La Reine de Poméranie – Andrea Camilleri

LE MOIS ITALIEN

Avec un peu de retard dans la semaine italienne que Martine a proposée, un hommage à Camilleri qui nous a quitté il y a quelques semaines. L’oeuvre de Camilleri est diverse. Je suis par intermittence les enquêtes de Montalbano, je n’aime pas lire plusieurs épisodes à la suite, mais je ne me lasse jamais d’y revenir. J’ai un grand faible pour les ouvrages historiques(Le Roi Zozimo est mon préféré). Je découvre avec la Reine de Poméranie un nouveau registre : la nouvelle.

Le recueil, La Reine de Poméranie rassemble huit nouvelles, presque de courts romans

. Unité de lieu : Vigatà, bien sûr! Vigatà dans une période un peu floue entre les deux guerres, un peu avant, un peu après peut être. Les personnages appartiennent à toutes les couches de la société, des paysans très pauvres, aux notables. Toute la société de Vigatà : du maire à l’évêque, petits commerçants, tous se croisent dans le territoire exigu de Vigatà où tout le monde connaît tout le monde mais où certains secrets restent gardés pendant des générations ou sortent dans des lettres anonymes. mesquinerie et roublardise, mais jamais de pure méchanceté. Tous sont terriblement humains.

On sourit beaucoup, on rit aussi aux trouvailles naïves, aux inventions langagières . Comme j’aurais aimé le lire en sicilien! ( l’expérience récente du film Le Traitre a montré mes limites dans la compréhension du dialecte).

 

La Petite Montagne – Elias Khoury

LIRE POUR LE LIBAN

L’éditeur, ou l’auteur, intitule ce livre « roman« , j’aurais tendance à le qualifier  dans « nouvelles« , ce recueil d’histoires différentes dont les protagonistes se retrouvent ou pas dans les 5 parties. Sous le titre innocent La Petite Montagne qui désigne le quartier chrétien d’Achrafieh et qui est le titre de la première partie,  se déroulent des épisodes de la guerre dans d’autres quartiers de Beyrouth, ou dans la montagne et même en exil à Paris. Inutiles de se tourmenter à chercher une suite, ou un héros principal. Quelques  personnages sont récurrents,  d’autres disparaissent, certains qu’on croyait morts resurgissent. De même pour la chronologie, l’auteur saute dans le temps, revient en flash-back.

La cohérence – l’image illustrant la couverture donne le ton – c’est le Liban en guerre. La petite montagne  est parue en 1977. La guerre civile fait rage depuis 1975. Les données politiques ne sont plus les mêmes aujourd’hui. J’ai cherché à retrouver dans ce texte poétiques des indices pour m’y retrouver, et j’ai eu du mal – sans doute  à cause de mon ignorance .

Pour apprécier vraiment ce livre, il faut plutôt faire attention au style très particulier, très percutant, très poétique. Le rythme des phrases colle avec la situation évoquée. Des répétitions surprennent, il semble avoir déjà lu ce chapitre, répétitions voulues.

Cinq histoires, cinq âges de la vie. La première La petite montagne, raconte des souvenirs d’enfance, le narrateur, peut être adolescent, peut être jeune adulte vient de s’engager. Des miliciens viennent le chercher. Il a disparu. Dans la seconde, l’église,  de jeunes hommes livrent  un combat violent dans la ville, ils investissent une église. Dans quel camps sont-ils? Ce n’est pas clair pour moi. Le sujet n’est pas là. il est plutôt dans la traduction de la violence. Le dernier possible évoque Septembre noir en Jordanie, avec le personnage « du petit nègre » qui est une femme palestinienne. Les combattants sont des fedayin le combat se déroule dans la montagne libanaise. Certains épisodes sont cocasses, comme celui de l’homme qui vole un char pour retourner au village, et là le char se trouve, subtilisé par le père pour aller labourer. L’escalier met en scène un fonctionnaire, père de famille, plutôt radin et pleutre, mais qui trouve une gloire éphémère quand sa femme achète une auto qu’utilisent ses collègues. Dans cette ambiance plutôt pacifique la guerre va tout détruire. La place du roi est encore différente, elle met en scène des libanais, en partie à Paris. L’un d’eux est un ancien légionnaire ayant combattu en Indochine…

Livre kaléidoscope, toujours actuel.

J’ai téléchargé Les enfants du ghetto d’Elias Khoury.

 

Dublin : Trinity College – Book of Kells

CARNET IRLANDAIS   

Bus direct pour Dublin
Bus direct pour Dublin

Voyage sur l’impériale du 66b vers Dublin

Alensgrove est situé en face des installations de Hewlett Packard : le bus 66b relie le centre de Dublin toutes les heures. Le smartphone, décidément très efficace, m’indique en plus de la météo les heures de passage de l’autobus. Malheureusement sans Wifi cela ne marchera pas pour le retour.

7h55 le bus est ponctuel (forcément puisque c’est le terminus), le chauffeur très cordial. Le ticket 3€30 mais il faut faire l’appoint. Je m’installe sur l’impériale pour profiter du paysage. L’autobus traverse de jolis villages pimpants : Leixlip, jolie église avec un clocher carré et pubs fleuris, Lucan, puis il suit la Vallée de la Liffey .

8h40, je descends à Merrion Square : le jardin est fermé mais Merrion Square est construit de sévères maisons de briques géorgiennes avec les portes laquées que tout le monde connait. Par Clare St. et Nassau, je trouve Trinity College.

Book of Kells

Chi Rho
Chi Rho

Pressée d’arriver à l’exposition du Book of Kells avant la foule (on recommande de s’inscrire par Internet, mais c’est beaucoup plus cher). Cette exposition « Turning Darkness into Light » est construite autour des manuscrits précieux, le Book of Kells, Book of Dima, Book of Mullings, et Book of Armagh. De grands panneaux lumineux magnifient les enluminures, les expliquent. Des sacoches de cuir éthiopiennes trouvées au Monastère Souriani en Egypte en 1837 servaient à transporter des évangiles, ou psautiers portatifs. Les pierres oghamiques sont présentées avec les correspondances entre l’alphabet latin et les 20 lettres gravées par des séries d’encoches (consonnes) et points (voyelles). La salle suivante est dédiée aux techniques de calligraphie : dessins des lettrines ou des expressions récurrentes comme « dicebat ». On signalait une erreur de copie par des croix rouges. Dans des coupelles on peut voir les pigments utilisés alors. Pour le  noir, la galle de feuilles de chêne, le noir de fumée ou le charbon liés avec de la résine de gomme d’acacia. La couleur la plus rare, l’azurite venait d’Afghanistan.  On s’intéresse aussi au travail du scribe. Deux poèmes composés par un mine irlandais à Sankt Gallen en Suisse  au 9ème siècle, peu de temps après la copie des livres présentés ici.

pangur-ban-4I and Pangur Ban my cat,
‘Tis a like task we are at:
Hunting mice is his delight,
Hunting words I sit all night.

Better far than praise of men
‘Tis to sit with book and pen;
Pangur bears me no ill-will,
He too plies his simple skill.

‘Tis a merry task to see
At our tasks how glad are we,
When at home we sit and find
Entertainment to our mind.

Oftentimes a mouse will stray
In the hero Pangur’s way;
Oftentimes my keen thought set
Takes a meaning in its net.

‘Gainst the wall he sets his eye
Full and fierce and sharp and sly;
‘Gainst the wall of knowledge I
All my little wisdom try.

When a mouse darts from its den,
O how glad is Pangur then!
O what gladness do I prove
When I solve the doubts I love!

So in peace our task we ply,
Pangur Ban, my cat, and I;
In our arts we find our bliss,
I have mine and he has his.

Practice every day has made
Pangur perfect in his trade;
I get wisdom day and night
Turning darkness into light.

I and Pangur Ban my cat, 


‘Tis a like task we are at:
Hunting mice is his delight,
Hunting words I sit all night.

Better far than praise of men
‘Tis to sit with book and pen;
Pangur bears me no ill-will,
He too plies his simple skill.

‘Tis a merry task to see
At our tasks how glad are we,
When at home we sit and find
Entertainment to our mind.

Oftentimes a mouse will stray
In the hero Pangur’s way;
Oftentimes my keen thought set
Takes a meaning in its net.

‘Gainst the wall he sets his eye
Full and fierce and sharp and sly;
‘Gainst the wall of knowledge I
All my little wisdom try.

When a mouse darts from its den,
O how glad is Pangur then!
O what gladness do I prove
When I solve the doubts I love!

So in peace our task we ply,
Pangur Ban, my cat, and I;
In our arts we find our bliss,
I have mine and he has his.

Practice every day has made
Pangur perfect in his trade;
I get wisdom day and night
Turning darkness into light.

 

The scribe

A hedge of trees surrounds me

A blackbird sings sweetly

Above my well-ruled book

The birds sing far and wide

 

En green cloak of leafy branches

The cuckoo sings her lovely chant

Protect me, Lord, on Judgment Day

Happily I write beneath the trees

Kells saint Jean

Au milieu de la salle, deux pages agrandies : le Portrait de Saint Jean, et page Chi Ro, présentées dans le détail. Cette dernière fourmille de détails animaliers amusants : deux souris se partage nt une hostie sous la surveillance de deux chat, un rat tient un poisson (symbole christique) dans sa guele, des serpents enlacés…

Après cette introduction, j’entre dans la salle obscure où le Book of Kells est ouvert dans une vitrine. Les motifs sont petits, les textes difficiles à déchiffrer.

La vieille Librairie

la vieille Librairie
la vieille Librairie

J’arrive dans la vieille librairie The Long Room. Jusqu’en 1801, d’après le Copyright Act, tout livre publié dans les deux îles devait avoir un exemplaire déposé ici. Les livres sont rangés sur deux étages selon un curieux classement : les gros et lourds dans les étagères du bas, les petits en haut. Je reconnais Platon, Démosthène, Cicéron mais aussi Swift, Locke, Bacon Milton et Newton parmi les bustes de marbre alignés.

Trinity College

La première cour, assez moderne, communique avec une grande cour pavée bordée de trois bâtiments de pierre grise symétriques, précédés chacun d’une colonnade corinthienne soutenant un fronton triangulaire. Au milieu de la cour, un clocheton évidé comme une arche de triomphe. Qui est donc ce Lecky assis sur un trône ? Un historien, me répond wikipedia.

DSCN7605 - Copie

Derrière le clocheton la cour est plantée de pelouses portant des arbres magnifiques, les plus grands et les plus beaux érables d’Europe selon l’étudiant qui guide un groupe de touristes. Avant que la pelouse ne soit installée, il y avait un cimetière monastique qui a enrichi en nutriment la terre. La proximité de la Liffey fournit l’humidité nécessaire. Les bâtiments, en abritant les arbres, leur donnent un microclimat favorable contribuant à leur croissance. Ces derniers pompent l’humidité qui serait néfaste à la conservation des livres précieux. L’architecte qui a conçu la bibliothèque a eu l’idée de l’installer à l’étage. Les rez de chaussée ayant a fonction de l’isoler de l’humidité.

Les bâtiments de briques rouges, 16ème siècle, sont restés en l’état. Les étudiants qui l’occupent n’ont pas l’eau courante. L’étudiant qui sert de guide, est en short mais il pote une « mini-toge », un pan court lui descend dans le dos tandis que deux bandes de satin noir flottent sur la poitrine.

 

Magellan – Stefan Zweig

LIRE POUR LE PORTUGAL 

magellan-zweig2

Les Grandes Découvertes ont été un des thèmes récurrents de notre voyage. la biographie de Magellan, une évidence, surtout par Stefan Zweig, un écrivain que j’admire infiniment. 

Zweig replace cette biographie dans le contexte historique de la Route des Épices:

« Derrière les héros de cette époque se cachent les forces agissantes, les commerçants, l’impulsion première elle-même a eu des causes essentiellement pratiques. Au commencement étaient les épices. »

Il raconte comment le Portugal s’est lancé dans les Grandes Découvertes :

« Transformer le Portugal; ce petit pays impuissant, en une puissance maritime, et l’Océan Atlantique, considéré comme un obstacle, en un moyen de communication a été en substance le rêve de toute la vie de l’Infant Henrique, celui que l’Histoire a surnommé le Navigateur. »

Le monument des Grandes Découvertes à Belem
Le monument des Grandes Découvertes à Belem

« Au début du 16ème siècle « le plus petit état d’Europe pourra prétendre posséder et régir un territoire plus vaste que l’empire roman au temps de sa plus grande extension. »

C’est donc un épisode d’une épopée digne des conquêtes d’Alexandre que Zweig  va nous conter. Explorations des mers lointaines et rivalité entre le Portugal et l’Espagne de Charles Quint, régulée par le pacte de Tordesillas.

padrao2rose des vents

Après la Découverte de l’Amérique « Un seul exploit reste encore à réaliser, le dernier, le plus beau, le plus difficile : faire sur un seul et même navire le tour du globe, prouver envers et cotre tous les cosmographies et les théologiens la sphéricité de la terre. Accomplir cette mission sera le but et la destinée de Fernao de Magalhaes. « 

Magalhaes, c’est le nom de l’aventurier dans Les Mystères de Lisbonne j’aime bien ces clins d’oeil que se font les livres. Hasard ou volonté de Camilo Castelo Branco? Zweig retrace la carrière que Fernao  Magalhaes fait au service de la marine portugaise, ses expéditions aux Indes et dans les îles lointaines où il apprend la navigation et où il s’illustre dans des faits d’armes. Il ramène un esclave malais Henrique qui servira de traducteur dans son tour du monde. Années d’apprentissage puis démarches auprès du roi Manoel afin de réaliser sa grande idée : rejoindre les îles Moluques ou poussent les épices en passant par la route de l’Ouest. Est-il un mauvais courtisan? Le roi ne soucie-t-il plus d’élargir son empire? Il ne réussit pas à le convaincre.

Fernao Magalhaes quitte le Portugal pour se mettre au service de l’Espagne, il devient Magellan et ira conquérir des îles pour Charles Quint

« Ce que Magellan vit en cette minute, c’est la tragédie de Coriolan, du transfuge par amour-propre, immortalisée par Shakespeare. Comme lui coriolan a servi fidèlement sa patrie pendant des années, qui repoussé par elle, met son talent dédaigné au service de l’adversaire. » 

« il sera toujours seul, et seul contre tous »

Zweig montre les minutieux préparatifs de l’expédition qui pourra durer de longs mois voire plusieurs années. Il raconte les embûches que les nobles espagnols et le roi du Portugal sèmeront sur son passage pour faire échouer le départ. 

Le 20 septembre 1519 cinq navires quittent Séville, 1 seul rentrera.

« …c’est ainsi que surgit brusquement au milieu de tous ces navigateurs, chercheurs d’or et aventurier, un étrange idéaliste; qui ne se lance pas dans l’aventure pour la gloire ou l’argent, mais par amour sincère du voyage, pour la simple joie de voir, d’apprendre et d’admirer… » 

c’est l’italien Pigafetta qui consignera les souvenirs de l’aventure.

« Que serait Achille sans Homère? »

prospero

« Shakespeare a utilisé pour sa Tempête une scène du récit de voyages de Pigafetta » note Zweig. En plus d’une narration précise du périple à travers les mers, un vrai roman d’aventures avec tempêtes, mutinerie et famines, Zweig donne une dimension littéraire à sa biographie de Magellan avec les références à Homère et à Shakespeare; même à Tristan et Isolde de Wagner!

Quelle joie quand il atteint les Philippines puis les Moluques, quand l’esclave Henrique retrouvent des hommes qui parlent son langage.

« Ainsi le cercle s’est fermé : à l’autre bout du monde, sous d’autres cieux, l’Europe s’est heurtée à l’Europe. Jusqu’à présent dans sa route vers l’Ouest, Magellan n’avait trouvé que des territoires inconnus. » [….] par dessus les océans immenses un pont est jeté de leur monde à ce monde nouveau »

Magellan ne connaîtra pas la gloire à Séville.

« Ainsi périt, dans une bagarre stupide avec une horde de sauvage, le plus grand navigateur de tous les temps. un génie, qui, comme Prospéro, a maîtrisé les éléments et vaincu toutes les tempêtes et triomphé de tous les obstacles, est abattu par un misérable roitelet indigène »

Le retour se fera sans lui du 27 avril  au 6 septembre 1521 sur des routes maritimes connues mais tenues par les Portugais qu’il faudra éviter.

« De même que le Cid mort maintenu par ses hommes sur son fidèle cheval de bataille remporte encore une victoire, de même l’énergie de Magellan impose, par delà le trépas, sa volonté. Ses hommes contemplent enfin la terre promise qu’il ne lui a pas été donné de voir »

Je referme le livre avec la furieuse envie de lire maintenant sa biographie d’Amerigo.