement. Je m’aventurais ensuite dans un territoire, au sud-est, où l’invisible prenait l’ascendant. Après les baleines volantes et les éléphants d’Hannibal rencontrés en Padanie, c’étaient maintenant des cavernes et des eaux souterraines qui se manifestaient.
Nous voici revenus aux eaux souterraines, comme au début de l’aventure, à ces eaux que le tunnel du TGV a volée, à l’eau qui manque…à l’exode rural. parce que la désertification des Apennins est aussi le thème principal.
L’Italie est tellement obnubilée par les clandestins, tellement braquée sur les extra-communautaires, qu’elle ne s’aperçoit pas que l’émigration interne s’est remise en marche. Dans les grandes largeurs
J’ai pris 13 pages de notes tant j’ai été enchantée de cette lecture. Incapable maintenant de tout restituer.
Vers la fin, quand il traverse la Basilicate et la Calabre j’espère croiser des routes que nous avons parcourues en juin 2019. En vain. En revanche il détecte ce que nous n’avions pas pu voir ni entendre : l’ombre de la n’drangheta et les rapports sociaux
« En Italie, une voiture sert à faire savoir combien d’argent on a. Dans le Sud, elle sert en plus à autre chose : à indiquer son contrôle du territoire. Celui qui se gare de travers en occupant la moitié de la chaussée laisse entendre que quelque chose (ou quelqu’un) lui permet de le faire. »
Un beau livre à ranger à côté de ceux de Fermor, de Chatwyn, Durrelln de Lacarrière, et de son compatriote triestin Magris.