« Agra est à 27°31minutes de latitude dans un terroir sablonneux ce qui y cause en été d’extrêmes chaleurs. C’est la plus grande ville des Indes, et ci-devant la résidence des Rois. Les maisons des Grands sont belles et bien bâties ; mais celles des particuliers n’ont rien de beau, non plus que dans toutes les autres villes des Indes. Elles ont écartées les unes des autres et cachées par la hauteur des murailles de peur qu’on ne voie les femmes ; et ainsi il est aisé de s’imaginer que toutes ces villes n’ont rien de riant comme nos villes d’Europe. Il faut ajouter à cela qu’Agra étant environnée de sables, les chaleurs en été y sont excessives ; et c’est en partie ce qui obligea Cha-Gehan de n’y faire plus sa résidence ordinaire et de tenir sa cour à Gehanabad.[….]
par une alvéole des claustras de marbre
De toutes les sépultures qu’ont voit à Agra, celle de la femme de Cha-Gehan est la plus superbe. il la fit faire exprès proche du Tamisacan où aborde tous les étrangers, afin que tout le monde la vît et admirât sa magnificence. le Tamisacan est un grand bazar [….]La sépulture de cette Bégum ou Sultane Reine est au Levant de la ville, le long de la rivière, dans une grande place fermée de murailles, sur lesquelles règne une petite galerie comme sur les murailles de plusieurs villes d’Europe. Cette place est une manière de jardin faite par compartiments comme nos parterres ; mais au lieu que nous y mettons du sable, ce n’est là que du marbre blanc et noir. On entre dans cette place par un grand portail, et d’abord on voit à main gauche une belle galerie qui regarde la Mecque, ou il y a trois ou quatre niches où le Mufti se vient rendre aux heures accoutumées pour faire la prière.
maison d'hôtes près de la rivière
Un peu plus avant que le milieu de la place du côté de l’eau, on voit élevées l’une sur l’autre trois grande plate-formes, avec quatre tours aux quatre cois de chacune, et l’escalier du dedans pour crier à l’heure de la prière. Il y a au-dessus un dôme qui n’est guère moins superbe que celui du Val-de-Grâce à Paris. Il est revêtu dedans et dehors de marbre blanc, le milieu étant de brique. Sous ce dôme il y a un tombeau vide, car la Bégum est enterrée sous une voûte qui est au-dessous de la première plate-forme. Les mêmes changement qui se font au bas dans ce lieu souterrain se font en haut autour du tombeau ; car de temps en temps on change de tapis, de chandeliers et d’autres ornements de cette nature et il y a toujours quelques Mollahs pour prier. J’ai vu commencer et achever ce grand ouvrage auquel on a employé vingt-deux ans et vingt mille hommes qui travaillaient incessamment, ce qui peut faire juger que la dépense en a été excessive. On tient que les seuls échafaudages ont plus coûté que l’ouvrage entier, parce que manquant de bois, on a été contraint de les faire de brique, de même que les cintres des voûtes, ce qui a demandé un grand travail et de grand frais. Cha-Gehan avait commencé de fa&ire sa sépulture de l’autre côté de la rivière ; mais la guerre qu’il eut avec ses fils rompit ce dessin, et Aureng-zeb qui règne présentement ne s’est pas soucié de l’achever. Un eunuque qui commande deux mille hommes est commis par la garde, tant de la sépulture de la Bégum que du Tamisacan dont elle est proche….. »
Nous n’avons pas vu le Tamisacan, non plus les tapis et les chandeliers…
« Gehanabad de même que Delhy est une grande villace, et une simple muraille en fait séparation. Toutes les maisons des particuliers sont de grands enclos au milieu desquels est le logis, afin qu’on ne puisse approcher du lieu où les femmes sont renfermées. La plupart des seigneurs ne demeurent pas dans la ville, mais ils ont leur maison dehors pour cause de la commodité des eaux. [….]
Le Palais du Roi a une bonne demi-lieu de circuit. les murailles sont de belle pierre de taille avec des créneaux, et de dix en dix créneaux il y a une tour. les fossés sont pl;eins d’eau et revêtus de pierre de taille. En entrant dans la troisième cour, on a en face le Divan où le Roi donne audience. C’est une grande salle élevée de quatre pieds au dessus du rez de chaussée et ouverte de trois côtés. Trente deux colonnes de marbre soutiennent autant de voûtes et ces colonnes sont d’environ quatre pieds en carré avec leur pied d’estail et quelques moulures.
C’est au milieu de cette salle et près du bord qui regarde la cour comme une manière de théâtre, qu’on dresse le trône où le Roi vient donner audience et rendre justice. C’est un petit lit de la grandeur de nos lits de camp; avec quatre colonnes, le ciel, le dossier, un traversin et la courte pointe, tout cela est couvert de diamants. Il est vrai que lorsque le Roi vient s’y asseoir, on étend sur le lit une couverture de brocart d’or ou quleque autre riche étoffe piquée; et il y monte par trois petites marches de deux pieds de long. A côté du lit, il y a un parasol élevé sur un bâtons de la longueur d’une demi-pique, et à chaque colonne du lit est attachée une arme du Roi, à l’une sa rondache, à l’autre son sabre puis son arc, son carquois et ses flèches et autres choses de cette nature.
Il y a dans la cour au-dessous du trône une place de vingt pieds carrés entourée de balustres, qui en certain temps sont couverts de lame d’argent et en d’autres de lames d’or. C’est au quatre coins de ce parquet où sont assis les quatre secrétaires d’État qui, tant pour le civil que pour le criminel font aussi la fonction d’avocats. Plusieurs seigneurs se tiennent sur la balustrade, et c’est aussi où se place la musique qui se fait entendre pendant que le Roi est au Divan. Cette musique est douce et agréable, et fait si peu de bruit qu’elle ne peut distraire les esprits des sérieuses occupations qu’ils ont alors […]
Vers le milieu de cette même cour, on trouve un petit canal de 6 pouces de large ou environ, où pendant que le Roi est dans son lit de Justice tous ceux du dehors qui viennent à l’audience doivent s’arrêter. Il ne leur est pas permis de passer outre sans être appelé, et les ambassadeurs ne sont pas exempts de cette règle. Quand un ambassadeur est venu au canal, celui qui fait la charge d’introduction crie vers le Divan où le Roi est assis, que tel Ambassadeur demande à parler à Sa Majesté. Alors un secrétaire d’État le redit au Roi, qui bien souvent ne fait pas semblant de l’entendre, mais quelque temps après il lève les yeux, et les jetant sur l’ambassadeur, il lui fait signe par le même secrétaire qu’il peut s’approcher. »
9h, un autre chauffeur d’Holiday India nous conduit par les larges avenues de New Delhi à la tombe de Humayun, le premier Moghol à être enterré en Inde. Babur fut ramené à Kaboul. Comme la tombe d’Akbar à Sikandra, le mausolée se trouve à l’écart de la ville dans de très beaux jardins ; les jardins sont la figuration terrestre du Paradis. Comme au Taj Mahal, construit pour l’amour de Mumtaz, ici la veuve offre au repos d’ Humayun un monument dans un jardin irrigué de petits canaux d’eau courante. Humayun n’est pas seul dans son cénotaphe. Le parc contient plusieurs pavillons et de nombreux tombeaux. Deux dômes sont vernissés de bleu, rappelant l’Asie Centrale. Le site est en rénovation par la Fondation de l’Agha Khan. Certains pavillons sont cachés par des palissades.
Humayun : mausolée
Trois couleurs : le grès rouge, le marbre et un grès jaune. Les motifs décoratifs sont simples. Etoiles de David? boutons vernissés sur les façades, découpes dans les coupoles, colonnettes de grès rouges finement taillées et claustras de marbre. Les pierres tombales sont très simples : blanches avec des inscriptions en arabe (persan ?) . De grands arbres portent de grosses fleurs rouges dont les étamines forment une brosse rigide. Nous avons vu les mêmes à Assouan.
La promenade est tranquille. Il fait frais.. Les touristes sont peu nombreux. On photographie une petite fille craquante dans une jolie robe jaune vif à volants. Son papa est très fier. Il veut se faire photographier avec nous. Ce sont des provinciaux venus en vacance visiter Delhi. Ils veulent rapporter des souvenirs. Rencontrer des touristes étrangères fait partie des charmes de leur voyage.
6 heures, encore la nuit noire, la voix du muezzin. Son appel sonne étrange. Je ne reconnais pas toutes les paroles. Chante-t-il en arabe, en ourdou ?ce premier appel du matin m’émeut toujours.
7heures : je me perche sur la banquette de la niche cachée par les épais double-rideaux, je me niche dans les coussins pour dessiner. Le soleil perce dans le creux d’une crête puis s’élève lentement ; le spectacle est magnifique mais il perturbe mon dessin ; le crêtes s’embrument et perdent leur netteté ; les immeubles de la ville deviennent très sombres à contre-jour, les reflets brouillent le lac Swaroop.
Le petit déjeuner est à la hauteur du décor : choix de plats indiens, jus de fruit, papayes.
En attendant le départ, je fais les derniers croquis sur la terrasse. En quinze jours, l’été s’est installé. La terrasse est une fournaise à 9h30.
Le petit aéroport d’Udaipur est vide. L’avion d’Air India arrive de Bombay au ¾ plein. 30 minutes de vol et escales à Jodhpur dans le grand aéroport voulu par le maharadja Umaid. 477km et 42 minutes entre Jodhpur et Delhi. Avant Delhi, le paysage reverdit.
A la sortie de l’aéroport, personne ne nous attend. Un homme me prête son téléphone cellulaire pour que j’appelle Kamlesh. Curieusement, lorsque quelque chose ne va pas, son téléphone est brouillé par de la friture et je ne comprends rien. Nous poireautons déjà depuis plus d’une heure, découragées, lorsqu’une sorte de diablotin noir saisit nos valises et court jusqu’à un taxi. C’est sa chevelure hérissée qui lui donne cet air diabolique. Il parle bien anglais et il est très vif et jovial. Tout le long du trajet, il nous fait la conversation :
– « Comment ! vous avez raté Jailsamer, la ville jaune ! ». Jailsamer semble être sa ville préférée.
Il se préoccupe de notre opinion sur l’Inde, les autres villes. Comme nous aurions aimé avoir un tel chauffeur !
le singe géant Hanuman de Karol Bagh photo de Fabien
Nous retrouvons avec plaisir l’Aster Inn. Revenir dans un hôtel connu, retrouver le personnel qui se souvient de nous a toujours quelque chose de chaleureux.
Trop tard pour le tourisme, mais trop tôt pour s’enfermer dans la chambre ! nous prenons un touktouk pour Old Delhi . Un des garçons nous accompagne à la station des touktouks et négocie pour nous 120 roupies. Le touktouk emprunte un parcours différent de celui du taxi qui passait toujours par Connaught Circle. Devant les portes de la Vieille ville nous sommes pris dans un embouteillage monstrueux : touktouks vert et jaune, sont carrosserie à carrosserie, on pourrait toucher les clients du touktouk voisin. Des voitures à bras nous dépassent. Un cycliste livrant des piles de tissus a mis pied à terre. De la mosquée toue proche on entend le muezzin. Un cheval trottine. Nous passons devant le Fort rouge, nouvel arrêt devant l’Hôpital des Oiseaux. Le chauffeur du touktouk ne sait pas où nous décharger ; nous non plus ! Il s’arrête devant la gare où il trouvera d’autres clients.
Karol Bagh et la statue géante d'Hanuman
Il fait maintenant nuit noire. La Gare de Delhi est un exemple d’architecture victorienne. L’occident s’arrête là. L’urbanité aussi. On se croirait dans une peinture de l’Enfer ; Une foule compacte se presse chargée souvent de ballots. Les marchands ambulants occupent le trottoir. Sur les charrettes, de gros blocs de dattes séchées agglomérées, des tours à clairevoie de fruits confits, les gros blocs blancs de watermelon sont empilés, montagne de graines. La foule vaque à ses occupations sans se soucier de nous. Mais nous, que venons nous faire nous ici ? Nous cherchons un autre touktouk pour rentrer à l’hôtel. Je tends la carte d’Aster Inn à plusieurs chauffeurs qui refusent. Le dernier considère le carton avec perplexité. Presbytie ou illettrisme ? Il la regarde de très loin dans le noir. Je lui donne deux indices Karol Bagh, la station de métro et la statue géante d’Hanuman. C’est la statue qui le décide. Ce sera 100 roupies, compteur bloqué. Il part dans le noir dans la foule et fait demi-tour, nous nous retrouvons au point de départ devant la gare. Pourquoi ce détour ? A-t-il compris ? Je commence à douter. Nous nous enfonçons dans le Bazar Azad dans une rue spécialisée dans les couvertures et ls bâches. Pas un touriste. Aucun repère. Il emprunte des ruelles ; A un carrefour, On lit »Karol Bagh », nous voila rassurées et reprenons confiance. Le touktouk cale à chaque feu de circulation et même en plein carrefour. Nous ne sommes passés ni au Fort rouge, ni à Connaught circle. En revanche je reconnais bien l’hôtel Alaska tout proche d’Aster Inn. Nous sommes arrivées. Derrière nous, le singe géant. Le chauffeur a pris des raccourcis et a mis deux fois moins de temps que le précédent. J’en suis pour ma frayeur. Devant la réception de l’hôtel, je sors 20 roupies supplémentaires qu’il refuse avant d’accepter.
Nous renonçons à la promenade en bateau sur le lac Pichola (500 roupies/1 heure et par personne c’est vraiment cher). Nous avons photographié le beau palais-hôtel, situé sur une île, des fenêtres du City Palace.
Je préfère profiter de la piscine.
A 5h je pars à pied explorer les quartiers proches du lac Swaroop dont le bord est garni de meurtrières en ciment rouges. Udaipur a prévu des poubelles(c’est la première fois que je remarque les containers depuis notre arrivée en Inde); Au sol, il y a toujours des ordures par terre qui font la joie des animaux. Une famille-cochons dispute ce qui est comestible à une famille-chiens. La truie avec ses mamelles gonflées donne un coup de museau à un chiot trop entreprenant.
Je passe un pont sur la rivière où des femmes font la lessive sur les marches d’un ghat. Courbées elles frottent puis essorent et étalent les tissus colorés. A Udaipur, deux couleurs sont très portées par les femmes :rose fuchsia et rouge vif. Le guide nous a fait remarquer que les saris du Rajasthan sont plus courts que dans le reste de l’Inde.
Sur les bords du lac Swaroop
La ville est très tranquille, sauf les motos qui déboulent absolument n’importe où de droite comme de gauche dans mes pieds. L’une d’elle m’a donné une belle frayeur. Des enfants m’appellent, ce n’est ni pour mendier ni pour m’embêter, seulement pour le plaisir de dire bonjour. Les maisons sont à flanc de collines des ruelles très étroites grimpent. La rue principale mène à une place un peu plus touristique avec trois boutiques de textiles qui vendent des jupes imprimées d’éléphants (j’en ai eu une dans les années 70 et achetée en 1997 en Thaïlande), des sarwals aux couleurs criardes. Un groupe de touristes francophones du 3ème âge stationne, perplexe, devant ces boutiques ; les cordonniers ont des marchandises beaucoup plus alléchantes : sandales multicolores avec des fils colorés et des perles qui ne sont pas spécialement destinées aux touristes. Je remonte une rue qui conduit à la mosquée. On y vend des tuyaux, des bassines, des chaînes, des cantines en fer blanc, des instruments de musique, du matériel de construction. Rien qui puisse m’intéresser. On me laisse donc passer bien tranquillement.
Une promenade bordée de guérites en marbre blanc, sur le bord du lac Swaroop, se voit de nos fenêtres. Elle se trouve dans un jardin fleuri. Je la parcours à la tombée du jour .
coucher de soleil sur le lac Swaroop
Au dîner :
– Reshmi Kabab : bouchées de poulet servi sous une décoration de barbe-à-papa caramel avec une coupelle de sauce verte à la menthe (colorant sûrement artificiel)
– Mutton Sagwala : délicieuse purée d’épinards à l’ail avec plus d’os que de viande
City Palace d'Udaipur, au premier plan curieux dispositif pour la fête de Holi
Nous avions prévenu le chauffeur : nous ne voulons pas de guide ! Après avoir bien lu le guide Bleu, nous descendons, légères, libres et indépendantes…pour découvrir un guide assis sur le siège avant du passager. Francophone : cela permet à D de libérer sa rancœur vis-à-vis des guides, plus soucieux de leurs commissions dans les boutiques, que de nous faire connaître les monuments. Le monsieur accepte d’une humeur égale la philippique. Ils ne nous emmènera nulle part où nous ne le voulons pas. Il déclare :
– « A Udaipur, les guides n’ont pas le droit de pénétrer dans les magasins ! »
Il nous promet trois visites : City Palace, un jardin et … ? Dans la voiture il nous explique que nous pouvons aller seules à pied au marché de l’hôtel. Tout peut se visiter à pied ! Nous aurons le temps pour nos courses cet après-midi !
City Palace, jaune pâle, est de taille imposante mais ne peut pas rivaliser avec le Fort d’Amber ou celui de Jodhpur. Pas de Maharaja(grand roi)non plus. Ici, règne le Maharana(grand ministre) le roi suprême c’est Shiva ! S’ils ne sont pas rois, les souverains d’Udaipur, n’en sont pas moins de longue lignée. Ils règnent sur le Mevar (alors que Jodhpur et Jaipur sont dans le Marwar). Avant d’être à Udaipur, la capitale du Mevar fut à Eklinada puis à Chittorgarth. Udai Singh (1537-1572) fonda Udaipur (la ville d’Udai). A l’occasion, le guide nous fait remarquer que les villes hindoues se terminent pas « pur » tandis que les villes musulmanes par « bad ». la légende dt qu’au 16ème siècle, la forêt couvrait la région et que le Maharana venant y chasser, rencontra un moine qui le bénit et lui assura que son palais ne serait jamais pris par un envahisseur. Il fonda d’abord un temple de Douni puis son palais.
mosaïques et miroirs
Dans la cour se trouve une drôle de sculpture en paille :c c’est le symbole de la Fête de Holi qui aura lieu la semaine prochaine.
Après avoir passé la porte de Ganesh puis une deuxième consacrée à la triade Brahma-Vishnou-Shiva, nous entrons dans une très vaste cour bordée d’une rangée de magasins face au palais. A la suite ,face au lac, des arcades où le guide nous installe pour nous montrer le monogramme des Mevar : deux soldats et un soleil, le soldat tenant une flèche représente la campagne tandis que l’autre portant une épée, la ville. La dynastie régnante adore le soleil. Pendant la mousson, les nuages cachant le soleil, on imagina un soleil artificiel à l’extérieur du palais pour que le peuple puisse lui rendre le culte. A l’intérieur du Palais, la famille régnante adore un autre soleil d’or pur.
Pour adorer le soleil même par temps de mousson
Dans la cour, deux fresques encadrent la porte : le cheval incarne la force et l’éléphant la chance (j’aurais pensé le contraire). Dans le hall d’entrée deux autels consacrés à Ganesh et à Laxmi sont entourés de mosaïque en pâte de verre. Ganesh pour la chance, Laxmi, pour la prospérité. Au dessus du temple bâti par Udai se trouve un bassin carré qui était rempli de pièces d’or le jour de l’anniversaire du maharana afin qu’il les jette au peuple réuni dans la cour.
Les portes du palais sont toutes basses et il faut se baisser pour les passer, en signe de respect mais aussi de manière défensive : il est plus facile de décapiter un assaillant qui courbe la tête.
Nous arrivons dans une belle cour plantée de grands arbres bien que nous ayons grimpé 4 étages. Les arbres d’enracinent dans le sol : le Palais est adossé à une colline. Cette cour a pour nom : Bari mahal (Palais du jardin) . Du temps des maharanas on y fêtait le Holi.
C’est aussi l’occasion pour le guide de nous montrer la subtile différence entre les arches hindoues, figurant une trompe d’éléphant relevée et celles qui ont musulmanes où on voit plutôt une fleur.
Le Palais présente une collection de miniatures du 18ème au 20ème siècle. Elles n’ont pas la qualité de celles de Delhi ou du fort de Mehrengarh mais elles racontent très bien la vie au palais, les combats d’éléphants (les éléphants ne s’affrontent que par la trompe, ils sont retenus chacun de chaque côté d’un mur qui les sépare), les fêtes à la cour, les fêtes au village, la chasse au tigre ou à l’ours. Une miniature de 1755 donne tous les détails d’une cérémonie de mariage, de l’arrivée du fiancé à cheval aux feux d’artifice.
l;es mosaïques de la cour des paons
La visite du Palais se poursuit entre pièces carrelées (certains carreaux offerts par les Japonais ou les belges ou des Chinois) d’autres pièces entièrement revêtues de miroirs colorés ; Le Palais d’Udaipur n’est point fait de matières nobles de marbre, de pietra dura ou de pierres précieuse. Ici c’est la mosaïque en pâte de verre ou le miroir qui plait, qui brille reflète la lumière. Le sommet de cet art est atteint dans la cour des paons. Moins solennel que le fort d’Amber ou les Palais de Jodhpur, ici c’est la vie quotidienne des Maharanas qui est livrée à notre curiosité et le guide livre de nombreuses anecdotes : divertissement des femmes avec des jeux peints sur les planchers- échiquier ou marelle- et même une petite balançoire d’intérieur.
miroirs des maharanas
Le Jardin de Shilyauku Bari était aussi dédié au divertissement des femmes qui sortaient du zenana pour apprécier la fraîcheur des cinq fontaines : la Fontaine de la Pluie, la Fontaine de la Mousson, ou du Lotus…Ce jardin très fleuri est très agréable à visiter.
Fin de la visite guidée après que j’ai décliné la visite à une bijouterie !
Udaipur est une ville tranquille pas du tout polluée ni défigurée par les constructions modernes.
Notre hôtel Swaroop villas est magnifique.
Sa façade blanche est découpée de corniches, de balcons arrondis, d’avancées, de moulures et de frises ajourées, d’arches dentelées. Des petites coupoles blanches sont soutenues par des colonnes. Les terrasses s’imbriquent les unes dans les autres. Cette architecture compliquée rappelle celle des palais.
cascades de fleurs
Il est situé en face d’un des nombreux lacs de la ville. Notre chambre n’est pas prête. Nous explorons le lobby peint et orné de mosaïques colorées. Dans des vasques de marbre blanc flottent des pétales de rose. Un long couloir est meublé de canapés aristocratiques et décoré de gravures anciennes montrant l’Inde au 19ème siècle.
Notre chambre 401 est la meilleure de l’hôtel : nous disposons d’une vaste terrasse particulière avec des meubles de jardin au dessus de la piscine. Notre chambre est très vaste : le lit king size est recouvert d’un tissu rayé assorti à celui des fauteuils et des rideaux ; Trois kilims vert et rose sont posés sur le marbre. Au dessus de la coiffeuse un miroir ancien et toujours les moulures courbes et les découpes des arches à l’indienne. Les mosaïques en pâte de verre. De grands rideaux verts à gaufrage vertical cachent les trois fenêtres, celle qui s’ouvre sur la terrasse, une plus petite et la troisième cache une niche meublée d’une banquette avec des coussins et deux polochons. Deux aquarelles de roses à la manière de Redouté sont du meilleur goût.
La route est très roulante : pour Udaipur on prend la direction d’Allahabad (964km). Presque une autoroute sauf que des vaches s’y promènent librement ainsi que les dromadaires. Sous le soleil du matin les crêtes embrumées et découpées se succèdent, très beau paysage!
Des arbres sont chargés de fruits ou de fleurs avec des amas de boules orange du meilleur effet. Des buffles vont boire ou se baigner dans un petit lac. On a quitté la zone du granite et on traverse de beaux affleurements de grès rouge. Il y a de grosses chutes de pierre sur la voie.
Pour ce voyage vers le sud-est au soleil levant j’ai sorti lunettes et voile.
Dans une vallée, de petits champs verts sont ponctués de palmiers. La campagne verdoyante est très différente des contrées désertiques traversées précédemment. Un troupeau de dromadaires emprunte la route, le chamelier les suit à pied. Deux tunnels traversent un banc rocheux. A la sortie du dernier tunnel, à nouveau l’aridité.
Dromadaires sur l'autoroute!
Nous arrivons à 9h30 à Udaipur après deux heures et demie de route, prêtes pour la visite !
Nous avons décidé de nous passer de guide : le chauffeur d’autres touristes, anglophone et dégourdi, a expliqué le chemin au nôtre. Le temple de Delwara est fermé le matin, nous avons donc dépassé Delwara en direction de Trevor Tank dans la forêt. Sur la rambarde en ciment, les singes sont assis et nous regardent passer. Certains arbres sont très hauts et magnifiques. Beaucoup d’eucalyptus, mais je ne les aime pas. Des palmiers très hauts se balancent. Les maisons de ciment cubiques s’intègrent dans les gros blocs. On voit de l’eau captée dans des réservoirs ou stagnante dans les creux.
Au bout de la route il y a un petit marché touristique. Les marchandises proposées ne sont pas pour les occidentaux : gilets de laine, bonnets et chapeaux pour les Indiens qui ne savent pas qu’il fait frais à 1219m d’altitude. Derrière le marché, un petit temple jain de Achaleshwara Mahadeva où l’on vénèrerait l’empreinte d’un orteil de Shiva : portiques et coupoles de marbre blanc. 50roupies pour avoir le droit de photographier (que je ne regretterai pas puisque c’est interdit à Delwara). Une autre table, donation 50 rs pour avoir el droit d’aller voir la coupole ciselée de neuf où un ouvrier est en train de travailler ; Deuxième table, nouvelle donation, je demande la monnaie, surprise, on la fait sans problème. J’entre dans une petite salle sous une autre coupole. Dans un coin, un homme me fait signe. Il me tend une cupule d’eau bénite dont je ne sais que faire, puis imprime avec son pouce une marque sur mon front et hurle je ne sais quoi. A la sortie, je photographie une vache dorée avec un personnage, un dieu ? Lequel ?
A la sortie de ce temple, la route continue par un chemin bordé de boutiques de souvenirs (jolis mortiers et pilons de marbre, thermomètres, baromètres, pendules d’un goût contestable) . Dans la fraîcheur du matin, les vaches descendent de la montagne. Les maisons du village sont très misérables mais cette ambiance calme me plait bien. Au tournant du chemin : une batterie de télescopes (5rs) est pointée vers les sites intéressants. Un homme en haillons me regarde. Je me méfie mais décide de continuer le chemin escarpé qui traverse un village aux maisons peintes en blanc ; les cris des enfants me rassurent. Je ne serai pas seule avec le type aux chiffons orange. C’est le gardien du temple du village (moderne) qu’ il ouvre, je trouve une pièce sans décor, une estrade. Je mets une petite donation sur l’estrade. Il est furieux : c’est insuffisant ! C’est déjà trop puisqu’il n’y a rien à voir ! Je tourne les talons pour trouver toute la bande des enfants qui m’escortent avec une chanson dont je devine facilement le sens : ils veulent un « cadeau ». Ils ont la peau très noire, les cheveux ébouriffés, pieds nus, vêtus des pauvres fripes qu’on jette en occident. Un garçon s’enhardit et donne une tape sur mon sac à dos. Je me retourne et fais els gros yeux. Ils se dispersent comme une volée de moineaux. Puis l’escorte se reforme. Deuxième coup sur mon sac. Je gueule très fort ! Prends le sac à la main et presse le pas. Comme j’ai crié fort ils se sont sauvés, finalement plus craintifs que les enfants marocains ou béninois qui exigeaient « yovo, cadeau ! ». ils ont quand même gâché la sérénité de ma promenade. J’ai renoncé aux derniers temples en haut de la montagne annoncés par le Guide Bleu.
11h30, le chauffeur gare la voiture à l’ombre à proximité du temple de Delwara qui n’ouvre qu’à 12h. Deux files se forment : portique électronique, la policière s’intéresse de très près au Guide Bleu. Va-t-il être banni comme les objets de cuir, les chaussures, les appareils photos et les téléphones ? Non, elle veut savoir ce qu’on raconte sur le temple pour rendre service à deux indiens anglophones qui lui ont demandé un guide en anglais. Elle n’a pas remarqué que c’est en Français. Ils sont justement à côté de moi. Ils sont venus de Chennai exprès et rentreront en avion quelques heures après la visite.
Un homme nous harangue en Hindi. Que raconte-t-il ? Que nous veut-il ? C’est la visite guidée. Le groupe est important, je suis poussée par les autres sans rien comprendre ni voir.
Un vieux monsieur aux manières très policées, et parlant un anglais parfait, propose de me faire visiter le temple. Ravie, j’accepte. Vimal Vasahi fut construit entre 1021 et 1045 par Vimal Shah. Il se compose d’une coupole qui précède la salle de la statue. Tout autour de la coupole se trouve une galerie avec 57 niches renfermant des statues des prophètes Jaïns. Des guirlandes finement ajourées, des petites coupoles en lotus complètent l’ensemble. 16 statues des 16 « professeurs » des prophètes (Sarasvati d’après le Guide Bleu) font la ronde autour de la coupole principale ; Délicates statues féminines souples et aimables d’environ 60 cm de haut. Sur un registre inférieur : une ronde de danseuses et musiciennes dans des postures les plus souples, déhanchements et déséquilibres aux gracieux gestes de main. Tout autour, des éléphants charmés par les musiciennes, se tiennent par la trompe. Il y a aussi la ronde des canards, celle des petits lions, des cavaliers..le marbre est d’une finesse extraordinaire et ne trahit pas ses mille ans d’âge. Une dentelle de fleurs de lotus a été ciselée dans un seul bloc sous les petites coupoles. La galerie des prophètes est aussi très décorée. Des panneaux au plafond racontent des scènes mythologiques. Ma préférée est celle de Krishna avec les Gopis au cours de la fête du Holi. Aujourd’hui, on lance els couleurs ; les Gopis les propulsaient avec des cornes de vaches(les Gopis sont des vachères). Dans une autre représentation, Krishna a un corps de serpent. Ces scènes sont d’une délicatesse exquise. Certaines ont été martelées par l’intrusion de musulmans fanatiques. Ces derniers, pressés ont préféré s’attaquer au nez des idoles que de saccager l’ensemble. J’ai déjà entendu parler de cette pratique de casser le nez dans l’Egypte ancienne. Certaines niches ont été restaurées récemment. Le marbre est plus blanc mais la technique initiale est la même. A l’entrée, le guide me montre les deux lions sur les marches qui montrent qu’il faut laisser dehors sa colère. Je ne jette qu’un regard distrait à la statue d’Adinath dans sa niche.
Les éléphants ont joué un rôle important dans la construction du temple : coupoles et scène mythologiques sont monolithes. De très gros blocs de marbre ont été apportés à dos d’éléphant sur une distance de 60km, par des pistes malaisées. Un pavillon leur a été consacré : l’écurie des éléphants avec les statues des rois et de ses proches.
Le temple suivant Luna Vasahi fur élevé en 1230 par deux frères Tejapala et Vastupala. Le style des guirlandes diffère un peu du précédent, plus contournées, plus arrondies, baroques…la coupole représente une fleur de lotus pendant à sa clé, encore plus ajourée, encore plus ciselée. De chaque côté de la salle se trouve deux niches en l’honneur des épouses des deux frères. Une compétition s’engagea alors pour les sculptures des deux niches. Sept fois elles furent détruites. Pour cesser le concours, on décida de faire les mêmes sculptures à une légère différence près : un éléphant ou un cheval de plus pour l’épouse du frère ainé.
Nous sortons voir la statue d’Adinath (1468) pesant 4 tonnes, faite d’un alliage précieux d’or d’argent, de bronze. J’ai du mal à accéder à la statue. Les Indiens font leurs dévotions, certains font la révérence, certains se prosternent.
– « Sont-ils jaïns ? « je demande au guide
– « pas spécialement, les Hindouistes respectent aussi Adinath. »
Le dernier temple placé près de l’entrée, n’est pas aussi précieux que les deux précédents. Il a été édifié par les ouvriers du temple sur leur temps de pause pour les repas. Les matériaux étaient les restes non utilisés dans les autres temples. Les sculptures sont donc plus simples et ls blocs monolithes ont été remplacés par des blocs jointifs. Les ouvriers étaient payés à al tâche : ils ramassaient la poussière de marbre, pesée sur une balance. On leur payait l’équivalent en poussière d’or, raconte-t-on.
Au retour, le chauffeur nous arrête au lac Nakki.
Nous passons l’après-midi à prendre le soleil sur les lits du solarium. Des Indiens vivant aux États Unis convoitaient aussi cet endroit. C’est l’occasion de faire un brin de causette. Chez eux les Français n’ont pas bonne presse.
– « puis-je vous demander quelque chose sans vous offenser ? » dit la dame
– « pourquoi les Français refusent-ils de nous répondre quand nous leur parlons en anglais ? »
– « combien d’heures travaillez-vous ? » (nous passons pour des feignants)
Ils me montrent l’escalier qui mène en haut de la tourelle. Ce qui prolonge d’une bonne heure le soleil qui se couche plus tôt à la montagne.
D’un petit car sortent des femmes occidentales vêtues de voiles blancs. Elles parlent Espagnol et viennent de toute l’Amérique latine, Argentine, Chili, Pérou…Elles semblent être des adeptes de la secte brahmakumaris qui a un centre un peu plus bas
– « que lindo ! que bonito ! ». Elles ont des airs de ravies de la crèche parfaitement béates ! Mi-bonnes sœurs, mi-piquées.
Nous sommes logées comme des reines dans la maison qu’un Maharadjah de Jaipur a fait construire en 1867. Petit palais au sommet d’une colline, peint en jaune(comme le City palace de Jaipur) , rose bonbon, aux couleurs de la ville. Jaunes les murs, roses les corniches et moulures en pétales de lotus. Le bâtiment principal s’ouvre sur une terrasse par trois arches indiennes. A l’aplomb de chacune de ces arches, trois fenêtres d’une véranda à l’étage, un joli balcon ajouré surmonté de claustras en ciment, de chaque côté, deux tourelles à clochetons, un grand et un petit, rose et jaune, comme le reste.
photos anciennes
Passant la maison, je traverse un salon meublé de canapés, guéridons avec des vitrines, une cheminée d’angle. De grandes photos anciennes des Maharadjas de Jaipur, depuis que la photographie existe. Portraits de grande taille parfois colorisés, de barbus aux moustaches impressionnantes, habillés de soieries, portant des rangs de perles en sautoir, des turbans sophistiqués et parfois des aigrettes. Tous ont grande allure. Les Maharanis aussi !
débordant de fleurs
Notre chambre a conservé le charme ancien : rideaux drapés marrons, lit immense, une grande salle de bains en marbre. Elle donne sur une courette jaune. Le terrain n’est que terrasses, recoins fleuris, petits salons en fer forgé laqués de blanc dispersés dans les bosquets et sous les clochetons, pour le plus grand plaisir et l’intimité des invités. Sous des yuccas, une balancelle. Face au lac, en contrebas, un solarium avec deux lits de plage que nous occuperons exclusivement.
Et partout des rangées de plantes en pot alignés pour délimiter des coins cozy. La façade croule sous les couleurs des bougainvillées roses de la Bignone orange, des hibiscus aux grosses fleurs rouges, doubles, triples, des cannas plus discrets se mêlent aux haies vives. Des jardinières cimentées sont remplies de pétunias colorés.
Le restaurant, à l’étage inférieur, est installé dans une véranda. En altitude, il fait trop frais pour manger dehors.
la brume sur les crêtes
Je suis conquise par le charme du Jaipur House. Aucune envie de chercher un guide pour visiter les curiosités locales. Lézarder au soleil. Dessiner installée sur la petite banquette à clairevoie qui domine le chaos granitique, écrire, ne rien faire ! Ce soir, j’enroulerai ma nouvelle étole en pashmina sur ma jupe longue et je serai princesse !
Au coucher du soleil nous sacrifions à la promenade romantique de Sunset Point. Romantique pour ceux qui ne sont pas trop regardants sur la solitude ; La foule converge à l’heure dite. Les marchands ambulants, les rickshaws, les loueurs de chevaux importunent les passants. La promenade ombragée sous de beaux arbres mène au point de vue sur la vallée. Il y a beaucoup de brume. Le coucher de soleil sera embrumé !