Voyou – Itamar Orlev

LITTÉRATURE ISRAÉLIENNE

Premier roman, j’aime la surprise d’un écrivain inconnu.

Cependant ce n’est pas un livre aimable : pendant une centaine de pages j’ai cru que j’allais l’abandonner. Le narrateur, un écrivain raté, se fait larguer par sa femme qui a emporté leur fils. Il fait rien pour la retenir et va pleurnicher chez sa mère qui  ne l’écoute pas. Dans sa solitude nouvelle, il décide d’aller voir son père dans une maison de retraite à Varsovie. Héros assez antipathiques qui ne m’attire guère, aussi bien TAdek, l’écrivain que sa mère ou que ce qu’on apprend du père.

Ce père est rejeté par toute sa famille : sa mère a émigré en Israël avec ses enfants pour lui échapper. Frères et sœurs lui déconseillent le voyage. Pourquoi ce rejet? Le père est le Voyou du titre ,  un soiffard qui ruinait sa famille, battait sa femme et abandonnait le foyer pour des absences aussi longues qu’inexpliquées.

Nous suivons Tadek en Pologne qui retrouve les images de son enfance, l »odeur de son père » qui se trouve être celle de la vodka. Des pages et des pages autour de la soûlographie et les bagarres. Je me demande pourquoi je continue à lire cela! « Saoul comme un polonais » expression familière et vaguement raciste que je déteste, me vient constamment à l’esprit (je m’en veux).

Au bout de 150 pages, je persiste dans cette lecture peu attrayante et me laisse entraîner. Stéfan, le père, le voyou cumule les mauvais comportements. C’est un vieillard mal embouché qui crache, râle, insulte tout le monde.  Il a bu le salaire de sa femme, son héritage, a entretenu une deuxième famille, prétendu que ses deux « familles » étaient mortes…

Ému par la visite de son fils, il lui raconte sa vie, sa guerre avec les partisans dans la forêt, son évasion de Majdanek où il était interné comme partisan. C’est passionnant!

Puis le fils et le père traversent la Pologne en train pour aller voir le village natal du père où Tadek a passé les vacances de son enfance.  On découvre une Pologne rurale.

Finalement, je suis conquise par cette équipée, cette intimité du fils qui transporte son père sur son dos comme Enée et Anchise. Les retrouvailles avec les maîtresses femmes au village.

Un très beau livre sur les rapports père/fils.

« J’en ai profité pour le détailler,cet homme qui était mon père, cet hédoniste polonais qui ne s’est pas gêné pour baiser, cogner, tuer. Le voilà donc assis sur son lit, adossé contre le mur, cheveux ébouriffés, visage gris rongé par les poils de barbe. S’il était né dans un autre milieu, dans un autre pays, en un autre temps, il aurait pu être un libertin plein de panache, un ami du marquis de Sade…Mais là, c’était un voyou polonais qui avait émergé des égouts de Majdanek, pour atterrir dans la crasse des quartiers pauvres de Wroclaw. L’aura de la liberté et du romantisme fracassée sur le sol d’une réalité viciée, sombre, nauséabonde. Il somnolait avachi, en pyjama élimé, la bouche entrouverte, la cigarette qui se consumait entre les doigts. Vieux. Pitoyable. Mon père. Qui a bais autant qu’il a pu, qui a bu jusqu’à plus soif, s’enivré de musique, a dansé, frappé, tué sans scrupule. Comment ne pas rester pantois devant la capacité de jouissance absolue dont il a fait preuve toute sa vie, sans jamais tenir compte de personne à part lui-même »

Il se trouve – étrange coïncidence –  que je viens de finir le livre et que j’ai vu au cinéma Cold War qui débute dans la campagne polonaise comme se termine Voyou.

Histoire des Grands-parents que je n’ai pas eus – Ivan Jablonka – Seuil

PARCZEW/PARIS/AUSCHWITZ

« ….L’idée de prendre mes grands-parents comme objet d’étude remonte à 2007. Mon projet prend forme assez vite : je vais écrire un livre sur leur histoire, ou plutôt un livre d’histoire sur eux, fondé sur des archives, des entretiens, des lectures, une mise en contexte, des raisonnements sociologiques, grâce auxquels je vais faire leur connaissance. Récit de vie et compte rendu de mon enquête, ce livre fera comprendre, non revivre… »

L’auteur Ivan Jablonka est historien. Cette enquête est menée de façon rigoureuse, scientifique. Cela n’exclue pas la chaleur humaine. L’auteur ne connaissait rien de ses grands-parents, ni de ses arrières-grands-parents. Il découvre des personnalités attachantes et fait revivre tout un monde disparu. Il détaille aussi toutes ses démarches qui le conduisent en Pologne et jusqu’en Argentine. Il fait revivre le petit monde des tailleurs, coupeurs de cuir, fourreurs entre Belleville et Ménilmontant. Il montre l’extraordinaire solidarité entre ces sans-papiers, artisans, militants communistes et anarchistes dans des temps troublés.

Antisémitisme qui a raison de ces jeunes communistes laïques, universalistes, qui vinrent en France chercher l’asile politiques après une incarcération en Pologne pour avoir tendu une banderole et qui se retrouve « sans papiers »:

« Matès un réfugié politique auquel la France s’honore de donner le droit d’asile? Son emprisonnement démontre plutôt l’inanité de la distinction entre « étrangers de bonne foi » et « hôtes irréguliers », et leur fusion dans la catégorie des délinquants »…

Actuel, trop actuel, ce débat!

Matès termine sa vie comme sonderkommando quoi de plus tragique?

Alors que les survivants de la Shoah nous quittent les uns après les autres, Simone Weill, Marceline Loridan-Ivens récemment, les historiens prennent la relève.