Histoire des Grands-parents que je n’ai pas eus – Ivan Jablonka – Seuil

PARCZEW/PARIS/AUSCHWITZ

« ….L’idée de prendre mes grands-parents comme objet d’étude remonte à 2007. Mon projet prend forme assez vite : je vais écrire un livre sur leur histoire, ou plutôt un livre d’histoire sur eux, fondé sur des archives, des entretiens, des lectures, une mise en contexte, des raisonnements sociologiques, grâce auxquels je vais faire leur connaissance. Récit de vie et compte rendu de mon enquête, ce livre fera comprendre, non revivre… »

L’auteur Ivan Jablonka est historien. Cette enquête est menée de façon rigoureuse, scientifique. Cela n’exclue pas la chaleur humaine. L’auteur ne connaissait rien de ses grands-parents, ni de ses arrières-grands-parents. Il découvre des personnalités attachantes et fait revivre tout un monde disparu. Il détaille aussi toutes ses démarches qui le conduisent en Pologne et jusqu’en Argentine. Il fait revivre le petit monde des tailleurs, coupeurs de cuir, fourreurs entre Belleville et Ménilmontant. Il montre l’extraordinaire solidarité entre ces sans-papiers, artisans, militants communistes et anarchistes dans des temps troublés.

Antisémitisme qui a raison de ces jeunes communistes laïques, universalistes, qui vinrent en France chercher l’asile politiques après une incarcération en Pologne pour avoir tendu une banderole et qui se retrouve « sans papiers »:

« Matès un réfugié politique auquel la France s’honore de donner le droit d’asile? Son emprisonnement démontre plutôt l’inanité de la distinction entre « étrangers de bonne foi » et « hôtes irréguliers », et leur fusion dans la catégorie des délinquants »…

Actuel, trop actuel, ce débat!

Matès termine sa vie comme sonderkommando quoi de plus tragique?

Alors que les survivants de la Shoah nous quittent les uns après les autres, Simone Weill, Marceline Loridan-Ivens récemment, les historiens prennent la relève.

Splendeur et décadence du camarade Zulo – Dritëro Argolli

Tirana : Les ministères et bâtiments officiels

CARNET DES BALKANS/ ALBANIE 

« Voilà, les fils de bergers d’autrefois ont en main la comptabilité, sans laquelle il n’y a pas de socialisme vu que le socialisme c’est les notes de service et la comptabilité. »

Publié en 1972, ce roman raconte la vie des dirigeants du Parti. Le camarade Zulo est un personnage tellement considérable qu’il est hors de question de le déranger quand ses propres fils se retrouvent au commissariat après avoir saccagé la maison des voisins. Il est à la tête d’un bureau des affaires culturelles dont les compétences s’étendent du répertoire des chansons aux noces villageoises, à la censure du théâtre, l’implantation de bains publics dans les villages, l’organisation de festivals folkloriques….dans un esprit scientifique et démocratique!

Le narrateur, Demkë, est un écrivain raté qui rédige les rapports, interventions et discours de ses supérieurs, trop occupés, ou trop paresseux pour le faire eux-mêmes. Il lui arrive de rédiger un rapport sans savoir qui va en être le rapporteur ou parfois d’en écrire deux contradictoires pour une même conférence.

C’est ainsi que le Camarade Zulo sera le rapporteur du rapport commandé par le camarade Chemchedin éloigné en province, début de l’ascension du camarade Zulo qui prend sa place et fait de Demkë son bras droit.

« Le camarade Zulo ne peut pas rester sans donner son avis. Pour lui il n’y a pas de phénomène qui ne soit prétexte à l’épanouissement de sa pensée. « au début naît le phénomènen nait ensuite le rayon de la pensée a-t-il dit. »

Au premier abord, le camarade Zulo apparaît comme un personnage prétentieux et snob, intrigant au discours enflé et creux, prêt à tout pour une invitation officielle. Demkë l’accompagne en déplacement « au milieu de ses frères villageois ». Les deux hommes se rapprochent, le Camarade Zulo s’humanise, il est touchant de naïveté quand il s’extasie sur les beautés de la nature, presque poète. Le raki lui fait oublier son comportement officiel, on est presque compatissant quand il se ridiculise en se saoulant.

Il ne faudrait pas s’éloigner de Tirana, des sommets et des bureaux où se nouent les intrigues pour le pouvoir. Alors que les dirigeants passent des vacances à la mer dans des hôtels qui leur sont réservés, se trament des complots. La chute du camarade Zulo est programmée alors que personne ne se doute de rien.

Dans un style vivant, ironique et humoristique, les arcanes du pouvoir sont décrites de façon très amusante. Critique satirique ou témoignage? C’est en tout cas un livre amusant avec toute l’absurdité de la bureaucratie.

Alors que la disgrâce est manifeste, son entourage entretien une véritable légende et Demkë, retrouve le goût décrire en relatant la vie du Camarade Zulo:

« Devant l’insistante pression des camarades, et de Bakir en particulier, je me mis sérieusement à écrire la chronique de la vie du camarade Zulo ; je commençais à réunir les pensées et les propos tenus par les gens au sujet de sa mutation. Ils n’ont pas d’importance pour la description de son caractère mais ils donnent une idée de son prestige. Il faut être un homme hors série pour devenir à ce point objet de débat et faire naître autour de soi autant de discussions enflammées… »

la Dernière Page – Gazmend Kapllani – INTERVALLES

CARNET DES BALKANS/ALBANIE

C’est un vrai coup de cœur!

Un de ces livres qui me semble personnellement destiné. Pas seulement parce que nous rentrons de Tirana. Pas seulement parce que le destin des Juifs de Salonique m’émeut toujours. Quête d’identité dans le mélange balkanique,exil et  métissage. Faux-semblants. Aussi pour l’amour des livres. Pour ce poème de Cavafy, glissé comme  par mégarde.

Je venais de terminer le Petit Journal de bord des frontières qui m’avait beaucoup touchée. C’est parfois une erreur de lire à la file deux livres du même auteur. Parfois la petite musique de l’auteur se répète, radote. Et bien là, pas du tout. Le narrateur des deux ouvrages semble être le même,  un exilé albanais, écrivain, vivant à Athènes. Les lieux aussi sont identiques, Tirana, la Grèce. Pourtant ce sont bien deux livres très différents. La Dernière Page mêle deux histoires (comme Le Petit Journal mêlait deux points de vue). L’auteur a recours à la typographie italique dans l’histoire du père, droite dans celle du fils.

156 pages,  et pourtant un roman complet, avec une intrigue, et même deux, du suspense, une analyse historique. Bravo!

Petit journal de bord des frontières – Gazmend Kapllani – ed. INTERVALLES

CARNET DES BALKANS/ALBANIE 

          »  Ma relation problématique avec les frontières a commencé de très bonne heure.                  Dès mon plus jeune âge. Parce que le fait d’être atteint ou non du syndrome de la                 frontière est en grande partie une question de hasard : tout dépend du pays où                    l’on  est né.

           Je suis né en Albanie »

Gazmend Kapllani est un auteur albanais qui vit en Grèce et écrit en Grec.

Je l’ai trouvé au hasard des algorithmes de Babélio ou d’Amazon, téléchargé « à l’aveugle » sans critique 4ème de couverture, ni recommandations et ce fut une excellente surprise.

Ce livre est double : un journal de bord , récit de l’émigration du narrateur, e, imprimé en caractères italiques et des chapitres d’une typographie romaine droite qui s’intercalent dans le récit et qui décrivent la condition de l’émigré, plutôt sur le mode méditatif et souvent ironique. Les chapitres alternent, action et réflexion, datés 1991 et intemporels, albanais et universels.

Le narrateur raconte d’abord les conditions de vie et l’enfermement des Albanais sous le régime d’Enver Hodja.

« Plus les années passaient, plus l’isolement de l’Albanie se radicalisait, et plus le monde-au-delà des frontières se transmuait en une autre planète. Paradisiaque pour quelques-uns…. »

Il généralise son cas personnel, albanais à une condition universelle:

« Le véritable immigré est un égoïste, un narcissique invétéré. il pense que le pays où il est né n’est pas digne de lui »

J’ai aimé cet humour, cette ironie, nécessaire pour la survie aussi bien de ceux qui étaient asservis par la dictature que ceux qui en exil , dans les pires conditions veulent rire pour survivre

« le rire des hommes des frontières est le meilleur des masques. en riant, c’est comme s’ils disaient à la mort : « ne compte pas sur nous pour être tes clients. Tu vois bien que si nous rions, c’est que que nous n’avons rien à faire de toi »

J’ai aimé aussi l’ ouverture aux autres qui lui fait citer les Grecs en immigration aux Etats Unis qui fait de son livre non paas un livre sur les Albanais en Grèce mais le livre de tous les migrants.