Heureux soit son nom – Sotiris Dimitriou – Quidam Ed.

LITTERATURE GRECQUE

Un court roman, histoires de paysans de l’Epire du village de Povla près de la frontière albanaise que sépare la montagne Mourgana (1806 m).

Trois récits : Alexo (hiver 1943) , Sofia (1943-1975) Shoejtim (1990)

Alexo – Roman de misère, de famine et de froid dans la guerre qui a pris les hommes et les a divisés, les femmes de Povla ne reçoivent plus l’aide des émigrés d’Australie ou du Canada, elles tentent de nourrir leurs enfants et partent troquer leurs dernières possessions, tapis ou vaisselles de l’autre côté de la frontière albanaise dans des villages grecs. Douaniers ou bandits, des hommes confisquent les pauvres marchandises et sont contraintes de mendier ou de travailler dans les fermes qui acceptent de les abriter.

Albanie

Sofia – Sofia avec ses engelures ne peut pas rentrer avec les autres femmes en Grèce et se trouve piégée en Albanie. Avec l’installation du régime d’Enver Hodja, elle se trouvera prisonnière de l’autre côté de la montagne. Elle entend les cloches qui tintent en Grèce, elle peut même entrevoir sa mère de loin, mais on le la laissera pas traverser ma frontière. Son histoire est celle de ces Grecs qui seront éloignés de leur origine, déplacés. la dictature albanaise affame, réduit en esclavage, fait taire toute velléité d’opposition. Au moindre écart, les hommes seront conduits au bagne et toute la famille « tachée ». Quatre décennies s’écouleront dans la misère et la crainte du régime.

« Avec le temps on a bien fini par s’entendre. Bien forcés. On discutait – comme on pouvait – on riait ensemble. Il avait été octroyé à chaque famille, un âne sans ânesse, trois biques sans bouc, cinq-six gélines sans coq, histoire qu’elles ne fasse pas de poussins. Faire un potager, c’était interdit. Les trois olives sur les arbres autour de la maison, on n’avait pas le droit de les ramasser…. »

Shpejtim – est le petit fils de Sofia, provenant d’une famille « tachée », son père est envoyé dans les mines au nord ouest de l’Albanie, vivant dans la peur des ennemis : les Grecs étant les pires. Sans avenir en Albanie il décide de partir en Grèce, de franchir la montagne. Si l’accueil dans le village de ses ancêtre est chaleureux, la vie des Albanais immigrés en Grèce est difficile, bien différente de ce dont il rêvait en regardant la télévision grecque…

Le titre s’explique dans les dernières pages de livre

– Heureux soit ton nom, Dimitri.

Il a souri et m’a fait un signe de la main.

je suis monté dans le bus. je me sentais un peu mieux. De gars m’avait réchauffé le cœur

On note aussi l’importance des noms, surtout du nom des femmes privées après leur mariage non seulement du nom de famille mais même de leur prénom, portant le double nom de leur mari féminisé. Privées même de leur nom et pourtant si fortes, si courageuses.

La traductrice note le style, et la langue démotique très simple, dialectal, proche de l’oralité contrastant avec la langue Katharevousa, le grec littéraire officiel. Elle a cherché à reproduire les régionalismes par des expressions paysannes  d’un patois forézien ou auvergnat, que je n’ai pas toujours compris mais qui donne une saveur paysanne au récit.

Un livre singulier, très touchant qu’on lit d’un souffle (98 pages)

 

 

L’Echo du Lac – Kapka Kassabova – Marchialy

BALKANS – MACEDOINE-ALBANIE-GRECE-BULGARIE

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Lisière fut un  véritable coup de cœur l’an passé! Kapka Kassabova, écrivaine bulgare emmenait le lecteur dans les forêts sauvages de la zone frontalière entre Bulgarie, Turquie et Grèce, aux frontières de l’Europe, sur l’ancien Rideau de fer. Elle nous conduit sur les routes d’exils, à travers une histoire millénaire qui remontait aux Romains, aux Thraces. Rencontre avec des gens simples qui ont traversé des frontières pour garder leur identité, leur langue ou leur religion. Exils volontaires, échanges de population, ou réfugiés chassés. 

 

Les lacs jumeaux d’Ohrid (« h » aspiré) et Prespa sont incrustés tels des diamants dans les replis des montagnes de Macédoine occidentale et d’Albanie orientale. Ils sont relativement proches de l’Adriatique et de la mer Égée[…] Ici passait la via Egnatia, voie romaine stratégique reliant Dyrrachium sur la côte adriatique à Byzance sur le Bosphore.

Le lac d’Ohrid est alimenté par des affluents, des sources sublacustres, et – fait plus remarquable – par des eaux souterraines provenant du lac Prespa[…]Cette extraordinaire transfusion s’opère sous nos yeux, seconde après seconde, tout comme le bouillonnement
des sources lacustres à Saint-Naum, en Macédoine, et à Drilon, en Albanie.

L’écho du Lac décrit autre région balkanique : la Macédoine à cheval sur trois états actuels : Macédoine du Nord, Albanie et Grèce mais aussi revendiquée par la Bulgarie, la Yougoslavie hier et même l’ Empire ottoman. Rien ne la symbolise mieux que cette salade macédoine, faite de divers morceaux mélangés. Diverses langues, Macédonien, Bulgare, Albanais ou Grec, Turc, musulmans ou orthodoxes, avec toutes les combinaisons possibles. Et tout cela sur un mouchoir de poche : sur les rives du Lac d’Ohrid entre deux petites villes Ohrid la macédonienne et Pogradec l’Albanaise, quelques villages, un monastère fameux, des grottes autrefois habitée par des ermites, des montagnes sauvages où vivent encore des ours et des loups…Non loin du Lac d’Ohrid, les Lacs Prespa sont également à cheval sur l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Grèce. leur histoire est aussi dramatique et sanglante, Komitas et andartes mais aussi souvenirs des guerres civiles grecques. Exils et emprisonnements dans les camps albanais d’Enver Hoxa, ou sur les îles de Makronissos. Identités complexes façonnées par les exils jusqu’en Australie. Totale tragédie quand la Besa ( serment à la parole donnée et au Kanun albanais)  façonne des vendettas qui courent sur des générations. 

L’orage menace sur le Lac d’Ohrid

L’écho du Lac correspond à une démarche très personnelle : la mère, la grand-mère, les tantes et cousines de Kapka Kassabova sont originaires d’Ohrid. C’est donc un  retour aux sources de sa famille maternelle. Les titres des deux premiers chapitres Fille de Macédoine et A qui appartenez-vous? situent l’autrice dans la position de l’exilée qui rentre au pays et qui reconstitue l’histoire de sa famille sur des générations. Quand elle rencontre des personnes qui ne lui sont pas apparentées, elle est considérée comme une fille du pays. Rien à voir avec une aventurière ou une journaliste qui viendrait explorer un pays étranger. Il en résulte un accueil toujours bienveillant et confiant. De parfaits inconnus lui livrent des secrets de famille, racontent leurs exils, leurs retours impossibles, leurs enfants perdus de l’autre côté d’une frontière infranchissable. Et toutes ces histoires sont très touchantes. 

monastère saint Naum

Il n’est pas indifférent que ce livre soit écrit par une femme dans cette région où hommes et femmes voient leur rôle défini par une tradition patriarcale presque féodale. Il n’y a pas si longtemps au XXème siècle une fille n’avait pas le droit de passer deux fois dans la rue principale dans la même journée. Elle était assignée à un code de conduite très précis. De même, les femmes macédoniennes revêtaient très jeunes le noir du deuil pour ne pas le quitter, « veuves » d’un mari parfois vivant, exilé, emprisonné ou en fuite.

« La polygamie était assumée chez les musulmans, clandestine chez les chrétiens. Cela explique peut-être pourquoi la ville close adopta un système matronymique : les femmes s’assuraient de laisser leur empreinte. À qui appartenez-vous ? Je suis la fille d’Angelina.[…]

L’absence des hommes conférait aux femmes davantage de pouvoir au sein des familles et des communautés. »

« J’avais beau rencontrer davantage d’hommes que de femmes, les femmes du lac me semblaient avoir une
présence plus prégnante. Mortes ou vivantes, elles incarnaient l’élément lacustre, les profondeurs génératrices où le désir et le chagrin ne cessaient de bouillonner. Je me suis assise sur l’herbe sèche au-dessus de Zaver. Je me suis imaginé une procession : les femmes des lacs. Des femmes lavant le linge, des enfants sur le dos, réparant des filets de pêche, défiant à la rame les vagues mauvaises dans ces chuns aux allures de cercueils, flanquées de mules chargées ; et des citadines en talons hauts munies de livres et de cahiers, de rêves de grand amour, de réussite… La perfection, sinon rien. »

 

Il faudrait parler d’histoire, d’Alexandre à Ali Pacha de Janina, de guerres greco-bulgares, des divers communistes grecs (partisans souvent staliniens) de la Yougoslavie de Tito, des outrances d’Enver Hoxa et de la terreur qu’il inspira, de ce conflit identitaire pour le nom « Macédoine » ou pour le drapeau qui sépare les habitants du Lac Prespa par une frontière invisible… Evoquer le monastère Naoum et Clement, les fresques, les miracles….

parc drilon

J’ai enfin compris les mystères de Psarades, où nous avons passé quelques jours. Nous avions essayé de parler avec une vieille dame en Grec, elle ne nous comprenait pas, et la femme du restaurant ne savait pas déchiffrer le menu en Grec. Elle n’était pas illettrée, nous ne savions pas que le macédonien s’écrivait en cyrillique.

Nous avions aussi visité le Parc Drilon à Tushemisht en Albanie sans savoir que les sources étaient celle du fleuve Drin. Tant de choses que les touristes, même consciencieuses ne peuvent deviner!

 

Les Aigles Endormis – Danü Danquigny

MASSE CRITIQUE DE BABELIO  – SÉRIE NOIRE – ALBANIE

L’Albanie est source d’inspiration pour les romans noirs!

De mémoire, citons Six fourmis noires de Sandrine Colette, Les assassins de la Route du Nord d’Anita Wilms, et les polars de Fatos Kongoli.

Avec ses traditions de vendetta, son code d’honneur ses villages isolés,ses montagnes sauvages, la violence trouve tous les ingrédients pour un roman de la Série noire! C’est aussi un des derniers pays à l’écart de l’Union Européenne qui  fournit  un exotisme dépaysant. Le pays des Aigles.

Les Aigles endormis se déroulent à Korcë. Le narrateur, Arben, et ses amis d’enfance, assistent à l’écroulement du régime d’Enver Hoxha dont l’oppression paranoïaque rendait toute initiative personnelle impossible. Aux règles absurdes d’Hoxha, succède un état où il n’y a plus de règles et toutes transgressions deviennent possibles.

Les grandes « restructurations économiques » censées muter la société en modèle de capitalisme triomphant en avaient laissé plus d’un sur le carreau. Avec l’accès à la propriété et la liberté d’entreprendre, l’Albanie découvrait leurs corollaires, les quatre cavaliers de l’Apocalypse : la compétition, le chômage, la précarité et la prédation. Nous participons activement à la dernière

Avec la fuite des hommes vers l’Eldorado de Grèce ou d’Italie se sont d’abord organisés des réseaux de passeurs. Passeurs de travailleurs clandestins, puis contrebande de toutes sortes de marchandises « tombées du camion », drogue, enfin passeurs de femmes et proxénétisme. Les réseaux mafieux s’organisent. Aucune règle, aucun code d’honneur : la loi du plus fort, la violence pure des règlements de compte.   Quand la contrebande ne suffit plus viennent les plus grandes des arnaques : les pyramides. Certains sont de vrais méchants, d’autres seulement faibles se laissent piéger. Arben imagine qu’il pourra émigrer quand il aura accumulé un pactole. On n’échappe pas aussi facilement à l’emprise des mafias….

Vingt ans plus tard, Arben rentre en Albanie venger la mort de Rina, sa femme. Le roman se construit avec des retours en arrière entre sa jeunesse et 2017. La violence extrême règne encore.

musée archéologique de Korçë13

Coups, sang, tueries se succèdent jusqu’à l’écœurement. Rien n’est épargné au lecteur. Réalisme ou complaisance? Pour pimenter le récit, l’auteur parsème le roman de mots et d’expression en albanais. Il aurait été bien aimable de fournir une traduction et une transcription phonétique.

Clichés ou regard objectif? Je sors de cette lecture avec  l’impression mitigée d’une plongée dans la noirceur où je n’ai pas retrouvé l’Albanie que nous avons visitée.

Six Fourmis blanches – Sandrine Collette

LIRE POUR L’ALBANIE?

Une histoire qui se déroule dans les montagnes autour de Valbona où j’ai d’excellents souvenirs d’un accueil chaleureux et d’une nature vierge?

Une histoire racontant un trek hivernal pour une randonneuse?

Un thriller addictif et haletant qu’on ne lâche pas une fois commencé.

Certes, les Six Fourmis blanches offre un bon moment de lecture, c’est du travail bien fait. 

Mais je décroche quand on invoque les esprits ou le diable. Je suis diablement cartésienne, le surnaturel m’agace. Je suis mauvais public pour les films d’épouvante. Parfois ces incursions dans l’irrationnel sont justifiées, dans l’évocation de coutumes locales. La Transylvanie et les vampires de Dracula, par exemple. L‘Albanie, aux confins de l’Europe, dans les Balkans, le pays des Aigles comme on l’appelle parfois héberge des coutumes d’un autre temps, comme la vendetta, les tours…vierges jurées. Des sacrifices d’un bouc (chèvre) émissaires y ont-ils encore lieu? Un des narrateurs est le Sacrificateur qui précipite les chèvres du haut des montagnes, il a du charme ! Comme mon esprit critique me titillait je me suis promenée sur la Toile à la recherche de sacrifices, ou de bouc émissaire dans les Balkans, et j’ai été surprise de découvrir une fête de l’été (ou de Saint Georges) au Kosovo où des chèvres et moutons étaient sacrifiés, sans parler de la fête musulmane du sacrifice du mouton….

Pour la randonnée qui tourne mal dans le mauvais temps et la tourmente, c’est très bien fait, on ressent le froid et la peur, on tremble quand une crevasse s’ouvre sous les pieds des marcheurs encordés. Un petit clignotant d’incrédulité s’allume.  Pour les glaciers, j’ai médit! Il y a vraiment 8 glaciers de petite envergure en Albanie,  proche du Monténégro (selon un site anglais,trouvé sur Internet). Le pic le plus haut  au-dessus de Valbona approche 2500m . Parce que je suis exigeante! Si on me balade, j’aime bien qu’on détaille le contexte.

L’EMPIRE OTTOMAN – Le Déclin, la chute, l’effacement – Yves Tenon ed du félin

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

 

J’ai coché ce livre sur la liste de la Masse Critique sans aucune hésitation, l’Histoire est toujours plus passionnante que la fiction et la Méditerranée orientale est un  territoire que j’aime explorer, d’ailleurs je rentre d’Egypte. Merci aux éditions du Félin pour cette lecture!

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Ce n’est certes, pas le livre qu’on glissera dans le sac de voyage pour un week-end à Istanbul, 500 grandes pages, imprimées en petits caractères, format et poids rédhibitoires! Ce n’est pas non  plus le « pavé de l’été« à lire sur le bord de la piscine ou à la mer!

C’est du lourd et du sérieux, c’est l’oeuvre d’un historien qui, de plus se présente comme un historien des génocides :

« Les spécialistes des génocides sont de drôles de gens,  des oiseaux  bariolés dans la volière universitaire…

L’historien du génocide est un policier qui enquête, un juge qui instruit un procès. Peu importe la vérité, il découvrira la vérité pourvu qu’il la trouve…. »

écrit l’auteur dans le premier chapitre du livre.

Ainsi prévenu, le lecteur se lance dans un ouvrage sérieux, documenté qui recherche les sources du déclin de l ‘Empire

Ottoman loin dans l’histoire, au début-même de la conquête des Ottomans, au temps de Byzance. Cette histoire va donc se dérouler pendant 600 ans sur un très vaste territoire. On oublie souvent que la Porte régnait de la Perse aux portes de Vienne, du Caucase au Yémen. Histoire au long cours, sur un Proche Orient qui s’étale sur trois continents. Pour comprendre la chute, il importe donc de connaître l’Empire Ottoman à son apogée.

Quand a-t-il commencé à décliner ? A la bataille de Lépante (1571) ou après le second siège de Vienne (1683) avec la paix de Karlowitz (1699) où le démembrement de l’empire commença quand la Porte a cédé la Pologne, la Hongrie et la Transylvanie?

En 1572, après Lépante, Sokollu déclarait à l’ambassadeur vénitien:

« il y a une grande différence entre votre perte et la nôtre. En prenant Chypre nous vous avons coupé un bras. En coulant notre flotte, vous avez seulement rasé notre barbe. Un bras coupé ne repousse pas. Une barbe tondue repousse plus forte qu’avant… »

L’analyse de la société ottomane, de son armée, ses janissaires, le califat nous conduit jusqu’à la page 80, avant que le déclin ne soit réellement commencé avec l’intervention des occidentaux et les Capitulations ainsi que les prétentions russes et le début du règne de Catherine de Russie (1762).

Pendant plus d’un siècle et demie, Serbes, Roumains, Grecs, Bulgares et Macédoniens, enfin Albanais vont chercher à s’émanciper et à construire une identité nationale. Par ailleurs les Grandes Puissances vont jouer le « Jeu diplomatique » qu’on a aussi nommé « Question d’Orient »

« Dans la question d’Orient, cet affrontement des forces qui déchirent l’Europe peut être représenté sous forme d’un Jeu qui tiendrait des échecs et du jeu de go, avec des pièces maîtresses et des pions et où chaque partenaire conduirait une stratégie d’encerclement. Des reines blanches  – de trois à six selon le moment – attaquent ou protègent le roi noir ceinturé de pions. les unes veulent détruire le roi noir, les autres le maintenir dans la partie. Le roi perd ses pions un à un, et les reines tentent de s’en emparer, chacune à son bénéfice, pour se fortifier ou affaiblir ses rivales »

Les puissances sont les reines : l’Angleterre veut garder la Route des Indes, la Russie veut un accès par les Détroits à la Méditerranée, elle utilise son « Projet Grec » en se posant comme protectrice de l’Orthodoxie, l’Autriche-Hongrie veut s’élargir à ses marges, la France se pose comme protectrice des Chrétiens d’Orient, l’Italie et l’Allemagne arrivées plus tard dans le Jeu cherchent des colonies.

L’auteur raconte de manière vivante, claire et très documentée cette histoire qui se déroule le plus souvent dans les Balkans mais aussi dans les îles et en Egypte.

C’est cet aspect du livre qui m’a le plus passionnée. Lorsqu’on envisage les guerres d’indépendance de la Grèce à partir de Constantinople, on peut rendre compte de toutes les forces en présence aussi bien le Patriarcat et les Grecs puissants de Constantinople que les andartes, sorte de brigands, les armateurs, les populations dispersées autour de la mer Noire jusqu’en Crimée, les armateurs et surtout les manigances russes. La Grande Idée se comprend bien mieux comme héritière du Projet Grec russe.

Les Révoltes Serbes, les comitadjis macédoniens ou bulgares trouvent ici leur rôle dans ce Grand Jeu. Les guerres fratricides qui se sont déroulées dans la deuxième moitié du XXème siècle dans les Balkans  en sont les héritières.

L’auteur explique avec luxe de détails les traités de San Stefano (18778) et le Congrès de Berlin(1878) que j’avais découverts à Prizren (Kosovo) avec la Ligue de Prizren qui est à l’origine de l’indépendance albanaise.

On comprend aussi la formation du Liban. On comprend également pourquoi Chypre fut britannique, Rhodes et le Dodécanèse italien….

Après une analyse très détaillée (et plutôt fastidieuse) de la Première Guerre mondiale les événements se déplacent des Balkans vers le sud, à la suite des intérêts britanniques et français et des accords Sykes-Picot, tout le devenir du Moyen Orient s’y dessine. 

Les accords de paix clôturant la Grande Guerre portent en germe l’histoire à venir : Traités de Versailles, de Sèvres, de Lausanne. Les négociations sont racontées par le menu, là aussi j’ai un peu décroché.

La fin du livre se déroule dans le territoire rétréci de l’Asie Mineure, éléments fondateurs les Jeunes Turcs, le  Comité Union et Progrès, le qualificatif « Ottoman » est remplacé par « Turc », le nationalisme turc prend le pas sur l’islam, il y eut même un courant touranien avec une orientation vers l’Asie Centrale ou le Caucase. Deux événements fondateurs : le génocide Arménien  et la prise de pouvoir par Mustafa Kemal, émergence d’un populisme laïque et nationaliste. L’historien refuse l’hagiographie et analyse le parcours de Kémal. 

Chaque chapitre est remarquablement bien construit. La lecture étant ardue, il m’a fallu me limiter à un chapitre à la fois. Passionnant mais parfois indigeste, j’ai reposé le livre, pris le smartphone pour avoir la version simplifiée de Wikipédia, pour des cartes, des dates. Il m’a parfois semblé que ce livre était destiné à des lecteurs plus avertis que moi.

Un seul reproche : les cartes sont peu accessibles, trop rares et réparties au milieu du texte, un cahier sur un papier glacé au milieu, au début ou à la fin aurait facilité le repérage. De même, la toponymie laisse parfois le lecteur désorienté : pourquoi avoir utilisé Scutari au lieu de Shkoder en Albanie, toujours en Albanie Durrazzo pour Dürres, Valona pour Vlora? Angora pour Ankara…C’est un détail, mais encore c’est le smartphone qui m’a dépannée.

Je vais ranger ce gros livre bien en évidence parmi mes livres de voyage parce qu’il raconte aussi bien l’histoire de la Grèce, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Bosnie, de l’Egypte que de la Turquie moderne! C’est un indispensable pour comprendre les enjeux des luttes actuelles et aussi pour comprendre pourquoi le génocide arménien est encore nié dans la Turquie moderne.

 

 

 

 

 

 

le Pays des Pas Perdus – Gazmend Kapillani

MASSE CRITIQUE

 

La dernière page de Gazmend Kapellani, lu à la suite de notre voyage en Albanie fut un coup de cœur, j’ai poursuivi la découverte de cet écrivain albanais, mais qui écrit en Grec avec Je m’appelle Europe, toujours avec bonheur.

Gazmend Kapellani écrit des variations sur le thème de l’exilé, de la recherche du bonheur du migrant, de la critique de la dictature terrible qui fut celle d’Enver Hoxa.

Son ouverture aux autres cultures, son empathie pour l’humain le rendent sympathique.

Au décès de son père, ancien dignitaire communiste, Karl (en l’honneur de Marx bien sûr )retourne dans sa ville natale en Albanie et retrouvé son frère Frédéric ( Engels). Celui qui est parti et celui qui est resté, fidèle au père à sa ville à ses racines. Tout les oppose. Pourtant le lecteur perçoit sa bienveillance.

Occasion de raconter l’ histoire de la ville l’ arrivée des partisans d’ Enver Hoxa et la chute du régime. Scène baroque que le déboulonnage de la statue. On s amuse dans ce livre. Récit émouvant aussi de massacres en Grèce. Le nationalisme est un poison dans les Balkans.

Nostalgie de l exilé. Recherche d un monde meilleur si l’histoire est balkanique elle est aussi universelle.

Les assassins de la route du Nord – Anila Wilms

LIRE POUR L’ALBANIE

Incipit :

« Depuis toujours, on racontait d’étranges histoires sur la région des montagnes du Nord ; histoires à l’image du caractère singulier et frondeur de ses habitants, selon l’opinion répandue dans le reste de l’Albanie. Ainsi cette querelle qui avait éclaté au début de la Grande Guerre entre les Autrichiens et les montagnards, lorsque l’armée autrichienne occupait le nord du pays. les premiers voulaient transformer en voie rapide l’ancienne route des caravanes qui traversait les montagnes, les seconds s’y opposaient. Dans le Kanun, le code ancestral des montagnes, il était écrit : « la route a des mesures précises : une hampe et demie. Elle doit être suffisamment large pour qu’un cheval lourdement chargé ou une charrette à bœufs puisse y circuler…. »

Le ton est donné,rappelant Kadaré. Je pensais que le Kanun régissait le code d’honneur et les vendettas, je ne savais pas qu’il s’appliquait aussi aux détails des travaux publics.

Puis le roman se poursuit comme un polar. Une voiture tombe dans une embuscade. Des bergers trouvent ses occupants morts. On imagine que l’enquête cherchera les coupables, les motifs, peut être les commanditaires….

L’histoire se poursuit à Tirana « modeste bourgade où l’on vendait autrefois du miel et du fromage de chèvre » devenue capitale d’un état Albanais encore balbutiant après la Grande Guerre. Les victimes sont deux Américains, le meurtre a des retentissements diplomatiques.

« …ce qui était arrivé était aux antipodes de l’esprit du Kanun. En Albanie, refuser l’hospitalité à un étranger était considéré comme la plus grande ignominie qui soit. Et pour les habitants des montagnes, l’hôte n’était pas seulement intouchable ; l’hôte, pour eux était sacré »

Journalistes, diplomates, habitués des cafés se passionnent pour ce qui est devenu une affaire d’Etat. Le roman policier cède le pas à un roman historique se déroulant pendant  « une période difficile de la jeune démocratie albanaise«  , la crise dans cet état balkanique après que le premier ministre ait essuyé un attentat en avril 1924. Différentes factions se disputent le pouvoir :  le Premier ministre, Fuad Herri, s’appuie sur les montagnards et la tradition, l’évêque Dorothéus revient d’émigration en Amérique et veut moderniser les mœurs politiques, les beys, enfin, ne veulent pas céder le pouvoir qu’ils détiennent depuis l’Empire Ottoman. Les puissances étrangères ne restent pas inactives : Américains et Britanniques convoitent le pétrole albanais. Serbes, Monténégrins et Grecs, verraient d’un bon oeil des rectifications de frontière à leur profit. Mussolini étendrait volontiers sa sphère d’influence à l’Albanie. Certains Albanais voit dans le fascisme un recours providentiel. Après des siècles de domination de la Sublime Porte les règles de la démocratie occidentales fonctionnent très imparfaitement, d’autant plus que la corruption est de rigueur. Les dessous-de table sont courants aussi bien dans la construction que dans l’obtention des concessions pétrolières.

« rafle tout ce que tu peux aujourd’hui, demain est dans les mains d’Allah ». 

Le récit de la crise politique est loin d’être ennuyeux. Au contraire, le ton est tantôt burlesque tantôt ironique. J’ai beaucoup souri en lisant, et parfois ri à haute voix.

« la sagesse populaire sait que les beys intelligents et les chevaux verts, cela n’existe pas »

L’énigme finit pas se résoudre (mais je ne vous raconterai pas comment). On peut aussi voir une parabole pour les « ingérences humanitaires », alors, la Société des Nations, aujourd’hui certaines ONG.

Ce roman basé sur un fait historique, est cependant une fiction, les noms ont été changés et l’auteur a pris des libertés littéraire.

Lecture jubilatoire!

Le courage qu’il faut aux rivières – Emmanuelle Favier

ALBANIE

Dans les Balkans, Albanie, KosovoMonténégro, une coutume permet aux femmes d’endosser les habits d’hommes à condition de renoncer à toute sexualité : ce sont les Vierges jurées. Ce changement de genre est parfaitement respecté, la Vierge jurée vivra la vie d’un homme, travaillera comme un homme et aura la vie sociale d’un homme.

Emmanuelle Favier s’est inspirée de cette coutume pour raconter l’histoire de Manushe qui a refusé, adolescente, d’épouser un homme âgé.  Manushe rencontre avec Adrian, mystérieux hôte du village et sort sa réserve et sa solitude pour s’en rapprocher….brisera-t-elle son serment?

Le très beau titre : Le courage qu’il faut aux rivières m’a attirée sans  dévoiler  l’histoire. Il fait allusion à la détermination de l’eau qui coule à la mer, érode, se fraye un chemin dans les montagnes. Courage et force du destin.

 

Je savais juste que l’action se déroulait dans les Balkans, où nous sommes allées l’été dernier; j’avais envie d’y retourner. Albanie imaginée, rêvée, littéraire. L’auteur avoue avoir eu du plaisir à écrire d’imagination. J’ai reconstruit les décors avec mes souvenirs et mes lectures – Kadaré surtout – imaginé les montagnes, les tours de claustration où se renferment les hommes dans les reprises de sang. J’ai imaginé Adrian à Tirana, bien que la ville ne soit jamais nommée.

J’ai beaucoup aimé ce livre, intemporel, poétique, faisant appel à des  traditions séculaires,  mythiques presque antiques. J’ai aussi aimé la fluidité entre les genres qui ne sont jamais déterminés. Manushe qui vit depuis peut être 30 ans en homme, est-elle une femme? On ne naît pas femme, on le devient, a écrit Beauvoir, devient-on homme en en prenant l’habit? Dans une société où le machisme est encore la règle est-il plus facile d’être « vierge jurée » que femme?

Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à Accabadora de Michela Murgia dans une Sardaigne aux traditions rurales un peu étranges.

 

Je m’appelle Europe – Gazmend Kapllani

CARNET DES BALKANS/ALBANIE/GRECE

Gazmend Kapllani, auteur albanais exilé en Grèce, écrivain de langue grecque, fait des variations sur son expérience d’exilé. J’avais beaucoup aimé la Dernière page et le Petit journal des frontières. Expérience singulière, il puise dans son histoire personnelle.

Expérience universelle, il confronte les histoires d’autres migrants. La Grèce fut autrefois un pays d’émigration, vers l’Australie,  le Canada,ou des destinations  plus exotiques. Les Grecs ont fui la pauvreté ou la dictature, et maintenant le Crise économique. La Grèce est aussi la porte d’entrée de l’Europe pour Syriens, Afghans chassés par la guerre, ou pour les Africains qui traversent la Méditerranée.

Les personnages qui interviennent sont donc de provenances diverses. Roza, l’Iranienne rêve de faire du vélo comme les garçons.  Abas est  né à Kaboul. Enke venu enfant d’Albanie,  voudrait changer d’identité, Nguyen le vietnamien,  a trouvé sa place  en Grèce, et même la réussite. Giorgos Koinas, natif de Crète,  a choisi la Russie et la Pologne, Ana, l’Arménienne est prisonnière d’une mafia de la prostitution, Ilias Poulos, Grec né à Tachkent, vit à Paris….

Ces courtes biographies,typographiées en italique, alternent avec un texte plus autobiographique puisque le narrateur est un écrivain dont les mésaventures sont aussi contées dans les deux romans précédents. Il raconte comment il a apprivoisé la langue grecque qu’il a adoptée comme langue de ses romans. Réflexions sur la langue, sur l’écriture.

« en écrivant dans une langue qui n’est pas la sienne, on recrée et on reconstruit son identité, une identité culturelle. A plus forte raison quad on choisit d’écrire des romans où on peut réinventer l’identité du narrateur…. »

Et plus loin :

« je suis convaincu qu’une langue n’a pas de frontière. A y regarder de près, dire « ma langue représente un abus de langage[…] mais on ne peut s’approprier une langue. On peut la cultiver, la transmettre... »

Et Europe? Il ne s’agit pas du tout de l’Union européenne ou du continent. Europe est la jeune femme qui enseignera au narrateur la langue grecque.

Cas trois romans ont-ils pour ambition de changer notre regard sur les exilés?

 

la Ville assiégée – Janina octobre 1912-Mars 1913 – Guy Chantepleure

CARNET DES BALKANS

« Janina, selon les Turcs, c’est le chef-lieu d’un vilayet ottoman.

Janina, selon les Albanais, c’est le centre de l’Albanie du Sud, et -qui sait? – peut être l’une des villes principales d’une Albanie future, une Albanie autonome.

Janina, selon les Grecs, c’est le temple choisi, le foyer privilégié où se perpétua, claire et pure en dépit des vairations ethniques, de tous les bouleversement historiques, la petite flamme sacrée de l’hellénisme : Janina c’est la capitale de l’Epire, province grecque »

« Et puis, dans les Balkans, la réalité revêt des airs de romans d’aventure….Faut-il s’étonner beaucoup que des paroles grisantes et du rêve magique naisse l’action silencieuse, là où toute lutte serait rebellion? »

Merci à Babélio et aux éditions Turquoise pour m’avoir offert ce livre!

Il est arrivé au bon moment, juste au retour d’un voyage dans les Balkans!

J’avais coché ce livre à l’occasion du voyage . Il a aussi résonné en écho à d’autres lectures :  Alexandre Dumas: Ali Pacha qui fut, un siècle plus tôt, le Pacha de Janina, ömer Seyfettin : Lâlé la blanche qui est un recueil de nouvelles se déroulant pendant la Guerre des Balkans (1912-1913) et de façon plus lointaine Zorba le Grec de Kazantzaki. 

La Guerre des Balkans est bien méconnue vue de France.

Ce sont les « notes de guerre » d’une française – témoignage direct des événements s’y étant déroulés. L’auteure qui écrit sous le pseudonyme de Guy Chantepleure est la femme du consul de France. l’auteure raconte donc ce qu’elle voit, ce qui se passe autour d’elle. Elle ne s’attarde pas à des faits d’arme héroïque, elle préfère contempler de loin la montagne qui résiste Bejani, imposante et mystérieuse ou les minarets de Janina des collines environnantes.

Attentive à la guerre qui se déroule, elle reste sensible à la nature. Attentive aussi aux hommes et aux femmes qu’elle rencontre. Femme d’un diplomate, elle rencontre les officiels ottomans, reconnait leur courtoisie, profite de leurs réceptions. Elle éprouve aussi de la sympathie pour les soldats des deux camps et finalement partage la joie des Grecs quand le siège se termine à leur avantage.

Récit de guerre, par une femme, loin des rodomontades et de l’héroïsme, qui n’oublie pas l’élégance des femmes, le mystère d’une musulmane voilée comme les danses des jeunes filles grecques.

la guerre terminée, une excursion à Argyrocastro – Gjirokastër en Albanie – nous emmène sur les routes de l’Epire dans la ville de Kadaré.