Kéraban le têtu – Jules Verne

VOYAGE EN ORIENT – MER NOIRE

« De là, à travers la Bessarabie, la Chersonèse, la Tauride ou le pays des Tcherkesse, à travers le Caucase et la Transcaucasie, cet itinéraire contournerait la côte septentrionale et orientale de l’ancien Pont Euxin jusqu’à la limite qui sépare la Russie de l’empire ottoman »

Un voyage autour de la mer Noire.  D‘Istanbul à Scutari sans traverser le Bosphore! Jules Vernes nous entraine dans des aventures à pied, à cheval, en voiture mais surtout pas en bateau, en compagnie de Kéraban, un marchand de tabac turc, de son ami Van Mitten, un négociant hollandais ainsi que de leurs serviteurs. Pour corser le voyage : Kéraban-le-têtu refuse toutes les inventions modernes : trains, télégrammes ; il a peur en bateau. Comme il est têtu, il n’en démordra pas. Course contre le temps, son neveu doit épouser la fille du négociant Sélim d’Odessa dans six semaines.

Roman d’aventure et  roman comique.

Pour le comique, Jules Verne n’a pas fait dans la finesse, ses personnages sont plutôt caricaturaux, Kéraban, très conservateur, très entêté, son serviteur très servile, le Hollandais, très très hollandais et Ahmet le fiancé un jeune homme sans peur et sans reproche. Les méchants, très méchants.

Pour l’aventure, vous serez servis.

En revanche, pour le tourisme, vous serez peut être frustrés. Kéraban est tellement pressé que vous ne visiterez rien, ni Odessa, ni Trébizonde, ni aucun des sites antiques cités. L’essentiel est d’arriver à temps. Cependant la nature est parfois plus forte que la volonté d’arriver et la voiture s’enlisera dans le delta du Danube, escale forcée :

 

« par entêtement, le seigneur Kéraban ne compta pas, en dépit des observations qui lui furent faites, et il lança sa chaise à travers le vaste delta. Il n’était pas seul, dans cette solitude, en ce sens que nombre de canards, d’oies
sauvages, d’ibis, de hérons, de cygnes, de pélicans, semblaient lui faire cortège. Mais, il oubliait que, si la nature a fait de ces oiseaux aquatiques des échassiers ou des palmipèdes, c’est qu’il faut des palmes ou des échasses pour fréquenter cette région trop souvent submergée, à l’époque des grandes crues, après la saison pluvieuse. »

Nous traverserons à grande vitesse la Crimée :

Crimée ! cette Chersonèse taurique des anciens, un quadrilatère, ou plutôt un losange irrégulier, qui semble avoir été enlevé au plus enchanteur des rivages de l’Italie, une presqu’île dont M. Ferdinand de Lesseps ferait une île en deux coups de canif, un coin de terre qui fut l’objectif de tous les peuples jaloux de se disputer l’empire d’Orient, un ancien royaume du Bosphore, que soumirent successivement les Héracléens, six cents ans avant l’ère chrétienne, puis, Mithridate, les Alains, les Goths, les Huns, les Hongrois, les Tartares, les Génois, une province enfin dont Mahomet II fit une riche dépendance de son empire, et que Catherine II rattacha
définitivement à la Russie en 1791 !

 

Heureusement le Hollandais a un guide touristique et nous fait part des sites touristiques et des anecdotes s’y rapportant, faute de faire une visite. Comme dans le Delta du Danube, la nature piège l’attelage

« Il devait être onze heures du soir quand un bruit singulier les tira de leurs rêves. C’était une sorte de sifflement, comparable à celui que produit l’eau de Seltz en s’échappant de la bouteille, mais décuplé[…]

Qu’y a-t-il donc? Pourquoi ne marchons -nous plus? demanda-t-il D’où vient ce bruit?

ce sont les volcans de boue, répondit le postillon « 

Moi aussi, j’ignorait l’existence des volcans de boue de Kerch près de la mer d’Azov!

Il y a donc encore des surprises pittoresques en cours de route que je vous laisse découvrir, des souvenirs historiques, les soldats de Xenophon….et bien d’autres.

De l’autre côté des Croisades – L’Islam entre Croisés et Mongols – Gabriel Martinez-Gros

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

L’Islam entre Croisés et Mongols XIème – XIIIème siècle

Attention! Livre d’Histoire savante destiné à des initiés qui maîtrisent histoire et géographie sur le monde d’Islam, de l’Atlantique (Maroc et Espagne) jusqu’à la Chine d’où viennent les Mongols, en passant par les steppes d’Asie Centrale, Afghanistan et Transoxiane, Perse et Mésopotamie. J’ai interrompu ma lecture à nombreuses reprises  pour saisir mon ami smartphone et GoogleMaps pour situer les villes Merv, Tus, Nichapour… Coquetteries de l’auteur qui utilise les vocables d’Ifrikiya (Tunisie) ou Jéziré (Mésopotamie) que je connaissais déjà.  De même quand il assimile les envahisseurs nomades aux Bédouins. Bédouins les Almoravides ou Almohades qui conquièrent l’Andalousie, cela me paraît naturel, comme les Berbères au Maghreb… Bédouins, les hordes des Turcs et Mongols, c’est déjà plus étonnant, encore plus quand les Chevaliers Francs entrent dans cette catégorie. 

L’auteur nous rend accessible les textes de trois historiens arabes médiévaux : Ibn Khaldoun (1332 -1406), Ibn Al-Athir (1160 – 1233) et Maqrizi (1364- 1442) qu’il fait dialoguer avec Machiavel (1469 -1527). Chacun de ces chroniqueurs va raconter à sa manière l’histoire de la région. 

shawbak

Même si ma lecture fut laborieuse et lente ce fut un réel plaisir d’entrer dans ces chroniques pratiquement sans filtre ni anachronisme. L’universitaire contemporain s’efface pour nous présenter les textes, intervenant fort peu pour nous laisser la saveur orientale et l’authenticité médiévale. Il cite les textes racontant les massacres mongols, les dialogues entre les différents chefs de guerre hésitant entre telle ou telle alliance (Ibn Al-Athir) .

Comme les historiens médiévaux, il enregistre toutes les dynasties, les changements d’alliances, de capitales. Là, je me perds un peu. Un ouvrage de vulgarisation aurait simplifié, mis l’accent sur tel ou tel chef de guerre en laissant de côté les intrigues secondaires. Mais De l’autre Côté des croisades n’est pas une vulgarisation, c’est un ouvrage universitaire suivi d’un corpus de notes (70 pages) avec index, bibliographie, repères chronologiques etc… Rien que pour cette somme de notes, il est à ranger à côté des encyclopédies et des dictionnaires. Pour qui voudrait une histoire plus accessible Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf donnent un récit vivant que j’avais beaucoup apprécié .  Le récit de la conquête du pouvoir par Baybars (1277 -1223) dans Hakawati de Alameddine sur le mode d’un conte oriental m’a aussi beaucoup appris. 

le Caire Bab zoueila (1090)

Chronique de la succession des dynasties, des migrations des capitales, c’est aussi une réflexion plus générale sur la conquête du pouvoir, de la succession dynastique, et du renversement par un conquérant plus agressif. Ibn Khaldoun oppose le centre sédentaire qui perçoit l’impôt, s’enrichit, s’amollit tandis que les bédouins en périphérie, guerriers, s’enrichissant de razzias et prédations vont à la conquête du centre, s’associant à un chef charismatique ‘asabiya, puis se sédentarisant, s’amollissent. D’après Ibn Khaldoun, la durée moyenne d’une dynastie serait d’une « vie »(120 ans). J’ai eu du mal à cerner cette notion d‘asabiyaUn autre concept est resté flou malgré mes efforts : le « dépotoir d’empire » situé en marge des capitales Bagdad, Mossoul, Damas ou Le Caire. 

p.73 : « L’ironie de l’histoire a voulu que l’Anatolie soit aujourd’hui devenu la « Turquie », expression politique majeure du monde turc et surtout que Constantinople ait remplacé Bagdad et Le Caire… »

Ibn Al-Athir va moins généraliser et montre les choix et les stratégies individuelles : alliances ou appel au Jihad

p157 : « s’éloigner de plus puissant que soi et ne céder aux instances et aux raisons de la religion sont de véritables structures de l’Histoire selon Ibn Al-Athir. Il en existe d’autre comme le balancement d’Orient en Occident »

Une autre stratégie serait le maintient d’un glacis favorisant un voisin peu dangereux pour se protéger des incursions bédouines. 

Ajloun : château de Saladin pont levis et barbacane

Et les Croisades? Evènements majeurs de la géopolitique de l’époque et de la région, mais moins redoutées que l’intervention des Mongols. L’auteur les présente comme la reconquête de l’empire romain, les resituant dans le cadre plus vaste des expéditions des Normands en Sicile et  Afrikiya, et la Reconquista en Espagne et de la maîtrise des mers par les républiques Italiennes dans le Bassin Méditerranéen.

Maqrizi a un point de vue égyptien. L’Egypte occupe une position privilégiée. Le rôle des mamelouks est bien mis en évidence. 

Quant à Machiavel, théoricien de la prise du pouvoir, il introduit une nouvelle notion : le peuple dont le prince doit tenir compte s’il veut se maintenir au pouvoir. 

Malgré mes difficultés, malgré certaines longueurs, j’ai été contente d’aborder de si près les auteurs de l’époque.

 

 

Voyage à Carthage – notes de voyages – Gustave Flaubert

LECTURES TUNISIENNES

Carthage au petit matin

J’étais très curieuse de lire ces notes (pas d’effets de style, des notes). Préparation de Salambô? du 12 avril 1858 au 12 juin, Flaubert note ses observations, ses rencontres, ses impressions, des anecdotes de l’Algérie où il débarque et à travers la Tunisie.

Il ne s’attarde pas plus que cela à Carthage qu’il nomme Saint Louis mais y rédige ses notes au clair de lune:

« Jeudi 7 mai – Notes prises au clair de lune – lever du soleil, vu de Saint-Louis : d’abord deux taches, celles du jour levant, à droite ; la lune sur la mer à droite ; le ciel un peu après devient vert très pâle et la mer blanchit sous le reflet de cette grande bande vague, tandis que la tache que fait la lune sur la mer se salit; La bande vert d’eau fagne dans le nord, la mer s’étend orange pâle ; il n’y a plus que très peu d’étoiles, fort espacées ; toute la partie Sud et Ouest de Carthage est dans une blancheur brumeuse,la praire de Ta Goulette se distingue ; les deux ports, les montagnes violet noir très pâle, estompée de gris, le Cobus est plus distinct ; quelques petits nuages dans la partie blanche du ciel, au dessus de la bande orange... »

Les notes concernant Ariana qu’il a trouvée charmante m’ont amusée : c’est maintenant une ville champignon satellite de Tunis.

Porto Farina – Ghar Meleh
Ghar el Melh vieux port

J’y reviendrai quand je rédigerai mes carnet à propos de Ghar Meleh qui’l appelle Porto Farina, d’Ichkeul  et de ses buffles, et la montagne de Zaghouan très présente dans ses descriptions.

Sa description de Bizerte qu’il compare à Venise me fait regretter de n’y être pas allée alors que cette visite figurait dans notre programme !

A lire et à relire! Même si Salambô n’est pas encore née!

 

 

La châtelaine du Liban – Pierre Benoît

A LA POURSUITE DES EXPLORATRICES…

 

Je cherchais Hester Stanhope rencontrée par  Lamartine et  citée par Gerard de Nerval . Une recherche sur Internet me disait que Hester Stanhope avait inspiré le personnage d’Athelstane Orloff dans La châtelaine du Liban. J’ai donc retrouvé le volume dans la collection des Pierre Benoit.

J’ai lu plusieurs de ses romans au temps de mon adolescence, et je garde un bon souvenir de ces lectures qui me transportaient dans des ailleurs exotiques. Hélas, les temps ont changé et le roman a mal vieilli (peut être moi aussi?) .

 

J’ai à peine entrevu Hester Stanhope, tout juste sa sépulture et son évocation trop rapide à mon goût : le déguisement de la comtesse Orloff lors de son bal masqué selon la description de Lamartine, des sous-entendus..des allégations d’espionnage au profit de la Grande Bretagne.

En revanche, je me suis copieusement ennuyée en compagnie des militaires venus à Beyrouth pacifier cette Syrie découpée dans les accords Sykes Picot, attribuée comme Mandat à la France. Vie mondaine coloniale, absinthe et femmes de mauvaise vie.

Le capitaine Domèvres, héros blessé est fiancé à Michelle, la fille d’un des gradés. Il est promu à un poste de responsabilité au Deuxième Bureau. Ses amis lui déconseille de fréquenter la comtesse Orloff, femme fatale, briseuse de mariages à venir. Evidemment il tombe sous le charme de cette séductrice….en oublie sa gentille fiancée qui meurt de consumption, en oublie même ses devoirs les plus élémentaires. Il envisage même de trahir sa patrie pour de l’argent our renflouer la comtesse ruinée.Heureusement, il est sauvé par son ami Walter qui le remet dans le droit chemin de la fraternité des méharistes.

Lu avec beaucoup d’agacement ce livre réactionnaire, colonialiste, et vraiment passé de mœurs.

Pour Lady Stanhope, je relirai Lamartine!

Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf ( relecture)

CARNET DE JORDANIE

Après avoir visité les châteaux-forts de Jordanie, d’Ajloun à Kerak, Shaubak, autant de souvenirs des Preux chevaliers, de Saladin, des Mamelouks, j’ai eu envie de retourner au livre d’Amin Maalouf, lu et chroniqué il il a quelques années lire ICI

J’ai retrouvé les acteurs les plus marquants de l’époque:

Saladin, le héros incomparable, par son courage et l’importance des batailles de Hattin et la prise de Jérusalem mais aussi par sa courtoisie, son respect de ses adversaires et de ses prisonniers qu’il préférait libérer. Son attitude chevaleresque trouve un exemple qu château de Kerak où se déroulait une noce qu’il prit soin de ne pas bombarder ni déranger alors qu’il assiégeait le château.

Le rendez vous manqué de Richard Coeur de Lion et de Saladin,  illustré vu je sais plus où?

Admirable aussi de sensibilité, ce chevalier qui pleure!

En contrepoint, la barbarie de Renaud de Chatillon, le seigneur de Kerak, pillard qui étendit ses razzias jusqu’en Arabie, et qui fut tué des mains de Saladin.

Baibars, le mamelouk, je l’avais oublié. Si maintenant j’ai été beaucoup plus attentive à son histoire, c’est parce que je l’ai « rencontré » à Ajloun , mais surtout parce que la légende a été racontée dans Hakawati de Rabih Alameddine que j’ai lu récemment.

A cet ouvrage, je dois aussi, l’attention particulière aux pigeons voyageurs….

Je suis retournée au livre espérant me promener dans ces décors maintenant familiers.

J’ai été étonnée de ne pas trouver beaucoup d’allusions à ces châteaux d‘Oultre-Jourdain.  Forteresses qui me semblaient d’importance stratégique sur les routes des caravanes et des pèlerinages. Il semble que les sièges de villes  comme Antioche, Alep, Tripoli et Acre étaient d’importance incomparable! Sans parler des intrigues ourdies au Caire, Damas ou Bagdad.

Une lecture dense,  se déroulant sur près de deux siècles. Relire pour réviser m’a fait plaisir mais il faudra encore bien des lectures, et des voyages(? ) pour assimiler cette Histoire.

Gertrud Bell – archéologue- aventurière agent secret – CHRISTEL MOUCHARD

VOYAGE EN ORIENT

 

 

J’ai choisi Gertrude Bell pour m’accompagner en Jordanie. Je viens de terminer la biographie de TE Lawrence, son presque contemporain, et collègue en archéologie et en espionnage… J’ai lu récemment son récit de son  expédition en 1905 de Palestine en Syrie The Desert an the Sown et j’ai eu envie de connaître mieux cette grande dame. Quelle compagne! Globe-trotter, archéologue, puis espionne et diplomate…

La biographie de Christel Mouchard est passionnante. C’est un travail sérieux et minutieux, inspiré de la correspondance de Gertrud Bell qui écrivait pratiquement chaque jour à Florence, sa belle-mère et à ses sœurs ainsi qu’à nombreuses relations. A la fin de l’opus elle livre toutes ses sources avec précision.

Christel Mouchard raconte avec luxe de détails la vie d’une certaine aristocratie britannique pendant l’époque victorienne qui a forgé le caractère de l’héroïne.

 

Née dans une famille d’industriels, Gertrude Bell, dès l’enfance, a manifesté une indépendance et un caractère bien trempé. Elle a commencé sa « carrière » par de solides études à Oxford qu’elle réussi avec succès. A l’issue de ses études c’est une jeune fille parfaite

« Où trouverait-on une jeune fille plus accomplie? [….] Elle a de la grâce, de l’élégance. elle sait danser, converser, séduire. Sa dot a de quoi faire rêver… »

Elle a le goût des toilettes, fréquente le meilleur monde. elle est même très exigeante, terriblement snob. Les maris potentiels  apprécieront  peu son érudition et sa force de caractère.

Sa famille l’envoie à Bucarest en compagnie d’un cousin qui est quasiment son fiancé en voyage romantique mais…

« Gertrude a beau répéter qu’elle ne rêve que mariage et enfant, elle n’arrive pas à rester dans son rôle: elle parle comme si elle rêvait aussi d’influer sur la marche du monde »

Après Bucarest, Téhéran, elle apprend le Persan, goûte la poésie, fait des randonnées en compagnie de Cadogan, dont elle tombe amoureuse. Que serait arrivé de Gertrude si son père avait consenti au mariage?

Désormais, elle ne cherchera plus de mari et voyagera …

« Il est de coutume de dire des femmes qui voyagent qu’elles fuient. elles partent pour éviter le face à face avec elles mêmes, pour ne pas réfléchir sur les occasions manquées…. »

« Voyageuse victorienne » ou « globe-trotteuse« , elle va sillonner le monde « Curieuse, résolue, enthousiaste…ces qualités, Miss Bell les a en commun avec ses consoeurs… » N‘allez pas imaginer une routarde. Attentive à à la mode en toutescirconstances, elle n’a pas peur des bagages volumineux. Dans le désert, elle emporte sa baignoire et son service à thé en porcelaine, son matérielphotographique  et « kodake tout ce qui veut bien se laisser kodaker », et les théodolites dees cartographes . Plus encore que des bagages, elle est soucieuse d’apprendre la langue des pays qu’elles visite

« comprendre un beau jour la conversation de deux mendiants; voir le visage d’une vieille marchande à laquelle on demande une pomme s’illuminer de surprise : c’est le bonheur ultime »

De touriste, de globe-trotteuse, elle va devenir orientaliste, elle apprend l’arabe, achète un cheval et affrète une véritable caravane. Elle ne voyage plus seulement our le plaisir : elle devient archéologue.  A Kerkemish elle rencontre, entre autres, Lawrence ainsi que les archéologues émérites:

« Ce chantier-là a quelque chose de plus que les autres. Kerkemish n’est pas seulement une antique cité hittite sortie du néant, c’est un carrefour de l’espionnage européen »

Une passion amoureuse, malheureuse, on n’imagine pas comment la sexualité féminine est contrainte dans la bonne société anglaise de l’époque, la conduit près de la dépression. Son remède est encore d’aller plus loin, tenter ce qui n’a pas été exploré : la traversée de l’Arabie, du Hedjaz, mal contrôlée par les Ottomans, sous le règne des tribus bédouines.

 

« Aujourd’hui je retourne au désert. |…]Puis, traversant les rails, frontière du monde extérieur, je me suis sentie comme cette divinité qui incarne le Destin, armée de ses grands ciseaux – Clotho, devant laquelle nous courbons la tête. j’ai coupé le fil. »

« par dessus tout, elle va chercher le rappe omniprésent de la mort. Elle sait combien les Arabes y sont sensibles, et la voyageuse reprend à son compte le fatalisme mystique des nomades »

Malgré son expérience, malgré la fortune, le voyage est difficile. Elle est même retenue prisonnière. Physiquement elle a souffert de cette expédition. 

En 1915, l’aventurière sans aventure, sans mari, sans amant croit que sa vie est finie quand elle reçoit un appel du Caire, de David Hogarth, l’archéologue , chef des services secrets. Elle va retrouver ses collègues de Kerkemish, TE Lawrence aussi. sa connaissance du terrain, ses entrées au Foreign office, ses relations avec les tribus arabes font d’elle non seulement une espionne mais aussi une diplomate.

A l’issue de la Première Guerre Mondiale, dans le partage de l’empire Ottoman, elle jouera le rôle de conseillère auprès du roi du nouvel état créé : l’Irak. Elle s’installera à Bagdad, fondera le Musée Archéologique de Bagdad et s’y éteindra le 12 juillet 1926.

 

 

 

 

 

 

Le Promeneur d’Alep – NIROZ MALEK

Touriste insouciante, visitant châteaux et mosaïques, j’ai approché de trop près la frontière syrienne, vu les tentes des réfugiés pour oublier la tragédie qui se joue non loin d’ici. Cette lecture est un contrepoint à la béatitude vacancière de celle qui n’a même pas accès aux actualités. C’est à Wadi Rum que des touristes français, connectés, m’ont appris que des Syriens avaient été gazés…que Trump avait réagi…

Ce recueil de textes poétiques est le journal d’un écrivain qui n’a pas pu quitter Alep et qui témoigne de l’enfer quotidien de ses habitants.

« – Le corps  pourrait-il survivre sans âme? C’est pour cela que je ne partirai pas de chez moi, car il n’y a pas de valise assez grande pour contenir mon âme »

Texte très courts racontant le quotidien dans la ville, entre bombardements et barrages, parfois prosaïques, de celui qui malgré tout rencontre des amis, va au café, tente une promenade, retrouve ses souvenirs de jeunesse ou d’enfance dans un square où jouaient les enfants….

Textes hallucinés entre vie et mort. Le narrateur est-il encore vivant, est-il échappé de la morgue comme celui qui grelotte de froid dans le chaud été syrien?

Des personnages interviennent, on ne sait pas si l’enfant nu est un fantôme…si la jeune fille amoureuse survivra à son fiancé… des histoires de vivants se trament quand même.

Un texte que je ne suis pas prête d’oublier.

 

Lawrence d’Arabie – par Michel Renouard – Folio biographies

JORDANIE

Lawrence d'Arabie par Renouard

Dans deux jours, nous nous envolons pour Amman.

Bien sûr nous visiterons Petra et le Wadi Rum qui est un des lieux de tournage du Lawrence d’Arabie de David Lean. Commencer le voyage avec TE Lawrence s’est imposé comme une évidence comme la lecture de la biographie de Gertrude Bell qui suit. C’est une de mes habitudes de me chercher des compagnons de voyages prestigieux dans les bibliothèques. J’aurais pu relire le livre de Benoist Méchin qui était à la médiathèque mais j’ai préféré télécharger celle de Michel Renouard plus transportable en voyage sur la liseuse. 

C’est une biographie sérieuse avec notes (fin de chapitre)  et bibliographie fournie (en annexe). L’ouvrage est découpé en chapitres courts qui se lisent très facilement, chacun résume un épisode de la vie de Lawrence resituant les événements dans leur contexte historique, politique ou littéraire. Lawrence ne se résume pas à l’épisode de la Guerre, guérilla bédouine, bataille du rail,  prise d’Aqaba et chemin de Damas… que le film a popularisé. C’est un personnage complexe que l’auteur cherche à analyser dans ses différentes facettes et contradictions. Archéologue, orientaliste, espion, brillant stratège:

« Lawrence a parfois été accusé d’avoir joué double jeu pour mieux tromper les Arabes. il est vrai qu’il est d’abord et avant tout  au service de Sa Majesté(le contraire en pleine guerre aurait été surprenant). Reste qu’il se montre d’une grande loyauté envers Fayçal, l’allié…. »

C’est aussi une grande leçon d’histoire dans toutes les subtilités de la géopolitique que mènent les Britanniques et les Français dans le dépeçage de l’Empire ottoman. Le chapitre racontant les tractations avant le Traité de Versailles sont passionnantes. « Dans les corridors du pouvoir ». La rencontre de Fayçal avec Arthur Balfour, Rothschild et Weizmann aboutissant à un accord en anglais dont le codicille en arabe en change toute la teneur, annonce les luttes futures en Palestine.

Refusant la facilité des écrits hagiographiques ou les hypothèses scandaleuses ou journalistiques, l’auteur cherche à démêler les faits avérés des allégations du mythe.

Les derniers chapitres montrent un personnage qui fuit la gloire et recherche désespérément l’anonymat, s’engageant sous un faux nom (mais avec la protection de Churchill) comme simple soldat dans la RAF. Lawrence est un écrivain à succès qui refuse d’être publié et surtout qui néglige les droits d’auteurs qui lui permettraient de vivre confortablement. Loin de se contenter de ses mémoires il traduit  Homère.

Je n’en ai pas fini avec Lawrence : j’ai téléchargé les Sept Piliers de la Sagesse  (en VO) Je reviendai sur ce personnage avec les photos de Jordanie. 

Hakawati – Rabih Alameddine

MILLE ET UNE NUITS…..

incipit:

« Ecoute. permets-moi d’être ton dieu. Laisse-moi t’emmener dans un voyage au delà de l’imagination. laisse-moi te raconter une histoire… »

le titre :

« Qu’est-ce qu’un hakawati? demandes-tu. Ah, écoute.

Un hakawati est un raconteur de légendes, de mythes, de fables (hekayât). Un conteur d’histoires, un amuseur, quelque’un qui gagne sa pitance en charmant l’auditoire. Comme le mt « hekayeh » (histoire, fable, nouvelle) « hakawati » vient du libanais « haki » qui signifie « discussion » , « conversation ». Ce qui suggère qu’en libanais le simple fait de parler consiste déjà à raconter une histoire »

Ce gros livre (572 p) raconte plusieurs histoires qui s’emboîtent comme les contes des mille et unes nuits. Histoires vraies (ou arrangées) d’une famille libanaise. Saga familiale sur plus d’un siècle, commençant à Urfa (près d’Edesse)au temps de l’empire ottoman,  puis dans la montagne druze, se déroulant à Beyrouth sur plusieurs générations, racontée par Osama, fils revenu de Los Angeles au chevet de son père mourant. Le récit est entrecoupé d’autres histoires : la  légende de Baybar,( 1223-1277 ) mamelouk, racontée autrefois par le Grand-père d’Osama, le hakawati,  et un conte fantastique mettant en scène des sorcières, des djinns, des tapis volants, des perroquets aux noms de prophètes,. 

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Bien entendu, en plus des fils des trois histoires qui se dévident, se tressent, s’emmêlent, d’autres contes viennent se greffer, parce qu’il y a toujours matière à conter….on saute d’une époque à l’autre sans transition…

Rabih Alameddine raconte le Liban dans sa complexité, de la domination ottomane, le mandat français, les guerres civiles, mosaïque de peuples.La famille a aussi des origines très mélangées, arméniennes, druze, maronite, albanaise, anglaise. A l’hôpital les tantes fêtent l’Aid  et la famille se réunit pour Noël, grande tolérance religieuse…Il nous fait aussi découvrir les curieuses façons des colombophiles.

Une lecture au long cours très dépaysante qui fait voyager dans le temps et l’espace….

Shlomo le kurde – Samir Naqqash

 

Comment ai-je trouvé ce livre? D’après les algorithmes d’Amazon ou les propositions de Babélio? Le titre m’a interpellé : Shlomo , prénom juif, suivi de kurde. Les Kurdes (à part mes petites élèves) je  ne les connais que d’après la télévision (guerres en Irak ou en Syrie et politique turque).  De leur culture, juste un film : My sweet Pepperland. J’étais donc très curieuse du Kurdistan. L’auteur m’était inconnu, Samir Naqqash, né à Bagdad en 1938 – mort en 2004 en Israël, écrivain juif de langue arabe, considéré par Naguib Mahfouz comme « l’un des plus grands auteurs à écrire en arabe aujourd’hui« .

Enchevêtrement des identités:

 

 

 

 

Au début du livre en 1924, en partance  de Bagdad vers Bombay,  Shlomo se présente :

« Un nasillard bredouillant, un métis, un Kurde juif perse, azéri et bagdadien, un voyageur en route vers l’Inde. Moi! j’étais tout  cela à la fois »

il affirme:

« Je suis Shlomo le Kurde! Un Kurde borné, aussi fort que les montagnes du Kurdistan, aussi résistant que les arbres d’Azerbaïdjan! …un homme pieux, pratiquant, plein de bons sentiments…. »

et à nouveau:

« Je suis un Kurde, borné, mon corps élancé et souple est un cyprès dressé sur la terre du Kurdistan, un chêne que ne peut déraciner même la pire des tempêtes, mon cœur est fait de ces pierres où j’ai grandi, il n’est pas lâche, il ne bat pas à cause de la peur… »

Ce chêne indéracinable a pourtant pris le chemin de l’exil à la fin de la Première Guerre Mondiale une première fois et en 1941, chassé de Bagdad par un pogrom pendant la Seconde Guerre Mondiale 

C’est avant tout un commerçant habile  voyageant de Sablakh dans le Kurdistan iranien, jusqu’à Istanbul, Moscou, Téhéran puis de Bagdad vers l’Inde. C’est un homme honorable à qui on avait délégué la garde de la synagogue de Sablakh. Polyglotte qui servit d’intermédiaire entre la communauté juive et les ruses quand ils occupèrent la ville. 

Multiplicité des langues

Comme juif « le djebali, c’est le nom de l’araméen des montagnes?- C’est la langue des Juifs depuis l’époque où les Assyriens nous ont capturés? […] – Et l’hébreu? – C’est la langue de notre Torah et aussi celle du Midrash »

Il parlait en persan, en kurde et en azéri qui étaient les langues de sa ville. En russe et en turc pour faire du commerce. Installé à Bagdad , il appris l’arabe de Bagdad puis l’anglais, le hindi….Sur sa boutique l’enseigne était « Shlomo le kurde » le premier à avoir importé des vêtements de seconde main, marchandise qu’il avait découverte à Bombay.

Shlomo le Kurde est un personnage! Presque centenaire, il raconte ses souvenirs, ses amours, Esmer et Esther, à Sablakh, il était bigame et cela ne semblait scandaliser personne.

Au delà du personnage de Shlomo c’est l’histoire des persécutions des Juifs, liquidation de la communauté de Sablakh puis du pogrom de Bagdad le Farhoud qui eut lieu le 1 et 2 juin 1941 alors que les Britanniques qui occupaient l’Irak se replièrent et que la population pro-nazi  se déchaîna.

C’est aussi l’histoire de Sablakh (Mehabad)pendant la Première Guerre Mondiale . Petite ville perse aux confins du royaume du Shah-an-shah qadjar, dans les montagnes du Kurdistan, à l’ouest de l’Azerbaïjan iranien, elle était peuplée de musulmans et juifs et chrétiens.

« …personne parmi les sages de Sablakh, pas même ceux qui ressemblaient aux prophètes, n’avait prévu que la belle et paisible Sablakh tomberait elle aussi dans le gouffre de ce maudit conflit, que les deux pinces de la tenaille se refermeraient sur elle – l’empire tsariste d’une part, les Ottomans et les Allemands de l’autre. Une tenaille tyrannique qui allait écraser Sablakh… »

Le Shah avait déclaré la Perse état neutre dans la guerre, ce qui n’empêcha pas les armées du Tsar de venir l’envahir, suivis des alliés ottomans et allemands. La ville fut successivement occupées par les belligérants qui terrorisaient la population locale. Les musulmans soutenaient leur coreligionnaires ottomans tandis que les russes les massacraient. Des luttes fratricides entre les seigneurs locaux envenimaient la situation. Des factions pro-bolcheviks compliquaient encore les alliances. Aux combats sanglants qui se déroulaient,  les hivers rigoureux, la neige, le froid, rendaient la vie encore plus pénible. Vint la famine que l’auteur décrit très vivement, ironie et tendresse, le récit est poignant. Contre tous ces malheurs, les voisins s’organisent, la solidarité est grande. Après 4 années d’enfer, Shlomo devra prendre le chemin de l’exil.

Est-ce parce qu’il a été écrit en arable par un israélien que ce livre majeur est pratiquement oublié?