Le Procès – Kafka

LES LETTRES ALLEMANDES 

D’abord l’homme libre est supérieur à l’homme lié. Or, l’homme qui est venu est libre, il peut aller où il lui
plaît ; il n’y a que l’entrée de la Loi qui lui soit défendue, et encore par une seule personne, celle du gardien. S’il
s’assied à côté de la porte et passe sa vie à cet endroit, il le fait volontairement ; l’histoire ne mentionne pas qu’il
y ait jamais été contraint. Le gardien, par contre, est lié à son poste par son devoir …

Garouste Kafka

Adolescente, je m’étais enthousiasmée pour Kafka dont j’avais lu, bien sûr, La Métamorphose. J‘avais vu une adaptation théâtrale du Procès à l’Odéon en tchèque ou en polonais, surtitrée (que je n’arrive pas à retrouver sur Internet) que je n’avais pas bien comprise alors mais qui m’avait beaucoup marquée. Il n’est pas toujours évident de revisiter des souvenirs d’adolescente… 50 ans plus tard, l’enthousiasme ne m’est pas revenu et je me suis un peu perdue au long de ces interminables démarches auprès de personnage souvent cocasses mais aussi sinistres. 

« On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. »

[…]

Quand on est arrêté comme un voleur, c’est grave, tandis que votre arrestation… elle me fait l’impression de quelque chose de savant – excusez-moi si je dis des bêtises – elle me fait l’impression de quelque chose de
savant que je ne comprends pas, c’est vrai, mais qu’on n’est pas non plus obligé de comprendre.

J’ai été vérifié la date : paru en 1925, roman posthume, Franz Kafka est décédé en 1924. Roman prémonitoire? Kafka évidemment ne pouvait pas imaginer les procès de Prague, ni les bureaucraties nazies. Un siècle (ou presque) plus tard, la coïncidence est frappante. Ou peut être ces bureaucraties étaient les héritières de empires Austro-Hongrois.

Les archives de la justice se trouvaient donc dans le grenier de cette caserne de rapport ! Ce n’était pas une
installation de nature à inspirer grand respect et rien ne pouvait mieux rassurer un accusé que de voir le peu
d’argent dont disposait cette justice qui était obligée de loger ses archives à l’endroit où les locataires de la
maison, pauvres déjà parmi les pauvres, jetaient le rebut de leurs objets.

Joseph K. a eu notification de son arrestation mais il reste libre de travailler dans sa banque où il est chargé de pouvoir. Cependant toute son énergie et sa capacité de travail seront  consacrées  à son procès, à se justifier sans savoir de quoi, à écrire des requêtes. Cela fait étrangement penser à ces confessions que rédigeront des décennies plus tard des accusés des procès staliniens. Libre dans la ville, il est obsédé par les démarches juridiques. Kafka nous fait ressentir l’absurdité de ces démarches auprès d’institutions d’autant plus absurdes.

Grotesques ces juges, ces tribunaux cachés dans de minables faubourgs alors que la Loi devrait inspirer le respect!

Avocats, étranges parasites de cette justice, jusqu’à la cathédrale est contaminée. Etrange comportement des femmes que Joseph K rencontre et qui, par compassion ou par intérêt se jettent dans ses bras. Pourtant on ne peut pas le soupçonner de misogynie d’après le récit de sa vie que j’ai écouté sur des podcasts de France Culture récemment. Felice, Milena, Dora, Ottla : quatre femmes avec Kafka  clic

Même si j’ai trouvé des longueurs – peut être faites exprès – j’ai trouvé toutes les réflexions passionnantes.

Le Turbulent Destin de Jacob Obertin – Catalin Dorian Florescu – Le Seuil

LES FEUILLES ALLEMANDES

 Catalin Dorian Florescu, est un écrivain suisse, de langue allemande,  d’origine roumaine, né à Timişoara  (1957).

Le roman, 381 pages, est la saga de la famille Obertin (ou Aubertin) originaire de Lorraine et établie dans le Banat – région de Timişoara. Le  roman historique commence  en 1635 à  avec la Guerre de Trente ans  quand Caspar, mercenaire aussi bien du côté des Suédois que des Impériaux, rentre dans son village en Lorraine.

allaient dans une région dont Frédéric n’avait jamais entendu parler et où le Saint Empire avait énormément de terres mais trop peu de gens. Les nouveaux arrivants étaient donc exemptés d’impôts pendant trois ans. Ils
recevaient en bail une ferme et une terre, ainsi qu’une avance de bêtes et d’outils, afin de survivre aux premiers temps. 

Il se poursuit avec l’installation des colons dans le Banat à l’appel de Marie-Thérèse d’Autriche (1717 – 1780) désireuse de peupler les régions marécageuses et dépeuplées  non  loin des frontières de l’empire Ottoman. Embarqué sur le Danube à Ulm, Frederick Obertin tente sa chance de devenir paysan propriétaire. Intelligent, entreprenant, il prend la tête d’un groupe de colons et sera reconnu comme le fondateur du village de Treibwetter. 

Vous savez tous qui je suis. Vous avez trop souvent détourné le regard pour ne pas le savoir très exactement. Je suis celui qui est arrivé ici il y a un peu plus d’un an et demi par le plus grand orage que vous ayez jamais connu, et qui a d’abord trouvé refuge chez Neper. Je suis aussi celui qui travaille depuis tout ce temps chez les Obertin, et vous le savez sûrement aussi : vous avez trop souvent craché en nous voyant ensemble.

La famille Obertin va s’enrichir avec le voyage en Amérique d’Elsa  au début du XXème siècle. Ils deviendront donc de riches propriétaires jalousés de leurs voisins. Jakob, surgi de nulle part, hardi et entreprenant s’impose comme prétendant d’Elsa et consolide la fortune, employant de nombreux ouvriers, souvent des Tziganes, et devient un riche commerçant. Son fils Jacob de santé fragile ne peut pas prétendre à la succession de la ferme et des affaires….

Village saxon en Roumanie

Les Souabes  de Roumanie forment une population germanophone qui se laisse entraîner à la suite d’Hitler dans la Guerre mondiale. Le sort des Juifs est à peine abordé : une couturière et la boulangère juives disparaissent sans que l’auteur ne s’y attarde. En revanche, les Tziganes, nombreux  sont déportés, chassés par la population. Le curé dénonce la famille serbe, exécutée sur place.

L‘arrivée de l’Armée Russe donne lieu à une nouvelle déportation, celle de tous les jeunes germanophones en Sibérie. Puis l’installation des Communistes est la ruine de tous les propriétaires allemands. Certains Souabes se souviennent de leurs origines lorraines et tentent de retourner en Lorraine mais les Obertin ne sont pas du voyage.

Les diables alors mirent en place douze postes de douane. Pour aller voir Dieu, il fallait d’abord passer par ces postes et corrompre les diables : toute âme morte devait se présenter douze fois à eux et douze fois les convaincre, les séduire. L’âme devait faire douze fois ses preuves, sinon les diables la récupéraient. C’était leur vengeance contre Dieu.

Le Turbulent Destin de Jacob Obertin n’est pas seulement un passionnant roman historique, c’est aussi un roman d’aventures. L’écriture originale  entraîne le lecteur dans les tempêtes, orages et diableries des Tziganes avec  les récits de Ramina, la guérisseuse, un peu sorcière. Le lecteur est bousculé par une chronologie fantaisiste avec des retours en arrière inopinés, bousculé aussi par des invraisemblances et des mensonges. J’ai pris grand plaisir à lire ce roman parfois déjanté. 

Lire également l’avis du blog Si on bouquinait.

 

Le Joueur d’Echecs – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

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Quand revient Novembre et les feuilles allemandes je retourne à Zweig qui ne me déçoit jamais. Le Joueur d’Echecs, lu d’une traite m’a encore éblouie. Dernier œuvre romanesque de l’auteur exilé, écrite – selon la préface – au milieu des valises, publiée d’abord en américain (1941) en allemand à Buenos Aires plus tard. Le décor : un paquebot de New York à Buenos Aires, . La date :  après l’Anschluss et l’entrée des nazis en Tchécoslovaquie. Le narrateur : Zweig lui-même?

Les deux protagonistes : Czentovic, le champion d’échecs dont

« l’inculture atteignait la même universalité dans tous les domaines »  » fils d’un batelier yougoslave »

 « Il arriva ainsi que dans l’illustre galerie des maîtres des échecs, laquelle réunit les types d’esprits supérieurs les
plus variés – des philosophes, des mathématiciens, des gens au tempérament calculateur, imaginatif et souvent créatif – pénétra pour la première fois un outsider parfaitement étranger au monde de l’esprit, un jeune paysan lourdaud et taciturne »

« Toute ma vie, les diverses espèces de monomanies, les êtres passionnés par une seule idée m’ont fasciné, car
plus quelqu’un se limite, plus il s’approche en réalité de l’infini « 

Face au champion, un aristocrate autrichien, éduqué, avocat proche du parti clérical et de l’empire, secret, silencieux, cérébral le met au défi.

 Entre deux parties, le narrateur aborde l’Autrichien qui lui livre une longue confession. Interné par les nazis, l’isolement, utilisé comme torture pour qu’il livre ses secrets :

Or, même si elles semblent immatérielles, les pensées ont besoin d’un point d’appui, sinon elles se mettent à
tourner, à tourbillonner sans but sur elles-mêmes ; elles non plus ne supportent pas le néant. Du matin jusqu’au
soir on attendait quelque chose, et rien ne se passait. On recommençait à attendre. Il ne se passait rien. On
attendait, on attendait, on attendait ; on réfléchissait, on réfléchissait, on réfléchissait jusqu’à en avoir mal aux tempes. Rien ne se passait. On restait seul. Seul. Seul.

Les attentes entre les interrogatoires, interminables, sont une autre forme de torture. Mais au cours d’une de ces attentes, le prisonnier fait une découverte qui va changer sa détention

J’avais découvert que sur l’un des manteaux la poche latérale était légèrement boursouflée. Je m’approchai et
crus reconnaître à la forme rectangulaire de cette bosse ce que recelait cette poche un peu gonflée : un livre !
Mes genoux se mirent à trembler : un livre ! Pendant quatre mois, je n’en avais pas tenu un entre mes mains, et la simple idée d’un livre dans lequel on puisse voir une suite de mots, des lignes, des pages et des feuilles, un livre où l’on puisse lire des pensées différentes, nouvelles, inconnues, distrayantes, pour les suivre et se les mettre dans la tête, avait quelque chose de grisant et d’étourdissant à la fois.

Ni poésie,  ni roman, ni un essai mais un recueil de 150 parties d’échecs. Les échecs ont meublé  son existence. Partie cérébrale, à l’aveugle, le prisonnier ne disposait ni d’échiquier ni de pièces.

Leur affrontement tient le lecteur en haleine, même totalement ignorant en ce qui concerne les échecs.

Oskar Kokoschka – un fauve à Vienne -MAM

Exposition temporaire jusqu’au 23 février 2023

Oskar Kokoschka – Autoportrait 1917

Un enfant terrible à Vienne(1904-1916)

C’est ainsi que s’ouvre cette exposition sous-titrée « Un fauve à Vienne » qu’on associe volontiers aux acteurs de la Sécession viennoise (Klimt et Schiele) mais aussi aux expressionnistes par la crudité du dessin, l’expression des portraits où les mains  et le regard intense traduisent le caractère du sujet

Le joueur de Transe

Oskar Kokoschka excelle dans les portraits et l’exposition du MAM les a mis en valeur en choisissant un petit nombre et en accrochant sur un mur blanc ou noir. Il a aussi peint des paysages et comme ses contemporains a illustré des livres, fait des séries de gravure. Deux peintures aux sujets religieux m’ont étonné comme le Saint suaire et Véronique ou une étrange Annonciation. 

Véronique et le suaire

Original ce dessus de cheminée, image de mariage dans le style de la Renaissance

Hans et Erica Tieze portrait de mariage à la mode Renaissance

Ses portraits sont très intéressants

Carl Moll

Si les portraits dominent, l’œuvre viennoise est variée comme les séries de gravures et dessins très fins des cycles graphiques , ses collaborations avec la Presse Der Sturm d’Adolf Loos, ses illustrations et affiches, les éventails offerts à Alma Mahler avec qui il a entretenu une relation amoureuse et fait des voyages.

Träumenden Knaben (illustration)

Engagé militaire dans la Grande Guerre, il fut deux fois blessé. On le voit en photo avec son camarade le peintre hongrois Rippl Ronaï. Il a également fait des pastels et des dessins de guerre.

les années de Dresde (1916-1923)

Blessé, réformé il fait une dépression et il est soigné dans un centre de convalescence près de Dresde. 

Autoportrait au chevalet

Sa peinture devient plus colorée, moins empâtée avec plus d’à-plat

Diptyque Hans Mordersteig et Carl Georg

Voyages et séjour à Paris

Dans cette section sont accrochés des paysages colorés de Marseille, Annecy. Il voyage en Afrique du Nord : beau portrait Le Marabout de Temocine. Il exécute aussi des séries d’animaux : chevreuil, lion, tortues géantes ou Poissons sur une plage de Djerba

Poissons sur une plage de Djerba

Résistance à Prague 

mais sa peinture n’est pas appréciée, 5 de ses tableaux sont décrochés du Musée de Dresde et il s’exile à Prague. Sa peinture figurera dans une exposition nazie d’Art Dégénéré. En 1937 il se représente lui-même en artiste dégénéré dans une attitude en même temps de tristesse et de défi

Autoportrait en Artiste Dégénéré (1937)

Exil en Angleterre (1938-1946)

Les peintures que je retenues sont des allégories politiques comme L’Anschluss

Anschluss: Alice au pays des merveilles

ou le Crabe

le Crabe

Sur une plage britannique le crabe monstrueux cache une scène de noyade

L’oeuf rouge

tandis que dans l’oeuf rouge les accords de Munich sont mis en scène avec ma figure colossale de Mussolini, Hitler grimaçant, la France, un chat indolent et la Grande Bretagne détourne le regard.

un artiste européen (1946-1980)

Autoportrait 1969

Il s’établit en Suisse et reprendra sa nationalité autrichienne en 1975. Il continue à peindre et dessiner (suite lithographique de pan sur un thème de Hamsun

Cette très belle rétrospective m’a fait découvrir un peintre dont je ne connaissais que ses oeuvres viennoises de jeunesse.

La Filière – Philippe Sands

HOLOCAUSTE

Rome, 1949, à l’hôpital San Spirito, décède Otto Wächter, un nazi de haut rang, accusé de meurtres  de masse, adjoint de Hans Frank, Gouverneur général de la Pologne, Gouverneur de Galicie, responsable de la déportation des Juifs de Lemberg. Comment un nazi de si haut rang a-t-il échappé au procès de Nuremberg, aux poursuites des Polonais?

Philippe Sands va mener une enquête minutieuse à la suite de celle du Retour à Lemberg. Au cours de ses recherches précédentes, il a rencontré le fils de Otto Wächter, Horst Wächter qui a conservé les archives familiales, le journal intime de sa mère, Charlotte, des photos de familles ainsi que des enregistrements vocaux que sa mère a fait.

« Horst, doux et ouvert, n’ayant en apparence rien à cacher amis réticent à admettre la responsabilité d’Otto Wächter dans les évènements terribles qui s’étaient produits sur le territoire qu’il avait administré »

Philippe Sands, va étudier ce corpus de documents,  vérifier les pistes, imaginer que certaines lettres sont codées, chercher les témoins ou  les enfants des témoins et va nous livrer pas à pas les résultats de ses recherches. une cinquantaine de pages de notes complète le récit. Il va se voyager en Autriche, en Italie et même aux USA.

La première partie du livre raconte « une histoire d’amour nazie » relatée en détail dans le journal de Charlotte, femme exemplaire, mère de six enfants, skieuse, randonneuse, femme de goût (elle a fait des études d’art), femme du monde qui sait recevoir et sortir à l’Opéra…Otto est beau, élégant, bon skieur, nageur, marcheur. C’est un nazi très bien noté qui a mené sa carrière avec brio même dans les circonstances les plus dures comme l’exécution d’otages polonais ou la liquidation des Juifs de Galicie. Seul bémol, c’est un séducteur mais Charlotte s’en est accommodée. Cette relation par le menu de la vie de couple et de famille de ces deux nazis exemplaires m’ont mise mal à l’aise. Quel besoin ai-je de lire cela? Elle est cependant utile pour l’enquête. Il faut établir les faits, les responsabilités dans les meurtres de masse.

Un autre aspect du livre est la question : comment vivre avec le lourd passé d’un père nazi?  Niklas Frank  a condamné son père ; Horst  Wächter n’a pas la même attitude : il minimise le rôle de son père dans le génocide en  niant la responsabilité directe. Son père n’a tué personne, selon lui, il a aidé des gens. Il espère que la relation de Sands permettra d’exonérer son père des horreurs qui lui sont imputées. Sands confronte les deux fils dans des entretiens publics à Londres. Un film What our Father Dud? A Nazi Legacy est passé au festival de Tribeca.

1945, « notre magnifique Reich est détruit » écrivit Charlotte qui se trouve en Autriche et doit se cacher. Quand elle doit loger des Américains dans les montagnes près du lac de Zell,  elle affirme « Bien sûr j’ai été une nazie heureuse » à leur plus grand étonnement. Pour Otto, accusé de meurtre de masse,  c’est la fuite. Otto se cache dans les montagnes proche du lac de Zell, puis passe en Italie. Ses vacances à la montagne, randonnées et ski vont lui permettre de survivre dans des conditions extrêmes.

1948, Otto passe en Italie, à Bolzano. Il a vécu à Trieste dans son enfance (alors autrichienne). En 1944, il a représenté les nazis auprès de la République de Salo. Il a déjà une bonne expérience de la clandestinité après le putsch de 1934 contre Dolfuss, il a échappé aux poursuites en se cachant sous une autre identité en Allemagne. Et surtout,  une Filière ayant pour but de soustraire les anciens nazis aux poursuites judiciaires passe par Rome et le Vatican. Suivant cette Filière ils sont exfiltrés en Amérique du Sud, accueillis par Péron, entre autres, ou en Syrie. C’est l’enquête sur cette Filière qui donne le titre au livre.

La lecture est haletante avec de nombreux rebondissements : un véritable thriller d’espionnage comme les écrivait John Le Carré. D’ailleurs, Le Carré n’est pas très loin, non seulement c’est un ami et un voisin de Sands, mais il était lui-même espion à cette période. Il apparait brièvement dans le livre. Il est question de la responsabilité du Vatican, de Pie XII, et d’ecclésiastiques de haut rang qui ont gardé une influence pronazie après la chute de Hitler. Il est aussi question du rôle trouble des services secrets américains qui ont recruté d’anciens nazis pendant la Guerre Froide. Agents doubles aussi travaillant pour les Soviétiques.

Sands essaie de démêler la question très trouble du décès de Wächter : a-t-il été empoisonné? Et si oui, par qui? les Américains, les Russes ou les chasseurs de nazis juifs? L’enquête devient rocambolesque et pourtant toujours aussi étayée par des preuves irréfutables. La fin du livre devient addictive, je ne le lâche plus avant de lire le mot de la fin  (bien sûr je ne vous révèlerai rien).

J’ai cependant préféré Retour à Lemberg à cause des notions de Droit International introduites au Procès de Nuremberg où j’ai appris beaucoup de choses.

 

Le Pentateuque ou les cinq livres d’Isaac – roman d’Angel Wagenstein – autrement

MITTELEUROPA

Angel Wagenstein (né en 1922 à Plovdiv, Bulgarie) juif séfarade est l’auteur d’Abraham le Poivrot qui m’avait fait beaucoup rire et qui se déroulait au bord de la Maritza.

Le Pentateuque ou les cinq livres d’Isaac – Sur la vie d’Isaac Jacob Blumenfeld à travers deux guerres mondiales, trois camps de concentration et cinq parties – 

traduit du bulgare

Si Lewen : LaParade

Isaac est un tailleur de Kolodetz, de l’ancienne province de Galicie, aujourd’hui en Ukraine non loin de Lvov. Isaac Brumenfeld fut successivement sujet et soldat de l’Empire Autrichien(jusqu’en 1918), citoyen polonais(jusqu’en 1939 , soviétique jusqu’à l’invasion allemande 1942, allemand (et interné dans deux camps nazis), réfugié en Autriche, interné en Sibérie….

« tout cas, voici le fond de ma pensée : si la demeure de Dieu possédait des fenêtres, il y aurait beau temps que ses carreaux seraient brisés ! »

Cette vie tragique est racontée de manière cocasse, véritable collection de blagues juives, qui me font sourire quand ce n’est pas rire aux éclats. Avec son compère et beau-frère le rabbin Shmuel Bendavid (qui devint Président du club des athées pendant leur période soviétique) ils traversent les épreuves avec débrouillardise et philosophie et surtout un grand humanisme.

« — Qui sortira vainqueur d’après toi, demandai-je, les nôtres ou les autres ? — Qui sont les nôtres ? fit pensivement Shmuel. Et qui sont les autres ? Et qu’importe le vainqueur quand la victoire ressemble à un édredon trop court ? Si tu t’en couvres la poitrine, tes pieds resteront à l’air. Si tu veux avoir les pieds au chaud, ta poitrine restera découverte. Et plus longtemps durera la guerre, plus court sera l’édredon. Si bien qu’en définitive, la victoire ne sera plus capable de réchauffer quiconque. »

La vie quotidienne des juifs du shtetl est décrite de manière vivante. Isaac est tailleur mais l’essentiel de ses commandes est plutôt de retourner un caftan pour lui donner sur l’envers un aspect présentable (sinon neuf) .  Ses connaissances des différentes langues parlées à Kolodetz, son Allemand littéraire, le Russe (qui sert surtout pour les jurons), le Polonais, en plus du yiddisch de la vie familiale, lui permet de survivre dans ses tribulations.

Chaque fois que la vie paraît impossible, une nouvelle anecdote (blague juive) va alléger le récit et les digressions sont annoncées parfois de manière plaisante :

« voilà que je suis à nouveau passé par Odessa pour me rendre à Berditchev. »

J’ai recopié tout un florilège d’humour juif, je suis bien tentée de tout coller ici .

Si Lewen : La parade

Ce récit émouvant est un texte humaniste et pour finir , cette citation  illustre le sinistre « A CHACUN SON DÛ » des camps de concentration :

« Qu’est-ce qu’un unique et misérable émetteur caché parmi des boulets de coke comparé à la puissance de leur armée ? » « Je vais te dire ce qu’il est : il est l’obstination de l’esclave, il est une provocation envers l’indifférence de l’acier qui donne la mort. Je vais te le dire : il n’est rien et il est tout, un bras d’honneur au Führer, mais aussi un exemple dont l’homme faible a besoin pour croire que le monde peut changer.
L’inscription qui surmonte l’entrée de tous les camps de concentration – « À CHACUN SON DÛ » – prendra
alors un sens nouveau et deviendra enfin réalité. Amen et shabbat shalom, Itzik ! »

 

 

La Pitié Dangereuse – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES

« Il y a deux sortes de pitié. L’une, molle et sentimentale, qui n’est en réalité que l’impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d’autrui, cette pitié qui n’est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l’âme contre la souffrance étrangère.
Et l’autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu’elle veut et est décidée à
persévérer avec patience et tolérance jusqu’à l’extrême limite de ses forces, et même au-delà. C’est seulement
quand on va jusqu’au bout, quand on a la patience d’y aller qu’on peut venir en aide aux autres. C’est seulement
quand on se sacrifie et seulement alors…

Je poursuis, et toujours avec autant de bonheur, la lecture de Zweig initiée par les Feuilles Allemandes de Et si on bouquinait et Passage à l’Est. Les mêmes proposant des lectures communes Autour du Handicap, La Pitié dangereuse peut figurer dans ces deux challenges. 

Golovien : paysage pavlosk

En 1938, lorsque les bruits de bottes se font entendre, l’auteur rencontre un « héros » de la Première Guerre mondiale qui lui confie son histoire : jeune lieutenant pauvre, dans une ville de garnison, il se fait inviter au château  . Ebloui par la richesse, dans l’ivresse de la fête,  sans se rendre compte que la fille de la maison est paralysée, il l’invite à danser. Voulant réparer cette bévue, il revient s’excuser auprès de la jeune fille et devient un familier de la maison et lui tient compagnie. Naïf et inexpérimenté, il ne se rend pas compte de la passion que la jeune fille va ressentir. Il n’ a jamais imaginé qu’une jeune paralysée puisse éprouver les mêmes sentiments que n’importe quelle femme. Point de désir ou de séduction, à la place de la pitié. Cette pitié occupe le jeune homme:

« chaud jaillissement de l’intérieur, cette vague de pitié douloureuse, épuisante et excitante à la fois, qui s’empare
de moi dès que je songe au malheur de la jeune fille. »

La vie militaire se résume à une routine d’exercices, de camaraderie et de cartes au café qui ne contente pas le jeune lieutenant, trop modeste pour se payer le voyage jusqu’à Vienne. Absurdité de ces manœuvres qui n’ont guère de sens pour lui. En revanche son rôle auprès de la jeune handicapée donne un sens à sa vie.

« Tout ce que je comprenais, c’était que j’étais sorti du cercle solide où j’avais mené jusqu’alors une vie calme et tranquille, et que je pénétrais dans une zone nouvelle, passionnante et inquiétante à la fois, comme tout ce qui est nouveau. Je voyais ouvert devant moi un abîme du sentiment qui m’attirait étrangement, »

La pitié s’adresse à la jeune fille mais aussi à son père, cardiaque, fragile, émouvant. Le jeune homme passez par des phases d’exaltation à des moments dépressifs quand il se sent piégé par des responsabilités qu’il n’a jamais souhaitées.

« Ce soir-là, j’étais Dieu. J’avais apaisé les eaux de l’inquiétude et chassé de ces cœurs l’obscurité. Mais en moi-
même aussi j’avais banni la crainte, mon âme était calme comme jamais elle ne l’avait été […]

Pourtant à la fin de la soirée, lorsque je me levai de table, une légère tristesse s’empara de moi, la tristesse
éternelle de Dieu le septième jour, lorsqu’il eut terminé son œuvre – et cette mélancolie se refléta sur tous les
visages. Le moment de la séparation était venu. Nous étions tous étrangement émus, comme si nous savions que
quelque chose d’unique prenait fin, »

Mais cette pitié est aussi humiliante pour Edith qui veut être aimée et non l’objet de pitié. Elle se rebelle, passe par des crises très éprouvantes.

« Je ne veux pas que vous vous croyiez obligé de me servir ma portion quotidienne de pitié, je me fiche pas mal de
votre pitié – une fois pour toutes, je m’en passe »

Zweig analyse tous ces sentiments avec une grande finesse. Merveilleux conteur, il va faire surgir des personnages complexes : le père, le médecin, le colonel. Il décrit aussi l’Empire à la veille de son écroulement avec les nuances des classes sociales et les rapports entre aristocrates et bourgeois : en filigrane, mépris et antisémitisme.

Encore un grand livre!

La Treizième tribu : l’empire khazar et son héritage – Arthur Koestler

KHAZARIE

Récemment, j’ai lu La mort du Khazar Rouge de Shlomo Sands un polar où il est question de l’identité juive et des Khazars, j’ai voulu en savoir plus sur les Khazars. Emmanuel Ruben, Sur la route du Danube raconte qu’il a visité un cimetière khazar à Celarovo (Serbie), il cite Le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic. J’ai téléchargé la Treizième Tribu de Koestler en anglais et j’ai beaucoup appris sur les Khazars.

 

La Treizième tribu, l’Empire Khazar et son Héritage est un livre de 181 pages, annexes comprises. Sa première publication date de 1976. Il est composé de deux parties : L’essor et la chute des Khazars et l’Héritage.

Khazarie et voisins trouvé sur wikipedia

Qui étaient les Khazars? C’est un peuple d’origine turque, semi-nomade,  venant de l’est, comme avant eux les Huns, Bulgares? Hongrois ou Pechnègues. Leur domaine s’est étendu entre la Mer Noire et la Caspienne, du Caucase à la Volga. Ils sont venus avec leurs yourtes, puis ont construit des palais. Leur capitale Itil se situait dans le delta de la Volga; pour contrer les incursions des Vikings (Rus) ils édifièrent la forteresse de Sarkel près de Tsimliansk (Rostov-sur-le-Don).  Après avoir combattu les Arabes au 7ème siècle, le Royaume Khazar  servait à l’équilibre géopolitique entre l’empire Byzantin chrétien et les califes musulmans. Situé au carrefour des routes commerciales (Est-Ouest sur la Route de la Soie) et nord Sud, par la Volga et le Don entre la Baltique et Constantinople, le royaume Khazar vivait du commerce en prélevant des taxes de passage sur les marchandises qui circulaient.

la conversion

Selon la légende, en 740, le Kagan Bulan, aurait vu un ange dans son sommeil lui enjoignant de se convertir ….mais quelle religion  choisir?  Il fait venir des représentants des trois grandes religions monothéistes pour une grande controverse. Le choix est peut être plus politique que philosophique, garantissant l’indépendance du royaume entre l’Islam et le christianisme byzantin. Le judaïsme était bien connu des Khazars : des Juifs de Bagdad fuyant des persécutions auraient rejoint la Khazarie.

Koestler se réfère aux textes connus, relation d’Ibn Fadlan, mais aussi correspondance entre un Juif de Cordoue, textes byzantins. C’est vraiment un essai historique loin du roman historique. un important corpus de notes et références dans les annexes montre le sérieux de cette étude. .

L’empire Khazar atteindra son apogée à la fin du VIIIème siècle, vers le milieu du IXème siècle le Kagan demanda l’aide des byzantin pour construire la forteresse de Sarkel destinée à contenir les incursions des Vikings ou Rus. Constantinople se servait du royaume Khazar comme bouclier protecteur contre les navires Vikings comme aux siècles précédents contre la bannière verte du Prophète. Une alliance entre les Khazar et les Magyars confortait la position du Kagan.

Toutefois, au tournant du millénaire , l’annexion en 862 de Kiev par les Rus, les guerres et les alliances entre Constantinople et les Vikings/Rus puis le baptême de la Princesse Olga de Kiev en 957 annoncent le rapprochement entre les deux puissances au détriment des Khazars. Vladimir occupa Cherson  en 987 sans même une protestation byzantine. La destruction de Sarkel en 985 marqua la fin de la puissance Khazar. Les hordes mongoles de Gengis Khan au début du XIIIème siècle puis la peste Noire 1347-8 signent la chute de l’empire Khazar.

L’héritage

Avec la destruction de leur état, plusieurs tribus Khazar se joignirent aux magyiars en Hongrie, certains ont combattu en Dalmatie en 1154 dans l’armée hongroise. La diaspora khazar suivit la migration vers l’Ouest des Magyars, Bulgares de la Volga,  Kumans, etc…La formation du Royaume de Pologne se fit au moment du déclin de l’empire Khazar 965. les immigrants khazar furent les bienvenus en Pologne et en Lituanie, de même que les Allemands qui apportèrent leur savoir-faire. parmi ces population s’installèrent aussi les Karaïtes, une secte juive fondamentaliste emmenés comme  prisonniers de guerre en 1388. Koestler montre l’apport démographique  considérable formant d’après lui le noyau de la communauté juive eshkenaze. Tandis que le féodalisme polonais a graduellement transformé les paysans polonais en serfs la communauté khazare surtout urbaine a formé un réseau d’artisans, marchands de bestiaux, cochers, tailleurs, bouchers… caractéristiques du Shtetl. Selon Koestler, la construction de charrettes, la profession de cocher spécifique des communautés juives aurait une origine khazar rappelant les peuplades semi-nomades qui utilisaient des chariots tiré par des bœufs ou des chevaux.

L’usage du yiddisch proche de l’Allemand conduit à penser que les juifs polonais ou russes seraient venus de Rhénanie et d’Allemagne. Après une grande digression sur l’historique des communautés juives d’Europe de l’Ouest Koestler soutient que ces migrations à la suite des persécutions pendant les Croisades et après la Grande Peste ne marquent  pas de déplacement en masse et que l’usage du yiddisch pourrait avoir une autre origine, linga franca dans tout ce domaine parce que les Allemands formaient une population éduquée qui influençait les juifs du shtetl.

S’en suit ensuite une longue étude pour prouver qu’il n’existe pas de fondement scientifique à l’existence d’une race juive. Etude fastidieuse des caractères comme la forme du nez, la taille, ou les groupes sanguins. Comme, depuis longtemps, le concept de race n’est plus scientifiquement fondé, je ne m’attarde pas sur cette partie du livre.

Cette idée que les Juifs Ashkénaze auraient des origines turques et  asiatiques complètement distinctes des origines de la Diaspora venant de Palestine après la Destruction du Temple perturbe certaines traditions et certaines notions comme celle de « Peuple élu » et se trouve à la base du roman de Sand La mort du Khazar Rouge. 

Je serais curieuse de lire ce que Marek Halter a écrit

Dans mes recherches sur Internet j’ai eu la très désagréable surprise de trouver que les Khazars avaient inspiré antisémites et conspirationnistes qui ont imaginé des conspirations khazares impliquant Rothschild ou même Soros. Evidemment j’ai prudemment refusé d’aller plus loin et de cliquer sur les vidéos ou les liens de peur d’importer de très nauséabonds cookies.

Le Bouquiniste Mendel – Stefan Zweig – Les éditions l’Ebook malin

LES FEUILLES ALLEMANDES

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Un vrai coup de cœur!

Un très court roman, une longue nouvelle de moins de 60 pages que j’ai dévorées d’un seul souffle.

Unité de lieu : le Café Gluck à Vienne !

Heureusement, il y a maintenant à chaque coin de Vienne un café qui vous attend ; je me réfugiai donc dans celui juste en face, avec mon chapeau qui gouttait et mes épaules inondées. L’intérieur révélait un café à l’ancienne[…]c’était un endroit traditionnel de la Vienne d’autrefois, rempli de petites gens qui consommaient plus de journaux que de douceurs.

Le narrateur ressent une impression de déjà-vu,

Puis tout à coup – je n’aurais pu dire comment – je sus que j’avais déjà dû me trouver ici des années auparavant et, par quelque souvenir, être lié à ces murs…..

Alors l’éclair me traversa de part en part. Aussitôt, je sus, aussitôt, en un seul instant, chaud, comblé, secoué :
mon Dieu, mais cette place était celle de Mendel, de Jakob Mendel, Mendel-aux-livres…

 

Jakob Mendel, colporteur galicien, s’est établi au café où il reçoit ses clients ou ses appels téléphoniques. Il achète et vend des ouvrages d’occasion.

« Jakob Mendel j’avais trouvé une merveille de la pensée qui était unique en son genre, une encyclopédie en fait,
un catalogue universel ambulant.

…….
petit Juif de Galicie fripé, tout bardé de barbe et de surcroît bossu, ce Jakob Mendel était un titan de la mémoire.
Derrière ce front sale et crayeux envahi d’une mousse »

Tellement absorbé dans son monde des livres, il ne remarque pas l’entrée en guerre de l’Autriche. Sa correspondance avec des éditeurs français et anglais le fait remarquer de la censure de guerre. Le bouquiniste est-il un espion? Natif de Galicie, il est de nationalité russe, ennemi, donc. On l’emprisonne dans un camp de concentration….

Dans une indécision si embarrassante, les administrations se décident presque toujours à dresser un procès-
verbal. Un procès-verbal, cela peut toujours servir. Dans le cas contraire, cela ne fait de mal à personne, ce ne sera jamais qu’un formulaire absurde de plus parmi des millions qui aura été rempli.

 

60 pages renferment l’amour des livres, de la littérature, l’horreur et la bêtise de la guerre, la nostalgie de la Vienne d’avant 14…

Ses yeux, habitués des décennies durant aux caractères frêles et silencieux d’écrits semblables à des pattes d’insectes, avaient dû voir des choses terribles dans ce parcage humain tendu de fil barbelé, car ses paupières jetaient une ombre lourde sur les pupilles auparavant si vives et ironiques ; ils traînaient somnolents et cerclés de rouge, ses yeux qui avaient été si éveillés, derrière les lunettes

j’en ai déjà trop dit, à vous de le lire!

La Crypte des capucins – Joseph Roth

FEUILLES ALLEMANDES 

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La crypte des Capucins à Vienne  renferme les sépultures des Habsbourg  depuis 1633.

François-Ferdinand Trotta, le narrateur, parent du héros de la Marche de Radetzky, est un jeune viennois d’origine slovène. A la veille de la grande Guerre, étudiant en droit, il passe sa vie dans les cafés de Vienne en compagnie joyeuse de jeunes aristocrates plutôt décadents. Un cousin provincial, Joseph Branco,  paysan slovène dévoué à sa terre à la belle saison  et marchand de marrons ambulant l’hiver,  vient lui rendre visite. la simplicité et la cordialité de ce cousin le touche. Par son intermédiaire il fait connaissance avec Manès Reisiger, un cocher juif de Galicie. 

« La quintessence de l’Autriche, on ne la découvre pas au centre de l’empire, mais à la périphérie. »

« La substance autrichienne est sans cesse nourrie, refaite par les pays de la Couronne. »

La Déclaration de Guerre met fin à l’insouciance viennoise. Trotta décide de se marier à la veille de son départ pour la guerre et choisit de se faire affecter au même régiment que Branco et Manès Reisiger près de la frontière russe dont il préfère l’amitié à celle de ses relations viennoises. Les trois amis seront prisonniers en Sibérie…

A la fin de la Guerre, Trotta retourne à Vienne chez sa mère et sa femme. Sa mère est inchangée. Elizabeth,  sa femme s’est émancipée, elle mène une affaire d’Arts décoratifs (j’ai un  peu pensé au Bauhaus) avec son amante Hongroise. Trotta est associé à l’entreprise d’Elizabeth qui le ruine.  La maison aristocratique est transformée en une pension où s’installent les amis d’autrefois, tout aussi ruinés. Décadence.

Joseph Roth montre l’effondrement de l’Autriche mais il n’écrit pas un roman historique.  Les fusillades de février 1934 et l’assassinat de Dollfuss ne sont qu’à peine évoqués : enterrement du fils révolutionnaire de Manès Reisiger . En revanche, l’Anschluss met le point final au roman viennois.

J’ai beaucoup aimé ce roman cosmopolite comme la Vienne de l’Empire, qui nous conduit jusqu’en Sibérie. Richesse des personnages et finesse de l’analyse.