LIRE POUR L’EUROPE
voyager ainsi à pied, dans le maquis, est une juste entreprise, parce que cela vous fait entrer dans le ventre oublié du pays. Cela vous porte à écouter les déshérités, leurs craintes que personne ne veut entendre, et aussi à
reconnaître la trace immonde, impossible à confondre, la trace presque olfactive du racisme qui renaît en
réponse à ces peurs.
J’ai suivi avec enthousiasme Rumiz Aux Frontières de l’Europe, j’ai adoré le voyage des Dolomites aux des Alpes suisses et dans les Appenins dans La légende des montagnes qui naviguent, j’ai lu Dans l’ombre d’Hannibal sans aucune réserve. Dès que j’ai lu le billet de Dominique je ai téléchargé le Fil sans Fin et lu sans attendre.
En cheminant sur les flancs du Redentore – aussi blancs et réguliers que ceux du mont Ararat et de l’Etna – on
pouvait suivre des yeux la longue cicatrice des Apennins où un éboulement de neige qui laissait la roche à nu
mettait les hommes en garde. Au fond de la cuvette, l’unique lieu habité, le rocher de Castelluccio, réduit à l’état de décombres, confirmait la souveraineté absolue des sommets.
Amatrice touchée par le séisme de 2016 est encore en ruines et interdite d’accès quand Paolo Rumiz découvre intacte à Norsia parmi les décombres la statue de Saint Benoît de Norsie – patron de l’Europe – fondateur de l’ordre des Bénédictins. Touché par cette sorte de miracle, Rumiz va parcourir l’Europe de monastère en monastère, cherchant ces « racines chrétiennes de l’Europe ».
Que disait-il, ce saint qui nous bénissait, au milieu des débris de tout un monde ? Il disait que l’Europe se portait bien mal ? Que la Grande-Bretagne venait à peine de voter pour sortir de l’Union européenne et que je me trouvais peut-être devant les ruines
[…]
Oui. Le message du saint pouvait aussi être celui-là : l’Europe avait replongé dans le Moyen Âge et, pour
retrouver ses racines spirituelles, il lui fallait repasser encore une fois par une saison de ruines. Une troisième
catastrophe, en l’espace de cent ans, nécessaire pour sortir du tunnel autodestructeur de la consommation.
Diversité des monastères de bénédictins, et de bénédictines, diversité culturelle mais toujours la même Règle : la Règle de Saint Benoît qui codifie aussi bien la liturgie et les horaires que les principes d’accueil et de bienveillance vis à vis de l’étranger, le pèlerin, le silence aussi
Sous le signe de la devise : Ora et Labora et lege et noli contristari – prie et travaille, étudie et ne te laisse pas aller à la méfiance.
De Praglia en Vénétie, à Sankt Ottilien en Allemagne, Viboldone en Lombardie, Muri-Gries et Marienberg au Tyrol du sud, Saint Gall en Suisse, Citeaux, Saint Wandrille en France, Orval en Belgique…jusqu’à Pannonhalma en Hongrie, Rumiz va expérimenter l’accueil, goûter au vin ou à la bière fabriqués dans les monastères. Il va écouter les trilles des hirondelles dans le silence, les orgues et le piano de moines musiciens…rencontrer moines et pèlerins…
Sans oublier l‘Europe bien sûr qui est la préoccupation majeure de l’auteur.
Je ai lu Le fil sans fin avec plaisir, je suis fan absolue de Rumiz.
Pourtant, dans les monastères, j’ai du mal à le suivre. Ses craintes pour l’Europe, son rejet de la xénophobie qui gagne, je les partage. Mais tout ce discours me paraît plaqué, artificiel. Les moines ont inventé le bien-vivre en communauté, pourquoi les Européens n’inventeraient pas le bien-vivre ensemble et avec les migrants? Rumiz a cédé aux séductions du bon vin, de la bonne bière, et du chant grégorien. Je n’y arrive pas.
Cela ne m’empêchera pas de dévorer les autres livres de l’auteur, je n’ai pas encore épuisé ses œuvres. Le podcast de France Culture, A Voix nue Paolo Rumiz, l’homme qui écrit avec ses pieds m’a accompagnée pendant mes dernières promenades en forêt et j’ai vraiment aimé écouter sa voix, d’autant plus qu’il s’exprime parfaitement en Français.