Les vies de papier – Rabih Alameddine

LIRE POUR LE LIBAN

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« La littérature est mon bac à sable. J’y joue, j’y construit mes forts et mes châteaux, j’y passe un temps merveilleux. C’est le monde à l’extérieur qui me pose problème. Je me suis adaptée avec docilité, quoique de manière non conventionnelle, au monde visible, afin de pouvoir me retirer sans grands désagréments dans mon monde intérieur de livres. Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature es mon bac à sable, alors le monde réel est mon sablier – un sablier qui s’écoule grain par grain. La littérature m’apporte la vie, et la vie me tue. »

Aaliya est un personnage singulier. Orpheline de père à deux ans, mariée à 16 à un « insecte impotent », répudiée à 20, elle a passé très vite les étapes assignées à une fille libanaise.

« Le féminisme au Liban n’a pas encore atteint les espadrilles ou les chaussures de course à pied ; les talons plats, voilà où on en est. Le choix de ne pas se marier ne figure pas encore  au tableau. Il est possible qu’il soit en train d’apparaître maintenant, mais je ne le saurais pas… »

Sans chercher un mari plus convenable elle a préféré une vie solitaire et un travail : libraire. Les livres sont devenus les compagnons d’une vie. Non seulement elle lit, éventuellement  vend des livres mais elle entretient avec certains une relation plus intime : elle traduit – pour le plaisir, pour la beauté du geste – des auteurs traduits en français et en anglais,  en arabe. Chaque traduction – chaque projet – est réalisé selon un rituel immuable : elle commence la traduction le premier janvier après avoir allumé deux bougies en l’honneur de Walter Benjamin, puis elle enfermera les feuillets manuscrits dans une boite en carton en compagnie de la traduction anglaise et française, sans chercher à publier son travail.

Au début du récit, Aaliya, a 72 ans.  Par erreur a teint ses cheveux en bleu et elle doit décider quel sera le projet de l’année qui commence….

Sa  vie est  vouée à la littérature,  une vie à Beyrouth à travers guerres civiles et étrangères. J’ai beaucoup aimé cette évocation de la vie à Beyrouth. Amine  Maalouf,  Madjalani et le 4ème Mur de Chalandon, m’ont donné une certaine familiarité avec le Liban  mais leur vision des conflits est plutôt masculine, et politique. Aalyia ne prend pas parti. On devine qu’elle est musulmane et sunnite, cependant elle ne s’engage nullement. Sa seule participation guerrière est l’acquisition d’une kalachnikov qui lui tient compagnie au lit et qui lui servira une fois à chasser des intrus dans son appartement. En revanche, les détails de la vie quotidienne me charment.

Aalyia choisit de traduire des auteurs très variés, elle est familière de Spinoza , de Pessoa qu’elle cite souvent, de Kafka auteurs singuliers et solitaires…Ses horizons sont très variés d‘Anna Karenine (son manuscrit préféré qu’il faudra sauver à tout pris) à Saramego qu’elle trouve facile à traduire alors que je l’ai trouvé difficile à lire. Impossible de lister tous les auteurs et les ouvrages croisé dans la lecture des vies de Papier. J’ai eu des envies de découvrir des auteurs que je n’ai jamais lus :W G Sebald mais vais-je choisir Austerlitz ou Les emigrants? J’ai même commandé Séfarade de Antonio Munoz MolinaJ’aimerais aussi essayer Javier Marias …. et 2666 – drôle de titre! J’aimerais encore visiter cette bibliothèque et noter d’autres lectures. En tout cas, je vais chercher les autres livres de Rabih Alameddine et les télécharger en VO (anglais) sur ma liseuse. J’adore ces livres qui donnent envie d’en lire d’autres!

« Ah splendide Microcosmes, le délice de découvrir un chef d’oeuvre. La beauté des premières phrases, le « qu’est-ce que c’est que ça? », le « comment cela se peut-il? », le coup de foudre, le sourire de l’âme[…]Lire un bon livre pour la première fois est aussi somptueux que la première gorgée de jus d’orange qui met fin au jeûne du ramadan. »

Je me suis attachée à cette vieille dame pas toujours aimable et je suis bien triste de la quitter.

 

Gertrude Bell – The Desert and the Sown

VOYAGE EN ORIENT

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Quel plaisir de voyager dans les contrées dont la télévision ne nous  montre aujourd’hui que ruines et destructions….

Le Voyage en Orient est mon sujet de  lecture de prédilection, et encore plus quand  une exploratrice raconte  ses aventures. The Desert and the Sown(1907) non traduit en français est le récit d’un voyage en Palestine, Liban et Syrie en 1905.

Gertrude Bell est partie de Jérusalem en Février 1905 et son périple s’est terminé à Antioche en avril (elle a rejoint Konya mais ce n’est pas raconté dans le livre). Elle se déplace à cheval dans une véritable caravane avec guide, cuisinier, muletiers sans compter les escortes que lui accordent les dignitaires ou les zaptiehs (gendarmes ottomans) qu’elle doit éventuellement rémunérer. Elle transporte des tentes et tout le matériel de camping mais profite aussi de l’hospitalité qu’on lui offre généreusement surtout quand il pleut. Car il pleut beaucoup en hiver et au printemps et qu’il fait bien froid dans la montagne libanaise et druze. C’est amusant de la voir pester contre la boue, les marais et la pluie en pays méditerranéen qu’on imagine plutôt desséché.

Pendant les premiers chapitres, je n’ai pas saisi d’emblée le but de son expédition : tourisme ou archéologie? Gertrud Bell est parfaitement arabophone, elle est capable de saisir les variantes des parlers des bédouins ou des seigneurs de la montagne. Elle n’est pas une voyageuse naïve, elle est tout à fait au courant des moeurs des différentes populations. Comme pour Ella Maillart ou Alexandra David-Neel, être une femme ne semble pas lui avoir fermé de portes. Sa personnalité, son aisance et sa nationalité britannique inspirent le respect des hommes qui l’invitent dans les salons où seuls les hommes se réunissent. Le fait d’être une femme lui permet de fréquenter les femmes qui recherchent sa compagnie.

Dans le début du voyage, elle rencontre surtout les tribus du désert, rendant compte de leurs habitude, de leur merveilleuse hospitalité, leur accueil sans condition, même sans question, le café sous la tente mais aussi les razzias, les vendettas. »les Arabes n’ont pas de nom pour le désert comme nous. Pourquoi en auraient-ils? Pour eux, ce n’est ni un désert ni un endroit sauvage, c’est la terre dont ils connaissent tous les détails, une mère-patrie dont le moindre produit a un usage suffisant à leurs besoins »

Les Druzes sont plus mystérieux, leur religion cachée, seuls les initiés y ont accès. Comment Gertrude Bell reconnaît-elle un initié? Il ne fume pas. Elle tient en grande estime les Druzes dont elle connait les dignitaires.

Ce livre n’est pas un catalogue des coutumes et des traditions des différentes population. Le cuisinier la chapitre:

« Quand vous écrirez un livre, ne dites pas « ici il y a un  grand château ou une belle église » les nobles le voient par eux-mêmes. Dites dans ce village, il n’y a pas de poules, comme cela ils verront quelle sorte de pays c ‘est »

Gertrude Bell est attentive aux équilibres politiques, elle souligne l’absence de sentiment national au sein des populations de l’empire ottoman en 1905.

« ...dans un pays habité par des Turcs, il n’y a pas de pays Turquie….les parties où les turcs sont en majorité sont peu nombreux ; généralement un gouvernement étranger gouverne à l’eaide de soldats étrangers, une collection de populations hostiles au pouvoir et hostiles entre eux … »

Le voyage  se déroule pendant le conflit Russo-Japonais. Ses hôtes sont friands de discussions autour de cette guerre. A l’exception des Chrétiens orthodoxes qui soutiennent la Russie, les autres sont ravis de voir une Puissance occidentale mise en échec par des Orientaux.

Entre les longues cavalcades dans les montagnes et les déserts, Gertrude Bell visite les grandes villes syriennes, Damas, Hama, Homs, Alep et Antioche. Je me suis laissée emporter dans ses promenades dans ces villes anciennes (maintenant ravagées par la guerre actuelle).

Gertrud Bell n’est pas uniquement une aventurière ou une exploratrice. C’est aussi une archéologue qui décrit avec précision les temples antiques de Baalbek, les ruines Séleucides ou romaines ainsi que les villages chrétiens byzantins, les églises primitives du 6ème siècle. Elle a le privilège de loger dans le Krak des Chevaliers, forteresse des Croisés, des Hospitaliers.

Attentive à l’équilibre des différentes populations qui forment une mosaïque, elle se trouve aussi à l’aise avec les Kurdes, se renseigne sur la religion Yezidi ou celle des sectes Ismaéliennes ou des Bahai. Elle conseille à tous les voyageurs de se tenir « éloigné des mèches du filet de la Question Arménienne » comprenant comme elle est délicate à cette époque. C’est d’ailleurs ) cette seule occasion, qu’on lui a réclamé son passeport – qu’elle avait perdu. Monde bien étrange pour nous où l’on pouvait voyager sans passeport dans tout le Moyen Orient, alors empire turc.

Une personnalité fascinante, surtout quand on sait qu’elle fut également  archéologue, alpiniste, suffragette, espionne et qu’elle négocia à l’égale de Lawrence d’Arabie le partage de l’Empire Ottoman après la Première Guerre mondiale. Comme écrivaine, toutefois, je préfère Ella Maillart.

La Romancière et l’Archéologue – Agatha Christie Mallowan

VOYAGE EN ORIENT

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incipit :

« Ce livre est une réponse? Une réponse à une question que l’on m’a posée très souvent :

-Ainsi vous faites des fouilles en Syrie, n’est-ce pas? Vous devez tout me raconter. Comment vivez vous là-bas? sous la tente? « 

Point de mystère, point d’enquête à la Agatha Christie, point de leçon d’archéologie, nous en apprendrons bien peu sur les civilisations assyriennes ou hittites, sur les anciens qui ont bâti les villages enfouis sous les tells . En revanche, nous partagerons le quotidien des archéologues et des ouvriers employés pour les fouilles, ainsi que les villageois qui les entourent. 

C’est un récit très réjouissant, le sourire ne m’a pas quitté de tout le week end. Humour britannique garanti, figures pittoresques, épisodes cocasses. Avant de prendre l’Orient Express, il faut faire les valises, et les courses. Agatha Christie se décrit en délicatesse avec les fermetures Eclair, aux prises avec un bataillon de souris, ou découvrant les joies du camping. C’est toujours très drôle.

Elle décrit avec vivacité toute la petite société qui gravite autour des fouilles : les domestiques, chauffeurs ou cuisiniers qui seront leurs compagnons pendant plusieurs saisons, jamais stylés mais toujours inventifs, les ouvriers, les fonctionnaires, postiers, banquiers ou douaniers, les autorités françaises (la Syrie est sous mandat français). Et bien sûr des chiens, des chevaux …

A Palmyre, peut être ont-ils raté de  peu  Ella Maillart et Anne Marie Schwarzenbach? (rencontrées à nouveau dans la Boussole d’Enard). Ils passent cinq saisons à la frontière avec la Turquie dans des contrées dont nous ne connaissons les paysages aujourd’hui que dévastés par la guerre. Population d’origines variées, villages arabes, kurdes, arméniens ou yezidis. Sa description des femmes kurdes très libres me fait comprendre mieux les combattantes kurdes actuelles. Ils sont passés par Raqqa, maintenant triste capitale de Daech, alors « cité entièrement préservée », ville ravissante avec ses briques de boue aux formes orientales« sans électricité ni hôtel capable d’accueillir des occidentaux. C’est donc un pittoresque voyage dans des endroits que je ne suis pas prête de voir de mes propres yeux.

Dans un épilogue écrit en 1944 elle conclut :

« j’aime ce pays fertile et paisible, le naturel de ses habitants qui savent rire et apprécier la vie, qui sont indolents et gais, dignes et bien élevés, dotés d’un grand sesn de l’humour, et pour qui la mort n’a rien de terrible »

Winter on the Nile – Anthony Sattin

VOYAGE EN ORIENT

un hiver sur le nil

J’ai fait un beau voyage en Egypte, 1849,  en compagnie de Florence Nightingale et de Flaubert. Ou plutôt deux voyages légèrement décalés puisque ils ne se sont jamais rencontrés. Ils ont pourtant fait le trajet Alexandrie-Le Caire en novembre 1849 sur le même bateau, sans jamais se rencontrer, Gustave Flaubert, sur le pont avec les hommes, Florence Nightingale, dans la cale avec les femmes.

Même génération, Florence Nightingale 29 ans, Flaubert 27ans.  Chacun ayant quitté sa famille pour échapper à une dépression, Florence fuyant la pression de sa famille et une rupture de ses fiançailles, Gustave l’échec supposé de sa Tentation de Saint Antoine. Leur itinéraire était le même Le Caire-Luxor, Aswan et Abou Simbel. Florence Nightingale et ses amis sur une dahabiah, Flaubert et Maxime Le Camp à bord d’une cange. Ils se sont suivis. Flaubert a eu l’occasion de voir l’empreinte du pied d’une anglaise….

Sattin a eu l’idée de rapprocher leurs carnets de voyage. Un siècle et demi plus tard.

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Occasion de rencontrer deux personnalités du 19ème siècle: un des écrivains les plus marquant et La dame à la Lampe l’héroïne de Crimée, qui a révolutionné le système hospitalier britannique. Sattin prend son temps pour nous les présenter. J’ai préféré la bio de Florence Nightingale à celle qu’il trace de Flaubert, ou peut être la personnalité de la première? Ces deux personnages sont à un tournant-clé de leur vie, à la veille de leur célébrité. Ils se cherchent. Flaubert cherche son style, l’Orient l’attire, mais doit-il écrire comme Chateaubriand ou comme Balzac? C’est sur le Nil que s’impose Emma Bovary, de il se souviendra peut être de son voyage pour Salambô. Tandis que Flaubert cherche son style florence Nightingale cherche un sens à sa vie de femme. Vouée au mariage comme toute femme de son époque et de sa condition, elle le refuse

 » Comment pourrait elle se marier quand le mariage voulait dire obéir à un mari? »

Elle a ressenti un appel divin, pour faire de sa vie autre chose, quelque chose d’utile, elle a déjà la vocation de soigner, d’être infirmière. Dans la bonne société anglaise, les infirmières ont mauvaise réputation. Ce voyage lui permettra de faire le point sur sa vocation et de s’éloigner des contraintes de sa famille.

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J’ai donc eu beaucoup de plaisir à visiter l’Egypte par leurs yeux. Voyage mystique de Florence qui voue un culte à Osiris qu’elle voit en figure christique. Voyage très différent dans les bordels, auprès des danseuses orientales de Flaubert, moins sensible au charme de l’Antiquité.

C’est aussi l’occasion d’imaginer le Nil sans le carcan des barrages ou des écluses. Abou Simbel avant le Lac Nasser, Philae sur son île d’origine et les cataractes après Aswan.

Palmyre – L’irremplaçable trésor – Paul Veyne

ARCHÉOLOGIE ROMAINE, HELLÉNISTIQUE, ORIENTALE?

Palmyre

Palmyre, perle du désert syrien, était-elle syrienne, hellénistique ou romaine? On y parlait araméen mais aussi grec, avant-poste romain sujette des Césars ou cité caravanière sur la Route de la Soie?

Paul Veyne nous transporte dans le désert aux confins de l’Empire romain, proche de la Perse, et nous décrit une ville différente des villes romaines au plan analogue, du Maroc en Bulgarie. Cette civilisation marchande d’une grande richesse qui a gardé son originalité, ses tribus nomades, ses dieux Bêl et Baalshamîn « traduits » en Zeus, Allat tantôt figurée en Athéna de Phidias, tantôt Artémis…

Si les colonnades sont hellénistiques c’est que « l’hellénisme était toujours la civilisation « mondiale » qui impressionnait tous les peuples, le prestigieux modèle étranger qu’on imitait et en même temps le miroir ou les différents peuples croyaient retrouver leurs propres traits sous une forme plus vraie; S’helléniser c’était rester soi-même tout en devenant soi-même : c’était se moderniser ».

Il raconte aussi l’histoire de Zénobie, reine d’Orient et Vraie romaine…  Son mari  Odinath, élevé au rang de sénateur romain,  leva une armée de bédouins ou de Sarrasins contre Sapor le roi de Perse qui retenait prisonnier l’empereur romain en personne, Valérien. Zénobie, reine hellénistique lettrée et  ouverte attirée par le religion juive donna aussi asile aux manichéens. Après une facile conquête de l’Egypte elle se rêva même impératrice romaine , commença une marche sur Rome et fut refoulée par Aurélien.

Architecture, sculpture, religion, politique, tous les aspect de la ville de Palmyre traduisent une hybridation, symbiose entre l’empire Romain et l’Orient lointain. Le résultat est original.

Le mot de la fin :

« Oui, décidément, ne connaitre ne vouloir connaître qu’une seule culture, la sienne, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir »

 

Boussole – Mathias Enard

VOYAGE EN ORIENT

boussole

Dans certains livres, les pages se tournent toutes seules, le lecteur (la lectrice, dans mon cas) ne peut plus le lâcher tant qu’elle n’est pas arrivée à la fin. Boussole exige une lecture lente. Question de style :  une seule phrase occupe toute la première page . Il faut reprendre son souffle avant d’aborder la suite…Question aussi de contenu – extrêmement dense. Quelque fois je reprends la lecture à la page précédente pour être sûre de ne rien avoir manqué. 

Le narrateur est un érudit viennois, musicologue et orientaliste, qui, une nuit d’insomnie et d’angoisse, convoque ses souvenirs de voyages en Orient, Istanbul, Damas et Téhéran, ses recherches et ses rencontres ainsi que sa relation avec Sarah, son double féminin, encore plus érudite plus curieuse, voyageuse, amour insatisfait et lointain.

Vienne, la  Porte de l’Orient? Quand les Ottomans menaçaient la ville en 1529 ou 1683? Je rencontre Goethe, Beethoven, Mahler, Bruno Walter au détour des pages. pages littéraires ou musicale. plus étonnant: Balzac? Érudition.

A Istanbul, je croise Liszt et son piano, qui jouait pour le sultan mélomane. Le narrateur imagine des ponts sur le Bosphore (comme dans Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants) le cosmopolitisme élevé au rang d’art majeur….musique orientale, orient des musiciens, Félicien David, comme orientaliste musicien…

J’ai beaucoup aimé ses souvenirs de Damas et de Palmyre et l’admiration de Sarah pour Annemarie Schwartzenbachles aventurières comme Lady Hester, Marguerite d’Andurain (moins illustre) ou Eberhardt…

Et sans surprise Edward Saïd quoique dans les termes étonnants :

« Le débat est devenu houleux ; Sarah avait lâché le Grand Nom, le loup était apparu au milieu du troupeau, dans le désert glacial : Edward Saïd. C’était comme invoquer le Diable dans un couvent de carmélites… »

Téhéran aux dernières heures du Shah, aux premières de Khomeni…

Lecture lente parce que je rêve chaque fois que je rencontre une figure connue, que je retourne sur l’ordinateur pour mieux connaître un personnage inconnu… Tentation de nouvelles lectures ? Il faudrait que je relise, la page précédente, ou carrément le texte que cite l’érudit…tentation de musiques aussi…

J’ai emprunté Boussole, il faudra que je le rende. mais je vais l’acheter parce que c’est un livre que j’aurais encore envie de retrouver, .

D’Alep à Paris -les pérégrinations d’un jeune syrien au temps de Louis XIV – Hanna Dyâb

VOYAGE EN ORIENT

d'Alep à Paris

Plutôt qu’un voyage en Orient, c’est le voyage d’un oriental vers Paris de1707 à 1710. Après une expérience ratée dans un monastère libanais,Hanna Dyâb  rencontre Paul Lucas, explorateur au service de Louis XIV, entre à son service et le suit dans un périple qui le mènera à Chypre, en Egypte, à Tripoli, Tunis puis Livourne, Marseille et enfin Paris

Contrairement  à Evleya Celebi qui était un érudit-musulman, Hanna  est chrétien maronite. Il parle et écrit en Arabe, il s’exprime  aussi en Turc,  Français,Italien,  Provençal et sert d’interprète à Paul Lucas qui lui promet un poste à la bibliothèque arabe à Paris. Hanna connait les marchands marseillais pour qui il a travaillé avec son frère à Alep. La civilisation occidentale lui est moins exotique. Il semble partout chez lui.

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Antoine Galland

C’est un conteur merveilleux. A Paris, il a rencontré Galland qui traduisait les contes des Mille et unes Nuits, on pense même que certains contes comme Aladin ont été inventés par Hanna Dyâb. La relation de son périple n’est pas un journal de bord, il le raconte 50 ans plus tard, dans ses vieux jours, à la manière des contes orientaux mêlant des descriptions précises,  les récits des aventures et des histoires, des rumeurs qu’il a entendues ou tirées de la vie des saints.

C’est aussi un excellent observateur. Il rapporte  la vie courante dans les pays traversés.C’est surtout à Paris où il est resté de longs mois qu’il raconte le grande hiver 1709 et la famine qui l’a suivi. Il décrit l’étiquette à la cour où il a été accueilli en apportant des gerboises..  Vie quotidienne comme l’installation des boutiques de café par des Syriens.

Les voyages sont périlleux, par terre comme par mer. Sur la mer,  les Corsaires rôdent. Paul Lucas et Hanna Dyâb ne les évitent pas. Le récit d’une attaque par les corsaires fait du récit un roman d’aventure. Son retour avec une caravane à travers l’Anatolie d’Istanbul à Alep en est encore une autre.

Les éditeurs et la traductrice ont ajouté une introduction et  tout un corpus de notes de bas de page enrichissant beaucoup ce livre. Certaines  concernent le choix du vocabulaire d’Hanna Dyâb, arabe syrien, turc, d’autres critiquent la chronologie en comparant les dates fournies par Hanna Dyâb à celles de Paul Lucas, d’autres, enfin, situent les épisodes racontés dans l’histoire, ce sont ces dernières qui m’ont passionnée.

C’est donc une lecture très agréable et un livre très sérieux.

 

 

Patrick Leigh Fermor : The Broken Road

LE VOYAGE EN ORIENT

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Une nouvelle édition rassemblant les trois récits du voyage de Fermor de Londres à Istanbul vient de paraître!
J’ai lu le Temps des Offrandes et  Entre Fleuve et Forêt il y a bien longtemps. j’attendais la suite depuis des années.

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Patrick Fermor – 18 ans – est parti de Londres en décembre 1933 à pied vers Constantinople.
Fermor est décédé en 2011.

Surprise : en 2013, la fin du voyage est enfin parue : The Broken Road

J’ai choisi de la télécharger en anglais sur ma liseuse. Je préfère lire en VO, même si le texte est littéraire et comporte tout un vocabulaire choisi que je ne possède pas. Magie de la liseuse : je clique et les dictionnaires m’aident.
c’est donc une lecture, lente, savoureuse, jubilatoire.

Fermor quitte la Serbie et les Portes de Fer, arrive à Sofia.

Rila
Rila

Au monastère de Rila il fait connaissance avec une étudiante de son âge qui l’invite à Plovdiv. Puis, il  marche dans la campagne, entre dans une épicerie à Tarnovo, le fils est étudiant également, ils sympathisent. De Routschouk – ville natale de Canetti – il traverse à nouveau le Danube et rejoint Bucarest où il est reçu dans la meilleure société…puis longe la Mer Noire et arrive pour la nouvelle année à Istanbul, dont nous n’apprenons presque rien.
Le périple n’est pas terminé puisqu’il se poursuit au Mont Athos.
C’est un livre de randonnées, Fermor raconte ses aventures. il raconte surtout ses rencontres.
De la haute société de Bucarest, francophone, proustienne et snob il passe à une grotte occupée par des pêcheurs grecs et des bergers bulgares avec leurs troupeaux avec le même bonheur – et pour le nôtre! Nous ferons enfin connaissance avec des moines russes, bulgares ou grecs…

 

Benny Ziffer – nous autres levantins

VOYAGE EN ORIENT 

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Benny Ziffer est un journaliste israélien. Il se revendique aussi comme « levantin » – d’un Levant qui s’étendait d’Athènes au Caire, Istanbul pour métropole, le Français pour lingua franca, la littérature, le cinéma et la peinture pour valeurs.

Ses carnets de voyage nous emmènent successivement au Caire, à Amman et ses environs, à Jérusalem, sur les pas de Mark Twain en Galilée, à Istanbul, à Athènes et même à Paris.

Peu d’attractions touristiques, les touristes sont plutôt considérés avec commisération. Au lieu de visiter les sites et les musées, Ziffer flâne dans les marchés avec une prédilection particulière pour les bouquinistes qui vendent à même le trottoir les livres en français  à l’Ezbeqieh  ou les suspendent avec des pinces à linge près de Beyazit. Il traîne dans les cafés et les lieux nocturnes du Caire en compagnie de son acolyte Niemand – personne – un Ulysse poète juif qui reviendrait à Ithaque/le Caire- improbable personnage, double imaginaire de l’auteur. Il passe une soirée avec Mahfouz. Nous emmène au cinéma….

A Alexandrie il rencontre le sosie de Cavafy, mais il faut se méfier des histoires qu’on colporte sur Alexandrie. J’en ai fait l’expérience personnelle!

C’est sur la piste d’une phrase de Flaubert qu’il traverse la Jordanie et nous en apprendrons plus sur le verre peint d’Hébron vendu par un arménien que sur le musée d’Amman.

J’ai été étonnée de la porosité des frontières. Ziffer ne se cache nullement d’être israélien. Au contraire, sa carte de presse lui ouvre certaines portes fermées.

Chaque fois, il souligne les parentés, les ressemblances entre les Levantins. Quant aux religions, elles offrent de surprenantes découvertes, Ziffer va à la synagogue au Caire et dans un monastère à Jérusalem. C’est en Israël, qu’il assiste à une cérémonie mystique soufie de derviches tourneurs.

Son récit à Istanbul est plus personnel, il touche de près ses origines familiales, la maison de ses parents, leurs amis. Plus politique aussi, le rapport au sionisme, politique turque aussi.

Et si le Moyen Orient oubliait ses différences pour ne vivre que ce qui rassemble?

http://www.turquieeuropeenne.eu/5627-Voulez-vous-des-nouvelles-du-chat-d-Erol-Guney.html

lire aussi cet interview de Benny Ziffer

Podcast de France Inter

The Prester Quest Nicholas Jubber

LE VOYAGE EN ORIENT

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A la suite de  Durrell, Fermor ou Chatwin, et Dalrymple, écrivains-voyageurs, d’une culture classique irréprochable d’Oxford ou de Cambridge, Jubber raconte son épopée de Venise  en Ethiopie,  en passant par Rome, Bari, Rhodes, Istanbul, Diyarbakir, la Alep et Damas, le Liban,  Amman, Jérusalem, Le Caire, le Soudan…. en 2001.

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Parti enseigner l’Anglais à Jérusalem-est, l’Intifada interrompt ses cours. Dans le calme de la bibliothèque franciscain, il part sur la trace des Croisades et découvre une lettre du pape AlexandreIII  destinée au légendaire Prêtre Jean proposant une alliance pour prendre à revers Saladin. Maître Philippe, un médecin vénitien, partit à la recherche du Prêtre Jean. Jubber et son compère Mike, partent sur les traces de Maître Philippe.

Mais où régnait donc ce Prêtre Jean, aux Indes, en Arménie ou en Georgie, en Ethiopie? Jubber choisit l’hypothèse éthiopienne sans négliger la piste qui les mènera en Arménie et au Kurdistan. Itinéraire compliqué des deux routards à travers le Proche-Orient jusqu’en Afrique. De Maître Philippe, aucune trace. A-t-il vraiment existé? Les épîtres à un ami, médecin de Salerne, sont sans doute une mystification.

krk des chevaliers
krk des chevaliers

Jubber nous convie à un double voyage : le sien, en 2001 aventureux, avec les rencontres avec nos contemporains, celui de Maître Philippe, ou tout au moins celui qu’il imagine. Je ne sais lequel j’ai préféré. Pour suivre Maître Philippe, ils ne négligent aucun vestige, aucune ruine, aucun château croisé. Ils traînent une pesante bibliothèque de textes anciens dans leur sac à dos. Souvent l’actualité prend le pas sur le pèlerinage historique. Parfois de curieux événements télescopent les époques comme cette apparition de la Vierge en haute Egypte. Des comparaisons inattendues  surviennent, Arafat est-il le nouveau Saladin? Encore plus étrange le lien entre le tombeau vide de Saint Jean  à Selçuk et l’existence-même du Prêtre Jean .

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Tout cela paraît bien sérieux.

Pas du tout! Je me suis beaucoup amusée dans le récit jubilatoire des aventures des deux compères. Au Soudan, les recherches historiques passent au deuxième plan après les considérations pratiques, visas, transports…Arrivé malade en Ethiopie, Jubber songe sérieusement se soigner avec une thériaque moyenâgeuse confiée par un routard un peu allumé. Un livre d’aventures avant tout!