Aux Frontières de l’Europe – Paolo Rumiz

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Niémen

Aux frontières de l’Europe m’a accompagnée pendant notre tour de Bulgarie, je l’avais choisi parce que nous partions aux confins de l’Europe (ou tout au moins de la Communauté européenne), continuant cette exploration de cette Europe de l’Est, commencée en Hongrie, Roumanie,  et les pays baltes. Echo d’un voyage similaire ?

C’est un ouvrage à ranger, dans une bibliothèque idéale où les livres seraient classés par affinités entre Patrick Leigh Fermor et Primo Levi, non loin de Balkans-transfert de Maspero. Relation d’un voyage de 6000km de la Laponie à Odessa sur la « fermeture éclair »de l’Europe, la nouvelle frontière, frontière de l’espace Schengen…

Paolo Rumiz est de Trieste.L’histoire de Trieste est aussi une histoire de frontières, limite entre l’empire austro-hongrois où il note que sa grand-mère avant 1918, sans passeport se rendait en train jusque dans les Carpates : une journée de train, de Trieste à la Transylvanie. Trieste à la limite de la Slovénie, maintenant membre de l’Union Européenne, mais dans un temps pas si lointain, Yougoslave, derrière le « rideau de fer ». C’est d’ailleurs au cours du démantèlement de ce poste frontière que le voyage « Aux frontières de l’Europe » s’est décidé.

Plus que paysages ou de monuments, Rumiz note ses rencontres : « Ce voyage à l’est a été un bain d’humanité. Cette fois, plus que jamais, ce voyage  ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais les personnes que j’ai rencontrées. C’est même un peu comme s’il s’était fait tout seul. Peut-être a-t-il fonctionné parce que je suis parti sans savoir grand-chose, peut-être les voyages qui réussissent le mieux sont-ils ceux qu’on n’a pas le temps de préparer. Ceux qu’on affronte sans aucun fatras livresque… » Là, je ne suis pas d’accord ! Rumiz était plus que prêt à ses rencontres, d’abord avec une connaissance de la langue russe, lingua franca dans cette région, et toute cette culture slave qui lui a permis de trouver une langue commune avec tous ces inconnus.

Voyage de rencontres, voyage de mémoire, de ces empires démantelés : « partout je trouvais les épaves des frontières mouvantes d’anciens empires – russe, allemand, turc et austro-hongrois abandonnées là comme des blocs erratiques des Préalpes…. »

Voyage de recherche des absents aussi, des soldats triestins ayant combattu entre 1914 et 1917 dans l’armée autrichienne, de ceux qui sont allés sur le front de l’est derrière les armées nazies, de ceux qui sont rentrés des camps….Et cette grande absence qui plane encore avec des images de Chagall, de la Lituanie, la Galice, l’Ukraine, de Vilna à Minsk, de la communauté juive…

Rumiz raconte les frontières actuelles ou perdues. Dans  l’arrière pays, il ne s’attarde pas. Nous ne saurons rien de son passage à  Saint-Pétersbourg, peu sur Vilna, en Lettonie il rencontre des Russes et ne pousse pas jusqu’à Riga. En revanche il est fasciné par Kaliningrad, l’enclave russe dans l’Europe de Schengen. Pour les visites de Grodno, il n’y aura qu’un service à la Synagogue chorale et au cimetière juif, un regard vers les églises des Polonais catholiques et orthodoxe. Rumiz ne fait pas de tourisme !

Il n’est pas insensible aux paysages, ses pages sur le Grand Nord sont très dépaysantes. Sensible à la compagnie de l’eau : « L’Occident n’a pas perdu que le temps qui lui coule entre les doigts, mais aussi la compagnie rassurante de l’eau. Elle ne murmure plus, ne tonne plus, ne berce plus. La « tubocratie » l’a vaincue sur toute la ligne. Alors qu’ici le chant du premier élément me suit et m’invite ; le Boug, La Vistule, la Bérésina, le Dniestr…. »

Voyage finalement si différent de ceux que nous faisons, recherchant une Europe commune à tous, sans frontières, avec la carte d’identité pour tout passeport !

 

 

 

 

 

Les Vaches de Staline – Sofi Oksannen

De retour des Pays Baltes, ayant dévoré Purge du même auteur, je me suis précipitée pour emprunter Les Vaches de Staline.

L’ histoire de Katariina, la mère, ingénieure estonienne, en 1971 se marie à un Finlandais, et part en Finlande, alterne avec l’histoire d’Anna sa fille, née en Finlande vingt ans plus tard. Le récit des parents de Katariina, des années des déportations en Sibérie, et des Frères de la Forêt à la fin de la Seconde Guerre Mondiale explique pourquoi Katariina était si désireuse de quitter l’Estonie.

Ce roman raconte la vie en Estonie de 1945 à 1995, les privations, les combines et la corruption, les femmes prêtes à tout pour un collant. Le « monde d’Anna » est celui d’une petite fille partagée entre la Finlande et l’Estonie soviétique, qui ne doit avouer à personne en Finlande que sa mère est Estonienne.

L’obsession d’Anna « son seigneur » c’est la boulimie. Boulimie et anorexie, véritable addiction, de la jeunes fille au corps parfait, étudiante modèle on assiste à une véritable déchéance physique, ostéoporose précoce, renoncements. Autant qu’un récit sur l’Estonie soviétique c’est celui de cette addiction.

j’ai préféré Purge, véritable thriller très bien conduit.

 

Bohini, un manoir en Lituanie – Tadeusz Konwicki

LIRE POUR LA LITUANIE

Au hasard de mes recherches, sur Amazon, j’ai trouvé ce titre : Bohini, un manoir en Lituanie. Surprise : « traduit du polonais ». J’avais oublié l’histoire commune de la Lituanie et de la Pologne. Vilnius- Wilno-Vilna fut polonaise jusqu’au pacte germano-soviétique et avant, russe. J’ai cherché sur ma carte routière et sur Internet, Bohini, le village de Bujwidze, les rivières, je n’ai identifié que Niemenczyn, à 25 km de Vilnius, peuplée majoritairement de Polonais selon Wikipedia et proche de la frontière Biélorusse.

L’histoire se déroule une dizaine d’années après l’insurrection polonaise de 1863, dans la forêt lituanienne. Dans la chaleur de l’été finissant, l’atmosphère est étouffante et électrique comme à l’approche de l’orage. Hommes et bêtes attendent l’orage qui délivrera de la sensation d’étouffement. Il semble aussi que, comme les nuages d’orage, s’accumulent les prémisses d’une catastrophe.

La métaphore météorologique concerne peut être aussi la situation politique. On sent des menaces : un génie malfaisant(?) Schickelgruber , plus réel, l’ispravnik, autorité russe recherche les insurgés ou terroristes s’opposant au pouvoir du tsar, il va jusqu’à bouleverser les ruches du curé, le voisin Korsakov, est-il russe ou Polonais comme il le prétend? Le  manoir et les villages vivent encore dans le souvenir de l’insurrection et même dans celui du passage des armées napoléoniennes qui ont laissé des tombes dans la forêt.

L’histoire de la liaison impossible entre la châtelaine polonais et le « petit juif de Bujwidze » qui fut l’ancêtre caché de l’auteur, est la trame de l’histoire. Helena ne se résout pas au mariage de raison avec un châtelain voisin dont la cour empressée est plus de convenance que de passion. Elle repousse sans cesse l’idée de se lier.

Les personnages  sont presque tous étranges et mystérieux. le cocher Constantin prétend être âgé de 182 ans. Michel, le père d’Héléna ne sort de son mutisme que pour de déchirantes prières. Le curé, le père Siemaszko, qui paraît débonnaire, préférant ses abeilles à son bréviaire, cache aussi ses secrets biélorusses. Pourquoi la mère d’Héléna est elle enterrée dans la forêt comme les soldats de Napoléon? Pourquoi ont-ils été privés de leur manoir au profit du Russe Korsakov?

Et surtout qui est réellement Elie Chyra, le juif de Bujwidze? Un illettré qui veut apprendre à lire, un révolutionnaire, un poète, un vagabond qui a parcouru la terre de Sibérie en Australie? Des autres Juifs de Bujwidze, on ne rencontrera au hasard du roman que l’épicier du Goldapfel, ils ne se mêlaient sans doute pas aux Polonais? Voire, pourquoi alors Helena, très catholique, adopte-t-elle le calendrier de l‘année juive, attendant comme l’orage les jours du Jugement précedant Kippour?

La forêt joue un grand rôle dans ce roman. Helena va s’y ressourcer, se baigne dans la rivière. Comment n’a-t-elle pas peur? Pourquoi aurait-elle peur? elle s’y sent chez elle. La biche Malwina apparait comme la seule innocente de toute cette histoire. Aurores boréales et mirages dans la brume contribuent à cette ambiance mystérieuse.

 

 

Yossik – Joseph Bulov

LIRE POUR VILNA

Le titre complet: YOSSIK – UNE ENFANCE DANS LE QUARTIER DU VIEUX MARCHE DE VILNA -LITUANIE (1904-1920)

Quand j’ai ouvert ce livre je me suis demandée si c’était une bonne idée de le lire juste après La Promesse de L’Aube de Romain Gary, né lui aussi à Vilnius en 1914 et après le Tribunal de mon père de Bashevis, se déroulant à Varsovie mais exactement à la même époque. Ces deux chefs d’œuvres ne lui porteraient il pas ombrage?

Yossik, bien que contemporain des deux autres petits garçons juifs, ne leur ressemble pas. Sur le Vieux-Marché, c’est une fripouille, un aventurier,  un charlatan, pire un lampeduseur! Inventant toutes sortes de commerces allant de la vente de galettes de boue au prêt de boutons, il préfère la société de cosaques et tatars à la fréquentation du heder . Le petit rebbe et la rebbetsin ne le retiendront quelques temps que parce qu’il rêve de redonner vie au golem d’argile de la vieille synagogue. Mais le violon, la gloire de Paganini1er puis de Paganini II, son ancien associé Bertchik, lui donne une nouvelle ambition, il sera Paganini III, même sans violon, il jouera le Perpetuum mobile, ira à Saint Petersbourg, sera célèbre…..

Yehudi Menuhin

Cependant le monde pittoresque du vieux marché n’a pas toujours la vie facile.

« Une semaine plus tôt, une shikse, dont le père était concierge rue de la Boucherie, était entrée dans un salon de coiffure. le barbier avait aiguisé sa lame, égorgé la jeune fille, et tiré son sang pour en faire quelques bouteilles de vin.

Comment pareille chose était-elle possible? aussi loin que pût m’entrainer mon imagination  créatrice je n’arrivais pas à me représenter une jeune fille portant barbe et venant se faire raser la barbe chez un barbier. En second lieu, d’où sortait ce salon de coiffure sur la place du Marché?

tous ces stupides racontars me semblaient contes à dormir debout, trop puérils même pour des enfants.

Malheureusement, cette fois les enfants avaient raison. Quelques jours plus tard, le pogrome éclatait dans toute sa fureur. »

–  » si Dieu a fait ce pogrome, Il n’est plus mon Dieu »

Ainsi Yossik prend congé du rebbe et de la rebbetsin.

La chance tourne,  le père de Yossik rentre d’Amérique « millionnaire ». La famille quitte le Vieux-Marché pour s’installer sur la très chic Prospective- Saint-Georges. L’enfant perd ses repères et malgré l’aisance familiale, il est rejeté du lycée pour cause de numérus clausus. Il tombe amoureux de Nioura qu’il baratine, se présentant comme Américain, puis comme violoniste et gagnera deux ennemis, lefrère de cette dernière et  son ami, deux lycéens arrogants. Dans ce quartier bourgeois, le pittoresque et le burlesque collent au lampéduseur

Revers de fortune, le père est malade, ruiné, la famille retourne dans le ghetto et le père à la religion. Description extraodinaire de la cour des synagogues,

« chaque kloyz avait au mur sa plaque gravée, et son antique liste de donateurs …avec des dates remontant jusqu’au quinzième siècle »….

Chaque oratoire portait le nom d’une merveilleuse figure légendaire…Ishalayele le Voyant, aveugle de naissance qui connaissait par cœur les soixante lourds volumes du Talmud…. »

Même Napoléon s’y était arrêté lors de sa marche sur Moscou.

 

Nouvelles aventures jusqu’à ce que la guerre de 14 n’éclate. Fin d’un monde prédit « le fils de Barve »

 » – qu’est il arrivé en Bessarabie ou Serbarabie, ou le diable sait comment on l’appelle?

…..

Pourquoi croyez vous à la fin du monde? demanda  Note. Est-il pensable que pour un prince assassiné, tout un monde puisse disparaître? »

Le prédiction du « fils de Barve » s’est réalisée. les Juifs furent mobilisés. Les Russes défaits… Arrivèrent les Allemands, puis les Polonais avec leur Aigle blanche, renversés par un comité révolutionnaire aux rubans rouges derrière un fameux Meir Schmulevitch. Les Polonais reprirent la ville et chassèrent tous les Méir Schmulevitch jusqu’à ce que des révolutionnaires,  bortcheviks n’organisent la révolution-transformation dans la joie d’abord et la sympathie des habitants du Vieux-Marché puis la crainte hiérarchie des patates, et le règne des cabans de cuir…

Ce livre correspond exactement à ce que je cherchais en passant sous la Porte de l’Aube, me dirigeant vers le Petit Ghetto de Vilnius. Le vieux Marché n’existe plus, à la place de la cour des synagogues, une place vide avec des flaques et un jardin d’enfant, une plaque, un buste du Gaon…Mais la rue des Verriers, je l’ai vue!

Ma crainte de « déjà-lu » quand j’ai ouvert le livre s’est avérée infondée. Trois petits juifs nés presque à la même époque, et presque dans le même contexte, trois personnalités si différentes. Trois histoires. Tellement est riche la diversité de l’humanité!

 

 

Un roman estonien – Katrina Kalda

LIRE POUR LES PAYS BALTES

campagne estonienne

Roman dans le roman, écriture alerte, ironique…l’ouvrage s’annonce bien! Le lecteur est égaré par une construction étonnante. Le narrateur est le personnage du feuilleton que l’écrivain écrit tout au long du livre. Mais on ne le comprend pas tout de suite. La curiosité  est aiguisée par cette habile symétrie. Double action, en 1996 où s’écrit l’action, et 1986, sujet du feuilleton.

Tallinn, Pärnu et la campagne estonienne. La décennie 1986/96 est intéressante : l’Estonie, encore soviétique redevient indépendante.Le feuilleton est censé raconter l’histoire d’un héros de cette Révolution Chantante. August l’auteur, est recommandé à un journal par Eerik, acteur de la Révolution qui a cru le reconnaître à une réception.

Malheureusement tout se gâte quand August rencontre Charlotte, la femme d’Eerik et en tombe amoureux. Symétriquement Théodor, le narrateur du roman estonien, et le personnage du feuilleton »Le Lycéen » , rencontre  Carlotta, femme d’un homme d’affaires, Helmut. Le roman vire au mauvais feuilleton, soap ou  série télévisée. Exeunt, les allusions politiques, les descriptions d’une Tallinn post-soviétique ou soviétique (selon), l’essentiel du roman se déroule dans la campagne, on va cueillir du tilleul, des groseilles ou des poires, aller à la plage. les amoureux auront bien du mal à se déclarer….les maris vont-ils contrarier les idylles?

Je m’ennuie un peu, j’attends la révolution dans l’histoire de Théodor,plus ou moins lié à un cercle d’étudiants, un carnet découvert par hasard dénonce le scandale écologique des mines de phosphore…Dans l’histoire d’August, une explosion dans l’usine pharmaceutique d’Eerik…

J’attends avec impatience les développements, qui ne viennent pas.Le feuilleton se termine en queue de poisson quand les amoureux seront éconduits après le retour des maris…. Et la lectrice  reste avec sa curiosité. Non ce n’est pas un roman historique!

« Nous sommes arrivé, bon gré mal gré, au terme de notre histoire écrite derrière sept monts et cent rivières, dans un minuscule pays en pointillé, qui disparaît des cartes puis réapparaît, dans l’appartement étroit d’August, dans l’hiver qui ne se terminera jamais au milieu d’interminables champs jaune paille, de forêts pleines de bêtes sauvages, où les arbres imitent le bruit de ma mer »

 

 

Le départ du professeur Martens – Jaan Kross

LIRE POUR LES PAYS BALTES

1909, le Professeur Martens prend le train de Pärnu pour Saint-Pétersbourg, le voyage est long, l’humeur assombrie par un article malveillant le concernant, il repasse le cours de sa vie, s’adressant par l’imagination à Kati, sa femme qu’il va rejoindre.

1909, les empereurs Guillaume et Nicolas, sur leurs yachts respectifs, vont se rencontrer non loin, sur la Baltique. Le conseiller Martens est un juriste, professeur de Droit International réputé, c’est aussi un diplomate qui  a négocié des traités aussi importants que celui qui a mis fin au conflit Russo-Japonais, ou qui a convaincu la France hésitante en 1905, d’accorder les fameux Emprunts Russes ….

Le personnage de Martens a véritablement existé. Le roman de l’écrivain estonien Jaan Kross, comme Le Fou du Tzar, est remarquablement bien documenté. Leçon d’histoire au début du XXème siècle.

Le professeur Martens a un double, son homonyme, un  allemand de Göttingen, professeur de Droit International, diplomate également, ayant  participé au Congrès de Vienne, un siècle auparavant. Les vies des deux Martens s’entremêle; parallèle étrange. Et le roman historique est double, racontant les conquêtes napoléoniennes, l’installation de Jérôme , roi de Westphalie, et l’allégeance du Conseiller Martens au pouvoir de Bonaparte, puis son retournement après la retraite de Russie…

Si le Fou du Tzar n’admettait aucun compromis et payait sa franchise et sa loyauté d’un emprisonnement en forteresse et d’une assignation à résidence, au contraire les deux diplomates, en dépit de leur honnêteté, de leur connaissance du Droit, par faiblesse ou par réalisme, se trouvent piégés dans leur allégeance au pouvoir. Les Emprunts Russes obtenus de la France ont-ils allégés les souffrances du peuple et la famine ou ont-ils financé la répression contre les révolutionnaires de 1905? Ces menottes que le neveu de Martens portait dans le train? Jaan Kross dépeint ce personnage admirable et considérable qui a failli obtenir le prix Nobel (comme Kross, lui-même) mais qui n’est pas dénué de faiblesses et de complexité.

Peut on concilier le Droit et un pouvoir despotique?  Cette problématique à laquelle les deux Martens furent confrontés fut sans doute aussi celle des Estoniens du temps de l’Union soviétique. La rencontre du professeur Martens dans le train avec une journaliste estonienne annonce la révolution et les revendications nationales estoniennes.

 

Le fou du Tzar – Jaan Kross

LIRE POUR L’ESTONIE

manoir de Sagadi

Le tzar c’est Alexandre Ier , le fou c’est     Timothée von Bock, baron Germano-Balte, seigneur du manoir de Voisiku, Estonie (autrefois Livonie) . la première folie de Timo c’est d’avoir épousé Eeva paysanne estonienne qu’il a dû racheter en compagnie de son frère – pour le prix de quatre chiens anglais. la deuxième folie a été d’oser envoyer à Alexandre un mémorandum séditieux. Aide de camp de l’Empereur, ami, même, il lui avait promis une franchise entière. Il lui en a coûté sa liberté.

Excellent roman historique que j’ai lu en rentrant de voyage dans les pays baltes j’ai vu s’animer les personnages dans les manoirs que nous avons visités. Mais il n’est pas indispensable d’avoir fait le voyage pour être pris dans l’intrigue où apparaissent aussi bien Goethe, les décembristes, les campagnees napoléoniennes…

la promesse de l’aube – Romain Gary

LIRE POUR VILNIUS

Vilnius s’enorgueillit d’être le lieu de naissance de Romain Gary en 1914. une statue a été érigée et signalée dans les promenades de l’office de tourisme. Le petit garçon de la Promesse de l’Aube regarde la fenêtre de sa Valentine pour qui il a ingéré une chaussure en caoutchouc. J’ai été rendre visite à la statue et me suis promise de lire le livre au retour.

Quelle est cette promesse? Celle de la mère de Romain enfant qui lui promet qu’il deviendra célèbre, violoniste comme Yehudi Menuhin ou Yacha Heifetz? ou écrivain comme Tolstoï ou Gorki au moins Ambassadeur de France.

Ou la promesse de l’enfant à sa mère de rapporter la gloire à cette mère qui lui a tout donné. Au moins le tournoi de Ping pong de Nice de 1932.

Une autre promesse – tenue – m’a émue, celle au gentil voisin qui lui donnait des rahat loukoums et qui lui demanda de dire qu’un juif du nom de Piekielny vivait au 16 de la rue Grande-Pohulanka à Wilno quand il serait diplomate…Sa Majesté la Riene Elizabeth, l’ONU, le monde entier l’a entendu proclamer.

Trois parties dans le roman, la première raconte l’enfance, à Wilno alors polonaise , Varsovie, elle est pleine de verve et d’exotisme, la seconde l’adolescence à Nice, la troisième  se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, aviateur, résistant, gaulliste. j’ai moins aimé la troisième où le personnage de la mère n’apparait qu’en filigrane dans l’inconscient du fils. les faits de guerre m’ennuient même si Romain Gary  raconte avec distanciation ses faits de guerre.

Lire pour Vilnius?

Peut être, quoique l’univers de Romain Gary se limitait à sa cour de la rue Grande-Pohulanka… qu’il était instruit par différents professeurs et que sa mère lui racontait plus une France de son invention où Victor Hugo avait été Président de la République…vilnius, alors s’appelait Vilno et semblait bien provinciale…

 

Le coup de Grâce – Marguerite Yourcenar

LIRE POUR LES PAYS BALTES

 

Mes choix de lectures sont géographiques, j’ai eu du mal à trouver le départ d’une bibliographie « pays baltes ». C’est JP Kauffmann dans Courlande qui m’a donné le lien vers Le Coup de Grâce dont l’action se déroule dans un manoir de Courlande – actuellement Lettonie – en 1919 dans les soubresauts de la première Guerre Mondiale entre défaite de l’Allemagne et Révolution russe.

Récit très ambigu, très trouble. L’auteur, dans sa préface, se réfère à Racine et à Corneille, unité de temps, de lieu, unité de danger ajoute l’auteur.

Le narrateur est un personnage glauque, combattant des guerres inavouables, non pas par conviction mais plutôt par appartenance à une caste de soldats prussiens pour qui l’état militaire était une évidence. Personnage d’une très trouble noblesse, adhérant aux préjugés les plus sordides de son milieu des descendants des Chevaliers Teutoniques ou Porte-Glaives :  antisémitisme, misogynie. Mais l’absence de volonté, d’enthousiasme, de générosité annule la virulence de ces idées .

Période troublée, guerre impitoyable, on ne sait où se situent les combattants capables uniquement de défendre le petit domaine dans une indifférence que n’égale que leur bravoure devant le feu.

C’est d’abord une historie d’amour. Adolescents ou adultes, les protagonistes Eric, Sophie et Conrad, sont incapables d’envisager un amour viable. Si Eric aime Conrad, c’est l’évidence, jamais il n’avouerait autre chose que l’amitié ou la camaraderie virile. Sophie se jette dans le désespoir d’un amour non partagé, elle l’avoue, l’affirme jusqu’à se rendre insupportable pour Eric, l’objet de son amour.

Noblesse ou déchéance? Le narrateur est spectateur passif, incapable de prendre parti. Ce Coup de Grâce est un sommet de l’ambiguïté, ambiguïté des sentiments mais aussi des idées. Le lecteur, malgré ses réticences, est emporté dans la boue, le froid, la tourmente. C’est le grand art de Yourcenar que de mener à bout ce récit à la limite du supportable.

 

 

 


 

 

 

En escarpins dans les neiges de Sibérie – Sandra Kalniete (Lettonie)

LIRE POUR VOYAGER/VOYAGER POUR LIRE

que lire à la veille du départ pour Riga et les Pays Baltes?

Suivant les conseils de Dominique « A sauts et à Gambades », excellent billet contenant des liens passionnants et contradictoires, j’ai donc fait suivre la lecture de Purge de Sofi Oksanen par celle d’En escarpins dans les neiges de Sibérie.

Purge se déroule en Estonie, tandis que Sandra Kalniete est Lettone. L’occupation soviétique, hélas, fut la même. Si les  pays baltes ont des langues totalement différentes et des différences (qu’il faudra que je constate bientôt) l’histoire récente est analogue. Non pas une occupation, mais trois.

En escarpins dans les neiges de Sibérie n’est pas une fiction comme Purge c’est un témoignage. l’auteur raconte les déportations en 1941, 1945 puis 1949 des membres de sa familles. Elle ne se contente pas des témoignages oraux et des souvenirs. Elle exhumé les dossiers des archives, a dépouillé toute la correspondance et même le journal intime de sa mère et a fait œuvre d’historienne corroborant toutes ses affirmations de notes citant ses sources. Elle a également replacé l’histoire familial dans un contexte plus général, letton et même européen . Ces analyses m’ont permis de comprendre ce qui était resté obscur à la lecture de Purge. La déportation de la sœur et de la fille d’Aliide dans le roman m’avait parue bizarre. Je l’avais trop facilement peut être mis sur le compte de la jalousie de l’héroïne  lui faisant endosser une responsabilité très lourde qui n’avait peut être pas lieu d’être. La clandestinité du mari convoité gagne aussi en vraisemblance.

Au lieu de me promener en Lettonie, j’ai erré dans les wagons à bestiaux des déportés et en Sibérie. Si on ne peut vraiment pas parler de promenade, le voyage mérite la lecture. Le livre montre l’incroyable résistance et force d’âme de ces hommes et de ces femmes, résistance physique également dans des conditions extrêmes, imagination de survie : comment se faire des bottes ou des chaussettes avec des chiffons et des herbes, comment lutter contre le scorbut et les carences de vitamines avec les ressources de la forêt…..Leçon de dignité, de l’immense amour maternel et de la solidarité entre déportés mais aussi entre Sibériens.