Iochka – Cristian Fulas – La Peuplade

 ROUMANIE

415 pages, deux semaines pour en venir à bout.

« Comme tous les peuples, celui dont sortaient Ilona et Iochka n’avait pas d’histoire. Pas dans le sens qu’on
pourrait croire – qu’on ne lui accorderait pas d’importance – mais dans le sens d’être absent du monde, mort sans aucune autre suite. Parce que ceux qui avaient écrit l’histoire, depuis toujours, avaient marqué, noté les faits, les guerres, les ententes entre les puissants que l’on appelle la paix, en laissant croire à tout le monde que les petites gens n’étaient que des instruments, de la chair à canon et des bêtes de somme, »

Dans une vallée perdue des Carpathes, des hommes construisent une voie ferrée qui n’arrive nulle part, un hôpital psychiatrique héberge des « fous » ou peut-être des opposants au régime. L’électricité est parvenue presque jusqu’à eux.

Iochka est arrivé dans la vallée après avoir fait la guerre avec l’armée roumaine (du côté des Allemands) puis avoir été déporté dans un camp soviétique du côté du Caucase, il trouve la paix dans la vallée et il est rejoint par Ilona.

C’est une histoire d’amour. Les descriptions érotiques sont circonstanciées et parfois tirent en longueur (suis-je forcée de lire tout cela?) .

C’est aussi l’histoire d’amitié virile entre les quatre notables : Iochka, le forgeron, le Contremaître du chantier, le docteur de l’hôpital et le pope qui vit plus haut dans son ermitage. Amitié autour d’une bouteille de palinca, ils boivent beaucoup. La gnôle délient les langues, alimente des disputes entre le pope et le docteur athée, scelle des réconciliations. Ils boivent vraiment beaucoup (suis-je forcée de les suivre pendant des pages?).

A force de lire, je découvre les histoires individuelles (je suis restée sur ma faim en ce qui concerne le médecin, comment est-il arrivé là?). Chaque histoire se développe. Chacun se dévoile dans sa complexité. Je m’attache aux personnages.

C’est aussi l’histoire de la Roumanie, toute une tranche d’histoire de la Seconde Guerre mondiale à l’installation des communistes, la chute des Ceausescu, la modernisation qui gagne avec la construction des chalets de touristes dans la vallée.  Histoire désenchantée où la chute du dictateur apporte peu aux gens ordinaires :

 Peut-être que le régime était tombé, peut-être qu’un chef avait été exécuté sommairement un matin d’hiver dans l’espoir que le passé soit révolu mais quiconque aurait observé le monde aurait compris une vérité que les plus simples, à qui personne ne demandait rien, connaissaient : un homme avait disparu mais son époque n’était pas finie et peut-être ne finirait-elle jamais. Parce que, mais cela seuls les sages le comprennent et le comprendront jamais, les mondes dirigés par un seul homme ne sont pas dirigés par lui mais par des milliers

[…]
Au plus petit signe d’hésitation du puissant, lorsque les peuples se révoltent, ceux qui l’entourent l’exécutent et
mettent en place un autre puissant derrière lequel ils se cacheront et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps.
[…]
Sans bruit et sans chercher à tirer des ficelles pour la faire disparaître, le nouveau propriétaire avait couvert le terrassement et les rails d’un talus qui enterrait sous un mètre de terre toute l’histoire passée de ces lieux. »

Malgré les  longueurs, je me suis laissé emporter dans ce roman très exotique pour moi. J’ai bien aimé partager les moments de fête, les traditions orthodoxes gardées fidèlement par la pope beaucoup moins borné que je ne l’imaginais au début, un fin lettré collectionneur d’icones et d’objets d’art.

Roman de tolérance aussi : le Contremaître communiste, le docteur athée, le pope se disputent, comparent leur vision de la vie, se réconcilient, s’associent pour prendre soin de Iochka, le taiseux, l’homme simple.

Bucarest/ Paris:

George, fidèle lecteur et commentateur roumain m’a envoyé une documentation sur l’auteur Cristian Fulas que je recopie ici : 

Cristian Fulaș, né le 3 juillet 1978 à Caracal, diplômé en lettres, puis études approfondies en théorie de la littérature. Il a fait ses débuts en 2015 avec Fîșii de rûsine (Gestalt Books; Prix de l’Observatoire culturel pour ses débuts; Prix du colloque « Liviu Rebreanu »; Prix du magazine Accente; nominé aux USR Awards pour ses débuts; nominé pour le prix du livre de l’année du Iași Journal). Des fragments du roman ont été traduits en français, italien, allemand, anglais, bulgare, croate, suédois, hongrois. En 2015, il publie Jurnal de debutant (Tracus Arte Publishing House), et en 2016 After Crying (Max Blecher & Gestalt Books Publishing House ; nominé pour le prix du livre de l’année du journal Iași). Il a traduit une cinquantaine de titres de l’anglais, de l’italien et du français, parmi lesquels on cite : Machiavelli’s Dream (Christophe Bataille), Tell Them About Battles, Kings and Elephants (Mathias Énard), Classic Myths (Jenny March), Igitur • A Throw by Dés (Stéphane Mallarmé).
 
Du même auteur, le court volume en prose Cei frumoși si cei buni (2017) et les romans Fîșii de rûsine (2018)(Bandes de honte) et Dupa plîns (2019)(Après avoir pleuré) sont également parus aux éditions Polirom. En 2018, il publie Povestea lui Dosoftei à la Maison d’édition du Musée littéraire de Iași, dans le cadre d’un projet FILIT. Depuis 2019, il traduit Marcel Proust, « À la recherche du temps perdu ».

 

Europolis – Jean Bart (Eugeniu Botez)

DANUBE

Le Palais de la Commission Européenne du Danube à Sulina

A la suite de Danube de Claudio Magris où j’ai trouvé la référence du livre, et du Pilote du Danube de Jules Verne, j’arrive à la Mer Noire. Inutile de chercher Europolis sur l’Atlas. Je pense d’abord à une ville fantôme ou à une ville de Science-Fiction. Non, Europolis  était la ville de la Commission Européenne. 

Europolis est l’humble Sulina roumaine, petite ville de littoral et grand port sur le Danube, siège de la
Commission européenne du Danube….

….après la Guerre de Crimée, la Turquie ne pouvant pas et la Russie ne voulant pas assurer la navigation sur le fleuve, les grandes puissances qui avaient besoin du blé roumain avaient organisé après la guerre de Crimée la fameuse Commission européenne du Danube

Selon Wikipedia,  À la fin du xixe siècle, elle affichait une population de 4 889 habitants dont 2 056 grecs pontiques, 803 roumains, 553 lipovènes, 444 arméniens, 268 turcs, 211 austro-hongrois, 173 juifs, 117 Albanais, 49 allemands, 45 italiens, 35 bulgares, 24 maltais britanniques, 22 tatars, 22 monténégrins, 21 serbes, 17 polonais, 11 français, six danois, cinq gagaouzes, quatre indiens britanniques et trois égyptiens. 

Sulina était donc une ville cosmopolite, comme tous les ports de commerce, porte de l’Europe vers l’Orient, entrée aussi du trafic fluvial sur le Danube, le plus grand fleuve européen. La communauté la plus importante était celle des Grecs à cause de la présence historique des Grecs autour de la Mer Noire et aussi à cause de l’importance des armateurs Grecs dans le trafic maritime et le commerce.

« C’est que les Grecs ont, à leur manière, raison lorsqu’ils se prétendent les hôtes les plus anciens de ce littoral.
Dites-moi, n’y a-t-il pas eu ici des colonies grecques ? Avez-vous oublié l’histoire et l’expédition des
Argonautes qui cherchaient par ici la Toison d’or ?

Critiques ouvertes, discussions violentes, car tout Grec naît marin ; nonobstant son métier, il est en outre
capitaine… de navire, de caïque ou de barque. »

Les personnages du romans sont pour la plupart grecs et le Grec apparait « dans le texte » du roman écrit par ailleurs en Roumain. C’est l’histoire du retour d’un enfant du pays expatrié en Amérique. L’histoire commence avec la réception de la lettre annonçant ce retour. Dans l’imaginaire de tous, les Grecs font fortune en Amérique ; Nikola, le frère de Stamati, le cafetier, ne peut être que millionnaire. Chacun spécule sur cette fortune et chacun rêve de s’associer pour investir dans un projet mirifique.

L’Américain fut célébré comme un authentique héros de l’Antiquité, de retour dans sa patrie après une longue
odyssée.

Nikola n’arrive pas seul, il est accompagné de sa fille Evantia, noire de peau et d’une grâce telle, qu’elle acquiert le surnom de Sirène noire. On se dispute sa compagnie aussi bien dans la communauté grecque qu’au Palais de la Commission Européenne tous les marins et les officiers de marine la convoitent. La déception de le découvrir sans le sou sera très cruelle.

Europolis est aussi une histoire d’amour. Il est beaucoup question d’amour chez ces marins qui font escale à Sulina. Ce n’est pas l’aspect le plus plaisant du livre : la misogynie qui s’étale sans fard est difficile à lire pour la lectrice de 2020. L’amoureux transi moqué par ses camarades, le séducteur, Don Juan sans scrupule, les amours vénales des marins qui font relâche au port. On devine dès le début que la belle jeune fille naïve est promise à la déchéance. Il faudrait pouvoir sauter les chapitres entiers où les marins échangent ces considérations machistes.

Europolis est aussi une très belle évocation du delta, de l’ambiance de cette ville écrasée de chaleur l’été, prise dans les glaces l’hiver, du fleuve :

Vous allez voir l’un des spectacles les plus grandioses de la nature. Observez la couleur de l’eau. Deux nuances
bien distinctes. Nous sommes en mer, mais nous voguons déjà dans les eaux du Danube. Tenez, la surface est
toute bleue jusqu’à l’horizon, et uniquement dans la direction que nous suivons, une large bande couleur café
partage le miroir d’eau. C’est l’eau douce, boueuse, du fleuve, qui passe au-dessus de l’eau salée et limpide de la
mer sans s’y mêler à ce stade. Deux domaines, deux forces formidables de la nature se rencontrent ici sous nos
yeux. Le fleuve dominateur, qui n’a pas connu d’obstacles dans son cours et que nulle force n’aurait pu arrêter, n’interrompt pas sa course, il continue en haute mer jusqu’à ce qu’il y perde son eau et son nom. C’est ici que la personnalité du Danube disparaît après avoir englouti l’eau de cent trente rivières, après avoir baigné sept pays, cinquante ville, coupé l’Europe en diagonale.

J’aurais aussi pu évoquer les pirates qui volent le blé, le transportent dans des chalands à double cale…cette lecture est pleine de surprises.

Le Pilote du Danube – Voyages Extraordinaires de Jules Verne

POLAR FLUVIAL ET DANUBIEN

….. »Ilia Brusch comprit le danger. Faisant pivoter la barge d’un énergique coup d’aviron, il s’efforça de se
rapprocher de la rive droite. Si cette manœuvre n’eut pas tout le résultat qu’il en attendait, c’est pourtant à elle
que le pêcheur et son passager durent finalement leur salut. Rattrapée par le météore continuant sa course
furieuse, la barge évita du moins la montagne d’eau qu’il soulevait sur son passage. C’est pourquoi elle ne fut
pas submergée, ce qui eût été fatal sans la manœuvre d’Ilia Brusch. Saisie par les spires les plus extérieures du
tourbillon, elle fut simplement lancée avec violence selon une courbe de grand rayon. À peine effleurée par la
pieuvre aérienne, dont la tentacule avait, cette fois, manqué le but, l’embarcation fut presque aussitôt lâchée
qu’aspirée. En quelques secondes, la trombe était passée et la vague s’enfuyait en rugissant vers l’aval, tandis
que la résistance de l’eau neutralisait peu à peu la vitesse acquise de la barge. »

Quel plaisir de s’évader au fil de l’eau à bord de la  grosse barque du pêcheur Ilia Brusch, champion  de la Ligue Danubienne des Pêcheurs au concours 1876 de Sigmarigen à Routchouk. Ilia a imaginé ce périple comme une véritable opération de communication : annonçant ses étapes par voie de presse, vendant aux enchères le produit de sa pêche.

Depuis plusieurs mois, en effet, les rives du Danube étaient désolées par un perpétuel brigandage.

Les voleurs, très mobiles, sont insaisissables et la police fluviale délègue un fin limier Karl Dragoch pour les arrêter. L’enquêteur, incognito, s’invite à bord de la barge d’Ilia Brusch. Jusqu’à Vienne c’est une véritable partie de pêche et de plaisir. Tout se complique quand le pêcheur fait escale dans la Capitale et que de nouveaux personnages s’immiscent dans la navigation. Véritable imbroglio d’identités, Ilia Brusch est-il le paysan Hongrois qu’il prétend?

A l’escale suivante, en Hongrie, une villa est dévalisée, une tempête chahute la barque et Karl Dragoch tombe dans le Danube…C’est un roman d’aventures!

L’action se déroule en 1876 avec les guerres d’indépendances des patriotes bulgares contre la Turquie, trafics d’armes, pirates du Danube.

Il y a aussi un une romance.

Tous les ingrédients pour un polar aventureux très réussi.

 

 

Athénée Palace – Rosie Waldeck

LIRE POUR LA ROUMANIE

Lu à la suite dEugénia de Lionel Duroy , ce livre répond à la critique de Keisha qui « n’aime pas les trucs romancés« : Athénée Palace est un reportage paru en 1942 à la suite du séjour de Rosie Waldeck correspondante pour Newsweek. C’est le témoignage direct d’une journaliste américaine qui a séjourné à Bucarest du 14 juin 1940 à la fin janvier 1941 et qui a rencontré  la plupart des protagonistes.  Les événements  relatés chronologiquement, mais aussi classé par thèmes dans des chapitres courts. La lecture est ainsi facilitée bien que cette histoire soit disséquée avec un luxe de détails. 

Rosie Waldeck est le témoin idéal –  de nationalité américaine alors que les Etats Unis sont encore neutres, les Français et les Britanniques seront contraints à quitter la Roumanie qui passe progressivement sous contrôle. allemand. Née en Allemagne en 1898, de langue Allemande elle maîtrise la langue et tous les codes germaniques.  En tant que Juive allemande, elle est très lucide sur la montée des Nazis. Esprit libre, elle n’hésite pas à choquer les intellectuels libéraux qui ne prennent pas Hitler au sérieux.

« Au cours de l’été 1940[….]A l’Athénée Palace et uniquement là, dans le décor élégant des grands hôtels européens, les personnages de l’Europe d’après guerre et ceux du Nouvel Ordre se partageaient l’affiche, avec dans les deux cas, une distribution de premier ordre, et la pièce elle-même était pleine de suspense.

Voici l’intrigue. Une Roumanie neutre, petit pays, mais riche en céréales, et le cinquième producteur de pétrole mondial, s’efforce de conserver son indépendance.

L’Athenée Palace  offre à la journaliste  un  poste d’observation privilégié : au coeur de la capitale roumaine. Tout ce qui compte à Bucarest s’y rencontre. Intellectuels, princes, les Excellences, diplomates  ou politiques se retrouvent dans ses salons, viennent y dîner. Demi-mondaines et espionnes promènent leurs visons ou leurs toilettes parisiennes. A son arrivée, Rosie Waldeck découvre une Roumanie francophile catastrophée par l’entrée des Allemands dans Paris le jour-même. Au fil de l’été, les Allemands tissent leur toile. Tout d’abord séducteurs, ils cherchent à rassurer l’intelligentsia et le Roi par une ouverture intellectuelle assez étrange. Puis ils envoient des hommes d’affaires pour s’assurer du pétrole roumain et des céréales.

Depuis longtemps,  la Garde de fer, nationaliste et antisémite,  cherche à imposer par la terreur un régime fasciste. Leur conquête du pouvoir est contrée par d’autres forces politiques, le Roi Carol,sa maîtresse juive Lupescu et  sa camarilla, les différents chefs de gouvernements et l’armée avec le Général Antonescu jouent leur partition. Les rivalités sont sanglantes et compliquées avec des retournements d’alliances. Les Gardes de fer singent les nazis mais ne sont pas nécessairement les alliés des nazis qui préfèrent un régime stable qui leur garantirait pétrole et céréales.

C’est l’entrée en Bessarabie de la Russie (malgré le pacte Ribbentrop- Molotov) et la perte de la Transylvanie revendiquée par la Hongrie qui précipite l’occupation allemande. La Grande Roumanie se trouve dépecée. Certains Roumains voient dans les Allemands des protecteurs contre leurs rivaux proche Russes-Hongrois et Bulgares. La royauté vacille, jusqu’à l’abdication de Carol le 3 septembre. Antonescu, ne sera pas le De Gaulle roumain, qu contraire, il ira se jeter dans les bras d’Hitler qui lui fait plus confiance qu’à la Garde de fer.

Le 13 octobre 1940, la mission allemande tant attendue débarque à Bucarest. La Roumanie est occupée sans aucune résistance. Rosie Waldeck, comme Malaparte dans le roman Eugenia de Lionel Duroi, n’hésite pas à fréquenter les plus grands dignitaires, un général allemand,  comme le Hohe Tier pour les besoins de son reportage. Elle ne cache d’ailleurs pas ses origines juives, dans la haute hierarchie nazie, on est au dessus de ces contingences.

L’automne à Bucarest sera violent avec des luttes intestines, des nuits-des-long-couteaux, des funérailles spectaculaires,

Avant la fin novembre, les Roumains pouvaient dire : « les sept plaies se sont abattues sur nous : les Hongrois, les Russes, les Bulgares, Lupescu, le régime gardiste, la mission militaire allemande, et le tremblement de terre. »

L’Ordre Germanique tarde à s’installer sur l’Europe de l’Est et sur la Roumanie en particulier. L’auteur analyse avec lucidité la raison des atermoiements allemands et l’égoïsme nationaliste roumain des Gardistes. Elle définit avec clarté ce qu’est le totalitarisme. Le traitement des réfugiés allemands de Bessarabie montre le caractère racial de cet Ordre germanique.

Atroce conclusion à son séjour : le pogrom de Bucarest et la terreur sanguinaire que font règner les Gardistes au cours de janvier 1941.

Grâce à cet ouvrage très détaillé et très clair  je commence à mieux me repérer  dans cette période troublée. La lucidité de Rosie Waldeck est prémonitoire : alors que le livre est sorti en 1942, on croit deviner la résistance des Anglais et Stalingrad. L’Ordre Germanique ne s’est pas installé parce que tout simplement la guerre n’est pas gagnée par Hitler.

 

Eugenia – Lionel Duroy

LIRE POUR LA ROUMANIE

Quand je voyage vers l’Est, des Pays Baltes à la Grèce, je cherche les traces des Juifs disparus. Eugenia est un roman qui vient illustrer une lecture plus ardue :  Les voix de Iasi de Jil Silberstein retraçant l’histoire de la communauté juive de Iasi et parallèlement celle de l’antisémitisme en Moldavie et en Roumanie. Le livre de Jil Silberstein est une étude très aboutie tandis que Eugenia est un roman.

 

 

Réflexion faite, ce qui est grave, ce n’est pas que trois gars puissent se poster à un coin de rue pour hurler « Mort
aux youpins ! », mais que leur cri puisse passer inaperçu, banal comme la cloche d’un tramway.

Eugenia, la narratrice, est une très jeune femme d’une vingtaine d’années, née à Iasi dans une famille de petits commerçants. Etudiante en lettres, elle fait la connaissance de l’écrivain Mihail Sebastian, écrivain juif invité par la Professeur de Lettres qui se fait lyncher par des jeunes des la Garde de Fer. Eugenia prend la défense de l’écrivain, alors que son propre frère est à l’instigation du lynchage, elle tombe amoureuse de l’écrivain, part pour Bucarest et devient journaliste….(je ne vous en raconterai pas plus!). Eugenia est-elle un personnage inventé? C’est un personnage complexe, jeune fille naïve,  idéaliste, capable de s’opposer à sa famille antisémite, de se lancer dans le journalisme.

Le sujet central est le récit du pogrom de Iasi qui fit  13.200 victimes et qui est raconté dans toute son horreur. L’article mensonger de Malaparte fait l’objet d’une longue citation.

C’est aussi l’histoire de la Roumanie de 1938 à 1945 contée dans le détail avec les luttes pour le pouvoir entre les légionnaires de la Garde de Fer et la monarchie, entre les atermoiements et les concessions aux nazis pour éviter le pire, qui de toutes les façons arrivera…les hésitations d’intellectuels francophiles mais fascinés par les théories antisémites. Le récit romanesque fait passer tous ces épisodes contradictoires, les exécutions et emprisonnements des différentes factions. Si l’histoire d’amour d’Eugenia et de Mihail est sans doute inventée, tous les autres personnages sont historiques.

Au fur et à mesure des victoires de la Wehrmacht, Carol II avait dû donner de plus en plus de gages à Hitler.
Après l’invasion de la Pologne, il avait offert à l’Allemagne la moitié de notre pétrole. Après celle du Danemark,
il avait accepté de réviser à la hausse le traité pétrolier en faveur de l’Allemagne et offert, en plus, une grande
partie de notre production céréalière. Après la capitulation de la France, jugeant la Roumanie en grand péril, il
avait pris cette fois la décision d’« aligner la politique du pays sur celle de l’Allemagne ». On ne pouvait faire
plus.

Mihail Sebastian, écrivain, journaliste, avocat, fréquentait toute l’intelligentsia de Bucarest. Nous croisons au fil des pages les écrivains de l’époque : Emil  Cioran, Mircea Eliade, Ionesco, et tant d’autres que je ne connaissais pas. Il y a tant de références littéraires que j’ai fait une liste de lectures à venir et tout d’abord le Journal de Mihail Sebastian témoignage essentiel et ses autres œuvres.

Un personnage est tout à fait ambigu: Malaparte, journaliste pour le Corriere della Sera qui couvre le Front de l’Est et a rédigé un article tout à fait douteux sur le pogrom de Iasi avant de témoigner dans Kaputt. Eugenia porte aussi une réflexion sur le journalisme. La recherche de la vérité, du témoignage permet-elle les compromissions auxquelles se livre Malaparte? La parole du bourreau est-elle si passionnante que la jeune fille, imitant Malaparte retourne à Iasi après le massacre pour tenter de faire parler ceux qui ont massacré leurs voisins.

Une lecture parfois éprouvante mais il convient de ne pas oublier une histoire qui parfois resurgit – tout au moins dans le discours « décomplexé » qu’on a pu entendre récemment.

Une petite remarque concerne l’orthographe très bizarre de la version électronique qui rend pratiquement irreconnaissables les noms roumains aussi bien des personnes que la toponymie. Chisinau apparait ChiZinbu et Braila Brbbila, Radulescu Rbdulescu….

 

« Mr Fermor à rejoint les Champs Elysées »

Fermor entre fleuve et forêt

« Mr Fermor à rejoint les Champs Elysées. kalo taxidi! »

L’information m’est parvenue par un post sur le le Forum des Voyageurs de Lonely Planet, merci à Magne que je cite ici, et qui a  aussi donné le lien vers le journal Grec Ekathimerini.

Patrick Leigh Fermor est l’auteur de deux récits magnifiques Le Temps des Offrandes et Entre fleuve et forêt parus dans la Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs où il raconte son voyage à pied jusqu’à Constantinople entrepris en 1934 à 18 ans. A pied, à cheval, en péniche ou en charrette…

Ces récits peuvent être lus comme un livre d’aventures, mais aussi comme livre d’histoire, ils fourmillent de renseignements historiques comme de références littéraires. des rencontres, aussi bien avec des clochards que des châtelains. A lire et à relire. Cela me gêne un peu de qualifier un écrivain d' »écrivain-voyageur » comme si le placer dans une case le retranchait de la Littérature, comme Chatwin ou Lacarrière.

Autre parenté littéraire, avec L. Durrell. : tous deux se sont distingués pendant la Seconde Guerre Mondiale. les Services Secrets britanniques recrutaient chez les écrivains et P L Fermor fut un véritable héros en Crète. Comme Durell, Fermor s’installa en Grèce. C’est là qu’il termina sa vie.

C’est encore sur un forum de voyageurs, du Routard cette fois-ci que j’ai trouvé d’autres renseignements sur P L Fermor, Kardamyli, le village grec où il vivait près duquel se trouve la chapelle où reposent les cendres de Chatwin.

Poursuivant un écrivain, j’en trouve trois, et des meilleurs! Et des idées de lecture!


Paris/Bucarest : la récolte des coings

Epilogue au carnet roumain

http://www.dailymotion.com/swf/video/x7rnor
Colindul gutuii din geam "The carol of the… par LonelyMoonRise

Mon carnet roumain n’a valu une enrichissante correspondance avec un internaute roumain qui a répondu aux nombreuses questions implicites de mon blog.  Si nous ne nous accordons pas toujours sur tout, il est un  domaine où je lui demande régulièrement conseil : c’est le jardinage. Un aspect très sympathique de la vie roumaine est le lien très fort à la vie rurale et la subsistance de potagers même pour les citadins.

cette année notre récolte de coings a été abondante et j’en ai fait profiter mes amis et collègues. C’est un fruit parfumé, merveilleux mais d’un usage culinaire limité. j’ai donc écrit à Bucarest  pour avoir des idées. Gelées, confitures, comme sur les bords de la Seine.

mais aussi…

Adrian Paunescu – Jaune coing

(poeme et chanson- il existe en plusieurs versions, c’est un chanson de Noel)

Chorus:
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie

Quand j’étais un enfant à la maison
Et j’attendais le Noel
Il y avait une grande joie
Nous les enfants nous etions réunis

Chorus:
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie

Maman a mis à la fenetre
Dans la chambre sur la route

Une coing jaune pale
Que je dois garder pour le Noel

Chorus:
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie

La plus grande luxe de ma mere
Quand nous les enfants etions réunis
C’etait du pain mis sur la table
Et des coings a la fenetre

Chorus:
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie
Jaune coing, sucré, amere
Lampe dans la fenêtre

de toute notre vie

Arrivée à Horezou à la pension Danea

un mois en Roumanie en Logan chez l’habitant

Horezou : pension Danea

Ambiance de fête

J’écris sur le balcon. Il est 22 heures à la Pension Danea,  la nuit est tombée, tout le monde prend le frais dans le jardin, sur la terrasse ou dans le petit kiosque.

Deux ou trois familles de Bucarest, en vacances, ont mis une musique traditionnelle tonitruante. Ils ont d’abord dansé par couples, puis ont fait une ronde. Est-ce la même Hora qu’en Israël? Ils ont préparé grillades sur le barbecue, ils découpent des pastèques.  Cette ambiance de fête au village est une surprise. Personne ne songe à se coucher.

La région d’Horezou est touristique

les villages coquets sont équipés en restaurants et pensions. A l’entrée d’Horezou : un bazar de poteries, nains de jardin, cigognes grandeur nature  occupe le bas côté.
Juste après le pont, des barres d’HLM en béton, sinistres et dégradées, nous font craindre le pire. En Hongrie, à Szombathely le bureau de tourisme n’avait pas hésité à nous y loger. Une route sinueuse grimpe entre les jardins des maisons individuelles. Nous demandons notre chemin à un monsieur qui promène sa vache, les bestiaux cantonniers sont ici nombreux !

A ce propos, mon correspondant roumain me précise:

Les HLM désertes et détruites que vous avez vu à Horezu et dans plusieurs villages de Roumanie, sont le résultat de la politique du régime communiste quand Ceasusescu a voulu détruire et/ou transformer complètement les villages. C’eétait le temps de “L’Opération Villages Roumains” qui a été crée dans les états de L’Europe de l’Ouest.

Une partie de ces HLM a ete utilisée pour loger les ingénieurs, docteurs et professeurs qui on été distribués forcement pour travailler toute leur vie dans ces villages. “Immediat” apres 1989 les HLM on été abandonnées et tous ont revenu chez eux.

 

pension Danea : gloriette et jardin

Arrivée à la pension

Inattention – ou fatigue – la voiture saute une haute marche, sans dommage. Arrivées à 20 heures passées, nous traversons le jardin fleuri avec une seule idée : dormir.

– « Extenuat » dit Maria
– « Aeroport problem ? » demande Constantin en portant les valises
C’est ainsi que j’apprends mes premiers mots de Roumain, plus un autre inapproprié « immediat »

Menu gastronomique

Le dîner est excellent.
La soupe est la meilleure que j’aie jamais goûtée : légère, parfumée, très liquide. Les légumes sont passés très fin, le persil haché de frais.

-« la vache » dit la dame, qui me verse du pot au feu dans mon bol.

Les entrées : une salade tomate-concombre et une assiette de caviar d’aubergine. Dans une grosse bouteille de plastique, du vin rouge et dans une petite, leur alcool qu’on sert dans des petites tasses de poterie. La truite est  accompagnée de pommes de terre. Pour finir, une glace.

Le monastère d’Horezou

Un mois en Roumanie en Logan chez l’habitant

monastère d’Horezou

Le monastère d’Horezou est perché sur une colline.
On gravit l’allée dallée bien raide avant de passer sous un porche dans la première cour où se trouve une hostellerie puis dans le cloître carré bordé d’arcades arrondies très simples soutenues par des colonnes.

La pelouse est piquetée de fleurettes de trèfle et de pissenlit. Les pourtours, fleuris de roses. Deux magnifiques poiriers devant l’église, à l’arrière, un tilleul embaume.

L’église est entièrement peinte à fresques. Un petit pavillon carré (exonarthex) porte de très belles peintures sur un fond bleu. Le narthex très aéré représente le Jugement Dernier. Le porche de l’église sépare le Paradis de l’Enfer. Comme d’habitude le Paradis où se pressent les saints auréolés d’or dans des cadres en forme de goutte ou en longue procession, est plus ennuyeux. L’enfer est lus spectaculaire traversé en diagonale par une longue langue de feu rouge sortant de la gueule du Léviathan (ou un fleuve de flammes s’y précipitant). A l’intérieur de la langue rouge les défunts sont découpés et apparaissent à mi-corps piqués par des démons. De part et d’autres ils sont conduits par des diables. Dans un coin un diable à tête de sanglier crève les yeux d’un homme malgré l’intercession d’un ange. L’autre côté est plus énigmatique, peuplé d’animaux étranges ; de personnages voilés de blanc attendant au balcon tandis qu’une foule enturbannées et barbue est habillée de riches vêtements.
Les fresques de la nef sont plus difficiles à décrire. Je reconnais Constantin et Hélène, grandeur nature, ainsi que le donateur du monastère qui a une allure plus russe que grecque.

Des écoliers arrivent en piaillant. Une nonne toute voilée de noir tape sur une planche. Elle fait taire les enfants et la visite guidée en Roumain commence. Les enfants sont très attentifs. Je regrette de ne rien y comprendre.

Non loin d’Horezou le monastère de Bistrita plus grand, plus récent n’a pas le charme du premier- église immense, bâtiments blancs  austères.
Un troisième monastère est perché dans la montagne. La route dessert aussi une carrière de granulats et de ballast qui éventre la montagne. La route, autrefois asphaltée,  est transformée en une mauvaise piste. A un tournant, un cheval mort tout gonflé les quatre fers en l’air est couché. Cela jette un froid.

Après quatre kilomètres nous découvrons le petit monastère sous une pluie battante. L’église est en rénovation,  entourée d’échafaudages et de bâches ! A l’intérieur, les fresques sont très colorées : fond bleu étoilé, manteaux rouges, personnages grandeur nature.

les potiers d’Horezou

Un mois en Roumanie en Logan chez l’habitant

Poterie d’Horezou

Dernière étape au programme : les potiers d’Horezou. Les stands de poteriesur le bord de la route sont plutôt des repoussoirs : les poteries traditionnelles sont mélangées avec des horreurs.

En ville, nous découvrons une rue piétonnière commerçante avec des pâtisseries, des banques, une jolie église peinte à l‘extérieur, des petits squares. Horezou est une petite station de montagne animée mais pas vraiment prospère.

Les potiers sont installés dans le hameau d’Olari. La Pension Danea  est justement rue Olari. Nous montons en voiture et je descends à pied pour photographier les maisons décorées avec les assiettes.  Les assiettes sont identiques dans tous les ateliers : motifs géométriques, coq noir ou arbre stylisée avec la ramure noire. Trop stéréotypé pour me plaire.

Même les HLM délabrés sont couverts d’assiettes. En observant mieux j’ai découvert que ces immeubles rébarbatifs avaient été personnalisés d’éléments traditionnels : assiettes et piliers de bois sculptés.
Contradiction roumaine : un souci de décoration et en même temps une négligence qui laisse en ruine le patrimoine et tolère le bétonnage le plus horrible.

Entrée : polenta et fromage blanc puis un délicieux bouillon parsemé de persil frais coupé avec des gnocchis jaunes. Côtes de porc très relevées accompagnent les pommes de terre. Enfin deux desserts : tranche de pastèque et gâteau maison.