Le Séminaire des Assassins – Petros Markaris – Seuil

LIRE POUR LA GRECE

Plaisir renouvelé que de découvrir une nouvelle enquête du Commissaire Charitos dont je suis les aventures, la carrière et la vie familiale depuis maintenant de nombreuses années. Avec lui, je sillonne Athènes dans sa Seat souvent bloquée dans les embouteillages légendaires, et j’y prends plaisir au point de ressortir le plan d’Athènes ou de demander les trajets à Googlemaps.

Ses romans font l’état des lieux de la situation économique et politique de la Grèce contemporaine. Certains sont regroupés dans la Trilogie de la Crise, les plus anciens se réfèrent à l’histoire plus ancienne, régime des Colonels et luttes antifascistes. Volontiers critique envers la bureaucratie qui paralyse souvent les réformes nécessaires. Adriani, la femme de Charitos représente la tradition, les coutumes religieuses et le bon sens populaires. Lambros Zissis, l’ancien communiste retraité dans l’humanitaire rappelle une gauche encore vivante. Katerina, la fille avocate et Phanis, médecin, figurent une nouvelle génération. Le Séminaire des Assassins a pour cadre les universités athéniennes.

« nous avons affaire à un acte terroriste impliquant du parathion, monsieur le ministre, dit le chef, alors nous
pouvons être fiers. La Grèce aura gagné une fois de plus le premier prix d’originalité. « 

« Voilà qui renforce l’hypothèse terroriste, dit-il. La plupart des terroristes, en Grèce du moins, ont fait des études
supérieures. »

Je ne spoilerai pas en dévoilant l’enquête. Trois professeurs, ministres, secrétaires d’état, sont assassinés les uns après les autres. Le commissaire et son équipe vont avancer dans le brouillard de ce milieu fermé où le scandale doit être évité à tout prix.

Ma chère Adriani, dit Aryiro, tu es un vrai cordon-bleu. Ce repas est un poème.

L’héroïne, à mes yeux, est bien Adriani et sa cuisine. Les touristes seront peut être surpris d’apprendre que moussaka, salade grecque et côtelettes d’agneau servis dans les restaurants pour touristes de Plaka ou des bords de mer, ne forment qu’une infime partie de l’ordinaire des Grecs qui préfèrent les légumes farcis, les feuilletés aux poireaux, épinards ou herbes des montagnes qui n’ont pas d’équivalent chez nous, les ragoûts..

 à table, je vois les légumes farcis annoncés, mais aussi des aubergines imam. En entrée, des betteraves à l’aïoli
accompagnées de maquereau fumé.

.Je me délecte des spécialités d’Adriani et de ses amis. Zissis se débrouille aussi. Kostas qui aime les brochettes est raillé par les véritables amateurs.

Je chercherai les opus de Markaris que je n’ai pas encore lus et dès que j’aurai mis la mains dessus, je serai transportée à Athènes. Et toujours avec le sourire (ou franchement le rire aux éclats car j’apprécie aussi l’humour de l’auteur.

Mourir en scène – Christos Markogiannakis – Albin Michel

LIRE POUR LA GRECE

Un détour livresque par Athènes!

J’étais impatiente de découvrir cet auteur et une série policière nouvelle. Un peu trop impatiente!

L’intrigue se déroule dans le milieu du spectacle ; pas de bouzouki, ni de folklore. L’artiste Neni Vanda est la « Star grecque absolue« , version pop. Aucune allusion à la musique grecque traditionnelle que je prise. Ce sont des shows à grand spectacle à grand renfort de technologie. C’est au cours de la soirée d’adieu, spectacle qui devait être une apothéose avec une scène flottante face à la plage, que Neni Vanda trouve la mort assiste sur un trône jaillissant des flots portant un bouquet de fleurs sous les acclamations des fans.

Le commissaire Markou interrogera classiquement la famille de la vedette très impliquée dans la carrière de la chanteuse, ses imprésarios successifs, frère et sœur qui gèrent aussi les placements financiers, le président du fan-club qui manage aussi les réseaux sociaux, le garde du corps. Rien que de très banal . La personnalité de l’enquêteur est terne,  « le fait de n’avoir aucun goût bizarre ou illicite le condamnait à ne pas être un personnage littéraire ». Sa vie est au travail. On ne lui connaît ni famille ni amis, à peine des collaborateurs. Ses seules distractions : la lecture de romans policiers et l’opéra, notamment la Callas. 

L’intrigue est originale, bien conduite. Le livre se lit bien mais ne laissera pas de souvenirs marquants.

Heureusement que Pétros Markaris vient de publier en français un nouvel opus Le séminaire des assassins. Il me tarde de retrouver le commissaire Charitos, la cuisine d’Adriani, le embouteillages dans les rues d’Athènes, ses collaborateurs et son regard aigu sur la société grecque.

 

L’EMPIRE OTTOMAN – Le Déclin, la chute, l’effacement – Yves Tenon ed du félin

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

 

J’ai coché ce livre sur la liste de la Masse Critique sans aucune hésitation, l’Histoire est toujours plus passionnante que la fiction et la Méditerranée orientale est un  territoire que j’aime explorer, d’ailleurs je rentre d’Egypte. Merci aux éditions du Félin pour cette lecture!

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Ce n’est certes, pas le livre qu’on glissera dans le sac de voyage pour un week-end à Istanbul, 500 grandes pages, imprimées en petits caractères, format et poids rédhibitoires! Ce n’est pas non  plus le « pavé de l’été« à lire sur le bord de la piscine ou à la mer!

C’est du lourd et du sérieux, c’est l’oeuvre d’un historien qui, de plus se présente comme un historien des génocides :

« Les spécialistes des génocides sont de drôles de gens,  des oiseaux  bariolés dans la volière universitaire…

L’historien du génocide est un policier qui enquête, un juge qui instruit un procès. Peu importe la vérité, il découvrira la vérité pourvu qu’il la trouve…. »

écrit l’auteur dans le premier chapitre du livre.

Ainsi prévenu, le lecteur se lance dans un ouvrage sérieux, documenté qui recherche les sources du déclin de l ‘Empire

Ottoman loin dans l’histoire, au début-même de la conquête des Ottomans, au temps de Byzance. Cette histoire va donc se dérouler pendant 600 ans sur un très vaste territoire. On oublie souvent que la Porte régnait de la Perse aux portes de Vienne, du Caucase au Yémen. Histoire au long cours, sur un Proche Orient qui s’étale sur trois continents. Pour comprendre la chute, il importe donc de connaître l’Empire Ottoman à son apogée.

Quand a-t-il commencé à décliner ? A la bataille de Lépante (1571) ou après le second siège de Vienne (1683) avec la paix de Karlowitz (1699) où le démembrement de l’empire commença quand la Porte a cédé la Pologne, la Hongrie et la Transylvanie?

En 1572, après Lépante, Sokollu déclarait à l’ambassadeur vénitien:

« il y a une grande différence entre votre perte et la nôtre. En prenant Chypre nous vous avons coupé un bras. En coulant notre flotte, vous avez seulement rasé notre barbe. Un bras coupé ne repousse pas. Une barbe tondue repousse plus forte qu’avant… »

L’analyse de la société ottomane, de son armée, ses janissaires, le califat nous conduit jusqu’à la page 80, avant que le déclin ne soit réellement commencé avec l’intervention des occidentaux et les Capitulations ainsi que les prétentions russes et le début du règne de Catherine de Russie (1762).

Pendant plus d’un siècle et demie, Serbes, Roumains, Grecs, Bulgares et Macédoniens, enfin Albanais vont chercher à s’émanciper et à construire une identité nationale. Par ailleurs les Grandes Puissances vont jouer le « Jeu diplomatique » qu’on a aussi nommé « Question d’Orient »

« Dans la question d’Orient, cet affrontement des forces qui déchirent l’Europe peut être représenté sous forme d’un Jeu qui tiendrait des échecs et du jeu de go, avec des pièces maîtresses et des pions et où chaque partenaire conduirait une stratégie d’encerclement. Des reines blanches  – de trois à six selon le moment – attaquent ou protègent le roi noir ceinturé de pions. les unes veulent détruire le roi noir, les autres le maintenir dans la partie. Le roi perd ses pions un à un, et les reines tentent de s’en emparer, chacune à son bénéfice, pour se fortifier ou affaiblir ses rivales »

Les puissances sont les reines : l’Angleterre veut garder la Route des Indes, la Russie veut un accès par les Détroits à la Méditerranée, elle utilise son « Projet Grec » en se posant comme protectrice de l’Orthodoxie, l’Autriche-Hongrie veut s’élargir à ses marges, la France se pose comme protectrice des Chrétiens d’Orient, l’Italie et l’Allemagne arrivées plus tard dans le Jeu cherchent des colonies.

L’auteur raconte de manière vivante, claire et très documentée cette histoire qui se déroule le plus souvent dans les Balkans mais aussi dans les îles et en Egypte.

C’est cet aspect du livre qui m’a le plus passionnée. Lorsqu’on envisage les guerres d’indépendance de la Grèce à partir de Constantinople, on peut rendre compte de toutes les forces en présence aussi bien le Patriarcat et les Grecs puissants de Constantinople que les andartes, sorte de brigands, les armateurs, les populations dispersées autour de la mer Noire jusqu’en Crimée, les armateurs et surtout les manigances russes. La Grande Idée se comprend bien mieux comme héritière du Projet Grec russe.

Les Révoltes Serbes, les comitadjis macédoniens ou bulgares trouvent ici leur rôle dans ce Grand Jeu. Les guerres fratricides qui se sont déroulées dans la deuxième moitié du XXème siècle dans les Balkans  en sont les héritières.

L’auteur explique avec luxe de détails les traités de San Stefano (18778) et le Congrès de Berlin(1878) que j’avais découverts à Prizren (Kosovo) avec la Ligue de Prizren qui est à l’origine de l’indépendance albanaise.

On comprend aussi la formation du Liban. On comprend également pourquoi Chypre fut britannique, Rhodes et le Dodécanèse italien….

Après une analyse très détaillée (et plutôt fastidieuse) de la Première Guerre mondiale les événements se déplacent des Balkans vers le sud, à la suite des intérêts britanniques et français et des accords Sykes-Picot, tout le devenir du Moyen Orient s’y dessine. 

Les accords de paix clôturant la Grande Guerre portent en germe l’histoire à venir : Traités de Versailles, de Sèvres, de Lausanne. Les négociations sont racontées par le menu, là aussi j’ai un peu décroché.

La fin du livre se déroule dans le territoire rétréci de l’Asie Mineure, éléments fondateurs les Jeunes Turcs, le  Comité Union et Progrès, le qualificatif « Ottoman » est remplacé par « Turc », le nationalisme turc prend le pas sur l’islam, il y eut même un courant touranien avec une orientation vers l’Asie Centrale ou le Caucase. Deux événements fondateurs : le génocide Arménien  et la prise de pouvoir par Mustafa Kemal, émergence d’un populisme laïque et nationaliste. L’historien refuse l’hagiographie et analyse le parcours de Kémal. 

Chaque chapitre est remarquablement bien construit. La lecture étant ardue, il m’a fallu me limiter à un chapitre à la fois. Passionnant mais parfois indigeste, j’ai reposé le livre, pris le smartphone pour avoir la version simplifiée de Wikipédia, pour des cartes, des dates. Il m’a parfois semblé que ce livre était destiné à des lecteurs plus avertis que moi.

Un seul reproche : les cartes sont peu accessibles, trop rares et réparties au milieu du texte, un cahier sur un papier glacé au milieu, au début ou à la fin aurait facilité le repérage. De même, la toponymie laisse parfois le lecteur désorienté : pourquoi avoir utilisé Scutari au lieu de Shkoder en Albanie, toujours en Albanie Durrazzo pour Dürres, Valona pour Vlora? Angora pour Ankara…C’est un détail, mais encore c’est le smartphone qui m’a dépannée.

Je vais ranger ce gros livre bien en évidence parmi mes livres de voyage parce qu’il raconte aussi bien l’histoire de la Grèce, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Bosnie, de l’Egypte que de la Turquie moderne! C’est un indispensable pour comprendre les enjeux des luttes actuelles et aussi pour comprendre pourquoi le génocide arménien est encore nié dans la Turquie moderne.

 

 

 

 

 

 

le Pays des Pas Perdus – Gazmend Kapillani

MASSE CRITIQUE

 

La dernière page de Gazmend Kapellani, lu à la suite de notre voyage en Albanie fut un coup de cœur, j’ai poursuivi la découverte de cet écrivain albanais, mais qui écrit en Grec avec Je m’appelle Europe, toujours avec bonheur.

Gazmend Kapellani écrit des variations sur le thème de l’exilé, de la recherche du bonheur du migrant, de la critique de la dictature terrible qui fut celle d’Enver Hoxa.

Son ouverture aux autres cultures, son empathie pour l’humain le rendent sympathique.

Au décès de son père, ancien dignitaire communiste, Karl (en l’honneur de Marx bien sûr )retourne dans sa ville natale en Albanie et retrouvé son frère Frédéric ( Engels). Celui qui est parti et celui qui est resté, fidèle au père à sa ville à ses racines. Tout les oppose. Pourtant le lecteur perçoit sa bienveillance.

Occasion de raconter l’ histoire de la ville l’ arrivée des partisans d’ Enver Hoxa et la chute du régime. Scène baroque que le déboulonnage de la statue. On s amuse dans ce livre. Récit émouvant aussi de massacres en Grèce. Le nationalisme est un poison dans les Balkans.

Nostalgie de l exilé. Recherche d un monde meilleur si l’histoire est balkanique elle est aussi universelle.

Homère au Louvre-Lens

ESCAPADE NORDISTE

Homère, tapisserie des Gobelins, carton Ingres
Homère, tapisserie des Gobelins, carton Ingres

Pour Homèreje traverserais la Méditerranée!

j’ai juste pris le train pour Lens.

Exposition temporaire Homère 27 mars 2019 – 22 juillet 2019

Les dieux de l’Olympe et Twombly

Les dieux de l’Olympe nous accueillent, plus grands que les mortels, perchés sur des piédestaux ronds. Ils proviennent de la gypsothèque du Louvre :  Arès de Leptis Magna, Apollon du Belvédère de Leochares, Zeus de Phidias et les déesses, bien sûr, Athéna, Héra Farnèse d’après Polyclète, Aphrodite du Capitole….Ils sont confrontés à eux œuvres contemporaines un grand tableau de Twombly, blanc avec un graffiti rouge : Achille pleurant la mort de Patrocle, et en face une tapisserie rouge d’après David Boeno où sont écrits des extraits du Chant IV de l’Iliade, noir et rouge, rouge le sang, qui est aussi qualifié de « sang noir » dans le poème. 

Le poète et sa lyre peut être Homère?

transition : Polymnie, la muse de la rhétorique et Un poète assis tenant une lyre

Les images d’Homère

Rien ne prouve qu’Homère ait existé, mais selon Pline « On se représente par l’imagination ceux qui n’existent pas, par l’effet des regrets qu’on éprouve, on prête els traits à ceux dont la tradition ne nous a pas permis la ressemblance »

Homère est assimilé à Démodocos, l’aéde de l’Odyssée.

4 bustes antiques, ou d’après l’antique, représentent Homère. Il a inspiré, de nombreux artistes  du 19 ème siècle: Ingres a dessiné le carton de la grande tapisserie, David d’Angers, Corot, Pradier.

J’ai bien aimé le portrait d’un Italien du 17ème qui la dessiné en mendiant.

Anachronismes

En référence à Schliemann on a rassemblé des « objets homériques » comme ce poignard mycénien de bronze et argent(1500 av-JC) le casque à dents de sanglier (cité dans l’Iliade) .

Sur un ostracon : le 1er vers de l’Iliade (580-640 après JC) écrit en grec et le cahier de l’écolier Théodoros…

De très vieilles éditions d’Homère : un papyrus de l’Odyssée (225-200 après JC) une édition imprimée de 1488, sont aussi des témoignages émouvants.

L’Iliade

La suite de l’exposition illustre les épisodes les plus marquants de l’Iliade :

La colère d’Achille – Fournier

La colère d’Achille (Coypel 1711, Fournier 1881, Giovanni battista Gauli dit Baciccio)

La colère d’Achille Corypel

Le départ d’Hector(Coypel, Carpeaux, Gustave Moreau – Hélène sur les remparts.

Achille affrontant le fleuve Scamandre – épisode spectaculaire que j’avais oublié (Jourdy 1831 et Schopin 1831, avec une étrange ressemblance entre les deux tableaux où le fleuve est personnifié)

Hector tiré par Achille a été peint par Rubens c’est une composition préparatoire à une tapisserie.

La mort de Sarpédon :  grand tableau de Gustave Moreau

Au milieu des cimaises modernes, des vases antiques et un sarcophage (200après JC)

Raphaël  : Le Jugement de Pâris

Le Jugement de Pâris : Watteau et Carrache, une grande tapisserie de Raphaël

Tous les grands(ou presque) sont présents

Odyssée

Scylla

Les monstres: Je suis surtout intéressée par les représentations antiques de Scylla (nous en revenons) et des autres monstres, Sirène, Cyclope….

Ulysse aveuglant le Cyclope

J’ai bien aimé les tableaux de Chagall, mais j’aime toujours Chagall!

Les figures féminines : 

Bourdelle :Pénélope

Calypso de marbre, Pénélope de Bourdelle

Et pour finir, un très beau Derain: le retour d’Ulysse

Derain : retour d’Ulysse

Peut-on rire avec Homère? sûrement, avec les caricatures de Daumier! et un Bûcher du Poète Percy Schelley bien satirique

Et pour finir une vidéo contemporaine IL Canto di Ulisse de Manon Recordon raconte un naufrage de migrants au large de Lampedusa.

 

 

 

 

Main basse sur Athènes – Gentrification – Kostas Fassoulopoulos – ed. Monemvassia

LIRE POUR LA GRECE

C’est toujours avec plaisir que je me promène dans Athènes,à pied, virtuellement ou en lisant. Les romans policiers sont souvent le meilleur moyen de pénétrer dans des lieux où la touriste (même curieuse) n’oserait jamais entrer. J’ai donc coché avec conviction la case de la liste de la Masse Critique de Babélio et me suis réjouie de recevoir ce cadeau de la Maison d’Edition Monemvassia dont je suis très curieuse de connaître les ouvrages.

L’éditeur note dans le sous-titre :

MAIN BASSE SUR ATHÈNES Un thriller politico-social dans l’Athènes de la crise

Dans le 4ème de couverture, je trouve la définition de la Gentrification :

« opération immobilière consistant à chasser les pauvres des centres-villes par des procédés plus ou moins licites, puis à rénover leurs logements avec l’aide de l’Etat, pour les revendre beaucoup plus cher »

J’aime Athènes, le sujet m’intéresse, voilà qui devrait me plaire!
Un bémol cependant : je n’aime pas les voitures, ni celles de collection, ni celles qui sont puissantes, ou chères….je préfère de loin marcher où prendre les transports en commun.
Toute la partie mécanique, voiture de prestige ou courses de moto, m’ennuie prodigieusement.

En revanche, toutes les manœuvres pour capter les investisseurs étrangers, fussent-ils mafieux laissent au romancier place à toutes sortes de manipulations, coups tordus et rebondissements qui sont les ressorts d’un bon thriller. La dénonciation du racisme, des sentiments anti-migrants est toujours saine.

Une lecture distrayante, même si je ne ferai pas d’infidélités au Commissaire Charitos de Petros Markaris qui a nettement plus d’envergure.

La Septième Dépouille – Eugénia Fakinou – Ed. Cambourakis

LITTÉRATURE GRECQUE 

Quel bijou ce petit livre !

Incipit :

L’ARBRE

« J’aime les femmes. Les femmes et les fleurs sauvages. Les fleurs sauvages portent les couleurs qui me plaisent. Le blanc, le jaune et le mauve. Ce sont les couleurs du pays. C’est avec elles que les anciens peignaient les statues, et les proches aïeux leurs fenêtres. mai les crocus, les anémones, les lys et les asphodèles portent ces couleurs. Le blanc,  le jaune et le mauve. 

Les femmes vivent les grandes passions. Elles écrivent l’Histoire et portent sur leurs épaules le poids des instants décisifs »

Ainsi commence ce récit choral avec un arbre qui parle, dont seules quelques femmes savent entendre l’oracle de ses feuilles.

Fotos va mourir.  Pendant son agonie, les voix des trois femmes se mêlent pour conter l’histoire de la famille en Thessalie. Demeter, la Mère, octogénaire, Hélène sa fille, la jumelle de Fotos, celle qui entend l’oracle de l’arbre, et Roula, jeune fille moderne d’Athènes qui a promis d’assister aux funérailles de Fotos. A ces trois femmes bien vivantes qui trient les lentilles, rangent le linge et soignent Fotos, il faut ajouter les absentes :  Perséphone, la première fille de Démeter, disparue, l’Aïeule déjà centenaire en 1924 qui a accueilli Demeter fuyant l’Anatolie, Despinio à l’origine de du rejet des enfants  bâtards et de leur mère – du village, Archondoula, la mère de Roula. Une véritable saga sur 7 générations, comme les sept dépouilles qui ont donné le titre du livre. 

Dans le récit choral, le lecteur découvre la saga de cette famille qui se mêle à l’Histoire de la Grèce : la Guerre d’Indépendance en 1824, où le mari de l’aïeul était un capitaine près de Canaris, la Grande Catastrophe et l’exil des Grecs d’Anatolie, l’occupation allemande, et la guerre civile, la dictature.Grande Histoire est comme un filigrane dans le récit.

 

Autre thème  : la mythologie et la Grèce antique.  Ulysse et sa rame qui s’enfonce dans les terres à la recherche d’hommes qui ne verraient qu’un morceau de bois dans ce que n’importe quel marin nomme une rame. La disparition de Perséphone dans les entrailles de la terre. Naissance d’Aphrodite rêvée de la Mère…..

23

Et les hommes dans ce récit au féminin? Ce sont des fantômes, tête d’Andronic, le gentil mari de Déméter, artiste, père de Perséphone dont la tête refait surface, comme celle d’Orphée, ou sous forme de dépouilles, le capitaine coiffé de son fez rouge, assistant au banquet funèbre, Yannis, le résistant dont il ne reste qu’une chemise tachée de sang, et puis l’odieux père des jumeaux. Étrange coutume que ce repas d’enterrement où sont présents les aînés des familles, servis par les femmes….

Le sarcophage – Douleur du Vendredi saint – Yorgos Ioannou

LIRE POUR LA GRECE

 

« L’héroïne de ce livre est une ville Thessalonique au riche passé antique, byzantin, turc et juif, aux quartiers populaires grouillants de vie, à la fois jeune et plaine de fantômes. 

Le héros, c’est l »‘auteur : Yorgos Ioannou, tourmenté, solitaire écorché, vif, enfant de cette ville qu’il aime comme une mère qui l’étouffe.

En 1971, à quarante-quatre ans, quasiment inconnu encore, il publie comme un exorcisme ces vingt-sept histoires autobiographiques; Elles sont revivre les années noires de l’Occupation allemande et de ce qui a suivi, en alliant Eros et Thanatos, tragédie et humour, et l’auteur se révèle un merveilleux conteur. 

Le sarcophage, c’est l’acte de naissance d’un des maîtres de la prose grecque d’aujourd’hui. »

C’est le 4ème de couverture du livre. Rarement, j’en ai lu d’aussi juste et si bien écrit. 

D’ordinaire je déteste bandes-annonces de films ou 4èmes de couverture.  Dans le meilleur des cas, ils spoilent l’histoire et dans le pire vous font miroiter des promesses non tenues. Je ne l’ai donc lu qu’après avoir terminé de lire l’ouvrage et je ne sais plus que rajouter:

11 histoires avec  l’auteur  pour narrateur, à différents âges de sa vie, parfois amères et tragiques comme la déportation des Juifs de Thessalonique, ou la guerre dans les montagnes, parfois insignifiantes comme l’histoire du ficus, mais combien touchantes.

 

 Yorgos Ioannou,  j’ai aussi lu avec beaucoup de bonheur La Douleur du Vendredi saint, recits inclassables sur solitude, amours impossibles,  recueil de nouvelles courtes, un peu étranges.

 

 

 

L’Aïeul – Aris Fakinos

LIRE POUR LA GRECE

Aris Fakinos(1935-1998) est l’auteur des Récits des temps perdus, de la Citadelle de la Mémoire, des Enfants d’Ulysse qui est mon préféré. Son univers littéraire se situe dans la plaine de l’Attique et dans les sommets de l’Épire et le thème de la mémoire paysanne et du bouleversement de la civilisation rurale par l‘urbanisation est commun à ses ouvrages. 

Fakinos raconte l’Histoire de la Grèce, non pas celle des rois, des gouvernants ou des célébrités, mais celle des bandits et des paysans.La Citadelle de la Mémoire relate la lutte contre les Turcs des palikares dans la montagne pendant les guerres d’indépendance de la Grèce. L‘Aïeul commence vers 1850 et se termine au milieu du 20 ème siècle, quand Athènes s’étend à la plaine d’Attique. Les Enfants d’Ulysse se déroule de la veille de la 2de Guerre Mondiale jusqu’à l’arrivée des Colonels.

L’Aïeul, Théophanis Photinos, est le  fils du Kapétan Photinos, bandit des montagnes. Tout jeune adolescent, il quitte le brigandage pour le travail de la terre. Il est le défricheur, ne possédant que la force de ses bras et une énergie sur-humaine. Comme il n’a pas un champ cultivable, il  commence par s’attaquer aux pierres dont la montagne est riche. Avec la charrette que sa femme, Eleni, lui a donnée, un cheval volé à un brigand, il va charrier les pierres et les vendre. Au pic et à la pioche, il fait le sourcier et découvre l’eau et irrigue la terre. Enfin il pourra défricher un champ puis un autre, les irriguer et distribuer la terre aux paysans. Pour assurer l’avenir, ensemble il planteront des oliviers…..A la pioche, au couteau et au fusil, les paysans défendent leur terre et leurs arbres contre les propriétaires terriens, et même contre l’Etat grec et ses gendarmes.

« Bien calé sur son âne, un vieil homme aux cheveux blancs revient du travail en chantant un très vieil amané : il entonne un ou deux vers puis s’arrête, ferme les yeux, les pas cadencés de l’animal le bercent et le pauvre paysan s’endort. Au moment où il te croise, il se réveille et te dit bonsoir, il reprend son amané mais tandis qu’il s’éloigne le sommeil s’empare de lui. la route est longue jusqu’au village. le vieillard a du temps devant lui, il poussera plusieurs fois sa romance et il retombera souvent dans le sommeil. Ainsi, il ne se rendra pas compte du chemin parcouru. C’est un peu ce qui se passe avec la vie de l’homme songes-tu ; il peut être beau et doux le voyage que Dieu nous a donné à accomplir, pourvu qu’on ait le temps de chantonner ci et là un amané tant que l’on est assis sur son âne, de s’assoupir un peu , puis d’aiguillonner sa bête, et de continuer. 

Lorsque que tu aperçois au loin les arbrisseaux, fraîchement plantés, ton cœur se met à battre, tu fermes les yeux, tu rêves…Devant toi, s’étend déjà une immense oliveraie, les troncs des arbres sont énormes, couverts de nœuds par les années, les branches sont lourdes de fruits noirs gorgés d’huile; Là-bas, au village on nettoie le pressoir, on lessive à l’eau bouillante les sacs réservés au marc, on récure le fond des jarres. Les femmes aiguisent les canifs pour fendre les olives…. »

J’aurais pu choisir pour ce billet la page racontant la « cueillette des pauvres » qui viennent glaner dans les oliveraies les olives qui restent, ou plus épique, le duel de Théophanis avec le gendarme….je vous laisse les découvrir. Tout m’a enchanté dans ce livre.

Un aspect m’a frappée : la défiance si ce n’est l’hostilité des paysans envers l’administration et les représentants de l’Etat grec. Les paysans sont illettrés, seul Costandis, l’infirme, a appris à lire:

« mais toi tu sentais que les temps avaient commencé à changer; et avec eux les hommes et les guerres. Si les Turcs avaient quitté votre sol, à leur place avaient surgi d’autres maîtres plus cruels, plus sournois, qui n’usaient pas du sabre et du poignard, qui n’entassaient pas les têtes des raïas en pyramides sur les routes et les places. les nouveaux patrons du pays gouvernaient avec de l’encre et du papier, avec une arme inconnue dont personne ne soupçonnait la force réelle. C’est une grande boîte en bois que l’on appelait urne. c’est elle qui renversait à tout bout de champ gouvernements, ministres, généraux. Personne ne savait pourquoi tout cela se déroulait loin dans la capitale.

Ainsi parlas-tu de la terre.

Pourtant elle n’était pas à toi, ni à aucun d’entre vous. Vous n’aviez ni papier s ni contrats. Ces usages étaient pour les « culs blancs comme vous nommiez cette bâtarde engeance d’Athènes, ces aristocrates qui suivaient  comme des chiens affamés les troupes bavaroises, anglaises et  françaises, tous les parvenus du pays. Pour vous les « sauvages », les « béotiens » les « voleurs » et « barbares » ainsi qu’ils vous appelaient, la parole donnée suffisait, et encore plus le respect du serment séculaire et sacré de l’homme »

Pour garder leur terre, les compagnons de Théophanis se battaient contre les gendarmes. Mais le monde moderne a fini par gagner et le roman se termine par l’arrachement au bulldozer des oliviers et l’urbanisation de la campagne.

 

 

 

 

Play : Menis Koumandaréas

LIRE POUR LA GRECE

 

Koumandaréas est l’auteur de La Verrerie et du Fils du concierge, deux romans que j’avais trouvés charmants d’une simplicité étonnante, mettant en scène des gens ordinaires avec une telle maîtrise que l’histoire vous prend et vous émeut. 

« j‘ai du mal à comprendre comment cet homme, né dans un milieu aisé avec langues étrangères et musique, a plus tard parlé pour le compte de vagues employs, de dames en perdition dans le métro et de gamins d’Omonia »

Play est un  roman autobiographique. Un jeune journaliste demande une interview d’un écrivain célèbre pour une revue littéraire. Le jeune homme transcrit les cassettes enregistrées sur un magnétophone – d’où le titre Play . Quatre soirées et en épilogue, une conversation (non enregistrée à la terrasse d’un café), où l’écrivain monologue et se raconte. 

Il raconte ses années d’enfance, d’apprentissage. Ils évoque de façon très vivante le quartier d’Athènes, la place, ses cafés. On comprends rapidement par allusions à ses écrits que l’écrivain n’est autre que Koumandaréas lui-même. Play devient donc une auto-biographie écrite par un journaliste inventé par Koumandaréas lui-même; Jolie pirouette littéraire.

« Un écrivain, mon jeune ami, vit en permanence entre les deux aspects du monde, le réel et l’imaginaire, si l’on peut ainsi grossièrement les définir. Aucun des deux ne lui suffit. Un schizophrène abdique d’ordinaire devant son mal ; l’écrivain, à travers l’écriture, tend à la guérison »

De littérature, il est beaucoup plus question que de la vie personnelle que Koumandaréas livre fort peu. De création littéraire :

« …mais c’est peu à peu qu’on devient romancier, en regardant, en observant, en meurtrissant sas vie, pour pouvoir la décrire dans son état natif, faire d’elle, un mythe… »

Il raconte aussi la vie à Athènes, ses rencontre avec des gens simples dans les cafés et avec les écrivains athéniens. Comme son interlocuteur lui demande ses influences littéraires   Il passe en revue tous les auteurs connus – ceux que je connais comme Kazantzaki qu’il rejette « parce qu’il a un talent de conteur, dit-il,  mais il a donné à voir une Crète qui n’avait pas d’existence, dans une langue qu’aujourd’hui personne ne parle ni n’écrit. Voilà pourquoi les étrangers qui le lisent en traduction sont ceux qui le comprennent »

Séféris, est à part, « c’est autres chose, dit-il, ne mélange pas ; lui était un poète »

Il en cite de nombreux écrivains grecs par allusions, que les Grecs comprennent sûrement mais que j’ai eu du mal à décoder (malgré les notes de bas de page précises) .

Pour les écrivains étrangers, Lorca, Tennessee Williams, sont cités mais plutôt caricaturés, mais surtout Melville et Faulkner et enfin Tchékov, sans aucune réserve.

Avec ce panorama de la littérature grecque, ce roman clôt  ma série de lectures grecques de très agréable façon. Je reviendrai à Koumandaréas, maintenant je vais m’éloigner d’Athènes et découvrir une nouvelle île : la Corse