Point de passage – Konstantinos Tzamiotis – Actes Sud

LITTERATURE GRECQUE

« L’eau avait envahi tout l’avant du navire, balayant les ponts latéraux jusqu’au bastingage, les voies d’eau tapissaient d’écume le pont supérieur, atteignant, par moments, jusqu’aux antennes. Un moment couché sous la puissance des vagues, on le voyait se soulever dangereusement, puis s’enfoncer à pic comme s’il glissait au bord d’un gouffre, disparaître à moitié, réapparaître à la surface quasi indemne quand on n’y croyait plus, sembler, contre toute attente, prêt à affronter les courants, le vent et les montagnes d’eau qui le cernaient, jusqu’à la vague suivante, plus forte que les précédentes, »

 

Le récit d’un naufrage : un bateau de migrants sur les rochers d’une petite île de la Mer Egée300 peut être 400 naufragés sur cette petite île de 130 âmes. la tempête est exceptionnelle, les habitants sont venus sur le rivage assister à la catastrophe

« Donc on va rester là, les bras croisés pendant qu’ils se noient ? »

Quand les naufragés seront sur les plages, les secours vont s’organiser. Il faudra ramasser les cadavres, réchauffer les vivants, les abriter, les nourrir. Mais comment? l’île est si petite, elle dispose de peu de réserves et avec cette tempête on ne peut pas compter sur le ravitaillement par mer. Au kafeneion on s’inquiète, le maire, l’ancien maire ont des opinions divergentes, le pope intervient :

« Et ces pauvres gens sont si désespérés que je doute qu’ils soient encore en mesure de respecter les lois humaines et les lois divines. A nous de rester vigilants

Moi, cher pope, je suis marin, se cabra le capitaine. La seule loi que je connaisse est celle de la mer, et la loi de
la mer est claire : un homme qui échappe à la noyade est un homme à qui on doit les mêmes soins et la même
attention qu’à son frère. »

Malgré le réticences, la boulangère cuira des pains, les femmes feront la soupe et distribueront des repas chauds. Chacun videra ses armoires des vêtements superflus. La solidarité s’organise. Affamés, transis, endeuillés parfois, les 300 rescapés parqués dans un gymnase inachevé sans aucune commodité, s’exaspèrent, les distributions de nourriture tournent au pugilat. Une partie de la population prend peur, surtout quand un meurtre est découvert.

Des migrants, nous n’apprendrons que peu de choses. L’auteur s’est intéressé presque exclusivement aux réactions de ses compatriotes. Et elles sont complexes. D’une part, la pitié naturelle éveillée par le naufrage, d’autre part la peur. Les Grecs sont souvent des marins, et comme pour le vieux capitaine, la loi de la mer prime avec le secours aux naufragés. Plus loin, dans la tradition, ils furent aussi des exilés et se souviennent encore

« A bien des égards, le chaos qui prévalait lui rappelait le vieux tableau accroché au-dessus de sa couchette à l’école militaire, représentant une scène de massacre pendant la guerre d’indépendance. Deux cent cinquante à trois cents hommes, femmes et enfants, manifestement en très mauvais état, se serraient les uns contre les autres au pied du rocher, sans protection contre le froid, le vent et la pluie. »

« Et nous, quand on s’est fait chasser d’Anatolie, on avait l’air de quoi en débarquant ici ? J’aurais voulu t’y voir, pour que tu comprennes dans quelle misère on a été jusqu’à ce que ça s’arrange. On était des vrais sauvages. Pour une poignée de câpres, tu te faisais défoncer le crâne. »

Ambivalence aussi, l’île se dépeuple, les jeunes partent chercher une vie meilleure, à Athènes ou en Allemagne. Quand, enfin, le ferry vient de la grande île embarquer les migrants tout le monde paraît soulagé.  Le vieux capitaine, encore lui, fait entendre une autre voix:

 

« — Ça me navre de voir des jeunes mourir, mais ça me navre aussi de voir qu’ils ne veulent pas de nous. Qu’est-
ce qu’on leur a fait, pour qu’ils veuillent partir ? C’est mieux, là où ils vont ? Le maire repartit d’un éclat de rire.

— Tu devrais plutôt te réjouir. On ne pourrait jamais supporter tout ce monde. — Pourquoi ? demanda sérieusement le vieil homme. C’est les maisons vides qui manquent ? Ou les champs de blé en friche qui ne vont pas donner de pain ? Qu’on les confie à des gens qui n’ont pas peur de travailler, et tout ça va revivre. »

Livre touchant alors que le journal télévisé montre le nouveau grillage construit entre la Turquie et la Grèce, qu’on a peur d’un afflux d’Afghans. Ces journalistes-là n’ont pas été marins!

 

L’autre bout du fil – Andrea Camilleri

Le mois de Mai, Mois de la littérature italienne se termine avec Camilleri, L’autre bout du fil, dernier opus sorti en français de la série policière, dicté par l’auteur malvoyant. Je suis retournée avec grand plaisir à Vigata pour retrouver Montalbano et son équipe, Fazio, l’inénarrable Catarella et la trattoria d’Enzo. J’ai aussi souri à cette langue « le Camillerese » comme la nomme Serge Quadruppani dans une longue et affectueuse introduction sous forme de lettre ouverte à Montalbano. Loué sot ile traducteur qui imprime une saveur méridionale à sa traduction. Comme j’aimerais être meilleure italiénisante pour goûter à la VO! .Le commissariat de Vigata est épuisé par les arrivées nocturnes d’embarcations de migrants que les autorités et la population accueille avec bienveillance et lassitude. (le roman est paru en 2016 en Italie avant les horreurs de Salvini). Mais l’intrigue de l’Autre bout du fil se déroule en ville. La couturière Elena qui devait justement réaliser un costume à Montalbano est retrouvée assassinée dans son atelier à coups de ciseaux. L’enquête piétine d’abord jusqu’au rebondissement final (que je me garderai bien de vous dévoiler). Nous assistons à de nouvelles arrivées de migrants, savourons avec Montalbano la délicieuse cuisine locale d’Enzo et celle que Angelina lui prépare, entre pâtes à la boutargue, sardines marinées à l’orange, risotto…Existe-t-il un livre de recettes de la cuisine sicilienne de Camilleri?Catarella adopte le « chat-témoin » du meurtre, le perd, s’y attache – péripéties amusantes – mais hilarantes sont ses transformations des noms propres (bravo encore Quadrupani). J’ai bien ri. Je n’ai pas laissé le livre jusqu’à la résolution de l’affaire.Encore un excellent Montalbano!

LIRE POUR L’ITALIE

Pont Sisto – via Giulia – Campo de’Fiori – Trastevere

CARNET ROMAIN

pont Sisto
pont Sisto

En face de la Place Trilussa, le pont Sisto, piétonnier enjambe le Tibre qui luit comme un miroir mais qui semble bien vide en comparaison  avec la Seine et ses péniches. Ses quais aussi sont déserts malgré une piste cyclable, et une promenade peu fréquentée sous ce soleil magnifique. Les grands platanes se reflètent dans l’eau.

fuite en Egypte
fuite en Egypte

 

 

 

Un musicien joue. Des pakistanais ou indiens vendent des jouets, un autre vendeur a installé une crèche miniature sur le parapet avec la Fuite en Egypte et même une Arche de Noé.

 

 

 

 

La Via Giulia  passe le long du Palazzo Spada, longe des jardins dans les grands murs du Palais Farnèse .

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via Giulia

Un arche enjambe la Via Giulia un peu après le consulat de France, il y a aussi une belle fontaine. Nous photographions l’arche, la fontaine…Les soldats italiens qui protègent le consulat français nous grondent :  « pas de photo ! ». Nous en trouvons d’autres à l’entrée du Palais Farnèse,  motorisés. Des barrières de sécurités empêchent de s’approcher, et gâchent l’ordonnancement de la place Farnèse. L’armée italienne veille sur les biens français ! On a juste le temps de s’ébaudir devant les proportions monstrueuses du palais .

campo de'Fiori
campo de’Fiori

 

Tout proche, le Campo de’ Fiori avec son marché aux fleurs très coloré est plus avenant. Dominante rouge à l’approche de Noël : poinsettias, branchages avec de petites baies rouges, cyclamens, verts sapins de Noël. En face se trouve un marché de luxe. On peut y faire ses achats de cadeaux : victuailles, pâtes colorées aux formées variées, mini-bouteilles d’huile d’olive ou de vinaigre de Modène, mini-fiasques de Chianti.

Du marché dépasse un moine de bronze : Giordano Bruno  sur l’emplacement de son supplice et de son bûcher, le 17 février 1600.

Giordano Bruno
Giordano Bruno

Les restaurants ont installé leurs tables en terrasse comme en été. Elles ont l’air chic, on se laisse tenter.

Dominique commande un verre de vin blanc,  nous mangerons plus tard.Je me promène dans les environs et découvre l’autre côté du march : des primeurs à prix raisonnables, oranges et  clémentines de Sicile, radicchio (salade Trévise) brocoli et chou romanesco, artichauts et épinards. Produits locaux.

La via Guibbonati est bordées de boutiques de cuir, sacs colorés, chaussures chics à prix abordables (moins de 100€), confection élégance italienne. J’achèterais tout ! Je débouche sur la Via Arenula où circule le Tram n°8 rejoignant le Viale Trastevere par le pont Garibaldi. Tibre et N°8, je prends mes premiers repères dans Rome. J’arrive sur une place ornée de pins magnifiques avec en son centre des colonnes brunes : Area Sacra Argentina où se trouvent les vestiges de temples de l’époque républicaines mais difficile à identifier. Plus amusant : un refuge pour les chats sauvages du quartier. Un écriteau précise que les mineurs ne peuvent venir seuls et doivent être accompagnés de leurs parents.

Area Sacra - ruines de la Rome républicaine
Area Sacra – ruines de la Rome républicaine

En revenant sur mes pas, je découvre Simply market où nous achèterons les produits de base.

Déjeuner au Maranega : salade composée servie dans un bol de la taille d’un saladier familial : maïs, tomates-cerises, radicchio, roquette et deux « croutons » au fromage (taille d’une belle tartine).

Il fait bien trop beau pour rentrer, nous allons sur la rive ensoleillée du Tibre. Je continue le long de l’Île Tibérine jusqu’à la synagogue – curieux édifice du début du XXème siècle surmonté d’une haute coupole carrée inspirée du style babylonien (selon le Guide Bleu). Vendredi 15h, tout est fermé, synagogue et Musée Juif.

Théâtre de Marcello
Théâtre de Marcello

Le Portique d’Ottavia (Octavie, la sœur d’Auguste) est difficilement visible derrière des échafaudages, une petite église a été construite au milieu de la colonnade, mais il y a un panneau qui reconstitue le monument imposant autrefois. Plus étrange encore, les arcades du Cirque de Marcello, projeté par César, réalisé sous Auguste. Construction rouge brique, puis de pierres blanches surmontées d’habitations avec des fenêtres vitrées. Ce cirque inattendu me parait tout à fait extraordinaire. En face, de l’autre côté d’une rue très large et très passante je devine les ruines dans la verdure du Palatin.

 

Notre quartier, le Trastevère est très agréable avec ses rues étroites et tortueuses et ses placettes. Restaurants et bars ont remplacé les ateliers des artisans mais il reste encore quelques ferronniers, chauffagistes ou menuisiers dans se quartier qui se boboÏse. J’ai du mal à trouver des boutiques ordinaires, boucher ou boulanger. Les minimarkets vendent plus de whisky et de bouteilles de vin de luxe (premier prix 8€) que de lait ou de produits d’entretien. Fruits et légumes sont bio ou exotiques toujours très chers. Quand je cherche un café avec Wifi je découvre des « bars à livres » ou des « livres et chocolats » et des boutiques d’artisanat d’art. Le seul supermarché – Conad – est sur le Viale Trastevere.

santa maria in trastevere

Au hasard de ma promenade je découvre les églises du quartier, Santa Maria in Trastevere est ornée de mosaïques byzantines, sur sa façade et dans l’abside du chœur. Dans le narthex, pour Noël on a installé une crèche amusante. Sous un auvent dînent des villageois qui ont invité des africains – des migrants ?

Dîner dans la crèche, qui sont les invités? les rois mages ou les migrants africains?

L’église est bondée. Des enfants en chemise rouge sont massés près du chœur. Les parents se préparent à immortaliser l’évènement avec caméras ou smartphones. Le tourisme sera pour un autre jour.

la-boccaccia

Pour dîner, j’achète des parts de  pizza au fournil Boccaccia sur la petite place au bout du vicolo Moroni, après le multiplexe du Trastevere (programmation Arts et Essai). J’ai l’embarras du choix : on apporte de longues plaques rectangulaires de pizzas variées et le serveur découpe des arts à la taille désirée les met sur la balance. J’en commande une au radicchio-jambon cru, une autre brocoli-asperge-mozzarella. Il réchauffe les parts et les emballe dans un papier sulfurisé. Dîner typique, excellent et  bon marché (3€)