LIRE POUR VILNA
Le titre complet: YOSSIK – UNE ENFANCE DANS LE QUARTIER DU VIEUX MARCHE DE VILNA -LITUANIE (1904-1920)
Quand j’ai ouvert ce livre je me suis demandée si c’était une bonne idée de le lire juste après La Promesse de L’Aube de Romain Gary, né lui aussi à Vilnius en 1914 et après le Tribunal de mon père de Bashevis, se déroulant à Varsovie mais exactement à la même époque. Ces deux chefs d’œuvres ne lui porteraient il pas ombrage?
Yossik, bien que contemporain des deux autres petits garçons juifs, ne leur ressemble pas. Sur le Vieux-Marché, c’est une fripouille, un aventurier, un charlatan, pire un lampeduseur! Inventant toutes sortes de commerces allant de la vente de galettes de boue au prêt de boutons, il préfère la société de cosaques et tatars à la fréquentation du heder . Le petit rebbe et la rebbetsin ne le retiendront quelques temps que parce qu’il rêve de redonner vie au golem d’argile de la vieille synagogue. Mais le violon, la gloire de Paganini1er puis de Paganini II, son ancien associé Bertchik, lui donne une nouvelle ambition, il sera Paganini III, même sans violon, il jouera le Perpetuum mobile, ira à Saint Petersbourg, sera célèbre…..
Yehudi Menuhin
Cependant le monde pittoresque du vieux marché n’a pas toujours la vie facile.
« Une semaine plus tôt, une shikse, dont le père était concierge rue de la Boucherie, était entrée dans un salon de coiffure. le barbier avait aiguisé sa lame, égorgé la jeune fille, et tiré son sang pour en faire quelques bouteilles de vin.
Comment pareille chose était-elle possible? aussi loin que pût m’entrainer mon imagination créatrice je n’arrivais pas à me représenter une jeune fille portant barbe et venant se faire raser la barbe chez un barbier. En second lieu, d’où sortait ce salon de coiffure sur la place du Marché?
tous ces stupides racontars me semblaient contes à dormir debout, trop puérils même pour des enfants.
Malheureusement, cette fois les enfants avaient raison. Quelques jours plus tard, le pogrome éclatait dans toute sa fureur. »
– » si Dieu a fait ce pogrome, Il n’est plus mon Dieu »
Ainsi Yossik prend congé du rebbe et de la rebbetsin.
La chance tourne, le père de Yossik rentre d’Amérique « millionnaire ». La famille quitte le Vieux-Marché pour s’installer sur la très chic Prospective- Saint-Georges. L’enfant perd ses repères et malgré l’aisance familiale, il est rejeté du lycée pour cause de numérus clausus. Il tombe amoureux de Nioura qu’il baratine, se présentant comme Américain, puis comme violoniste et gagnera deux ennemis, lefrère de cette dernière et son ami, deux lycéens arrogants. Dans ce quartier bourgeois, le pittoresque et le burlesque collent au lampéduseur…
Revers de fortune, le père est malade, ruiné, la famille retourne dans le ghetto et le père à la religion. Description extraodinaire de la cour des synagogues,
« chaque kloyz avait au mur sa plaque gravée, et son antique liste de donateurs …avec des dates remontant jusqu’au quinzième siècle »….
Chaque oratoire portait le nom d’une merveilleuse figure légendaire…Ishalayele le Voyant, aveugle de naissance qui connaissait par cœur les soixante lourds volumes du Talmud…. »
Même Napoléon s’y était arrêté lors de sa marche sur Moscou.
Nouvelles aventures jusqu’à ce que la guerre de 14 n’éclate. Fin d’un monde prédit « le fils de Barve »
» – qu’est il arrivé en Bessarabie ou Serbarabie, ou le diable sait comment on l’appelle?
…..
– Pourquoi croyez vous à la fin du monde? demanda Note. Est-il pensable que pour un prince assassiné, tout un monde puisse disparaître? »
Le prédiction du « fils de Barve » s’est réalisée. les Juifs furent mobilisés. Les Russes défaits… Arrivèrent les Allemands, puis les Polonais avec leur Aigle blanche, renversés par un comité révolutionnaire aux rubans rouges derrière un fameux Meir Schmulevitch. Les Polonais reprirent la ville et chassèrent tous les Méir Schmulevitch jusqu’à ce que des révolutionnaires, bortcheviks n’organisent la révolution-transformation dans la joie d’abord et la sympathie des habitants du Vieux-Marché puis la crainte hiérarchie des patates, et le règne des cabans de cuir…
Ce livre correspond exactement à ce que je cherchais en passant sous la Porte de l’Aube, me dirigeant vers le Petit Ghetto de Vilnius. Le vieux Marché n’existe plus, à la place de la cour des synagogues, une place vide avec des flaques et un jardin d’enfant, une plaque, un buste du Gaon…Mais la rue des Verriers, je l’ai vue!
Ma crainte de « déjà-lu » quand j’ai ouvert le livre s’est avérée infondée. Trois petits juifs nés presque à la même époque, et presque dans le même contexte, trois personnalités si différentes. Trois histoires. Tellement est riche la diversité de l’humanité!