Joann Sfar – La vie dessinée – Salonique « Jérusalem des Balkans » 1870-1920 au MAHJ

Exposition temporaire jusqu’au 12 mai 2024

Nous connaissons tous Le Chat du Rabbin il est à l’honneur dans l’exposition mais j’ai préféré mettre l’accent sur d’autres aspects de l’œuvre de Yoann Sfar. 

Nous découvrons les années d’apprentissage, au lycée Massena de Nice et rencontrons Romain Gary, Charlie Hebdo, Riad Sattouf,…

Sfar s’est emparé du fantastique avec le petit vampire, le Golem,

Il rend hommage aux peintres juifs : Chagall, Pascin, Soutine et réalise même un film sur Gainsbourg, un album consacré au Klezmer 

Belle flânerie dans l’exposition, beaucoup à regarder à lire.

Et en bonus une très belle exposition Salonique

 

Heureux soit son nom – Sotiris Dimitriou – Quidam Ed.

LITTERATURE GRECQUE

Un court roman, histoires de paysans de l’Epire du village de Povla près de la frontière albanaise que sépare la montagne Mourgana (1806 m).

Trois récits : Alexo (hiver 1943) , Sofia (1943-1975) Shoejtim (1990)

Alexo – Roman de misère, de famine et de froid dans la guerre qui a pris les hommes et les a divisés, les femmes de Povla ne reçoivent plus l’aide des émigrés d’Australie ou du Canada, elles tentent de nourrir leurs enfants et partent troquer leurs dernières possessions, tapis ou vaisselles de l’autre côté de la frontière albanaise dans des villages grecs. Douaniers ou bandits, des hommes confisquent les pauvres marchandises et sont contraintes de mendier ou de travailler dans les fermes qui acceptent de les abriter.

Albanie

Sofia – Sofia avec ses engelures ne peut pas rentrer avec les autres femmes en Grèce et se trouve piégée en Albanie. Avec l’installation du régime d’Enver Hodja, elle se trouvera prisonnière de l’autre côté de la montagne. Elle entend les cloches qui tintent en Grèce, elle peut même entrevoir sa mère de loin, mais on le la laissera pas traverser ma frontière. Son histoire est celle de ces Grecs qui seront éloignés de leur origine, déplacés. la dictature albanaise affame, réduit en esclavage, fait taire toute velléité d’opposition. Au moindre écart, les hommes seront conduits au bagne et toute la famille « tachée ». Quatre décennies s’écouleront dans la misère et la crainte du régime.

« Avec le temps on a bien fini par s’entendre. Bien forcés. On discutait – comme on pouvait – on riait ensemble. Il avait été octroyé à chaque famille, un âne sans ânesse, trois biques sans bouc, cinq-six gélines sans coq, histoire qu’elles ne fasse pas de poussins. Faire un potager, c’était interdit. Les trois olives sur les arbres autour de la maison, on n’avait pas le droit de les ramasser…. »

Shpejtim – est le petit fils de Sofia, provenant d’une famille « tachée », son père est envoyé dans les mines au nord ouest de l’Albanie, vivant dans la peur des ennemis : les Grecs étant les pires. Sans avenir en Albanie il décide de partir en Grèce, de franchir la montagne. Si l’accueil dans le village de ses ancêtre est chaleureux, la vie des Albanais immigrés en Grèce est difficile, bien différente de ce dont il rêvait en regardant la télévision grecque…

Le titre s’explique dans les dernières pages de livre

– Heureux soit ton nom, Dimitri.

Il a souri et m’a fait un signe de la main.

je suis monté dans le bus. je me sentais un peu mieux. De gars m’avait réchauffé le cœur

On note aussi l’importance des noms, surtout du nom des femmes privées après leur mariage non seulement du nom de famille mais même de leur prénom, portant le double nom de leur mari féminisé. Privées même de leur nom et pourtant si fortes, si courageuses.

La traductrice note le style, et la langue démotique très simple, dialectal, proche de l’oralité contrastant avec la langue Katharevousa, le grec littéraire officiel. Elle a cherché à reproduire les régionalismes par des expressions paysannes  d’un patois forézien ou auvergnat, que je n’ai pas toujours compris mais qui donne une saveur paysanne au récit.

Un livre singulier, très touchant qu’on lit d’un souffle (98 pages)

 

 

Les Photographies – Vassilikos – Folio

Thessalonique vue de la Ville Haute

LIRE POUR LA GRECE (THESSALONIQUE)

Vassilis Vassilikos est l’auteur de inspiré par l’assassinat de Lambrakis (1963 à Thessaloniquequi inspira Costa Gavras pour le film Z. Les Photographies sont parues en Grec en 1964 et en 1968, traduites par Lacarrière

Ce court roman (212 pages) se déroule à Thessalonique. Cette ville est un des sujets du livre. Le héros se livre à de nombreuses errances que j’ai eu plaisir à suivre et à deviner quoique la ville dans les années 60 était bien différente de celle que j’ai découverte il y a peu. Souvenirs de l’occupation nazie, séisme qui a ravagé la ville…

Thessalonique vue de la Ville Haute

Un autre thème des Photographies est le cinéma. On comprend à la fin du livre que le héros est cinéaste et qu’il imagine la vie par images fixes ou animées. Son amoureuse lui reproche d’ailleurs de ne voir en elle qu’une héroïne de cinéma et non pas une femme réelle qui mange ou le désire . 

Je me suis un peu perdue après deux ou trois chapitres, incapable de comprendre la trame de l’intrigue (si intrigue il y a). Mélange de réalité et de rêve, métamorphoses. Le narrateur, au milieu d’un paragraphe, est un chat errant. J’ai failli abandonner, n’y comprenant plus rien. Heureusement que je n’en ai rien fait. A la fin du livre, le film se déroule à l’envers, construction intelligente!

Ici je ne sais plus que dire. Tu existes, dis-tu, et moi je me console. Je ne reviens vers tes paroles que pour masquer le désarroi de mon cœur. Mais qu’est-ce là? Non ce ne sont pas des tuiles derrière toi, ce ne sont pas des toits de maison. Ce sont des carapaces des rêves qui se vidèrent, et qui s’imbriquèrent l’un dans l’autre, formant une surface dure où ton visage de givre est venu reposer son profil. Ce sont des feuilles desséchées ; si elles étaient rouges, ton visage serait plus blême encore. Mais la photo n’est pas en couleur et je les vois seulement comme des mots que leur sens a quittés et qui ont façonné pour les êtres peureux un toit contre l’orage. En dessous se cachent tous ceux qui ont renié leur vie et laissent envoler leurs fumées par une cheminée solitaire dans l’espace. 

C’est aussi un roman d’amour que Lazare dédie à une femme le plus souvent absente qui fait irruption dans le récit pour disparaître sans prévenir.

Un livre à déguster sans se presser, une promenade dans Thessalonique.

Les Carnets de Salonique – Ivan Nilsen – ed. Marie Barbier

LIRE POUR LA GRECE

« Salonique ou Thessalonique ? Bien qu’antiquisant, j’opte résolument pour le premier : c’est plus court et plus
joli ; ce sont les Grecs (byzantins) eux-mêmes qui ont abrégé le nom, il y a près de mille ans ; c’est le nom
qu’employaient les Juifs de la ville et ce n’est pas mal de s’en souvenir ; quoique philhellène, je n’ai aucune
raison d’épouser le nationalisme grec le plus obtus qui prétend effacer tout corps étranger de l’histoire de la ville
et jusqu’au nom utilisé par les Juifs comme par les Turcs. Voilà donc une affaire tranchée. »

Je saute sur toute occasion de faire un tour en Grèce, Matatoune  a chroniqué cet ouvrage et derechef, je l’ai téléchargé et lu! Salonique est une ville chère à mon cœur, départ d’une exploration en Macédoine et en Thrace. Jérusalem des Balkans, ville brillante jusqu’en 1917, où les quartiers juifs furent incendiés, la communauté juive fut déportée en 1943 et pratiquement exterminée.

Cette lecture fait suite à d’autres, mémorables: Vidal et les siens d’Edgar Morin que j’ai lu et relu. Gioconda de Nikos Kokantzakis, délicieux roman d’amours adolescentes et histoire vraie, témoignage de la déportation.   Le Cahier volé à Vinkovici de Dragan Velikic et le Sarcophage et la douleur du Vendredi Saint de Yorgos Ioannou mettent en scène la ville.

Les Carnets de Salonique commencent comme une intrigue policière : une femme, Judith, est assassinée à Thessalonique en 1975, victime d’un attentat organisé par l’extrême-droite grecque à la chute du régime des colonels. L’enquête a conclu qu’elle avait été abattue par erreur, victime d’une balle perdue. Vassili Korassov, son compagnon est persuadé que Judith n’est pas morte par hasard, qu’elle était visée par les tueurs. Vassili tente de dénouer le mystère avec l’aide de Gabriel, un archéologue, fils d’un archéologue qui a collaboré avec les policiers en qualité de traducteur. 

Il sera donc question d’archéologie, le père de Gabriel spécialiste du siècle de Périclès a aussi fouillé à Pella, ville de Philippe, le père d‘Alexandre le Grand. Les méthodes de l’archéologue sont analogues à celles du  détective:

« Que vaut l’archéologie si elle ne parvient pas à extraire d’une couche de débris informes, d’un vulgaire
amoncellement minéral, d’un terrain montueux mâtiné de pierrailles, ce qui bientôt donnera une figure, un
visage à un édifice oublié, suscitera la curiosité du visiteur et fera revivre une civilisation entière dans l’esprit
des hommes ? »

Vassili évoque l’histoire de Judith et de sa famille originaire de Smyrne . Son père Costas est un commerçant grec, sa mère Déborah – juive d’origine livournaise. A la suite de la Grande Idée,  « megali idea« , le rêve grec de reconquête de territoires en Anatolie qui aboutit à La Grande Catastrophe, exode des Grecs d’Asie Mineure et incendie de Smyrne, le couple émigre à Salonique, où leurs affaires prospèrent, leurs enfants ont la meilleure éducation en Français et en Italien. A la suite de la Crise de 1929, la montée des fascismes et de l’antisémitisme incitent Costas et Déborah à l’exil à nouveau à Marseille. Rattrapé par la Guerre et l’occupation Allemande, ils poursuivent leur errance jusqu’aux Etats Unis

 » Je suis le non-juif errant » disait-il (Costas) avec ironie. A peine établi à ses aises, il lui fallait s’arracher à ce qu’il avait tenu pour un asile et qui se révélait, une fois encore, une fausse promesse, un cul de basse-fosse…. »

Cette lecture est une leçon d’Histoire, histoire  grecque, à travers le XXème siècle, Résistance des andartes de l‘ELAS contre les Allemands en Epire, et exil de ces derniers, chute du régime des Colonels et opposition des militaires avec parfois complicité de l’Eglise Orthodoxe…

Judith, bercée dès l’enfance à cette histoire, devient historienne et part à la recherche des biens juifs spoliés. Encore un thème passionnant!

Par ces thèmes multiples, les Carnets de Salonique sont intéressants. Cependant ce livre de moins de 90 pages, les survole. J’aurais aimé plus de profondeur. J’aurais aimé m’attarder à Smyrne, me promener plus longuement rue Egnatia ou dans les ruelles qui grimpent à la citadelle de Thessalonique. J’aurais aimé humer l’air de la mer Egée sur le port de Salonique et voir les personnages s’installer à Marseille. J’aurais aimé plus d’archéologie, en  savoir plus sur les fouilles de Pella, sur Philippe et Alexandre le Grand.

Cette lecture agréable et  facile me laisse un peu sur ma faim. Les personnages secondaires sont esquissés plutôt que présents. 

 

le Cahier volé à Vinkovici – Dragan Velikic

Littérature d’Ex-Yougoslavie ou de Serbie?

Dragan Velikic est un écrivain et diplomate serbe, Le cahier volé à Vinkovici est traduit du Serbe mais il se déroule entre Pula, Rijeka et des villes d’Istrie qui se trouve maintenant en Croatie et Belgrade  sa famille s’est installée après avoir quitté Pula.  Il évoquera aussi Ohrid en Macédoine, Ristovac à la frontière Turco-serbe, maintenant en Serbie. Mais pas seulement en Ex-Yougoslavie, Budapest , Trieste et surtout Salonique.

Une carte de l’Istrie m’a été indispensable pour localiser les plus petites localités de Rovinj, Rasa, Opatija….

Géographie et Histoire : l‘Istrie a été italienne du temps de Mussolini qui y a construit une ville-modèle à Rasa. Occupation par les Alliés à la fin de la guerre quand les frontières ont changé. Fiume est devenue Rijeka…Histoire aussi plus ancienne quand Trieste était autrichienne. Les fantômes des anciens habitants hantent les maisons et les appartements.

« Je feuillette à l’aveuglette le gros livre de la mémoire. Il en sortira bien quelque chose. »

C’est un livre sur la mémoire, la mémoire de sa famille, la mémoire de sa mère qui est en train de la perdre, malade d’Alzheimer dans une maison de retraite. Mémoire perdue dans le train avec le déménagement de Belgrade à Pula avec ce cahier volé

« Dans le cahier volé à Vinkovci, elle ne notait pas seulement les noms des hôtels et des pensions où elle avait séjourné, les histoires et les contes de fées qu’elle inventait, incitée par une puissante exigence de justice, de vérité, mais aussi ses rêves. »

Evocation de la mère et de sa personnalité originale.

Comme Mendelsohn et Sebald , Velikic mène son enquête de manière circulaire. Il tourne et retourne, digresse, retrouve d’anciennes photographies, interroge des témoins comme le vieil horloger nonagénaire. Il fait revivre les anciens souvenirs familiaux comme ceux de son grand père cheminot. Surtout il raconte l’histoire de son ancienne voisine Lizeta, grecque, italienne et juive de Salonique dont les anciennes photos ont enchanté son enfance. L’incendie de Salonique (Aout 1917).

J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a promené dans des contrées que je ne connaissais pas. J’ai aimé ce regard sur la désintégration de la Yougoslavie, serbe mais aussi cosmopolite, critique  sans  parti pris nationaliste alors que la folie nationaliste a mis le pays à feu et à sang. Au contraire il dessine un palimpseste où interviennent les histoires, les photos de ses ancêtres , des voisins, et même d’inconnus comme les occupants anglais ou allemands à Pula.

« Comme étaient déterminants pour la survie de ce monde les socles invisibles sur lesquels grouillaient des vies si différentes ! Héritages, légendes, traditions séculaires, histoires privées – plongées dans la réalité socialiste avec ses rituels et sa propagande assurant la cohésion de ce monde – grouillaient sous la surface du quotidien. »

Lisière – Kapka Kassabova -Marchialy

 

BALKANS

J’ai débuté par la mer Noire, au pied de l’énigmatique massif de la Strandja, où les courants méditerranéens et balkaniques s’entremêlent ; je me suis aventurée vers l’ouest dans les plaines frontalières de Thrace, sillonnées
de couloirs marchands où se trament des échanges plus ou moins licites ; j’ai franchi les cols des Rhodopes, où
le moindre sommet fait l’objet d’une légende et où le moindre village réserve des surprises ; puis j’ai bouclé la
boucle en terminant par la Strandja et la mer Noire.

Un gros coup de cœur!

Kapka Kassabova est née en Bulgarie en 1973 à Sofia qu’elle a quitté avec sa famille après la Chute du Mur de Berlin. Elle habite maintenant en Ecosse et écrit en anglais. Elle est retournée en Bulgarie sur la Riviera Rouge plages de la Mer Noire où elle venait en vacances avec ses parents dans les stations balnéaires fréquentées par les cadres d’Europe de l’Est. Fréquentées aussi par les candidats à la fuite à travers le rideau de fer, allemands en « sandales« , Tchèques, Bulgares. 

Du fait de sa seule présence, la frontière est une invitation. Viens, murmure-t-elle, franchis cette ligne. Chiche ? Franchir cette ligne, en plein jour ou à la faveur de la nuit, c’est la peur et l’espoir amalgamés.

L’écrivaine ne convoque que très peu ses souvenirs d’enfance mais elle s’installe dans un petit village-dans-la vallée déserté de ses habitants. Ceux qui sont restés sont accueillants. Ils livrent à  Kapka Kabassova des secrets comme ceux des Agiasmes, les sources sacrées depuis la nuit des temps, ou les Nestinari qui marchent sur les braises et possèdent les dons du chant ou de la divination. 

On célèbre aujourd’hui le festival du feu des saints Constantin et Elena. Ils ne sont ni plus ni moins qu’une variante
du double culte de la déesse Terre et de son fils et amant, le dieu Soleil. Des représentations de la dualité dionyso-apollonienne au cœur du culte du feu. La rencontre du solaire et du chtonien.

La montagne sauvage recèlent encore d’autres mystères : des pyramides  – Le Tombeau de Bastet ,

Le « Grand Site », car on avait retrouvé dans les parages plusieurs strates d’habitations antiques : un lieu de culte
thrace composé de plusieurs édifices disposés en cercle baptisé Mishkova Niva, tout équipé, avec autel
sacrificiel et reliquaire orné d’inscriptions gravées par des prêtres orphiques ; un tumulus ; un fort thrace
romanisé ; une maison de villégiature romaine et un réseau de mines de cuivre datant de l’Antiquité.

De nombreux trésors furent enterrés dans le Grand Site, mais aussi par les habitants chassés de leurs maisons. La profession de Chasseur de Trésor fut répandue ainsi que celle de passeur de fuyards ou de migrants et parallèlement de gardiens de la frontière qui ont souvent abattu ceux qui voulaient passer en Turquie. Cette forêt possédait  du Barbelé dans le cœur. les souvenirs de l’époque communiste  sont encore très présents. Le franchissement du Rideau de Fer n’est pas le seul passage : contrebande, et maintenant Syriens, Afghans tentent de rejoindre l’Europe à travers cette frontière. Impossible de lister tous les mystères. Il faut lire Lisière

l’Or des Thraces

les Couloirs Thraces

La Thrace antique se déployait sur toute la partie nord-est de la Grèce actuelle, y compris les îles de Samothrace
et de Thassos, ainsi que la partie européenne de la Turquie et l’intégralité du territoire bulgare ; de l’autre côté
du Danube, elle englobait la Roumanie jusqu’au massif des Carpates, quelques régions serbes et la république de
Macédoine. Les Thraces n’ont guère laissé de traces écrites, mais on a retrouvé énormément de vestiges

[….]
leurs sépultures peintes et leurs objets en or demeurent inégalés dans le monde antique

[…]
Hérodote, notre principale source d’information sur les Thraces, les décrivait comme les tribus les plus
puissantes et nombreuses de son époque. 

Les « couloirs » font référence aux couloirs migratoires mais aussi aux couloirs des tombes thraces que j’ai eu le plaisir de visiter en Bulgarie. Kapka Kassabova descend de la montagne pour explorer cette région qui s’étend actuellement sur trois états : Bulgarie, Turquie et Grèce. Elle nous fait découvrir Svilengrad, la ville de la Soie, ville frontalière, Edirne et un fleuve : la Maritsa bulgare appelée Meriç en Turquie, Evros grec qui fait la frontière entre la Turquie et la Grèce, entre l’Union Européenne et la Turquie, presque l’Europe et l’Asie! Courants d’échanges de populations entre Grecs et Turcs, Turcs et Bulgares, Bulgares musulmans mais bulgarophones, populations qui ont dû choisir entre leur langue maternelle et leur religion, sans parler des Gitans et des Pomaques(musulmans parlant bulgare mais répartis sur la Bulgarie, la Turquie et la Grèce). Porosité de cette frontière. Je me souviens d’une photo ancienne vue dans la maison d’hôte d’un village bulgare : des files de réfugiés avec leurs paquets sur un pont….

Il serait tentant d’établir un parallèle entre l’expulsion des Turcs de Bulgarie et l’horreur que les nationalistes
serbes allaient infliger à la Bosnie, non loin de là, car dans les deux cas, on chercha à justifier les atrocités par
des anachronismes crasses en invoquant le « joug turc ».

[…]

La guerre en Yougoslavie était due à un virus nationaliste serbo-croate réactivé après être resté en sommeil
pendant des décennies,

[…]
alors que la purge ethnique en Bulgarie constitua l’ultime exaction imbécile du totalitarisme crépusculaire. 

Ces migrations ne sont pas terminées : Syriens, Kurdes et Afghans tentent de rejoindre l’Union Européenne, Kapka Kassabova les rencontre, noue des sympathies et met des noms, des histoires personnelles sur ces hommes et ces femmes qu’on désigne souvent par « migrants« sans chercher à les connaître.

Les cols des Rhodopes forment la troisième partie du voyage, fief des Pomaques. l’écrivaine s’installe dans Le Village-où-l’on-vit-pour- l’Eternité. Elle prend pour guide dans une randonnée sauvage Ziko, personnage original, (passeur de clandestins, contrebandier ou trafiquant de drogues?)  sur la Route de la Liberté qui traverse la forêt jusqu’à Drama et Xanthi en Grèce. Traversée aventureuse! Les Rhodopes, comme la Strandja sont des régions très mystérieuses depuis la plus haute antiquité – terre orphique, ou légende de la tunique de Nessos. Il est question de la culture du tabac, de la soie. Ne pas oublier la déportation des Juifs :des 11343 Juifs de Dràma, Kavala, Xanthi et de Macédoine aucun n’est revenu. J’ai pris des pages de notes et ne peux pas les copier toutes!

J’ai été bluffée, scotchée par ce gros livre (488 p).  Je regrette de l’avoir terminé.  J’ai découvert qu’elle avait écrit To the Lake pas encore traduit que je compte bien lire. 

Le sarcophage – Douleur du Vendredi saint – Yorgos Ioannou

LIRE POUR LA GRECE

 

« L’héroïne de ce livre est une ville Thessalonique au riche passé antique, byzantin, turc et juif, aux quartiers populaires grouillants de vie, à la fois jeune et plaine de fantômes. 

Le héros, c’est l »‘auteur : Yorgos Ioannou, tourmenté, solitaire écorché, vif, enfant de cette ville qu’il aime comme une mère qui l’étouffe.

En 1971, à quarante-quatre ans, quasiment inconnu encore, il publie comme un exorcisme ces vingt-sept histoires autobiographiques; Elles sont revivre les années noires de l’Occupation allemande et de ce qui a suivi, en alliant Eros et Thanatos, tragédie et humour, et l’auteur se révèle un merveilleux conteur. 

Le sarcophage, c’est l’acte de naissance d’un des maîtres de la prose grecque d’aujourd’hui. »

C’est le 4ème de couverture du livre. Rarement, j’en ai lu d’aussi juste et si bien écrit. 

D’ordinaire je déteste bandes-annonces de films ou 4èmes de couverture.  Dans le meilleur des cas, ils spoilent l’histoire et dans le pire vous font miroiter des promesses non tenues. Je ne l’ai donc lu qu’après avoir terminé de lire l’ouvrage et je ne sais plus que rajouter:

11 histoires avec  l’auteur  pour narrateur, à différents âges de sa vie, parfois amères et tragiques comme la déportation des Juifs de Thessalonique, ou la guerre dans les montagnes, parfois insignifiantes comme l’histoire du ficus, mais combien touchantes.

 

 Yorgos Ioannou,  j’ai aussi lu avec beaucoup de bonheur La Douleur du Vendredi saint, recits inclassables sur solitude, amours impossibles,  recueil de nouvelles courtes, un peu étranges.

 

 

 

la Dernière Page – Gazmend Kapllani – INTERVALLES

CARNET DES BALKANS/ALBANIE

C’est un vrai coup de cœur!

Un de ces livres qui me semble personnellement destiné. Pas seulement parce que nous rentrons de Tirana. Pas seulement parce que le destin des Juifs de Salonique m’émeut toujours. Quête d’identité dans le mélange balkanique,exil et  métissage. Faux-semblants. Aussi pour l’amour des livres. Pour ce poème de Cavafy, glissé comme  par mégarde.

Je venais de terminer le Petit Journal de bord des frontières qui m’avait beaucoup touchée. C’est parfois une erreur de lire à la file deux livres du même auteur. Parfois la petite musique de l’auteur se répète, radote. Et bien là, pas du tout. Le narrateur des deux ouvrages semble être le même,  un exilé albanais, écrivain, vivant à Athènes. Les lieux aussi sont identiques, Tirana, la Grèce. Pourtant ce sont bien deux livres très différents. La Dernière Page mêle deux histoires (comme Le Petit Journal mêlait deux points de vue). L’auteur a recours à la typographie italique dans l’histoire du père, droite dans celle du fils.

156 pages,  et pourtant un roman complet, avec une intrigue, et même deux, du suspense, une analyse historique. Bravo!

Lire les Métamorphoses d’Ovide sous l’Olympe…. ou …

LIRE POUR LA GRECE

le Mont Olympe à au sanctuaire de Dion

les Muses sont nées sur les pentes du Mont Olympe et les frais torrents et les sources qui ruissellent invitent Dryades, Sylphides et Nymphes à s’y baigner….comme il serait agréable sous les frondaisons des platanes de s’arrêter pour lire les Métamorphoses qui racontent toute la Mythologie sous le regard (concupiscent) de Zeus et celui (jaloux) d’Héra qui siègent au sommet rafraîchis par les névés encore présents l’été….

 

sous l’Olympe : gorges de Tempi

Presque 2 millénaires ont passé depuis qu’Ovide, exilé sur les bords de la Mer Noire, s’est tu. Et un peu moins de 50 ans que j’ai quitté le lycée et le latin…C’est donc en français (tant pis pour les vers latins) que j’ai téléchargé sur ma liseuse les chants.

Enlèvement de Persephone Vergina fresque macédonienne

J’affabule…je rêve. C’est dans mon autobus matinal, le 281 de 7h13, que je lis les Métamorphoses. J’oublie les immeubles, verre et béton, et voyage avec les nymphes, les déesses et les sylphides.

Rubens : Phaeton

 

 

Phaéton conduit les chevaux du soleil. Iris tend son écharpe colorée. Junon est jalouse, elle transforme ses rivales….

 

 

 

C’est vraiment sous l’Olympe que j’ai eu ce désir de Mythologie, au sanctuaire de Dion. D’autres lieux auraient pu convenir : en Sicile où l’Etna, bouche des Enfers, suggérant l’enlèvement de Perséphone, le mont Ida ou Délos.

Rubens : enlèvement de Proserpine

Si ce poème a traversé les siècles ce n’est pas pour rien!

Un enchantement de lire ces métamorphoses!

Narcisse et Echo Waterhouse
Mythologie fondatrice aussi pour l’histoire de l’art, évocation de tant de tableaux de la Renaissance… on pourrait aussi l’emporter au musée, chercher les Métamorphoses dans les tableaux et les mosaïques. Je le sortirai aussi au jardin et lirai l’histoire de Daphné quand nous taillerons le laurier qui commence à devenir encombrant!

Thessalonique : Salonique juive, Hammam, Agora et saint Dimitrios

CARNET MACÉDONIEN

 

Villa Modiano : musée ethnographique

Notre ticket d’autobus est encore valide jusqu’à 11 heures . J’ai envie de voir les belles villas que les Juifs ont fait bâtir au début du 20ème siècle : villa Modiano et villa Alatini. Les plus intéressantes se trouvent sur Vassilis Olga à l’est de la vieille ville. Vassilis Olga est en sens unique de l’est vers l’ouest parallèle à Megas Alexandrou qui borde la côte. L’autobus circule donc sur Megas Alexandrou et c’est un peu compliqué de trouver le bon arrêt d’autobus.

La villa Alatini, au n°198¸est un véritable manoir qui a servi de résidence au sultan Abdul Hamide de 1909 à 1912 après la Révolution Jeunes Turcs.

Le bus n°8 passe devant l’hôtel. Sur Megas Alexandrou, il y a un arrêt pour la Villa Modiano occupée par le Musée Ethnographique. On descend.

La villa Modiano est une grosse maison de trois niveaux dans un beau parc allant de Megas Alexandrou à Vassilis Olga. Maison carrée de brique, haut perron, de style français assez quelconque. Les villas sont noyées dans une muraille homogène d’immeubles à balcons des style des années 1960 qui caractérise les villes grecques, de la même manière que els ruines romaines ou les églises byzantines dans la vieille ville. Non loin, sur Vassilis Olga il y en a une autre style Deauville ou Biarritz. Mais ce n’est pas une promenade architecturale, plutôt un pèlerinage à cette Salonique juive qui a disparu. Recherche des absents,  comme à Vilnius, à Bucarest ou à Riga. Ces absents de la mer Egée, je les sens pourtant si proches !

La  villa Modiano a servi de résidence à la famille royale grecque, puis au Gouverneur de Macédoine. Le Musée  Ethnographique est fort bien présenté et très agréable. Une jeune femme m’accompagne, allume les lumières, commente les vitrines. J’aurais préféré lire seule les panneaux explicatifs forts détaillés. Les costumes thraces et macédoniens sont magnifiques, très colorés, très brodés, costumes paysans ou citadins, des bergers nomades aux riches femmes juives. Soieries précieuses lainage feutrés des montagnards. Dans la seconde exposition, on montre comment se fabrique le feutre dans les moulins à foulons, comment un bonnet tricoté devient un fez perdant 30% de sa taille, comment les manteaux de feutre protègent des froidures des hivers en montagne. L’exposition est consacrée aux moulins à eau, une présentation vidéo très bien documentée complète l’exposition. Trois sortes de moulins en Macédoine : les moulins à grain – classiques – les scieries mécaniques, c’est surtout le travail des textiles qui a capté mon intérêt. Nous avions vu à Edessa un de ces moulins sans vraiment en comprendre le fonctionnement et l’industrie textile de Naoussa utilisait l’énergie hydraulique. Je fais l’impasse sur la troisième exposition : 100ans de la Thessalonique grecque.

Au retour l’autobus 8 est bondé. On est debout, serré. Arrêt rue Tsimikis avant la place Aristotelous.

Hammam bey

 Nous traversons le marché très pittoresque pour aller aux Hamam Bey ou Bain  Paradiso, sur Egnatia au coin du jardin qui fait face à la Place Aristotelous. Série de petites coupoles couvertes de tuiles ou non, percées d’ouvertures caractéristiques. L’établissement a été construit en 1444 par le sultan Murat II et fut encore utilisé jusqu’eh 1968 sous le nom de Paradiso Loutra . Consruction double, les hommes entraient par la rue tandis que l’entrée des femmes, discrète était derrièe. Les deux parties étaient totalement séparées. Marbres et fresques, nids d’abeilles, stalactites, bassins et tables de marbre.

De l’autre côté des Jardins Aristotelous, dans un creux, une belle roseraie se trouve derrière l’église byzantine de la Panagia Chalkeon. Beaucoup de dorures éclipsent les fresques noircies .

Le Musée Juif se trouve à deux pas de la Place Eleftherias où les juifs furent rassemblés et battus par les nazis. Au rez de chaussée, exposition de photographies anciennes de plans du quartier pour situer les lieux juifs qui ont disparu, dans l’incendie de 1917 puis pendant la seconde guerre mondiale. Tout le quartier a été remanié. En face, des pierres tombales.

A l’étage, l’exposition est plus variée : objets du culte, tentures. Photos des enfants de l’alliance israélite. Je trouve des patronymes connus. Comment restituer le souvenir de toute une Communauté ?

Nos sacs ont été visités dans l’autobus. Le porte-monnaie avec la Carte Bleue de Dominique. Mon permis de conduire a disparu mais le voleur a laissé ma carte d’identité et la Carte bleue. Cette découverte met fin à nos projets. ! Retour à l’hôtel. Nous sommes anéanties.

En fin d’après midi, je sors de ma torpeur et de la trop longue sieste. Il reste tant de choses à voir et nous partons demain. J’aurais aimé voir la maison natale de Kemal Atatürk.

Agora

L’Agora est située au dessus du square Aristotelous, elle est  creusée au flanc de la colline, bizarrement sur deux niveaux. Les boutiques qui la bordent semblent être en sous-sol. Des caves ? ou l’effet de la déclivité du relief ? Au dessus il y a une belle plateforme bordée de colonnes. Ce péristyle a été remonté. Les colonnes sont trop blanches pour être romaines. Un petit théâtre se trouve à mi-pente. Le plan indique également des thermes que je n’ai pas trouvés ;

Basilique Saint Dimitrios

La grande Basilique Saint Dimitrios paraît toute neuve . Elle a brûlé en 1917 et a été reconstruite mais elle est très ancienne: 7ème siècle. Dès que j’entre je pense à Ravenne avec les mosaïques dorées et vertes, les colonnes de marbres précieux aux merveilleux chapiteaux. Basilique romaine à trois nefs comme Saint Apollinaire. Ce n’est pas un Musée mais une église très fréquentée. Je suis en short,  j’ai un peu honte de ma tenue. Les gens vont embrasser les icônes et se signent devant toutes les images. Certains font de larges signe de croix et même une révérence en touchant le sol de la main. Je n’ose pas prendre de photos ni des mosaïques, ni des colonnes ou des fresques qui sont fort belles.