
En vacances !

carnets de voyage et notes de lectures de miriam
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LECTURES CARAÏBES
Après avoir terminé l’excellente biographie de Toussaint Louverture par Alain Foix, j’ai eu la curiosité de télécharger la pièce de Lamartine.
Depuis 1834 les hommes politiques qui croient que les gouvernements doivent avoir une âme, et qu’ils ne se
légitiment aux yeux de Dieu que par des actes de justice et de bienfaisance envers les peuples, s’étaient formés à
Paris en société pour l’émancipation des noirs ; j’y fus admis à mon retour d’Orient ;
Dans son intéressante préface, Lamartine s’enorgueillit d’avoir été le signataire du décret de l‘Abolition de l’Esclavage,
Trois jours après la révolution de Février, je signai la liberté des noirs, l’abolition de l’esclavage et la promesse d’indemnité aux colons.
Ma vie n’eût-elle eu que cette heure, je ne regretterais pas d’avoir vécu.
En revanche, il n’est pas spécialement fier du poème dramatique. Le manuscrit fut perdu, et retrouvé par son caviste au fond d’un panier. Selon Lamartine, le succès au Théâtre de La Porte Saint Martin où la pièce fut représentée est plutôt dû à la performance des acteurs qu’au texte lui-même.
Une étrange Marseillaise noire a attiré mon attention, version d’époque ou poème de Lamartine?
MARSEILLAISE NOIRE
. I. Enfants des noirs, proscrits du monde,
Pauvre chair changée en troupeau,
Qui de vous-mêmes, race immonde
Portez le deuil sur votre peau !
Relevez du sol votre tête,
Osez retrouver en tout lieu
Des femmes, des enfants, un Dieu : Le nom d’homme est votre conquête !REFRAIN.
Offrons à la
concorde, offrons les maux soufferts,[…]
Ouvrons (ouvrons) aux blancs amis nos bras libres de fers. II.Un cri, de l’Europe au tropique,
Dont deux mondes sont les échos,
A fait au nom de République
Là des hommes, là des héros
L’esclave enfin dans sa mémoire
Épelle un mot libérateur,
Le tyran devient rédempteur :
Enfants, Dieu seul a la victoire !
Offrons à la concorde, offrons les maux soufferts, Ouvrons (ouvrons)…
Malheureusement, la suite se gâte. Je m’ennuie des péripéties lyriques et familiales. Une fade Adrienne, jeune pupille parfaite, guide Toussaint déguisé en mendiant aveugle qui épie les fortifications de Leclerc. Les fils de Toussaint, élevés en métropole, sont amenés comme appâts pour fléchir Toussaint. Foix raconte cet épisode, historique, mais le drame familial s’étire en guimauve. Pas d’analyse politique, ni stratégique, point de bataille homérique. Du sentiment sucré.
De même, le meurtre de Moïse n’est en rien contextualisé. Brutus et César! De la tragédie, certes mais pas d’explications. Décevant.
Le livre se termine par les discours prononcés par A de Lamartine, à la Chambre des Députés le 23 avril 1835, le 25 mai 1836, à un banquet le 10 Février 1840, le 10 Mars 1842
EGYPTE/MASSE CRITIQUE DE BABELIO
C’est un très joli cahier de poèmes qui est arrivé de Marseille dans ma boîte aux lettres. Merci à Babélio et à l’éditeur Le port a jauni.
Cahier bilingue qui peut se lire de gauche à droite en français et de droite à gauche en arabe.
Deux promenades : sur la Corniche du Nil au Caire et sur celle d’Alexandrie. Des pauses dans les cafés : citronnade piquée de menthe, thé ou café turc. Goûts et saveurs de l’Egypte.
j’ai goûté avec le même plaisir les poèmes (en français) et les illustrations, palmiers échevelés, balcons et foules…
Un très joli moment de flânerie et de lecture, encore merci
LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE
Mon « Voyage en Italie » 2023, m’a entraînée beaucoup plus loin que je ne l’imaginais : en Erythrée avec Lucarelli et en Somalie avec Madre piccola. La colonisation italienne fait encore parler d’elle aujourd’hui, des décennies plus tard, surtout quand la guerre pousse encore jusqu’à ses rivages des réfugiés venant de la Corne de l’Afrique.
Madre piccola a été rédigé en italien. L’auteure, Ubah Cristina Ali Farah, est italo-somalienne comme Domenica, l’une des héroïnes du roman. L’histoire se déroule en partie à Rome, en partie à Mogadiscio mais aussi aux Pays Bas, aux Etats Unis, à Londres, même en Finlande où la diaspora somalienne a trouvé asile.
« Les voix de la diaspora ont lentement envahi mes sens, en chœur, s’entremêlant et se mélangeant de façon
parfois vertigineuse, mais stable. »[…]
« Madre piccola naît donc d’une urgence et, encore une fois, d’une interrogation : comment une femme ou un
homme peuvent-ils de nouveau s’enraciner, retrouver leur centre de gravité dans un monde où ils ont perdu tout repère ? »
C’est un roman à plusieurs voix : celle de Domenica de mère italienne et de père somali qui se fait appeler Ahado, de son nom somalien et qui recherche son identité à la veille de donner naissance à son enfant. Barni, sa cousine, sage-femme, retrouve Domenica après une longue séparation. Taguere est le père de l’enfant, éloigné il raconte sa version de l’histoire en un monologue assez incohérent.
C’est le roman des exilés après une cruelle et interminable guerre civile que je ne suis pas arrivée à situer dans le temps. Selon Wikipedia les troubles auraient commencé en 1978 et la guerre civile aurait éclaté en 1991. C’est à cette dernière date que les principaux protagonistes de l’histoire se sont exilés. C’est aussi le roman de la solidarité qui permet aux réfugiés de chaque fois trouver une solution à une situation inextricable.
« J’avais pris la solidarité pour un fait culturel qui nous était propre. Mais quelle culture refuse la solidarité ? »
Offrir un toit, garder un enfant, prêter son passeport. Partager des fêtes…
Fraternité ou plutôt sororité, c’est souvent le point de vue des femmes qui est envisagé dans une civilisation patriarcale :
« Un chapitre pénible. Il est tellement difficile pour les hommes de chez nous de trouver leur place. De se
redéfinir. De s’adapter. De s’accepter. De s’humilier. Parce que vous voyez, nous les femmes, au fond, on a des points de repère immuables : la maison, le quotidien, la maternité, l’intimité des relations humaines, c’est ça qui nous empêche de sombrer. »
Roman d’amour aussi, et de filiations avec des liens si distendus qu’ils paraissent irréels.
J’ai été happée par ce livre, agacée parfois par les incohérences des comportements masculins, bluffée par le courage des femmes.
CISTERCIEN
« Un chantier est plus long qu’une guerre, moins exaltant, où les batailles sont les dangereuses corvées de tous les jours. Mais la victoire est certaine. Victoire du bouquet de la Vierge accroché là-haut, au bout du clocher, à la croix du forgeron »
Le journal de bord du Maître d’œuvre du chantier du monastère du Thoronet commence le 5 mars 1161 et s’achève en décembre.
A son arrivée, le défrichement de la forêt est commencé mais seulement un dortoir-atelier couvert de feuillage abrite quelques convers. La construction ne commence pas tout de suite. Avant, il faut réunir des compagnons, carriers, forgeron, menuisier, établir la Règle de vie (on est dans un monastère).
« Après une visite approfondie du Thoronet, j’ai ordonné des aménagements dans les horaires, la discipline et créé une organisation. Ici, la vie sera dure. À l’obéissance à la Règle s’ajoutera le travail harassant de construire. »
L’auteur nous présente Paul, le carrier, Anthime forgeron, Joseph potier…ce ne sont pas des anonymes mais des personnalités attachantes. les animaux ne sont pas oubliés : les mules fournissent un dur labeur et paieront leur tribu.
Bien que le Maître d’œuvre soit loin d’être un novice, qu’il ait déjà construit nombreux monastères cisterciens, il arrive sans plan préconçu et laissera une longue période à son inspiration. Il veut d’abord s’adapter à la topographie mais aussi à la géologie du site. Un débat intéressant s’instaure entre les carriers, tailleurs de pierre pour l’aspect des blocs.
« Nous, moines cisterciens, ne sommes-nous pas comme ces pierres ? Arrachés au siècle, burinés et ciselés par la
Règle, nos faces éclairées par la foi, marquées par nos luttes contre le démon ?… Entrez dans la pierre, et soyez
vous-mêmes comme des pierres vivantes pour composer un édifice de saints prêtres. »
Le chantier exigera son lot de sacrifices : accidents du travail, dirait-on aujourd’hui. Les récits de l’agonie de Philippe, de Thomas de la mule Poulide seront tragiques. C’est le récit d’un chantier, mais surtout d’une aventure humaine. Le Maître d’œuvre ne sera pas épargné à la tâche.
Puis vient l’enthousiasme de la construction, les formes qui s’ébauchent puis se complètent :
Mes frères, ce clocher est d’inspiration spontanée. Si la plupart des éléments composants ont suscité de
nombreuses hésitations, le clocher, lui, s’est imposé comme une vision. Sachez mes frères qu’il figure le
manteau de la Vierge qui veille sur le monastère. Certes non, il n’est pas pour moi une statue incomplète ; il est
l’expression, la forme générale de ce manteau rigide, tant le tissu est lourd, brodé et couvert de pierreries. À son emplacement, il couvre l’abside, domine le transept. La chape sacrée enveloppera, dans le prolongement imaginaire de ses plis, vos stalles de moines. Forme abstraite, bien sûr, mais pour nous, maître d’œuvre, il est certain que nous mélangeons intimement poésie et réalité, plastique et préfiguration.
cherchant au paradis ses frères cisterciens : n’en trouvant aucun, il se jeta aux pieds de la Vierge en larmes. La Dame du ciel se pencha vers lui, l’aida à se relever, entrouvrit son manteau, et lui montra tous les cisterciens entourant l’abbé Bernard. Cette légende sacrée m’a inspiré le clocher de notre abbaye. »
Un beau voyage au Moyen Age initié par un successeur des bâtisseurs des cathédrales et des monastère!
Lire ici le très bel article de Dominiqueivredelivres :
CARAÏBES/SAINT DOMINGUE
Toussaint Louverture est la figure majeure de l’Histoire des Antilles, impossible de faire l’impasse sur cette biographie. De nombreux auteurs se sont penché sur ce personnage. J’aurais aimé lire la Biographie écrite par Césaire, Schoelcher ou le poème de Lamartine .
Parmi les nombreuses biographies disponibles, j’ai téléchargé celle d’Alain Foix, facilement disponible sur liseuse, courte (336 p ) et très accessible.
L’auteur a choisi de commencer au Fort de Joux où Napoléon l’a fait incarcérer et où il finit sa vie.
« Nous étions le 23 août de l’an 1802. Le fils d’un général venait à peine d’y naître. Il serait écrivain, un des plus
grands du siècle. Il s’appelait Victor Hugo. Bug Jargal, le héros de son premier roman, passait à ce moment
précis en bas de son berceau. Prisonnier de Napoléon, il arrivait sous haute escorte à sa dernière demeure…. »
Occasion d’évoquer Victor Hugo mais aussi de faire un parallèle entre les destins de Toussaint Louverture et celui de Napoléon terminant aussi sa vie emprisonné à Sainte Hélène.
L’auteur s’attarde peu sur la vie intime de son héros, né esclave. Remarqué par son géreur et propriétaire, Baillon de Libertat, l’adolescent malingre surnommé « Fatras-Bâton » fut libéré du travail de la terre pour devenir un « nègre à talent », devint cocher ce qui lui permit de voyager. Un jésuite lui enseigna le catéchisme et lui apprit à lire dans le livre de l’Abbé Raynal, ami de Diderot.
« ayant été affranchi à l’âge de trente-trois ans. Lorsqu’on connaît le prix exorbitant que coûtait
à l’époque l’acte d’affranchissement, cela permet de mesurer la valeur, notamment affective, que lui accordaient ses maîtres. »[…]
« Ainsi, grâce à Baillon, aux premiers pas de cette « route de l’honneur » dont il parle, en ce Bois-Caïman, il était libre parmi ses frères esclaves. Bien plus, il était un colon, un Noir qui possédait des esclaves. »
Au soir de Bois-Caïman (14 Aout 1791) Toussaint Louverture rallie les esclaves marrons en quête de leur liberté. Il a alors 52 ans. Alors qu’en métropole, les Droits de l’Homme avaient été proclamés dès 1789, les échos parvenaient aux Antilles dans une certaine confusion. Alain Foix restitue le contexte particulièrement compliqué à Saint Domingue. L’île était partagée entre l’Espagne et la France. Depuis des décennies les esclaves marrons entretenaient des révoltes : histoire terrible de Mackendal qui dispensait la liberté par le poison (exécuté en 1758), puis Bookman prêtre vaudou qui a prononcé le serment de Bois-Caïman, d’autres marrons avaient pris les armes: Jeannot, Jean François et Biassou. Si Toussaint Louverture rejoint les marrons, son combat est celui de la « Liberté Générale »
« Préfiguration lointaine des humains de demain. Il était déjà libre, un affranchi. Ce n’était pas de cette liberté traquée des marrons qu’il voulait, non plus de la liberté des affranchis, liberté octroyée qui vous laisse votre vie durant débiteur de celui qui vous l’a achetée. »
A côté des Noirs et des marrons, armée de brigands. Les Mulâtres avec Rigaud, Pétion, Pinchinat jouaient sur un autre tableau et réclament leurs droits à la l’Assemblée Nationale. Les colons Blancs se sentant menacés forment une troisième force.
Ces trois forces s’opposent, s’allient, se réclament tantôt de la République, tantôt du roi. Toussaint Louverture va d’abord louvoyer et se livre au roi d’Espagne, où il gagne du galon.
« Ne voyait-il pas ces hommes noirs, redoutables guerriers faisant honneur au dieu de la guerre, semer la terreur dans Saint-Domingue en arborant un drapeau à fleurs de lys et criant « Vive le roi » ?
[…]
Non, décidément, l’ennemi n’était pas le roi mais bien la république qui n’était faite à leurs yeux que pour
soutenir les petits Blancs racistes et renforcer leurs fers. Le décret du 15 mai 1791 ratifiait bien cela.
[…]
L’Espagne, Santo Domingo, voici l’alliée rêvée, voilà la solution. »
L’auteur analyse les forces en puissance et cite par le détail les différentes péripéties, compliquées par les luttes de factions à Paris, Girondins et Montagnards. Les envoyés de la Convention : Sonthonnax, Laveaux et Polverel :
« la mission de ce trio était de rétablir l’autorité de la France, inciter les esclaves à retourner dans les plantations et mettre enfin en application cette loi qui accorde aux gens libres de couleur la pleine citoyenneté. »
Sonthonnax et Laveaux reconnaissent le génie de Toussaint Louverture et négocient avec lui. Véritable Machiavel, il fait monter les enchères d’autant plus qu’un nouvel agent entre en jeu : l’Angleterre, maîtresse de la Jamaïque toute proche. Dans ce jeu d’échecs compliqué, chacun avance ses pions….
Quand, enfin, Toussaint Louverture rétablit la paix civile à Saint Domingue, il cherche à rétablir également la prospérité de l’île en encourageant l’agriculture. Cherchant à se concilier les planteurs blancs, il n’est pas compris des combattants noirs et son fils adoptif, lui-même fomente une révolte.
« L’économie de Saint-Domingue devenait florissante, mais le mécontentement grondait. Les paysans noirs se
sentaient floués. Ils auraient aimé une parcellisation des terres leur permettant de cultiver pour leur propre subsistance. Ils rêvaient d’une forme d’autarcie, et il est vrai que le climat et la terre très fertile de Saint-
Domingue étaient propices à la diversification des cultures, à une agriculture de subsistance. »
Mais c’est Napoléon qui va mettre fin à l’aventure :
« En cet hiver 1802, l’espoir était en berne. La pensée des Lumières avait baissé son pavillon d’humanité. L’Aigle
impérial tenait toute la philosophie entre ses serres acérées. Toussaint Louverture se mourait dans sa prison
glacée de solitude. Une solitude existentielle. Celle d’une pensée clairvoyante »
L’expédition militaire de Leclerc ayant échoué avec l’aide de la fièvre jaune qui a décimé les troupes après les durs combats, la route était libre pour l’indépendance de Haïti
« le 4 juillet 1804, le nom d’Haïti comme le cri d’un aigle en haut des cimes, allait naître sous les sabots de Dessalines, lieutenant de Toussaint Louverture »
Livre d’histoire très détaillé et passionnant. L’auteur a aussi su animer la personnalité hors du commun de Toussaint Louverture, homme des Lumières, d’une intelligence peu commune, de goûts simples, affectueux….
LITTERATURE CARAÏBES
« Voilà quatre siècles que nos ancêtres esclaves ont été déportés d’Afrique aux Antilles. Le quatrième siècle est, pour moi, le siècle de la prise de conscience. » EG
Ce roman retrace l’histoire enchevêtrée de deux lignées : les Longoué et les Beluse que raconte papa Longoué, le quimboiseur, au jeune Mathieu Béluse.
« Cet homme qui n’avait plus de souche, ayant roulé dans l’unique vague déferlante du voyage (gardant assez de force pour s’opposer à l’autre et pour imposer, dans la pourriture de l’entrepont, sa force et son pouvoir à la troupe de squelettes ravagés par la maladie et la faim… »
L’histoire commence avec l’arrivée du navire négrier, la Rose-Marie, en juillet 1788. Deux propriétaires attendent la cargaison : le chevaleresque Laroche de l’habitation l’Acajou et Senglis, le contrefait. Deux hommes se battent sur le pont. Chaque propriétaire emportera son champion.
L’esclave acheté par Laroche s’enfuit dans les mornes, enlève une esclave et choisit le marronnage, celui de Senglis vivra dans la servitude, sa belle prestance lui vaudra le statut de reproducteur « le bel usage » d’où son nom de Béluse.
A travers les siècles, le destin des descendants de ces deux hommes se déroule entre les hauteurs et les bois, et les plantations de canne. Deux fils, Liberté et Anne se lient d’amitié, puis se querellent…
Après l’abolition de l’esclavage en 1848 de nouveaux liens se nouent entre les Longoué et les Béluse. Les marrons descendent des mornes, mais Stéfanise Béluse, une forte femme, décide de monter pour vivre avec Apostrophe Longoué.
L’histoire de la Martinique se lit en filigrane avec l’éruption de la Montagne Pelée, la Grande Guerre qui mobilise les fils qui ne rentreront pas tous. j’ai al surprise de lire que finalement le quotidien de ces descendants d’esclave ne change pas tellement : la terre appartient toujours aux mêmes propriétaires, la subsistance est toujours aussi difficile à assurer ; les cyclones ravagent les cases et les jardins. Les quimboiseurs se transmettent le savoir ancestral de guérisseurs. Ce roman est aussi une histoire de transmission de ce savoir de papa Longoué au jeune Mathieu.
« Le passé. Qu’est-ce que le passé sinon la connaissance qui te roidit dans la terre et te pousse en foule dans demain? Quinze jours auparavant, les femmes des campagnes étaient descendues sur la ville, la police avait arrêté un coupeur de cannes, responsable d’un « mouvement de sédition », il était avéré que ce dirigeant syndicaliste s’était cassé un bras en tombant dans al pièce où on l’interrogeait, la gendarmerie avait tiré sur la foule, morts et blessés avaient suri au soleil avant qu’on n’ait pu les relever. Cela, ce n’était pas le passé, mais le mécanisme hérité du passé, qui, à force de monotone répétition, faisait du présent une branche agonisante… »
J’ai lu avec beaucoup de plaisir cette histoire contée avec poésie. J’ai senti le souffle du vent, l’exubérance de la végétation, senti la chaleur du soleil et même humé des fragrances agréables ou très pénibles.
Je ne veux pas terminer sans citer la préface de Christiane Taubira. Quel style, une claque!
LIRE POUR L’ITALIE
Les romans historiques de Camilleri sont des lectures jubilatoires. Même si je lis régulièrement et avec grand plaisir ses polars avec Montalbano je garde un souvenir inoubliables des rigolades du Roi Zozimo, qui m’a fait découvrir l’auteur et de tous ceux qui m’ont fait rire ou sourire.
Sous couvert d’un roman épistolaire, échange de courriers administratifs , (avec entête du Ministère, de l’Ecole des mines, du commissariat…., numéro de référence, formules consacrées « Au nom du Duce! » « Salutations fascistes, A NOI.. ») c’est une farce qui se déroule.
« Je me présente : Porrino au rapport. – Qualité ? Motifs de votre venue ? On se dépêche. L’homme qui emploie
dix mots quand cinq suffisent n’a rien compris à l’esprit dynamique du fascisme. »[…]
« On ne vous demande pas de comprendre, Porrino ! Tout ce qu’on vous demande, c’est de croire et d’obéir !
Ainsi que de combattre le moment venu ! »
Comme dans nombreux livres de Camilleri, l’action se déroule à Vigatà cité inventée par l’auteur qui a fini par devenir le second nom de Porto Empedocle. Le roman débute à la veille de la rentrée de septembre 1929 pour se terminer en janvier 1930., donc avant l’invasion mussolinienne de l’Abyssinie. Pour favoriser des négociations diplomatiques avec l’Ethiopie, les autorités fascistes exigent du Directeur de l’Ecole des Mines de Vigatà d’inscrire dans ses rangs un prince éthiopien Gfhané Solassié, neveu du Négus.
« Dans ce cas, vous tempérerez la rigoureuse discipline fasciste avec un peu de bon sens romain. Les Romains faisaient marcher leurs légions invincibles en utilisant le bâton et la carotte ! Une punition aujourd’hui, une récompense demain. Compris ? »
Les échanges de courrier montrent les compromissions et les bassesses de tous les intermédiaires qui sont forcés d’avaler toutes sortes de couleuvres, de financer le train de vie princier du jeune homme et surtout d’éviter tout incident diplomatique, sous peine de sanctions lourdes et même de relégation et d’exil.
Par conséquent, le bon sens exige que tous les communistes, socialistes, anarchistes et subversifs encore présents à Vigàta, bien que déjà fichés, soient l’objet d’une surveillance accrue de la part des forces de l’ordre et que,pour les cas d’insoumission caractérisée et incontrôlable, l’on prenne les mesures de coercition qui s’imposent, détention comprise.
Et justement, le prince va leur faire subit un véritable cauchemar avec ses caprices, ses exigences burlesques, et ses dépenses inconsidérées. De peur de spoiler, je vous laisse découvrir ces aventures burlesques et vous promet beaucoup d’amusement.
Camilleri s’est inspiré d’un fait historique : la présence à Caltanissetta du prince Brhané Silassié à l’Ecole des Mines de 1929 à 1932, qui mena grande vie et se couvrit de dettes. Evidemment le personnage de la farce est imaginaire.
« Ainsi je le répète : si les faits principaux, tels que la tentative d’impliquer le prince dans les visées
expansionnistes de Mussolini, ses aventures amoureuses et le pied de nez final, relèvent de la pure invention, le climat général est authentique – une véritable stupidité collective à mi-chemin entre la farce et la tragédie qui, hélas, marqua toute une époque. »
Publié en 2010, ce conte drolatique serait il en 2023 politiquement correct alors que la mode est de supprimer le nom « nègre » par des paraphrases, et que la cancel culture chasse tout black face? Il me semble que la critique de la bêtise mussolinienne et du racisme fasciste l’emporte sur ces détails. D’ailleurs la couverture, une marionnette, donne tout de suite le ton.
POLAR ITALIEN/ROMAN EPISTOLAIRE
Un très mince Pocket de 156 pages réunit les détectives de ces deux auteurs connus. Plaisir de les retrouver, surtout Salvo Montalbano qui n’aura plus de nouvelle enquête (mais la production de Camilleri est abondante et je suis loin d’avoir épuisé le sujet).
L’éditeur, Daniele di Gennaro, à l’occasion du tournage d’un documentaire réunissant les deux auteurs suggère :
« Comment se comporteraient vos personnages, Salvo Montalbano et Grazia Negro, avec un cadavre sur les bras? Comment agiraient-ils ensemble? «
et qualifie les échanges de Jam-session littéraire !
Cinq ans plus tard, un roman épistolaire concrétise cet essai!
Et c’est réussi! Cela ne restera pas dans les annales comme un chef d’œuvre, plutôt comme un clin d’oeil amusant pour les lecteurs fidèles.
LE MOIS ITALIEN
“Nous y sommes allés sans préparation, mal commandés et indécis et, ce qui est pire, sans le sou. En nous fiant à la chance, à l’art de s’arranger et à notre bonne mine. Nous l’avons fait pour donner un désert aux plèbes déshéritées du Midi, un débouché au mal d’Afrique des rêveurs, pour la mégalomanie d’un roi et parce que le président du Conseil doit faire oublier les scandales bancaires et l’agitation de la rue. Mais pourquoi est-ce que nous faisons toujours ainsi, nous autres, Italiens ?”
Comme Le Temps des Hyènes, La Huitième Vibration, raconte la colonisation italienne de l’Erythrée et la guerre contre l’Ethiopie en 1896 qui a abouti à la défaite d’Adoua le 1er mars 1896. L’action se déroule dans la ville portuaire de Massoua, sur la rive africaine de la Mer Rouge.
Les personnages sont pour la plupart des Italiens militaires. Les officiers ont choisi (pas toujours) le service en Afrique, et pas toujours pour de bonnes raisons. Les soldats ne comprennent pas tous ce qu’ils viennent faire. Ils proviennent de différentes régions d’une Italie qui n’a été unifiée que depuis une trentaine d’années et qui ne se comprennent pas tous. L’auteur s’applique à jouer avec les différents dialectes, accents si différents que le berger des Abruzzes ne comprend pas ses chefs, et ne s’en fait même pas comprendre, que le carabinier sarde né à Bergame, mélange les deux prononciations, Siciliens et Vénitiens sont aussi très différents… le traducteur s’amuse à différentier les différents parlers : c’est Quadruppani rompu à l’exercice quand il traduit Camilleri. Mon niveau en Italien ne me permettrait pas d’apprécier les nuances.
Différentes origines sociales se croisent, se toisent. Il y a même un anarchiste pacifiste, réussira t il à ne pas tirer? Le journaliste cherche un scoop. Un carabinier cherche un meurtrier d’enfant, anonyme, il poursuit le suspect. Roman policier. Roman d’amour.
Les Africains, tigréens, éthiopiens, arabes vivent à la marge de la colonie. Les femmes sont le plus souvent des prostituées. Askaris, zaptiés, supplétifs de l’armée italienne. Espions de Ménélik aussi….
« Vous le savez comment on l’appelle, Otumlo ? – Non. – Minableville, on l’appelle. – Bon, d’accord. Et qu’est-
ce qu’il vend, le Grec ? – Les personnes. Il vend des sharmutte… des putains, des gamins, des ouvriers agricoles… autrefois aussi des esclaves, quand il y avait les Égyptiens. Maryam a dit à mon espionne que l’autre
soir un soldat italien est venu pour acheter un enfant. »
Il fait très chaud à Massoua. L’action s’englue. L’histoire se traîne (c’est voulu) dans une atmosphère de corruption. Elles ne sont pas jolies, les colonies.
Quand les troupes partent en guerre des fiers-à-bras, des lâches, des idiots se révèlent
“Non, ce n’est pas du patriotisme, non, par Dieu, d’envoyer de nouveaux soldats au massacre… ni de garder là-bas ceux qui y ont été envoyés, parce que vos erreurs, ce sont vos fils qui les paient… mais vous ne comprenez pas, oh, bande de crétins, que les patriotes, ce sont les Abyssins ?” Et il aurait même ajouté : Ribellione, d’Ulysse Barbieri, un grand auteur, mais le sergent s’était immobilisé d’un coup. »
Et le désastre est inéluctable.
Après Le Temps des Hyènes , l’effet de surprise ne joue plus. J’avais été bluffée par ce dernier livre. Je retrouve la même histoire ; policier, historique, africain.
Une bonne lecture!