Ségou -t.1 Les Murailles de terre – Maryse Condé

LECTURE COMMUNE EN HOMMAGE A MARYSE CONDE

C’est une relecture. Lu avant le premier voyage au Bénin. J’ai repris ce livre avec les souvenirs de nombreux voyages où se déroulent l’histoire et les développements géopolitiques actuels.

Une saga familiale

Ségou est au Mali sur les bords du Niger appelé ici Joliba. 

La saga de la famille de Dousika Traoré commence à la fin du XVIIIème siècle avec l’arrivée d’un blanc qui ne sera pas admis dans les murs de la ville. Dousika est un noble bambara, fétichiste, bien en cour, père de quatre fils. 

Son aîné, Tiekoro, se convertit à l’Islam et part étudier à Tombouctou. Son père ordonne à son frère Siga, fils d’une esclave, de l’accompagner. A Tombouctou, les deux frères ne sont pas bien accueillis. Tiekoro, musulman et lettré, devra faire ses preuves. Siga, rejeté par son frère, devient  ânier, puis gagne la confiance d’un marchand, qui l’envoie à Marrakech et Fès où il apprend les techniques des tanneurs et des maroquiniers. Il y rencontre Fatima, une mauresque, qu’il enlève pour l’épouser et fonde une famille. Sans rancune, il héberge Tiekoro et sa femme Nadié quand il vivra un revers de fortune

Le troisième fils, Naba, est razzié au cours d’une chasse et vendu comme esclave. Nous le retrouvons à Gorée, jardinier d’une signare, baptisé Jean Baptiste. Il suit une jeune esclave Ayodélé/Romana, au Brésil.  Elle lui donne trois enfants mais il va mourir mêlé à une rébellion. Romana rachète sa liberté et retourne en Afrique au Dahomey. Les Brésiliens (anciens esclaves au Brésil, catholiques ayant pris des noms brésiliens) forment une classe sociale très respectées à Ouidah. C’est là qu’aboutit après une longue errance le plus jeune fils : Malobali. Confondue par sa ressemblance avec Naba, Romana l’épouse….Olubunmi leur fils arrivera à Ségou, et la boucle sera bouclée.

Si vous avez peur de vous égarer dans tous ces personnages et ces noms, un arbre généalogique est prévu! Il n’est pas nécessaire, chacune des histoires se présente presque indépendante, l’une de l’autre. C’est un plaisir de suivre toutes ces aventures.

Géographie et histoire : 

Ségou, la ville et ses palais, est le centre du roman. C’est une ville commerçante, animée. Son roi, le Mansa, est au nœud des alliances et des équilibres politiques entre différentes ethnies, Bambara, mais aussi Peules et plus loin Touaregs, Haoussas. La conquête musulmane est au centre de l’histoire. Au début du roman, les musulmans ont déjà quelques mosquées à Ségou mais ils sont minoritaires. La 5ème partie du livre s’intitule « Les Fétiches ont tremblé » , le roi fait appel à une faction musulmane pour en combattre une autre. On voit plusieurs courants, plusieurs confréries,  certaines rigoristes combattant les plus tièdes. Le Djihad est en marche.

Du côté de la Côte Atlantique, catholiques européens mais aussi Brésiliens et protestants britanniques ou africains se livrent une belle concurrence. Les intérêts marchands et coloniaux sont transparents sous le prétexte religieux.

L’esclavage est aussi un thème fort du roman. Les esclaves sont partout. Pas seulement la Traite Atlantique racontée dans les pérégrinations de Naba et de Romana de Gorée au Brésil puis à Ouidah où on croise un curieux personnage, riche commerçant négrier Chacha. Cependant, les esclaves sont partout, du Maroc à Ségou. Esclave, la mère de Siga et Sira, la Peule, prise de guerre, concubine. A Ségou, des esclaves travaillent dans le champs, dont on ne parle pas. 

Maryse Condé n’a pas oublié les femmes, les mères et la plus majestueuse Nya. Elle n’en fait pas des objets de convoitise et de désir des hommes bien qu’ils se comportent souvent en prédateurs et violeurs. Chacune a sa personnalité, sa fierté même si , deux fois, cela aboutit à la solution affreuse de se jeter dans un puits. 

Maryse Condé est une merveilleuse conteuse qui m’a embarqué sur près de 500 pages qui se tournent toutes seules. Attention, roman d’aventure addictif!

.

Une grande dame nous a quittés : Maryse Condé, et si on la relisait?

LECTURE COMMUNE :

Son portrait présidait en majesté sur le Centre des Arts de Pointe-à-Pitre en ruine, squatté par des artistes, des graffeurs, des musiciens. 

Sa Traversée de la Mangrove et Moi, Tituba, sorcière m’avaient servi d’introduction à notre voyage en Guadeloupe. Nul besoin de projet de voyage aux Antilles pour apprécier ces deux œuvres qui se défendent toutes seules. 

Avant un voyage en Afrique j’avais également lu et apprécié Segou. 

Pour lui rendre hommage, je vous propose une lecture commune

l’un de ces trois titres bien connus, et disponibles dans les bonnes bibliothèque (quoique parfois en réserve) ou d’autres parce qu’elle a beaucoup écrit.

Qui est partant.e?

L’odyssée du Gaïndé : Les Enfants de la Teranga» P.T. Waks – Edit. jets d’encre

MASSE CRITIQUE DE BABELIO (JEUNESSE)

Il est arrivé hier dans ma boîte à lettres et ce mince « conte » de 119 pages avec sa jolie couverture m’a bien plu. D’abord, le lire, le critiquer (c’est la règle de la Masse Critique) puis, l’offrir à un jeune, de préférence sénégalais puisque c’est un « enfant de la Teranga » joli cadeau!

Mais à qui est-il destiné?

Cet enfant survolé par un oiseau magique se sent appelé à voyager. Il est spécial.

Et cette « Odyssée » est le pénible voyage des migrants, par le désert, emprisonné en Lybie (ou Algérie ou Tunisie) il parvient aux Pyramides (ce n’est pas le plus court chemin vers la France où travaille son père). Détour par l’Irak en guerre, rencontre avec des migrants Syriens, Istanbul, Athènes, les Alpes et la neige….

Happy end à Paris.

Pourquoi est-il parti dans cette galère? Qu’a-t-il vraiment vu?

On ne le saura pas.

j’ai bien du mal à imaginer un pareil cadeau, je ne crois pas que je vais le donner . C’est décousu, superficiel et je n’en vois pas l’intérêt.

Soundiata – une épopée africaine à la Maison des Arts de Créteil

AFRICOLOR 

Soundiata Keita une épopée

Une belle fête africaine!

Un spectacle musical accompagné d’un véritable orchestre : violon, alto, contrebasse, balafon, percussions, saxophone, trompette et guitare…

Un chanteur magnifique inspiré : Sekouba Bambino : Sékouba Diabaté chanteur guinéen.

Deux conteurs :Soro Soro et Vladimir Cagnolari

Et un public très réceptif, certaines spectatrices en tenue traditionnelle africaine n’ont pas hésité à danser en déployant châles, étoles, ou manches-chauve-souris, tous les spectateurs applaudissant et battant des mains….

C’est une épopée se déroulant au XIIIème siècle dans l’Empire, le Royaume du Mali transmise par les griots, prise de pouvoir, guerres fratricides…fracas des batailles, poussière du Sahel, on vibre, on danse avec les griots.

 

 

Yasmine Chami – Casablanca Circus – ACTES SUD

MAROC

Une bonne pioche de la Masse Critique de Babélio que je remercie ainsi que l’éditeur ACTES SUD !

196 pages, un court roman qui se lit facilement. 

May et Cherif se sont connus à Paris, étudiants. May est historienne, Chérif architecte. Ils ont un petit garçon Elias, et au début d’une deuxième grossesse décident d’élever leurs enfants à Casablanca d’où ils sont natifs.

Avant leur retour au Maroc, Chérif veut finaliser son projet dans la Cité des Bosquets :  reconquête des territoires perdus de la République en repensant les espaces communs de cette cité-ghetto. Rêve d’architecte se basant sur le travail ethnologique documenté par May. Faute de soutien et de volonté politique, il n’aboutira pas.

A Casablanca, une nouvelle opportunité s’offre à Chérif : Nassim, un promoteur, cousin de May lance une vaste opération immobilière : l’aménagement de la corniche dominant l’Atlantique et le recasement des habitants du bidonville dans un « lotissement pilote » à l’extérieur de la ville dans le cadre du programme Villes sans bidonvilles Deux autres chantiers s’offrent : la construction d’un écovillage dans le sud et celle de la villa du promoteur.

May se lance dans une recherche concernant la population du bidonville, le Karyane El Bahirine, elle fait la connaissance des habitants, met en évidence les relations de ceux-ci avec la proximité de l’océan, leurs moyens de subsistance – tout ce qu’il vont perdre avec leur « recasement ». Elle noue des amitiés, s’investit émotionnellement et s’éloigne des plans de son mari qui suit le promoteur. Le projet du couple perd, au fil des concessions, sa consistance. 

Je ne suis pas entrée dans le roman dès le début. L’auteure a eu l’idée de dédoubler le récit à deux voix, distinguées par deux polices de caractère : le récit et un monologue de May qui s’adresse à sa fille-fœtus tout au long de sa grossesse. Ce procédé artificiel m’a dérangée. Les états d’âme de la femme enceinte m’ont un peu ennuyée.

La présentation de  la famille de May et de Chérif m’a bien intéressée : analyse de la société marocaine aisée, bourgeoisie intellectuelle – médecins ou avocats – et parvenus « m’as-t-vu ». Apparition des absents, fantômes de la colonisation, français mais aussi juifs qui ont quitté le Maroc. Les positions politiques féministes et anticoloniales de May et de Chérif au langages radical en France se heurtent à la vie marocaine et des contradictions se font jour. Gouffre entre le mode de vie des classes aisées et des habitants du Karyane que May découvre….Solidarités entre femmes, inattendues aussi. J’ai beaucoup aimé  cette analyse ethnographique très fine et je me suis laissé emporter par le reste du récit.

Peau noire, masques blancs – Frantz Fanon

CARNET DES ANTILLES

Après des lectures antillaises, esclavage, décolonisation . Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Chamoiseau, Glissant, Césaire. Après la visite à l’exposition Senghor au Quai Branly. Avec toutes les polémiques autour du mouvement « woke »(pas « wokisme » qui est un concept d’extrême droite). Après un demi-siècle qui nous sépare de l’esprit de 68. J’ai eu envie de revenir à Fanon que j’ai lu en découvrant la Librairie Maspéro, rendez-vous des soixante-huitards. J’ai perdu le joli volume de la petite collection Maspéro. Je me souviens des Damnés de la Terre, de la Révolution Africaine. A l’époque c’était plutôt la décolonisation, la suite de l’indépendance de l’Algérie. Je tenais Fanon pour un politique.

Aujourd’hui que reste-t-il de ses écrits?

J’ai donc téléchargé Peau noire, masques blancs que je n’avais pas lu autrefois.

« C’est un fait : des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs.

C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l’égale puissance de leur esprit. »

Première surprise : je ne savais pas que Fanon était médecin, psychiatre, psychanalyste et que cet essai était son mémoire de thèse. J’ai été désarçonnée par ce vocabulaire spécifique auquel je suis bien étrangère.

« Cet ouvrage est une étude clinique. Ceux qui s’y reconnaîtront auront, je crois, avancé d’un pas. Je veux
vraiment amener mon frère. Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des
siècles d’incompréhension. »

Peau noire, masques blancs est donc un ouvrage se référant à la psychanalyse, analysant des cas cliniques, le rapport au langage, la culture

« Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du faitde la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine. »

C’est un livre très sérieux bourré de références à Sartre, Hegel, Adler, Jung. 

Il fait une analyse de romans mettant en scène des couples mixtes Blanc/Noire comme Mayotte Capecia ou les travaux anthropologiques d’O. Manonni à Madagascar. Il faut s’accrocher même si certaines lignes ne manquent pas d’humour : 

« Il y a une trentaine d’années, un Noir du plus beau teint, en plein coït avec une blonde « incendiaire », au moment de l’orgasme s’écria : « Vive Schœlcher ! »

Son analyse du racisme fait beaucoup appel à Sartre et à la Question Juive ainsi que son Orphée Noir. 

Effet miroir de ma lecture récente d’André Schwarz-Bart en  empathie pour les Antillais, Fanon, martiniquais, écrit à propos de l’antisémitisme:

« L’antisémitisme me touche en pleine chair, je m’émeus, une contestation effroyable m’anémie, on me refuse la possibilité d’être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère. »

j’ai soutenu l’effort, sachant que je ne comprenais pas tout, j’ai terminé cet ouvrage. Les pages que j’ai préférées cependant ne sont pas de Fanon mais de Césaire dont les poèmes illustrent ses propos. 

Difficile de répondre à la question initiale : ces écrits sont-ils encore d’actualité, après les Indépendances, Black lives matter? En tout cas les théories de Marie Bonaparte sur les phantasmes de viol et les éventrations sont illisibles après Meetoo! 

Terminons par cette affirmation toujours actuelle :

« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une
tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. »

 

 

 

Madre piccola – Ubah Cristina Ali Farah – Zulma

LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE

Mon « Voyage en Italie » 2023, m’a entraînée beaucoup plus loin que je ne l’imaginais :  en Erythrée avec Lucarelli et en Somalie avec Madre piccola. La colonisation italienne fait encore parler d’elle aujourd’hui, des décennies plus tard, surtout quand la guerre pousse encore jusqu’à ses rivages des réfugiés venant de la Corne de l’Afrique. 

Madre piccola a été rédigé en italien. L’auteure, Ubah Cristina Ali Farah, est italo-somalienne comme Domenica, l’une des héroïnes du roman. L’histoire se déroule en partie à Rome, en partie à Mogadiscio mais aussi aux Pays Bas, aux Etats Unis, à Londres, même en Finlande où la diaspora somalienne a trouvé asile. 

« Les voix de la diaspora ont lentement envahi mes sens, en chœur, s’entremêlant et se mélangeant de façon
parfois vertigineuse, mais stable. »

[…]
« Madre piccola naît donc d’une urgence et, encore une fois, d’une interrogation : comment une femme ou un
homme peuvent-ils de nouveau s’enraciner, retrouver leur centre de gravité dans un monde où ils ont perdu tout repère ? »

C’est un roman à plusieurs voix : celle de Domenica de mère italienne et de père somali qui se fait appeler Ahado, de son  nom somalien et qui recherche son  identité à la veille de donner naissance à son enfant. Barni, sa cousine, sage-femme, retrouve Domenica après une longue séparation. Taguere est le père de l’enfant, éloigné il raconte sa version de l’histoire en un monologue assez incohérent. 

C’est le roman des exilés après une cruelle et interminable guerre civile que je ne suis pas arrivée à situer dans le temps. Selon Wikipedia les troubles auraient commencé en 1978 et la guerre civile aurait éclaté en 1991. C’est à cette dernière date que les principaux protagonistes de l’histoire se sont exilés. C’est aussi le roman de la solidarité qui permet aux réfugiés de chaque fois trouver une solution à une situation inextricable.

« J’avais pris la solidarité pour un fait culturel qui nous était propre. Mais quelle culture refuse la solidarité ? »

Offrir un toit, garder un enfant, prêter son passeport. Partager des fêtes…

Fraternité ou plutôt sororité, c’est souvent le point de vue des femmes qui est envisagé dans une civilisation patriarcale :

« Un chapitre pénible. Il est tellement difficile pour les hommes de chez nous de trouver leur place. De se
redéfinir. De s’adapter. De s’accepter. De s’humilier. Parce que vous voyez, nous les femmes, au fond, on a des points de repère immuables : la maison, le quotidien, la maternité, l’intimité des relations humaines, c’est ça qui nous empêche de sombrer. »

Roman d’amour aussi, et de filiations avec des liens si distendus qu’ils paraissent irréels.

J’ai été happée par ce livre, agacée parfois par les incohérences des comportements masculins, bluffée par le courage des femmes.

La Huitième Vibration – Carlo Lucarelli

LE MOIS ITALIEN

“Nous y sommes allés sans préparation, mal commandés et indécis et, ce qui est pire, sans le sou. En nous fiant à la chance, à l’art de s’arranger et à notre bonne mine. Nous l’avons fait pour donner un désert aux plèbes déshéritées du Midi, un débouché au mal d’Afrique des rêveurs, pour la mégalomanie d’un roi et parce que le président du Conseil doit faire oublier les scandales bancaires et l’agitation de la rue. Mais pourquoi est-ce que nous faisons toujours ainsi, nous autres, Italiens ?”

Comme Le Temps des Hyènes, La Huitième Vibration, raconte la colonisation italienne de l’Erythrée et la guerre contre l’Ethiopie en 1896 qui a abouti à la défaite d’Adoua le 1er mars 1896. L’action se déroule dans la ville portuaire de Massoua, sur la rive africaine de la Mer Rouge. 

Les personnages sont pour la plupart des Italiens militaires. Les officiers ont choisi (pas toujours) le service en Afrique, et pas toujours pour de bonnes raisons. Les soldats ne comprennent pas tous ce qu’ils viennent faire. Ils proviennent de différentes régions d’une Italie qui n’a été unifiée que depuis une trentaine d’années et qui ne se comprennent pas tous. L’auteur s’applique à jouer avec les différents dialectes, accents si différents que le berger des Abruzzes ne comprend pas ses chefs, et ne s’en fait même pas comprendre, que le carabinier sarde  né à Bergame, mélange les deux prononciations, Siciliens et Vénitiens sont aussi très différents… le traducteur s’amuse à différentier les différents parlers : c’est Quadruppani rompu à l’exercice quand il traduit Camilleri. Mon niveau en Italien ne me permettrait pas d’apprécier les nuances. 

Différentes origines sociales se croisent, se toisent. Il y a même un anarchiste pacifiste, réussira t il à ne pas tirer? Le journaliste cherche un scoop. Un carabinier cherche un meurtrier d’enfant, anonyme, il poursuit le suspect. Roman policier. Roman d’amour.

Les Africains, tigréens, éthiopiens, arabes vivent à la marge de la colonie. Les femmes sont le plus souvent des prostituées. Askaris, zaptiés, supplétifs de l’armée italienne. Espions de Ménélik aussi….

 

« Vous le savez comment on l’appelle, Otumlo ? – Non. – Minableville, on l’appelle. – Bon, d’accord. Et qu’est-
ce qu’il vend, le Grec ? – Les personnes. Il vend des sharmutte… des putains, des gamins, des ouvriers agricoles… autrefois aussi des esclaves, quand il y avait les Égyptiens. Maryam a dit à mon espionne que l’autre
soir un soldat italien est venu pour acheter un enfant. »

Il fait très chaud à Massoua. L’action s’englue. L’histoire se traîne  (c’est voulu) dans une atmosphère de corruption. Elles ne sont pas jolies, les colonies.

Quand les troupes partent en guerre des fiers-à-bras, des lâches, des idiots se révèlent

Non, ce n’est pas du patriotisme, non, par Dieu, d’envoyer de nouveaux soldats au massacre… ni de garder là-bas ceux qui y ont été envoyés, parce que vos erreurs, ce sont vos fils qui les paient… mais vous ne comprenez pas, oh, bande de crétins, que les patriotes, ce sont les Abyssins ?” Et il aurait même ajouté : Ribellione, d’Ulysse Barbieri, un grand auteur, mais le sergent s’était immobilisé d’un coup. »

Et le désastre est inéluctable.

Après Le Temps des Hyènes , l’effet de surprise ne joue plus. J’avais été bluffée par ce dernier livre. Je retrouve la même histoire ; policier, historique, africain. 

Une bonne lecture!

souleymane Bachir Diagne : Léopold Sedar Senghor -L’Art Africain comme Philosophie

Souleymane Bachir Diagne est né à Saint Louis du Sénégal en 1955 , ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, philosophe et mathématicien, professeur à Columbia. A l’occasion de la Masse Critique de Babelio j’avais lu Le Fagot de ma Mémoire essai autobiographique que j’avais apprécié. CLIC

A la suite de l’Exposition Senghor au Quai Branly CLIC

Et de ma visite au Mémorial Acte de Pointe-à-Pitre j’ai eu envie de revenir à Senghor et à Césaire avec le concept de négritude par ailleurs décrié. il n’est pas indifférent que la citation de Wolé Soyinka figure en première place dans les deux expositions et dans le livre de Diagne:

Ainsi lorsque l’écrivain nigérian Wole Soyinka s’est gaussé de l’affirmation de soi qu’est la négritude en
déclarant que le tigre ne se pavanait pas en proclamant sa tigritude mais manifestait celle-ci en sautant sur sa
proie, il a eu, bien évidemment, les rieurs de son côté. Le bon sens philosophique, quant à lui, était dans la
réponse que lui fit Senghor : le tigre est une bête.

Cette lecture L’Art Africain comme philosophie de Diagne m’est devenue évidente. Problème : Diagne est philosophe et quand il écrit de la philosophie il est extrêmement pointu, et la philo pour moi se résume à mon année de Terminale (1967-68), souvenir extrêmement lointain. J’ai donc fait une lecture superficielle de cet essai en sautant délibérément les notes de fin de chapitre, incapable de saisir les finesses concernant Bergson, Lévy-Bruhl, Teilhard de Chardin ou les différences entre les idées de  jeunesse et de maturité de  Marx

« Cette intuition première que l’art africain est une philosophie et une philosophie humaniste, Senghor n’a jamais cessé de l’exprimer toute sa vie dans ses textes théoriques. »

L’Art Africain comme philosophie, l’Art comme instrument politique de gouvernement .

« Pour Senghor, certainement, la preuve de la négritude c’est l’art nègre. »

 

Chronologiquement il faudrait commencer par la visite au musée du Trocadéro en 1907 de Picasso, celle d’Apollinaire et les écrits de Paul-Guilllaume et de Malraux. Sortir les masques africain des collections d’ethnologie, leur accorder une place dans les grands musées comme le Louvre.

Cherif Thiam – Baobab

Sartre a aussi joué un rôle important (quoique ambivalent) avec son Orphée noir, préface au Manifeste poético-politique de la Négritude. Dans la perspective de l’Existentialisme, en miroir avec ses écrits sur la condition juive. La stature de Sartre peut aussi faire de l’ombre aux causes qu’il soutient. 

Nombreuses critiques viennent des communistes. Dès 1949, d’Arboussier dénonce la négritude comme « une dangereuse mystification« , 

« En réalité l’attaque vise l’existentialisme lui-même en ce qu’il semble engagé, avec Orphée noir et la négritude
comme son avatar poétique, dans l’entreprise d’introduire le leurre et la confusion de la race dans l’arène de la lutte contre la domination capitaliste et impérialiste. »

Césaire, également fondateur du concept de Négritude : 

Lettre à Maurice Thorez où, en 1956, Aimé Césaire fit de sa démission du Parti communiste français, outre une
protestation contre l’alignement du pcf sur l’Union soviétique, le geste d’affirmer la réalité d’un particulier dont le destin n’est pas de se fondre dans l’universel

Il est dans ce livre beaucoup question de masques africains avec le questionnement de leur statut comme œuvre d’art à part entière. Il est aussi question de poésie. Senghor est avant tout un poète!

Masques et poésie sont porteurs de Rythmes. Rythme est le titre de tout un chapitre.  Diagne s’attarde sur cette notion très originale de Rythme. 

« Seul le rythme provoque le court-circuit poétique et transforme le cuivre en or, la parole en verbe ». Senghor

 

« Le rythme, c’est le choc vibratoire, la force qui, à travers les sens, nous saisit à la racine de l’être. Il s’exprime par les moyens les plus matériels, les plus sensuels : lignes, surfaces, couleurs, volumes en architecture, sculpture et peinture ; accents en poésie et musique ; mouvements dans la danse. Mais, ce faisant, il ordonne tout ce concret vers la lumière de l’Esprit.

 

En nos temps actuels de Cancel culture, de racialisation et autres recherches de particularismes, il est essentiel de noter que la Négritude  comme la pensait Senghor est indissociable de Métissage et de Créolité, les différences ayant pour finalité l’humanisation

Faire « une terre totale » : cette magnifique expression pourrait servir de cri de ralliement à ceux qui œuvrent à
une autre mondialisation et elle donne contenu à ce qui a été appelé plus haut « mondialité Unesco ». Ces lignes
de Pierre Teilhard de Chardin, Léopold Sédar Senghor les a citées avec ferveur comme annonçant « la ‘véritable union’ qui ne confond pas, mais différencie en enrichissant mutuellement »

Cette « terre totale » s’opposant à la mondialisation comme circulation des biens et des marchandises. la « Mondialité UNESCO » opposée à OMC

Pour cette mondialisation-là, qui s’identifie au projet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de faire marchandise de tout, il y a le produit culturel d’un côté, ses consommateurs potentiels de l’autre. Et il s’agit que la liberté, entendue comme le libre accès du produit au consommateur, ne soit empêchée par rien. Que sur ce marché ne se retrouvent guère les œuvres culturelles qui ne sont pas portées pas de solides puissances d’argent, cela est dans l’ordre naturel – autrement dit darwinien – des choses.

[…]
Pour faire pièce au rouleau compresseur, il y a ce que l’on pourrait appeler, par contraste, la mondialité Unesco3.

 

Récemment j’ai écouté la voix de Souleymane Bachir Diagne sur le podcast de France Culture A Voix nue ICI

Senghor et les Arts – Réinventer l’Universel – Musée du quai Branly

Exposition temporaire  jusqu’au 19 Novembre 2023

Portrait de Senghor , Hostie Noires 2021 Roméo Mivekannin

Dans cette exposition Senghor et les Arts on apprend peu sur l’homme que fut Senghor, ses apprentissages, ses études ou sa famille. Senghor est présenté ici, comme président qui donna une importance capitale à la culture, l’inscrivant dans son gouvernement. Il était combattant de la négritude, concept inventé par Aimé Césaire, courant vivant de métissage paritaire, civilisation de l’universel. 

Modou Niang – Oiseau mystique – tapisserie de Thiès

L’exposition du Quai Branly fait m’inventaire des réalisations  comme la Manufacture des tapisseries de Thiès, le théâtre national Daniel Sorano (1965), L’école de Dakar proposant des enseignements de théâtre et de danse, Ecole de danse Mudra-Afrique en collaboration avec Béjart….

Hosties Noires – installation rendant hommage aux tirailleurs sénégalais à Châlons en Champagne

le Festival mondial des Arts Nègres de Dakar (1966) est un aboutissement  « rendre visible l’homme noir dans sa diversité« 

Diverses expositions d’artistes occidentaux se tinrent à  au Musée dynamique de Dakar : Picasso, Soulage, Hundertwasser, Chagall.

Parallèlement une exposition au Grand Palais à Paris a mis à l’honneur les artistes sénégalais.

Cherif Thiam1973

Toutefois, Senghor fut contesté surtout dans la mouvance de 1968 en dénonçant les connivences avec la France et exigeant plus de visibilités pour les mouvements anticolonialistes.

Senghor poète

Balafons et koraillustré par Masson

Un autre aspect de l’exposition est l’édition des poèmes de Senghor illustrés par les artistes les plus renommés de l’époque , Chagall, Masson, Hartung, Soulage, Vieira da Silva, …

Poème illustré par Zao Wou Ki

j’ai beaucoup aimé cette reine de Saba de Etienne Hadju. je regrette que la photo ne soit entachée d’un reflet parasite

Reine de Saba – Etienne Hadju

j’ai aussi bien apprécié l’exemplaire de l’hebdomadaire le UN avec la participation de Mamadou Diouf, de Mohamed Mbougar Sarr entre autres.