La Vieille Fille – Honoré de Balzac

LECTURE COMMUNE

« Ces esprits forts, qui sont généralement des hommes faibles, ont un catéchisme à l’usage des femmes. Pour eux,
toutes, depuis la reine de France jusqu’à la modiste, sont essentiellement libertines, coquines, assassines, voire
même un peu friponnes, foncièrement menteuses, et incapables de penser à autre chose qu’à des bagatelles. Pour
eux, les femmes sont des bayadères malfaisantes qu’il faut laisser danser, chanter et rire ; ils ne voient en elles
rien de saint, ni de grand ; pour eux ce n’est pas la poésie des sens, mais la sensualité grossière. Ils ressemblent à
des gourmands qui prendraient la cuisine pour la salle à manger. Dans cette jurisprudence, si la femme n’est pas constamment tyrannisée, elle réduit l’homme à la condition
d’esclave. »

Je craignais le pire avec ce titre! La misogynie du 19ème siècle, la plume acérée de Balzac me laissaient penser que la pauvre Vieille Fille ne serait pas épargnée. 

Pendant un bon premier quart de cet opus, ce sont plutôt deux vieux garçons qui font les frais de portraits peu complaisants : le chevalier de Valois, aristocrate, très XVIIIème siècle, d’une noblesse surannée, mais charmeur et charmant, et du Bousquier, riche parvenu, fournisseur des Armées de la République qui a fait le mauvais choix au Directoire en ne pariant pas sur Bonaparte. Evincé pendant l’Empire, du Bousquier hésite entre la royauté et la République et cherche à se faire une place dans la bonne société d’Alençon à la Restauration.

Tous deux prétendent à la main de La Vieille Fille : la demoiselle Cormon.

Un troisième soupirant, dans l’ombre, Athanase Granson, jeune employé de mairie, lettré mais timide, est amoureux de La Vieille Fille.

La demoiselle Cormon n’est plus très jeune mais c’est un très bon parti. Elle possède une très belle maison en ville, une ferme à la campagne. La bonne société se bouscule à ses dîners en ville. Excellente table, bonne compagnie, son oncle prêtre, l’abbé de Sponde,  vit avec elle, garant de moralité. Mais pourquoi donc, à la quarantaine ne s’est-elle pas mariée? D’un physique agréable, riche c’est une originale :

Depuis longtemps elle était soupçonnée d’être au fond, malgré les apparences, une fille originale . En province
il n’est pas permis d’être original…

Et de plus, c’est une dévote :

 La dévotion cause une ophthalmie morale. Par une grâce providentielle elle ôte aux âmes en route pour l’éternité la vue de beaucoup de petites choses terrestres quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit.

Dévote, elle ignore tout de la séduction, du sexe même s’il s’agit de la reproduction des chevaux. Célibat et virginité sont pour elles des valeurs catholiques qui lui font redouter le mariage. Et ce n’est pas l’Abbé de Sponde qui lui donnera de fructueux conseils! Elle reporte toute son énergie à la tenue de sa maison et au soin de sa jument Penelope :

Frappé de la propreté minutieuse qui distinguait cette cour et ses dépendances, un étranger aurait pu deviner la
vieille fille. L’œil qui présidait là devait être un œil inoccupé, fureteur, conservateur moins par caractère que par
besoin d’action.

Une vieille demoiselle, chargée d’employer sa journée toujours vide, pouvait seule faire arracher l’herbe entre
les pavés, nettoyer les crêtes des murs, exiger un balayage continuel, ne jamais laisser les rideaux de cuir de la
remise sans être fermés. Elle seule était capable d’introduire par désœuvrement une sorte de propreté hollandaise
dans une petite province située entre le Perche, la Bretagne et la Normandie,

Cliché? Caricature de la Vieille Fille qui avait encore cours bien tard dans le XXème siècle. Pour donner du piquant, Balzac imagine qu’elle préside une certaine Société de Charité et de Maternité aidant les filles-mères. 

Lequel de ces trois prétendants enlèvera la Vieille Fille? L’arrivée de Monsieur de Troisville va précipiter les évènements. Aristocrate, diplomate, bel homme, il séduit Mademoiselle Cormon qui se voit enfin bien mariée et se donne en spectacle à toute la ville d’Alençon

Je crois rêver, dit Josette en voyant sa maîtresse volant par les escaliers comme un éléphant auquel Dieu aurait
donné des ailes.

dans ces sortes de circonstances, les vieilles filles deviennent comme Richard III, spirituelles, féroces, hardies,
prometteuses, et, comme des clercs grisés, ne respectent plus rien

Pour éviter le déshonneur, La Demoiselle de Cormon acceptera le premier mariage qui se présentera. Et la condition de femme mariée ne sera peut être pas si enviable qu’elle ne l’imaginait.

Ce conte cruel, dans les scènes de la Vie de Province, démonte aussi les mécanismes des équilibres politiques dans la petite ville d’Alençon, aux confins de la Normandie, du Perche et de la Bretagne, entre Royalistes Ultras, Libéraux et Républicains. Le chevalier de Valois représente d’Ancien régime.  Du Bousquier louvoie plus à gauche, il apportera le « progrès » et l’industrialisation dans cette province. Les transformations sont rapportées de 1816 où commence le roman jusqu’à l’installation de la Monarchie de Juillet.

J’ai pris grand plaisir à lire les descriptions de la maison de la Vieille Fille et j’ai souri aux mots d’esprits des convives des dîners :

« Au dessert, il était encore question de du Bousquier qui avait donné lieu à mille gentillesses que le vin rendit fulminantes. Chacun, entraîné par le Conservateur des hypothèques, répondait à un calembour par un autre. Ainsi du Bousquier était un père sévère , – un père manant ,- un père sifflé ,- un
père vert ,- un père rond ,- un père foré , – un père dû , – un père sicaire . – Il n’était ni père , ni maire ; ni un révérend père : il jouait à pair ou non…. »

Balzac 0001 par Arroyo

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

7 réflexions sur « La Vieille Fille – Honoré de Balzac »

  1. Un des points forts du roman est que l’on craint le pire, au vu du titre et de la misogynie de Balzac et que finalement tout le monde en prend pour son grade, et la femme n’est pas la plus maltraitée par l’auteur. C’est un beau portrait de société, mais très cruel, oui, c’est le mot.

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