VOYAGER POUR LIRE/LIRE POUR VOYAGER

Aux frontières de l’Europe m’a accompagnée pendant notre tour de Bulgarie, je l’avais choisi parce que nous partions aux confins de l’Europe (ou tout au moins de la Communauté européenne), continuant cette exploration de cette Europe de l’Est, commencée en Hongrie, Roumanie, et les pays baltes. Echo d’un voyage similaire ?
C’est un ouvrage à ranger, dans une bibliothèque idéale où les livres seraient classés par affinités entre Patrick Leigh Fermor et Primo Levi, non loin de Balkans-transfert de Maspero. Relation d’un voyage de 6000km de la Laponie à Odessa sur la « fermeture éclair »de l’Europe, la nouvelle frontière, frontière de l’espace Schengen…
Paolo Rumiz est de Trieste.L’histoire de Trieste est aussi une histoire de frontières, limite entre l’empire austro-hongrois où il note que sa grand-mère avant 1918, sans passeport se rendait en train jusque dans les Carpates : une journée de train, de Trieste à la Transylvanie. Trieste à la limite de la Slovénie, maintenant membre de l’Union Européenne, mais dans un temps pas si lointain, Yougoslave, derrière le « rideau de fer ». C’est d’ailleurs au cours du démantèlement de ce poste frontière que le voyage « Aux frontières de l’Europe » s’est décidé.
Plus que paysages ou de monuments, Rumiz note ses rencontres : « Ce voyage à l’est a été un bain d’humanité. Cette fois, plus que jamais, ce voyage ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais les personnes que j’ai rencontrées. C’est même un peu comme s’il s’était fait tout seul. Peut-être a-t-il fonctionné parce que je suis parti sans savoir grand-chose, peut-être les voyages qui réussissent le mieux sont-ils ceux qu’on n’a pas le temps de préparer. Ceux qu’on affronte sans aucun fatras livresque… » Là, je ne suis pas d’accord ! Rumiz était plus que prêt à ses rencontres, d’abord avec une connaissance de la langue russe, lingua franca dans cette région, et toute cette culture slave qui lui a permis de trouver une langue commune avec tous ces inconnus.
Voyage de rencontres, voyage de mémoire, de ces empires démantelés : « partout je trouvais les épaves des frontières mouvantes d’anciens empires – russe, allemand, turc et austro-hongrois abandonnées là comme des blocs erratiques des Préalpes…. »
Voyage de recherche des absents aussi, des soldats triestins ayant combattu entre 1914 et 1917 dans l’armée autrichienne, de ceux qui sont allés sur le front de l’est derrière les armées nazies, de ceux qui sont rentrés des camps….Et cette grande absence qui plane encore avec des images de Chagall, de la Lituanie, la Galice, l’Ukraine, de Vilna à Minsk, de la communauté juive…
Rumiz raconte les frontières actuelles ou perdues. Dans l’arrière pays, il ne s’attarde pas. Nous ne saurons rien de son passage à Saint-Pétersbourg, peu sur Vilna, en Lettonie il rencontre des Russes et ne pousse pas jusqu’à Riga. En revanche il est fasciné par Kaliningrad, l’enclave russe dans l’Europe de Schengen. Pour les visites de Grodno, il n’y aura qu’un service à la Synagogue chorale et au cimetière juif, un regard vers les églises des Polonais catholiques et orthodoxe. Rumiz ne fait pas de tourisme !
Il n’est pas insensible aux paysages, ses pages sur le Grand Nord sont très dépaysantes. Sensible à la compagnie de l’eau : « L’Occident n’a pas perdu que le temps qui lui coule entre les doigts, mais aussi la compagnie rassurante de l’eau. Elle ne murmure plus, ne tonne plus, ne berce plus. La « tubocratie » l’a vaincue sur toute la ligne. Alors qu’ici le chant du premier élément me suit et m’invite ; le Boug, La Vistule, la Bérésina, le Dniestr…. »
Voyage finalement si différent de ceux que nous faisons, recherchant une Europe commune à tous, sans frontières, avec la carte d’identité pour tout passeport !