CARNET CRÉTOIS
Il reste une belle fin d’après midi pour jouir de notre « village » d’Arolithos. Sous le soleil, nous photographions les petites rues en pente avec les façades bleu pâle, vertes ou jaunes, les portes bleues vif ou rouge. Le musée est fermé et Les boutiques d’artisanat attendent la saison pour ouvrir.
La piscine offre une vue panoramique sur Héraklion, la mer, les collines et les montagnes enneigées. Au bar, sur la terrasse nous commandons un café frappé et un ouzo servi avec des croûtons au pavot, des cubes d’un fromage délicieux et d’excellentes olives. Le vent se lève. La soirée fraîchit.

Nous attendons sur la terrasse de la chambre la liturgie de Pâques dans l’église minuscule mais peinte à fresque, avec des icônes. A 9h, la cloche appelle à la Messe. Derrière l’iconostase un ou deux popes chantent. Il y a tout juste la place pour 4 ou 5 fidèles. Les gens convergent vers la place et portent des bougies décorées. Beaucoup d’enfants, landaus et poussettes. Les parents photographient leurs enfants. Il semble que chacun puisse sonner la cloche. Les chants sont à deux voix mais monotones, avec toujours les mêmes paroles. Brusquement les lampions de la place s’éteignent. Les voix se taisent. La place est plongée dans l’obscurité. Intrigué, je vais voir : devant l’église les flammes des petites bougies scintillent. Tout à coup, tout se rallume. La cloche sonne à toute volée, les gens donnent de la voix et s’embrassent : « Christ est ressuscité ! » Les porteurs de bougies forment une minuscule procession vers le restaurant. Trois pétards sont lancés.
Le dîner pascal est prévu à 22h. Trop tard pour nous ! Entre pâtisseries et mezzés, nous renonçons à les rejoindre.
Dans la Lettre au Gréco , cette anecdote de Kazantzaki voulait représenter les Crétois :
« L’aube de Pâques allait poindre. le pope Caphatos, dans les montagnes de Crète, courait de village en village et ressuscitait le Christ en grande hâte, parce que les villages étaient nombreux qu’il était leur seul prêtre,et qu’il devait faire la Cérémonie de la Résurrection dans chacun d’eux avant le lever du jour.Manches retroussées, chargé de ses vêtements de cérémonie et du lourd Évangile d’argent, il grimpait dans la nuit sainte sur les rochers abrupts, courant, tout haletant, arrivait dans un village, ressuscitait le Christ et s’élançait à bout de souffle dans un autre.
Dans le dernier hameau, planté entre les rochers, les paysans rassemblés dans la petite église avaient allumé les veilleuses, étaient allés chercher dans le lit du torrent les branches de laurier et les myrtes et en avaient orné les icônes et la porte, ils gardaient leurs cierges éteints et attendaient pour les allumer qu’arrive la Grande Parole.
Et voici que dans le silence résonna un bruit de cailloux comme si un cheval escaladait au galop le flanc de la montagne et faisait rouler les pierres.
Tout le monde se dressa d’un bond; l’orient était déjà rose, le ciel souriait. On entendit un souffle pénible, les chiens de berger poussèrent des aboiement joyeux; et brusquement derrrière une yeuse touffue, dépoitraillé, trempé de sueur, ivre de tous els Christ qu’il venait de ressusciter, s’élança, noir, courtaud, le vieux pope Caphatos.
En cet instant le soleil apparaissait au dessus de l’épaulement de la montagne; le prêtre fit un bond, se retrouva devant les paysans ouvrit les bras :
– Le Christ est ressuscitassé, les enfants! cria-t-il
Le mot familier, galvaudé, de ressuscité lui avait paru pauvre, étroit, mesquin, il ne pouvait plus contenir la grande nouvelle….. »
