LIRE POUR LA GUADELOUPE
Pour accompagner le voyage à la Guadeloupe, j’ai choisi La Mulâtresse Solitude – figure emblématique de la lutte contre l’esclavage – évoquée dans ce roman historique.
Née vers 1772 – pendue le 19 novembre 1802.
Son histoire commence de l’autre côté de l’Atlantique avec celle de sa mère Bayangumay, en Casamance..
« La grande ville des bords du fleuve, lieu d’ombre et de luxe, de tranquillité, portait encore le nom de Sigi qui
signifie : Assieds-toi. Mais depuis qu’on y embarquait les esclaves, elle n’était plus connue que sous le nom de
Sigi-Thyor : Assieds-toi et pleure. Et désormais, de proche en proche, des terres connues aux plus lointaines, qui vont au-delà du pays des Balantes, les peuples qui craignaient de devenir gibier se faisaient chasseurs, oubliant qu’une seule et même plaie s’ouvrait à leur flanc. »[…]
Et les Anciens comparaient le corps nouveau de l’Afrique à un poulpe cloué sur la grève, et qui perd goutte à goutte de sa substance, cependant que les tentacules s’étreignent et se pressent les uns les autres, et se déchirent sans pitié, comme pour se demander mutuellement raison du pieu qui les traverse de part en part. »
Fille d’une esclave africaine Bayangumay, violée sur le bateau négrier par un marin blanc,
« cette étrange coutume, la Pariade, qui avait lieu un mois avant l’arrivée au port, jetant soudain les matelots ivres sur les ventres noirs lavés à grandes giclées d’eau de mer. Les enfants de Pariade avaient souvent les traits qui se contrariaient, filaient dans tous les sens, les sourcils hésitants, les yeux entre deux mondes. »
Rosalie, qui se nommera plus tard Solitude est une métisse aux yeux vairons qui lui valent aussi le surnom « deux âmes« . Petite fille, elle est offerte à la fille du maître de l‘Habitation du Parc, à Capesterre . Son sort est plutôt enviable tandis que sa mère s’enfuit malgré le sort amer qu’on inflige aux esclaves marrons
« M. Mortier assurait avoir vu des nègres marrons traités aux fourmis, traités par le sac, le tonneau, la poudre au
cul, la cire, le boucanage, le lard fondu, les chiens, le garrot, l’échelle, le hamac, la brimbale, la boise, la chaux vive, les lattes, l’enterrement, le crucifiement ; et toujours parfaitement en vain ou du moins sans résultat
appréciable : le même sourire sur leurs lèvres maudites, la même façon lointaine de vous insulter, comme si vous n’existiez pas vraiment, à leurs yeux… »
Le livre raconte la vie dans les plantations à sucre. Vie des esclaves agricoles et de ceux qui servent dans la maison. Au delà de la biographie, c’est très intéressant. Rosalie qui va prendre le nom de Solitude perd peu à peu la raison
« Selon une tradition orale, encore vivace à la Côte-sous-le-Vent, du côté des pitons de Deshaies, c’est vers l’âge
de onze ans que la petite fille de Bayangumay tourna en zombi-cornes. En ce temps-là, disent les vieux conteurs
créoles,[…]
Il y avait alors une grande variété d’Ombres dans les îles à sucre : nègres morts animés par magie, nègres vivants qui avaient chu dans un corps de bête, et d’autres, d’autres encore, dont l’âme était partie on ne savait où. Ces derniers portaient habituellement le nom de zombi-cornes.[…]
les zombi-cornes étaient tout simplement des personnes que leur âme avait abandonnées ; ils demeuraient vivants, mais l’âme n’y était plus.
Et puis, survient la Révolution, tout d’abord la Révolution libératrice et c’est un des aspects les plus intéressants du livre.
« Le 7 mai 1795, les troupes de la Convention débarquaient en Grande-Terre de Guadeloupe où elles répandaient le décret d’abolition de l’esclavage ; et le 12 mai suivant, grossies par les esclaves rencontrés en chemin, elles faisaient leur entrée dans les faubourgs de la Pointe-à-Pitre.
[…]
Au dernier instant il s’arrêta devant Solitude et murmura, d’une voix infiniment navrée : Et toi, pauvre zombi qui te délivrera de tes chaînes ? La jeune femme répondit en souriant : Quelles chaînes, Seigneur ? »
Libération des esclaves, mais aussi guillotine,
La guillotine avait quitté la Pointe-à-Pitre, elle hantait maintenant les deux ailes de l’île, escaladait les mornes
les plus raides, les plus abandonnés, à la recherche de citoyens qui ne comprenaient pas leurs nouveaux devoirs. Nombre d’entre eux, fuyant la liberté, l’égalité et la fraternité, gagnaient l’obscurité profonde des bois,
En 1802, l’esclavage est rétabli, les derniers combats opposent les marrons retranchés dans les forêts et les collines. Solitude s’est jointe à eux. Elle est une des héroïnes de leur lutte désespérée.

Solitude fut exécutée au lendemain de sa délivrance, le 29 novembre 1802.