LIRE POUR LA LITUANIE
Au hasard de mes recherches, sur Amazon, j’ai trouvé ce titre : Bohini, un manoir en Lituanie. Surprise : « traduit du polonais ». J’avais oublié l’histoire commune de la Lituanie et de la Pologne. Vilnius- Wilno-Vilna fut polonaise jusqu’au pacte germano-soviétique et avant, russe. J’ai cherché sur ma carte routière et sur Internet, Bohini, le village de Bujwidze, les rivières, je n’ai identifié que Niemenczyn, à 25 km de Vilnius, peuplée majoritairement de Polonais selon Wikipedia et proche de la frontière Biélorusse.
L’histoire se déroule une dizaine d’années après l’insurrection polonaise de 1863, dans la forêt lituanienne. Dans la chaleur de l’été finissant, l’atmosphère est étouffante et électrique comme à l’approche de l’orage. Hommes et bêtes attendent l’orage qui délivrera de la sensation d’étouffement. Il semble aussi que, comme les nuages d’orage, s’accumulent les prémisses d’une catastrophe.
La métaphore météorologique concerne peut être aussi la situation politique. On sent des menaces : un génie malfaisant(?) Schickelgruber , plus réel, l’ispravnik, autorité russe recherche les insurgés ou terroristes s’opposant au pouvoir du tsar, il va jusqu’à bouleverser les ruches du curé, le voisin Korsakov, est-il russe ou Polonais comme il le prétend? Le manoir et les villages vivent encore dans le souvenir de l’insurrection et même dans celui du passage des armées napoléoniennes qui ont laissé des tombes dans la forêt.
L’histoire de la liaison impossible entre la châtelaine polonais et le « petit juif de Bujwidze » qui fut l’ancêtre caché de l’auteur, est la trame de l’histoire. Helena ne se résout pas au mariage de raison avec un châtelain voisin dont la cour empressée est plus de convenance que de passion. Elle repousse sans cesse l’idée de se lier.
Les personnages sont presque tous étranges et mystérieux. le cocher Constantin prétend être âgé de 182 ans. Michel, le père d’Héléna ne sort de son mutisme que pour de déchirantes prières. Le curé, le père Siemaszko, qui paraît débonnaire, préférant ses abeilles à son bréviaire, cache aussi ses secrets biélorusses. Pourquoi la mère d’Héléna est elle enterrée dans la forêt comme les soldats de Napoléon? Pourquoi ont-ils été privés de leur manoir au profit du Russe Korsakov?
Et surtout qui est réellement Elie Chyra, le juif de Bujwidze? Un illettré qui veut apprendre à lire, un révolutionnaire, un poète, un vagabond qui a parcouru la terre de Sibérie en Australie? Des autres Juifs de Bujwidze, on ne rencontrera au hasard du roman que l’épicier du Goldapfel, ils ne se mêlaient sans doute pas aux Polonais? Voire, pourquoi alors Helena, très catholique, adopte-t-elle le calendrier de l‘année juive, attendant comme l’orage les jours du Jugement précedant Kippour?
La forêt joue un grand rôle dans ce roman. Helena va s’y ressourcer, se baigne dans la rivière. Comment n’a-t-elle pas peur? Pourquoi aurait-elle peur? elle s’y sent chez elle. La biche Malwina apparait comme la seule innocente de toute cette histoire. Aurores boréales et mirages dans la brume contribuent à cette ambiance mystérieuse.