Le peuple de l’Abîme – London

CHALLENGE JACK LONDON

« Je suis descendu dans les bas-fonds londoniens avec le même état d’esprit que l’explorateur, bien décidé à ne croire que ce que je verrai par moi-même »

écrit London dans la préface du livre. Ce n’est donc pas un roman mais plutôt un essai,  un témoignage, un reportage journalistique.

London se met lui-même en scène.  D’abord comme « touriste » il s’adresse à l’agence Cook.  Il se rend ensuite chez un fripier et se déguise en clochard, prend pension à la limite de l’East End. Il s’invente un personnage : un marin américain qui aurait perdu ses économies et qui serait contraint de partager le sort des habitants des quartiers déshérites.

« Je découvris un tas d’autres changements, survenus à cause de mon nouvel accoutrement. Lorsque je traversais, par exemple aux carrefours, les encombrements des voitures, je devais décupler mon agilité pour ne pas me faire écraser. Je fus frappé par le fait que ma vie avait diminué de prix proportionnellement avec la modicité de mes vêtements »

Tout d’abord, il cherche une chambre. Il découvre les conditions de logements des ouvriers et d’abord de la « saturation » qui joue sur le prix des loyers et qui fait fuir les classes

Elle m’expliqua le procédé de la saturation, parlaquelle la valeur locative de tout un quartier monte en même temps que la qualité des ses habitants descend : « vous voyez, monsieur, les gens comme nous ne sont pas habitués à nous entasser comme les autres….. »

 

En s’adressant à la tenancière d’un café pouilleux, il découvre que des ouvriers « des gens tout à fait comme il faut« , se partagent une chambre à trois lits. Il découvre enfin comment des familles s’entassent dans des chambres insalubres où il faut aussi travailler, coudre des chaussures ou des cravates. Et encore ! il s’agit de travailleurs qui gagnent leur vie (mal) et ont un toit au dessus de la tête.  

Il existe encore des malheureux plus mal lotis dont il va partager le sort : ceux qui doivent fréquenter les Asiles de nuit ou prendre un repas à l’Armée du Salut. London nous fait partager  les rencontres dans les queues  avec des personnages réduits à cette extrémité : parfois des ouvriers qualifiés seulement vieux ou après un accident du travail,  incapables de retrouver un travail, dockers, anciens soldats  ou marins, des cueilleurs de houblons dans les campagnes environnantes. 

Pire encore, il va « porter la bannière » expression imagée décrivant le calvaire des clochards sans toit qui marchent toute la nuit sans pouvoir se reposer un instant, fuyant le policier qui les chasse du moindre recoin où ils pourraient se poser un moment. 

Des rencontres, des aventures, des personnages pittoresques suffiraient à rendre passionnante cette lecture. Mais ce n’est pas tout. London ne se contente pas de raconter les péripéties de ce reportage. Il décrit les conditions de vie, logement et sous-alimentation avec des chiffres  et comparaisons avec le régime alimentaires de soldats ou gardiens de prison, il donne les salaires de tous les travaux. Toutes les données sont extrêmement précises.

Il analyse les rouages économiques : la concurrence qui entraîne les baisses de salaires

« L’exploitation de la main d’oeuvre; les salaires de misère, les hordes de chômeurs, et la foule de sans-abri et des sans-maisons, c’est ce qui arrive lorsqu’il y a plus d’hommes pour faire le travail qu’il n’y a de travail à faire. »

même un syndicat puissant, disons de vingt-mille adhérents, ne peut tenir le taux des salaires s’il a en face vingt-mille chômeurs qui essaient de rivaliser avec les syndicalistes. 

De même quand les syndicats essaient de faire interdire le travail des enfants de moins de quinze ans, ce sont les ouvriers eux-même dépendant des gains de leurs enfants qui refusent cette mesure.

Il analyse aussi l’inaptitude au travail et ses causes : la sous-alimentation, l’alcoolisme ou les conditions de vie déplorables : logement, pollution, il prend comme exemple le saturnisme des ouvrières dans les usines de plomberie….Certains arguments sont encore actuels! Chaque fois on perçoit l’empathie de London et surtout l’absence de jugement moral. Il explique, ne juge pas.

Au contraire, il porte un regard très critique sur les « bienfaiteurs » qui n’apportent que des solutions dérisoires comme une exposition d’art japonais ou une journée à la campagne pour les enfants. Il est assez sceptique sur les bienfaits de la Civilisation, comparant le mode de vie des Inuits loin de toute civilisation et des Anglais. 

Aucune erreur n’est possible. La civilisation a centuplé le pouvoir de production de l’humanité, et par suite d’une mauvaise gestion, les civilisés vivent plus mal que des bêtes, ont moins à manger et sont moins protégés de la rigueur de éléments que les sauvages Inuits, dans un climat bien plus rigoureux. 

Ce reportage d’une réalité vieille de 120 ans, est toujours actuel. Peut-être les lieux ont changé mais l’analyse des mécanismes demeure intéressante.

vers le billet de claudialucia

et celui de nathalie et celui de lilly

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

7 réflexions sur « Le peuple de l’Abîme – London »

  1. Tous à fait d’accord avec toi. Effectivement , c’est un reportage à la fois complet, pris sur le vif et cet aspect vécu lui donne une grande ampleur. Comme toi, j’aime la dénonciation passionnée qu’en fait Jack London

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  2. @claudialucia : Même ressenti dans la lecture.
    Merci de nous fixer des dates pour de prochaines lectures qui sont les seuls projets qu’on puisse faire dans cette période où l’on s’interdit à penser vacances, balades ou cinéma, sans parler des musées….

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  3. Ça y est, j’ai actualisé tous les liens.
    Je vois que tu as bien plus apprécié que moi. Ce n’est pas tant le contenu (encore que les considérations sur la dégénérescence des populations m’ont bien agacée), mais la forme, j’ai vraiment eu du mal à m’y intéresser. Et pourtant, plein de passages ont retenu mon attention !

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    1. @Nathalie : effectivement le concept de dégénérescence des populations est limite et il ne s agit pas de suivre London sur ces idées bien abandonnées maintenant
      .. mais si on n oublie pas que ce reportage à été écrit il y a 120 ans il reste une étonnante actualité ne d autres domaines principalement dans l urbanisme et le logement.

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  4. Je l’ai lu ily a in certain temps et je l’avais trouvé très bien fait ce reportage… C’est un aspect de l’oeuvre de London qu’on connaît moins mais qu’il faut lire….

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