Un court roman, histoires de paysans de l’Epire du village de Povlaprès de la frontière albanaise que sépare la montagne Mourgana (1806 m).
Trois récits : Alexo (hiver 1943) , Sofia (1943-1975) Shoejtim (1990)
Alexo – Roman de misère, de famine et de froid dans la guerre qui a pris les hommes et les a divisés, les femmes de Povla ne reçoivent plus l’aide des émigrés d’Australie ou du Canada, elles tentent de nourrir leurs enfants et partent troquer leurs dernières possessions, tapis ou vaisselles de l’autre côté de la frontière albanaise dans des villages grecs. Douaniers ou bandits, des hommes confisquent les pauvres marchandises et sont contraintes de mendier ou de travailler dans les fermes qui acceptent de les abriter.
Albanie
Sofia – Sofia avec ses engelures ne peut pas rentrer avec les autres femmes en Grèce et se trouve piégée en Albanie. Avec l’installation du régime d’Enver Hodja, elle se trouvera prisonnière de l’autre côté de la montagne. Elle entend les cloches qui tintent en Grèce, elle peut même entrevoir sa mère de loin, mais on le la laissera pas traverser ma frontière. Son histoire est celle de ces Grecs qui seront éloignés de leur origine, déplacés. la dictature albanaise affame, réduit en esclavage, fait taire toute velléité d’opposition. Au moindre écart, les hommes seront conduits au bagne et toute la famille « tachée ». Quatre décennies s’écouleront dans la misère et la crainte du régime.
« Avec le temps on a bien fini par s’entendre. Bien forcés. On discutait – comme on pouvait – on riait ensemble. Il avait été octroyé à chaque famille, un âne sans ânesse, trois biques sans bouc, cinq-six gélines sans coq, histoire qu’elles ne fasse pas de poussins. Faire un potager, c’était interdit. Les trois olives sur les arbres autour de la maison, on n’avait pas le droit de les ramasser…. »
Shpejtim – est le petit fils de Sofia, provenant d’une famille « tachée », son père est envoyé dans les mines au nord ouest de l’Albanie, vivant dans la peur des ennemis : les Grecs étant les pires. Sans avenir en Albanie il décide de partir en Grèce, de franchir la montagne. Si l’accueil dans le village de ses ancêtre est chaleureux, la vie des Albanais immigrés en Grèce est difficile, bien différente de ce dont il rêvait en regardant la télévision grecque…
Le titre s’explique dans les dernières pages de livre
– Heureux soit ton nom, Dimitri.
Il a souri et m’a fait un signe de la main.
je suis monté dans le bus. je me sentais un peu mieux. De gars m’avait réchauffé le cœur
On note aussi l’importance des noms, surtout du nom des femmes privées après leur mariage non seulement du nom de famille mais même de leur prénom, portant le double nom de leur mari féminisé. Privées même de leur nom et pourtant si fortes, si courageuses.
La traductrice note le style, et la langue démotique très simple, dialectal, proche de l’oralité contrastant avec la langue Katharevousa, le grec littéraire officiel. Elle a cherché à reproduire les régionalismes par des expressions paysannes d’un patois forézien ou auvergnat, que je n’ai pas toujours compris mais qui donne une saveur paysanne au récit.
Un livre singulier, très touchant qu’on lit d’un souffle (98 pages)
« Oui, moi Antigone, la mendiante du roi aveugle, je me découvre rebelle à ma patrie, définitivement rebelle à Thèbes, à sa loi virile, à ses guerres imbéciles et à son culte orgueilleux de la mort. » dans LA COLERE
Antigone est l’héroïne du Théâtre grec qui me fascine le plus : Antigone est la femme qui dit NON! Celle qui le crie. C’est aussi la fille d’Œdipe qui l’a guidé, aveugle sur les chemins de Grèce, qui a mendié pour lui. Fille de Roi, de Reine, mendiante.
Antigone de Sophocle a inspiré de nombreux écrivains et metteurs en scène. C’est la tragédie la plus impressionnante, jouée chaque fois dans un paroxysme de l’Histoire. La version qui m’a impressionnée le plus est celle de Adel Hakim jouée par le Théâtre national palestinien aux Théâtre des Quartiers d’Ivry que j’ai été voir deux fois. Tragédie de Beyrouth dans le 4ème Murde Sorj Chalandon . J’ai même vu une Antigone Ukrainienne/Russe, un peu punk et musicale de Lucie Bérelowitsch qui a choisi une version de Brecht/Sophocle. Bien sûr, il y a celle d‘Anouilh(1944).
Antigone de Bauchau n’est pas une pièce de théâtre mais un roman qui fait suite à Oedipe sur la Route lu il y a douze ans qui m’avait laissé un souvenir inoubliable. Avec 368 pages, l’auteur développe une histoire plus longue avec de nombreux personnages, avec des retours dans l’épopée de Thébes : Œdipe et Jocaste et sur les pérégrinations d’Œdipe.
Antigone de Bauchau commence avec le retour de l’héroïne à Thèbes après la mort d’Œdipe. Antigone est entourée des compagnons de son père : Clios qui peint une fresque pour Thésée à Athènes et qui la met en garde:
« En retournant à Thèbes tu vas suivre, toi aussi, le chemin du rouge. Tu seras en grand danger, au centre de la guerre entre tes frères. Est-ce nécessaire Antigone? »
Bauchau développe l’histoire des jumeaux : Polynice et Etéocle, désiré et souverain, Etéocle toujours en rivalité. De la jalousie d’Etéocle et de la domination de Polynice, il ne peut que résulter le combat, combat à mort. Dédoublements, Etéocle demande à Antigone de sculpter deux statues de Jocaste , il offre un étalon noir à Polynice qui part à la recherche d’un cheval aussi fougueux, aussi beau, blanc.
« mon corps, bien avant moi, sait ce qu’il faut faire. Il se jette à genoux et, le front sur le sol, extrait de la terre elle-même un non formidable. C’est un cri d’avertissement et de douleur qui brise la parole sur les lèvres d’Ismène. C’est le non de toutes les femmes que je prononce, que je hurle, que je vomis avec celui d’Ismène et le mien. Ce non vient de bien plus loin que moi, c’est la plainte, ou l’appel qui vient des ténèbres et des plus audacieuses lumières de l’histoire des femmes. »
Au lieu de se tenir comme Sophocle, à l’épisode de l’interdit de la a sépulture de Polynice, par Créon, et du refus de la tyrannie par Antigone, privilégiant la loi des Dieux avec la tradition des honneurs dus aux morts, par rapport à la loi de la Cité (le décret de Créon), Bauchau inscrit les funérailles à la fin de l’histoire de la guerre de Thèbes. Il raconte toute une épopée. Epopée guerrière, histoire d’amour, relations familiales…La tyrannie de Créon n’entre en scène qu’après les trois quarts du livre.
« Nous les femmes, les sœurs, nous devons seulement enterrer Polynice et dire non, totalement non à Créon. Il est le roi des Thébains vivants, il n’est pas celui des morts. »
Antigone n’est pas seulement celle qui dit non. C’est aussi celle qui ne veut pas choisir l’un ou l’autre de ses frères, qui va tenter de faire la paix entre eux. C’est aussi l’héroïne qui va soigner les blessés, faire de sa maison un refuge pour les pauvres et pour des personnalités un peu étranges, comme le faux aveugle Dirkos qui chante les chants d’Oedipe, ou Timour, le Nomade cavalier et archer, qui apprend à Antigone le « chant de l’arc ». Antigone est une femme puissante, cavalière accomplie, archère.
Sans affaiblir la tragédie, Bauchau brode, interrompt son récit comme l’aède qui peut réciter des milliers de vers. Ce n’est pas un théâtre politique. C’est une véritable épopée.
Vous avez sans doute reconnu le visage de Yannis Ritsos et peut être le poème qui donne le titre du livre
Ne pleure pas sur la Grèce, quand elle est prête de fléchir avec le couteau sur l’os, avec la laisse sur la nuque,
la voici qui déferle à nouveau, s’affermit et se déchaine pour terrasser la bête avec la lance du soleil
Si le poète emprisonné est le sujet du livre de Doucey ce n’est ni une biographie, ni une étude littéraire mais un roman d’amour aux temps des colonels.
Après un prologue mettant en scène des réfugiés yézidis débarquant sur l’île de Leros, le livre commence le 21 avril 1967, le jour du Coup d’état des colonels.
Antoine arrive à Paris avec le projet de gagner un peu d’argent pour rejoindre son amoureuse, Fotini à Heraklion. Fotini, étudiante en littérature, a choisi Ritsos comme sujet d’étude. Antoine doit faire une revue de presse quotidienne. Il consacre l’essentiel de ses recherches à la Grèce. Rapidement il perd le contact avec Fotini qu’il espère retrouver.
S’étant distingué par son dossier de presse grec, il rencontre des intellectuels grecs exilés à Paris : Clément Lépidis et Aris Fakinosqui publient un journal en exil et préparent le Livre noir de la Dictature en Grèce. A la suite de cette collaboration, Antoine intègre une délégation du CICR, la Croix Rouge, pour visiter les lieux de détention des prisonniers politiques. Il espère retrouver Fotini au cours de cette mission.
Parallèlement, nous suivons Yannis Ritsos sur ses lieux de détention, sur l’île de Yaros – l’île du Diable – » un gros rocher battu par les vents. Pas d’arbres. Pas d’eau. Pas d’habitants ». Ce n’est pas son premier emprisonnement , Ritsos est un vétéran qui sait gérer la condition de prisonnier. Mais surtout Yannis Ritsos est poète et sait s’évader par les mots :
« La valise serrée contre ses jambes, il avait laissé ses pensées prendre le large pour apaiser l’angoisse que faisait monter en lui la présence des militaires. pas un carnet dans sa valise, pas un crayon qu’on lui aurait immédiatement confisqué. Non mais des poèmes par centaines, dans la tête et dans le cœur, que personne ne parviendrait à lui enlever. Quelle chance après tout d’avoir choisi la poésie et non la peinture ou le piano! Dans les camps où on les jette, le peintre privé de ses toiles et de pigments vit un enfer, le musicien sans piano se voit amputé de la meilleure part de lui-même, mais moi, poète sans stylo ni papier, de quoi me prive-t-on que je ne puisse trouver en moi? »
Douceyévoque les interrogatoires, les cris, la douleur des prisonniers. On peut être incarcéré pour n’importe quoi, un disque de Théodorakis, même les cheveux longs ou les mini-jupes sont proscrits. L’écriture de Doucey est aussi poétique. Des vers de Ritsos entrecoupent le récit.
Ritsos est ensuite transféré dans le Dodécanèse, sur l’île de Leros où sont installés deux camps et un asile d’aliénés :
« l’asile…les uns le demandent et d’autres voudraient fuir, se dit le poète en regardant les premières lueurs du jour embraser la ligne d’horizon. Etrange situation que celle de l’homme incarcéré sur l’île de Leros où cohabitent sans véritablement se croiser bannis de la dictature, exilés en transit et patients d’un des plus grands hôpitaux psychiatriques de Grèce
Leros, île-prison
Leros, île-refuge
Leros, île des fous »
Malgré l’isolement, la maladie, la poésie ne quitte pas le poète. Il rêve de vaisseau-fantôme, il compare son sort à celui des malades internés à l’asile
Si je suis ici, se répète-t-il, c’est parce que mes poèmes ressemblent au pollen que transporte le vent. on brûle mes livres, on m’interdit d’écrire, on enferme mon corps dans une prison, on me retient loin des lieux où ma parole se fait entendre. mais cela n’empêchera pas ma poésie d’atteindre d’autres rivages. on n’arête pas le vent. on n’enferme pas le vent…
J’aimerais recopier les poèmes, les apprendre par coeur, en lire d’autres….et lire les livres que Doucey a consacré à Pablo Neruda, Lorca, Max Jacob, Jara…A suivre…
« L’eau avait envahi tout l’avant du navire, balayant les ponts latéraux jusqu’au bastingage, les voies d’eau tapissaient d’écume le pont supérieur, atteignant, par moments, jusqu’aux antennes. Un moment couché sous la puissance des vagues, on le voyait se soulever dangereusement, puis s’enfoncer à pic comme s’il glissait au bord d’un gouffre, disparaître à moitié, réapparaître à la surface quasi indemne quand on n’y croyait plus, sembler, contre toute attente, prêt à affronter les courants, le vent et les montagnes d’eau qui le cernaient, jusqu’à la vague suivante, plus forte que les précédentes, »
Le récit d’un naufrage : un bateau de migrants sur les rochers d’une petite île de la Mer Egée. 300 peut être 400 naufragés sur cette petite île de 130 âmes. la tempête est exceptionnelle, les habitants sont venus sur le rivage assister à la catastrophe
« Donc on va rester là, les bras croisés pendant qu’ils se noient ? »
Quand les naufragés seront sur les plages, les secours vont s’organiser. Il faudra ramasser les cadavres, réchauffer les vivants, les abriter, les nourrir. Mais comment? l’île est si petite, elle dispose de peu de réserves et avec cette tempête on ne peut pas compter sur le ravitaillement par mer. Au kafeneion on s’inquiète, le maire, l’ancien maire ont des opinions divergentes, le pope intervient :
« Et ces pauvres gens sont si désespérés que je doute qu’ils soient encore en mesure de respecter les lois humaines et les lois divines. A nous de rester vigilants
Moi, cher pope, je suis marin, se cabra le capitaine. La seule loi que je connaisse est celle de la mer, et la loi de la mer est claire : un homme qui échappe à la noyade est un homme à qui on doit les mêmes soins et la même attention qu’à son frère. »
Malgré le réticences, la boulangère cuira des pains, les femmes feront la soupe et distribueront des repas chauds. Chacun videra ses armoires des vêtements superflus. La solidarité s’organise. Affamés, transis, endeuillés parfois, les 300 rescapés parqués dans un gymnase inachevé sans aucune commodité, s’exaspèrent, les distributions de nourriture tournent au pugilat. Une partie de la population prend peur, surtout quand un meurtre est découvert.
Des migrants, nous n’apprendrons que peu de choses. L’auteur s’est intéressé presque exclusivement aux réactions de ses compatriotes. Et elles sont complexes. D’une part, la pitié naturelle éveillée par le naufrage, d’autre part la peur. Les Grecs sont souvent des marins, et comme pour le vieux capitaine, la loi de la mer prime avec le secours aux naufragés. Plus loin, dans la tradition, ils furent aussi des exilés et se souviennent encore
« A bien des égards, le chaos qui prévalait lui rappelait le vieux tableau accroché au-dessus de sa couchette à l’école militaire, représentant une scène de massacre pendant la guerre d’indépendance. Deux cent cinquante à trois cents hommes, femmes et enfants, manifestement en très mauvais état, se serraient les uns contre les autres au pied du rocher, sans protection contre le froid, le vent et la pluie. »
« Et nous, quand on s’est fait chasser d’Anatolie, on avait l’air de quoi en débarquant ici ? J’aurais voulu t’y voir, pour que tu comprennes dans quelle misère on a été jusqu’à ce que ça s’arrange. On était des vrais sauvages. Pour une poignée de câpres, tu te faisais défoncer le crâne. »
Ambivalence aussi, l’île se dépeuple, les jeunes partent chercher une vie meilleure, à Athènes ou en Allemagne. Quand, enfin, le ferry vient de la grande île embarquer les migrants tout le monde paraît soulagé. Le vieux capitaine, encore lui, fait entendre une autre voix:
« — Ça me navre de voir des jeunes mourir, mais ça me navre aussi de voir qu’ils ne veulent pas de nous. Qu’est- ce qu’on leur a fait, pour qu’ils veuillent partir ? C’est mieux, là où ils vont ? Le maire repartit d’un éclat de rire.
— Tu devrais plutôt te réjouir. On ne pourrait jamais supporter tout ce monde. — Pourquoi ? demanda sérieusement le vieil homme. C’est les maisons vides qui manquent ? Ou les champs de blé en friche qui ne vont pas donner de pain ? Qu’on les confie à des gens qui n’ont pas peur de travailler, et tout ça va revivre. »
Livre touchant alors que le journal télévisé montre le nouveau grillage construit entre la Turquie et la Grèce, qu’on a peur d’un afflux d’Afghans. Ces journalistes-là n’ont pas été marins!
J’ai attendu avec impatience la parution du nouvel opus de la série policière du commissaire Charitos (juin 2021 en français – 2020 Grèce) . C’est donc un tableau tout à fait contemporain de l’état de la Grèce que Markaris va dresser. La Crise Grecque est-elle derrière nous? l’économie grecque décolle-t-elle? On peut se référer à Markaris pour prendre le pouls d’Athènes.
En m’approchant, je vois que dans les petites assiettes, il y a du maquereau et de la truite fumés, et des sardines. J’en déduis que nous aurons une soupe. Mania apporte une casserole et Adriani commence à servir la soupe aux haricots. Le premier à lui témoigner son admiration est Uli. – Je vois que tu as un faible pour notre plat national, lui dit Zissis.
Plaisir de retrouver la famille de Kostas : Katerina vient de donner naissance à Lambros, ainsi nommé en l’honneur de Zissis, l’ancien communiste gérant d’un refuge pour les Sdf (mon personnage préféré), Adriani – fort affairée avec son petit-fils – confectionne comme toujours des plats délicieux (soupe aux haricots et tomates farcies). Je me demande bien si un jour Markaris ne nous gratifiera pas d’un livre de recettes de cuisine (des écrivains très fameux l’ont fait avant lui). L’évocation des saveurs grecques est toujours un grand plaisir pour moi, d’ailleurs je me prépare à cuisiner une moussaka!
10
Plaisir de me promener dans les embouteillages d’Athènes, bien sûr je ne connais pas toutes les rues, mais quand même….
L’administration en Grèce est une suite de cavernes, monsieur le commissaire. Et plus on avance, plus elles sont ténébreuses et doivent être explorées avec précaution. Je suis parvenu à traverser les cavernes jusqu’à la fonction de proviseur. Kaplanis, lui, était un troglodyte virtuose. Non seulement parce qu’il savait comme personne parcourir les cavernes, mais parce qu’il avait la capacité d’en créer, impraticables pour les autres.
Le commissaire et toute son équipe nagent en plein brouillard : attentats à la bombe, revendications calligraphiées, victimes irréprochables. Qui se cache sous le nom Armée des Idiots Nationaux, redresseurs de tort luttant contre les Hypocrites? je ne vous en dirai pas plus, je déteste quand on spoile un polar.
Vassilis Vassilikos est l’auteur de Z inspiré par l’assassinat de Lambrakis(1963 à Thessalonique) qui inspira Costa Gavras pour le film Z. Les Photographiessont parues en Grec en 1964 et en 1968, traduites par Lacarrière .
Ce court roman (212 pages) se déroule à Thessalonique.Cette ville est un des sujets du livre. Le héros se livre à de nombreuses errances que j’ai eu plaisir à suivre et à deviner quoique la ville dans les années 60 était bien différente de celle que j’ai découverte il y a peu. Souvenirs de l’occupation nazie, séisme qui a ravagé la ville…
Thessalonique vue de la Ville Haute
Un autre thème des Photographies est le cinéma. On comprend à la fin du livre que le héros est cinéaste et qu’il imagine la vie par images fixes ou animées. Son amoureuse lui reproche d’ailleurs de ne voir en elle qu’une héroïne de cinéma et non pas une femme réelle qui mange ou le désire .
Je me suis un peu perdue après deux ou trois chapitres, incapable de comprendre la trame de l’intrigue (si intrigue il y a). Mélange de réalité et de rêve, métamorphoses. Le narrateur, au milieu d’un paragraphe, est un chat errant. J’ai failli abandonner, n’y comprenant plus rien. Heureusement que je n’en ai rien fait. A la fin du livre, le film se déroule à l’envers, construction intelligente!
Ici je ne sais plus que dire. Tu existes, dis-tu, et moi je me console. Je ne reviens vers tes paroles que pour masquer le désarroi de mon cœur. Mais qu’est-ce là? Non ce ne sont pas des tuiles derrière toi, ce ne sont pas des toits de maison. Ce sont des carapaces des rêves qui se vidèrent, et qui s’imbriquèrent l’un dans l’autre, formant une surface dure où ton visage de givre est venu reposer son profil. Ce sont des feuilles desséchées ; si elles étaient rouges, ton visage serait plus blême encore. Mais la photo n’est pas en couleur et je les vois seulement comme des mots que leur sens a quittés et qui ont façonné pour les êtres peureux un toit contre l’orage. En dessous se cachent tous ceux qui ont renié leur vie et laissent envoler leurs fumées par une cheminée solitaire dans l’espace.
C’est aussi un roman d’amour que Lazare dédie à une femme le plus souvent absente qui fait irruption dans le récit pour disparaître sans prévenir.
Un livre à déguster sans se presser, une promenade dans Thessalonique.
« Salonique ou Thessalonique ? Bien qu’antiquisant, j’opte résolument pour le premier : c’est plus court et plus joli ; ce sont les Grecs (byzantins) eux-mêmes qui ont abrégé le nom, il y a près de mille ans ; c’est le nom qu’employaient les Juifs de la ville et ce n’est pas mal de s’en souvenir ; quoique philhellène, je n’ai aucune raison d’épouser le nationalisme grec le plus obtus qui prétend effacer tout corps étranger de l’histoire de la ville et jusqu’au nom utilisé par les Juifs comme par les Turcs. Voilà donc une affaire tranchée. »
Je saute sur toute occasion de faire un tour en Grèce, Matatounea chroniqué cet ouvrage et derechef, je l’ai téléchargé et lu! Salonique est une ville chère à mon cœur, départ d’une exploration en Macédoine et en Thrace. Jérusalem des Balkans, ville brillante jusqu’en 1917, où les quartiers juifs furent incendiés, la communauté juive fut déportée en 1943 et pratiquement exterminée.
Cette lecture fait suite à d’autres, mémorables: Vidal et les siens d’Edgar Morin que j’ai lu et relu. Gioconda de Nikos Kokantzakis, délicieux roman d’amours adolescentes et histoire vraie, témoignage de la déportation. Le Cahier volé à Vinkovici de Dragan Velikic et le Sarcophage et la douleur du Vendredi Saint de Yorgos Ioannou mettent en scène la ville.
Les Carnets de Salonique commencent comme une intrigue policière : une femme, Judith, est assassinée à Thessalonique en 1975, victime d’un attentat organisé par l’extrême-droite grecque à la chute du régime des colonels. L’enquête a conclu qu’elle avait été abattue par erreur, victime d’une balle perdue. Vassili Korassov, son compagnon est persuadé que Judith n’est pas morte par hasard, qu’elle était visée par les tueurs. Vassili tente de dénouer le mystère avec l’aide de Gabriel, un archéologue, fils d’un archéologue qui a collaboré avec les policiers en qualité de traducteur.
Il sera donc question d’archéologie, le père de Gabriel spécialiste du siècle de Périclès a aussi fouillé à Pella, ville de Philippe, le père d‘Alexandre le Grand. Les méthodes de l’archéologue sont analogues à celles du détective:
« Que vaut l’archéologie si elle ne parvient pas à extraire d’une couche de débris informes, d’un vulgaire amoncellement minéral, d’un terrain montueux mâtiné de pierrailles, ce qui bientôt donnera une figure, un visage à un édifice oublié, suscitera la curiosité du visiteur et fera revivre une civilisation entière dans l’esprit des hommes ? »
Vassili évoque l’histoire de Judith et de sa famille originaire de Smyrne . Son père Costas est un commerçant grec, sa mère Déborah – juive d’origine livournaise. A la suite de la Grande Idée, « megali idea« , le rêve grec de reconquête de territoires en Anatolie qui aboutit à La Grande Catastrophe,exode des Grecs d’Asie Mineure et incendie de Smyrne, le couple émigre à Salonique, où leurs affaires prospèrent, leurs enfants ont la meilleure éducation en Français et en Italien. A la suite de la Crise de 1929, la montée des fascismes et de l’antisémitisme incitent Costas et Déborah à l’exil à nouveau à Marseille. Rattrapé par la Guerre et l’occupation Allemande, ils poursuivent leur errance jusqu’aux Etats Unis
» Je suis le non-juif errant » disait-il (Costas) avec ironie. A peine établi à ses aises, il lui fallait s’arracher à ce qu’il avait tenu pour un asile et qui se révélait, une fois encore, une fausse promesse, un cul de basse-fosse…. »
Cette lecture est une leçon d’Histoire, histoire grecque, à travers le XXème siècle, Résistance des andartes de l‘ELAScontre les Allemands en Epire, et exil de ces derniers, chute du régime des Colonels et opposition des militaires avec parfois complicité de l’Eglise Orthodoxe…
Judith, bercée dès l’enfance à cette histoire, devient historienne et part à la recherche des biens juifs spoliés. Encore un thème passionnant!
Par ces thèmes multiples, les Carnets de Salonique sont intéressants. Cependant ce livre de moins de 90 pages, les survole. J’aurais aimé plus de profondeur. J’aurais aimé m’attarder à Smyrne, me promener plus longuement rue Egnatia ou dans les ruelles qui grimpent à la citadelle de Thessalonique. J’aurais aimé humer l’air de la mer Egée sur le port de Salonique et voir les personnages s’installer à Marseille. J’aurais aimé plus d’archéologie, en savoir plus sur les fouilles de Pella, sur Philippe et Alexandre le Grand.
Cette lecture agréable et facile me laisse un peu sur ma faim. Les personnages secondaires sont esquissés plutôt que présents.
« Ces histoires étaient censées se passer en des jours si anciens que tout, alors, semblait possible. C’était le temps où les dieux vivaient au milieu des hommes, intervenant sans cesse dans leur destin. Et rien n’est impossible dès lors qu’un dieu le veut, à commencer par la naissance d’un homme-taureau… »
Depuis nos premiers voyages en Grèce,Lacarrièrem’a toujours guidée, ses livres m’ont accompagnée en Egypte. J’ai trouvé la référence de L’Envol d’Icare sur le blog de Dominique ivredelivres à propos du tableau de Breughel que Lacarrière décrit.
Brueghel l’Ancien : Chute d’Icare
L’immense culture de Lacarrière et son talent pour la partager ne se dément pas ici. le mythe de La Chute d’Icare est raconté dans les Métamorphoses d’Ovide.
« Or on oublie généralement qu’Icare ne s’envola pas seul. C’est avec Dédale qu’il traversera les cieux grecs.
C’est aussi à cause de Dédale que tous deux se retrouvèrent enfermés dans le Labyrinthe. L’invention des ailes apparaît d’abord comme un défi à l’interdiction de Minos, une réponse novatrice et rusée au piège tendu par le roi…. »
Dédale fut le premier ingénieur, inventeur, sculpteur, illusionniste architecte du Labyrinthe, débordant d’astuce la métis. Soninvention des ailes aux plumes collées à la cire a d’ailleurs réussi dans son propre cas : Dédale a atteint la Sicile par la voie des airs. Tandis que son fils, Icare, s’est abîmé dans la mer à l’emplacement de l’île d’Ikaria.
Saraceni Carlo
Qu’est-ce qui a causé la chute d’Icare?
Sa désobéissances aux consignes de son père qui lui avait ordonné de ne pas s’approcher de l’eau qui aurait alourdi les plumes, ni ne voler trop près du soleil qui fait fondre la cire. Ou en punition de la transgression du mortel à s’approcher des dieux?
« Soumission à la loi divine et en même temps transgression à son égard, le mythe d’Icare détient la clé de ce dilemme : se rapprocher des dieux en se soumettant à leur loi ou, au sens propre, en s’élevant vers eux. »
Dans la mythologie grecque Icare ne fut pas seul à s’élever vers les cieux et à chuter :
« Tous ceux qui, dans l’Antiquité, tentèrent cette folie – vouloir monter au ciel et rencontrer les dieux sans divinisation préalable – le payèrent de leur vie : Icare, bien sûr, mais aussi Ixion et Tantale, pour rester dans le domaine grec. »
[…] »d’Ixion, par exemple, qui, admis au ciel et au banquet des dieux à titre exceptionnel, en profita pour tenter de séduire Héra, l’épouse de Zeus. Ce dernier le cloua alors sur une roue enflammée qu’il lança dans le ciel où, d’ailleurs, elle est censée tourner toujours, créant ainsi le premier satellite habité de l’espace »
Phaeton a connu un sort analogue, ayant désobéi à son père le Soleil
Giordano Luca : chute de Phaeton
Lacarrière nous offre de nombreuses pistes pour interpréter le mythe d’Icare et ses variantes : clé naturaliste référant aux animaux volants, chauve-souris et exocet,clé onirique où le dormeur rêve qu’il vole, clé symbolique qui se réfère au vol magique des chamans de Mircea Eliade ou aux rois-dieux du Proche-Orient, à l’Ascension du Christ ou l’Assomption de la Vierge, clé psychanalytique où l’on revient à Dédale et au corps pourrissant du Minotaure, les ailes d’Icare symbolisant son éclosion d’insecte ailé (Imago), Icare plutôt qu‘homme-oiseau serait homme-papillon, clé ritualiste et clé alchimique (là je suis perdue).
Dans le sillage d’Icare, Lacarrière nous emmène dans d’autres histoires comme celle de la chute de Talos précipité par le même Dédale – son oncle – Talos étant aussi nommé Perdix. Puis il nous conduit dans l’Histoire de l’Art : la représentation de la Chute d’Icare a inspiré de nombreux artistes comme Brueghel l’Ancien, Picasso, Matisse et Chagall ont illustré ce mythe.
Chute d’Icare : Matisse
Autres suiveurs, les aéronautes, cosmonautes et l’Homme-volant Clem-Sohn qui s’écrasa, comme Icare.
J’ai débuté par la mer Noire, au pied de l’énigmatique massif de la Strandja, où les courants méditerranéens et balkaniques s’entremêlent ; je me suis aventurée vers l’ouest dans les plaines frontalières de Thrace, sillonnées de couloirs marchands où se trament des échanges plus ou moins licites ; j’ai franchi les cols des Rhodopes, où le moindre sommet fait l’objet d’une légende et où le moindre village réserve des surprises ; puis j’ai bouclé la boucle en terminant par la Strandja et la mer Noire.
Un gros coup de cœur!
Kapka Kassabovaest née en Bulgarie en 1973 à Sofia qu’elle a quitté avec sa famille après la Chute du Mur de Berlin. Elle habite maintenant en Ecosse et écrit en anglais. Elle est retournée en Bulgarie sur la Riviera Rouge plages de la Mer Noire où elle venait en vacances avec ses parents dans les stations balnéaires fréquentées par les cadres d’Europe de l’Est. Fréquentées aussi par les candidats à la fuite à travers le rideau de fer, allemands en « sandales« , Tchèques, Bulgares.
Du fait de sa seule présence, la frontière est une invitation. Viens, murmure-t-elle, franchis cette ligne. Chiche ? Franchir cette ligne, en plein jour ou à la faveur de la nuit, c’est la peur et l’espoir amalgamés.
L’écrivaine ne convoque que très peu ses souvenirs d’enfance mais elle s’installe dans un petit village-dans-la valléedéserté de ses habitants. Ceux qui sont restés sont accueillants. Ils livrent à Kapka Kabassova des secrets comme ceux des Agiasmes, les sources sacrées depuis la nuit des temps, ou les Nestinari qui marchent sur les braises et possèdent les dons du chant ou de la divination.
On célèbre aujourd’hui le festival du feu des saints Constantin et Elena. Ils ne sont ni plus ni moins qu’une variante du double culte de la déesse Terre et de son fils et amant, le dieu Soleil. Des représentations de la dualité dionyso-apollonienne au cœur du culte du feu. La rencontre du solaire et du chtonien.
La montagne sauvage recèlent encore d’autres mystères : des pyramides – Le Tombeau de Bastet ,
Le « Grand Site », car on avait retrouvé dans les parages plusieurs strates d’habitations antiques : un lieu de culte thrace composé de plusieurs édifices disposés en cercle baptisé Mishkova Niva, tout équipé, avec autel sacrificiel et reliquaire orné d’inscriptions gravées par des prêtres orphiques ; un tumulus ; un fort thrace romanisé ; une maison de villégiature romaine et un réseau de mines de cuivre datant de l’Antiquité.
De nombreux trésors furent enterrés dans le Grand Site, mais aussi par les habitants chassés de leurs maisons. La profession de Chasseur de Trésor fut répandue ainsi que celle de passeur de fuyards ou de migrants et parallèlement de gardiens de la frontière qui ont souvent abattu ceux qui voulaient passer en Turquie. Cette forêt possédait du Barbelé dans le cœur. les souvenirs de l’époque communiste sont encore très présents. Le franchissement du Rideau de Fer n’est pas le seul passage : contrebande, et maintenant Syriens, Afghans tentent de rejoindre l’Europe à travers cette frontière. Impossible de lister tous les mystères. Il faut lire Lisière!
l’Or des Thraces
les Couloirs Thraces
La Thrace antique se déployait sur toute la partie nord-est de la Grèce actuelle, y compris les îles de Samothrace et de Thassos, ainsi que la partie européenne de la Turquie et l’intégralité du territoire bulgare ; de l’autre côté du Danube, elle englobait la Roumanie jusqu’au massif des Carpates, quelques régions serbes et la république de Macédoine. Les Thraces n’ont guère laissé de traces écrites, mais on a retrouvé énormément de vestiges
[….] leurs sépultures peintes et leurs objets en or demeurent inégalés dans le monde antique
[…] Hérodote, notre principale source d’information sur les Thraces, les décrivait comme les tribus les plus puissantes et nombreuses de son époque.
Les « couloirs » font référence aux couloirs migratoires mais aussi aux couloirs des tombes thraces que j’ai eu le plaisir de visiter en Bulgarie. Kapka Kassabova descend de la montagne pour explorer cette région qui s’étend actuellement sur trois états : Bulgarie, Turquie et Grèce. Elle nous fait découvrir Svilengrad, la ville de la Soie, ville frontalière, Edirne et un fleuve : la Maritsa bulgare appelée Meriçen Turquie, Evros grec qui fait la frontière entre la Turquie et la Grèce, entre l’Union Européenne et la Turquie, presque l’Europe et l’Asie! Courants d’échanges de populations entre Grecs et Turcs, Turcs et Bulgares, Bulgares musulmans mais bulgarophones, populations qui ont dû choisir entre leur langue maternelle et leur religion, sans parler des Gitans et des Pomaques(musulmans parlant bulgare mais répartis sur la Bulgarie, la Turquie et la Grèce). Porosité de cette frontière. Je me souviens d’une photo ancienne vue dans la maison d’hôte d’un village bulgare : des files de réfugiés avec leurs paquets sur un pont….
Il serait tentant d’établir un parallèle entre l’expulsion des Turcs de Bulgarie et l’horreur que les nationalistes serbes allaient infliger à la Bosnie, non loin de là, car dans les deux cas, on chercha à justifier les atrocités par des anachronismes crasses en invoquant le « joug turc ».
[…]
La guerre en Yougoslavie était due à un virus nationaliste serbo-croate réactivé après être resté en sommeil pendant des décennies,
[…] alors que la purge ethnique en Bulgarie constitua l’ultime exaction imbécile du totalitarisme crépusculaire.
Ces migrations ne sont pas terminées : Syriens, Kurdes et Afghans tentent de rejoindre l’Union Européenne, Kapka Kassabova les rencontre, noue des sympathies et met des noms, des histoires personnelles sur ces hommes et ces femmes qu’on désigne souvent par « migrants« sans chercher à les connaître.
Les cols des Rhodopes forment la troisième partie du voyage, fief des Pomaques. l’écrivaine s’installe dans Le Village-où-l’on-vit-pour- l’Eternité. Elle prend pour guide dans une randonnée sauvage Ziko, personnage original, (passeur de clandestins, contrebandier ou trafiquant de drogues?) sur la Route de la Liberté qui traverse la forêt jusqu’à Dramaet Xanthien Grèce. Traversée aventureuse! Les Rhodopes, comme la Strandja sont des régions très mystérieuses depuis la plus haute antiquité – terre orphique, ou légende de la tunique de Nessos. Il est question de la culture du tabac, de la soie. Ne pas oublier la déportation des Juifs :des 11343 Juifs de Dràma, Kavala, Xanthi et de Macédoine aucun n’est revenu. J’ai pris des pages de notes et ne peux pas les copier toutes!
J’ai été bluffée, scotchée par ce gros livre (488 p). Je regrette de l’avoir terminé. J’ai découvert qu’elle avait écrit To the Lake pas encore traduit que je compte bien lire.
« Un étranger arrive dans une ville inconnue après un long voyage. Ce fut un voyage sinueux et semé d’écueils ; l’étranger est fatigué. Il approche enfin de l’édifice qu’il habitera un certain temps et, laissant échapper un léger soupir, il avance vers l’entrée, dernière étape, brève, du chemin improbable et détourné qui l’a conduit jusqu’ici. Il a peut être quelques marches, qu’il gravit d’un pas las. Ou bien d’une arche floue se fondant à l’obscurité béante, comme quelque personnage mythologique disparaissant dans la gueule d’un monstre. Ses épaules ploient sous le poids des sacs qu’il porte, les deux sacs contiennent désormais tout ce qu’il possède, à l’exception de la femme et de l’enfant. Il a fait son bagage à la hâte. Qu’emporter? Qu’est-ce qui est le plus précieux? L’un des sacs contient probablement des livres. »
Un conte d’exils : Odyssées, exil des Byzantins à la chute de Constantinople, copistes, poètes philologues qui apportèrent la culture de l’Antiquité, exil des protestants français en Prusse, exil des Juifs fuyant le nazisme….
Voyage sinueux, chemins détournés, Ulysse « polytopos » aux mille détours, l’écriture peut aussi être digression, déviation, tours et détours…..Mendelsohn, au terme de la longue enquête à travers le monde qui a conduit à la rédaction des Disparus rentre très éprouvé. Il a des difficultés à se remettre à l’écriture, commence ce qui va devenir Une Odyssée : un père, un fils, une épopée . Son éditeur lui conseille de rompre le récit linéaire et d’adopter une composition circulaire. Cet usage de la digression est le procédé qu’Homère a utilisé en greffant un épisode nouveau au beau milieu des chants III et IV : l’apparition d’Athéna sous la forme de Mentor à Télémaque lui conseillant de partir à Pylos et à Sparte . Ce procédé est récurrent chez Homère :
« Le goût des Grecs pour la façon dont, paradoxalement, la digression et la « variété » aristotélicienne peuvent davantage mettre en valeur un thème plutôt que l’éclipser »
Selon le principe de la disgression, parcourant des cycles, les trois anneaux gravitent autour de trois écrivains.
Réfugié à Istanbul, en 1936, comme nombreux universitaires chassés par le régime nazi,Auerbach, spécialiste de littérature comparée y rédige son Mimesisavec l’idée de littérature universelle, Weltlitteratur, concept déjà développé par Goethe. Et comme de juste, Mendelsohn fait une digression passionnante sur le Divan persan traduit par Goethe, qui a réuni ses poèmes dans le recueil : le Divan d’Orient et d’Occident, sans oublier le détour par Evliya Celebi
La deuxième partie intitulée L’éducation des Jeunes Filles a pour centre de gravité le Télémaque de Fénelon. Et l’on en revient évidemment à Ulysse! Elégant détour par la Crète où un des cousins de Fénelon combattit avec les troupes vénitiennes. On boucle la boucle en retournant à Berlin au Lycée Français qui a donné son titre à l’anneau autour de Auerbach. L’Education des Jeunes filles évoque les Jeunes Filles en Fleur et on découvre qu’il est possible de réunir Guermantes en passant par le côté de chez Swann.
Le troisième anneau a pour personnage principal Sebald (avec ses Anneaux de Saturne)que je ne connais pas du tout mais que Mendelsohn me donne furieusement envie de lire. Il revient au début du livre commencé avec Les Disparus illustrant encore la composition circulaire.
C’est un livre riche, construit intelligemment et une lecture qui suscite des envies de nouvelles lectures. Cependant je ne recommanderais pas ce livre pour découvrir Mendelsohn. Pour profiter des Trois Anneauxil convient d’avoir lu Les Disparus (qui est un chef d’oeuvre) et Une Odyssée (également un grand livre) pour profiter de ces contes d’exil.