marchés flottants sur le Mekong

CARNET VIETNAMIEN

Surle Mékong

On se réveille tôt au Vietnam. Dès 5h30, les klaxons et les motos sont assourdissants.

A 6h, le restaurant est plein. Les chauffe-plats sur lampe à alcool  réchauffent des plats asiatiques variés . Une serveuse  prépare le Phô. Elle met des nouilles dans une petite épuisette, ajoute du soja, des oignons, plonge le tout dans le bouillon. Ensuite elle verse du bouillon dans un bol, assaisonne avec la ciboulette coupée et le coriandre, et enfin des lamelles de bœuf cru. Dans une coupelle se trouvent des copeaux de piment. Un second buffet a été dressé à l’attention des visiteurs occidentaux. Une cage de foot avec des ballons découpés dans du carton décore la salle.

– « Tu ne vas pas manger cette viande crue ! » s’exclame D qui  se fait rôtir un toast et qui a mis un œuf dur sur un coquetier.

–  « Et comment ! Depuis l’arrivée à Saïgon j’attendais un phô ! »

Sur le grand écran, repassent  les meilleurs moments du match de la nuit, le penalty de Zidane, les tirs au but. L’Italie a gagné avec le soutien des vietnamiennes qui trouvent leurs joueurs plus sexy que les français.

sur le Mékong

les petits bateaux de détail se ravitaillent au gros bateau du grossiste

Nous rejoignons à pied le débarcadère sur la jolie croisette sur le bord du fleuve. Notre bateau bleu à proue relevée pourrait contenir une vingtaine de personnes. Le capitaine, un jeune homme maigre aux cheveux en épi, et une jeune fille en costume pantalon et chapeau pointu, forment l’équipage. Le soleil tape déjà malgré l’heure matinale. En face de Canthô, la rive du Mékong est verte, le panache des cocotiers se balance dans le vent. Nous observons le va-et-vient des bacs antiques (l’un d’eux ressemble à une cage métallique), le ballet des petits esquifs à perches croisées que le rameur actionne debout, les lourdes barges qui transportent le sable drainé du fond du Mékong, les gros bateaux ventrus…. Nous ne savons plus où donner du regard. Devant les maisons sur pilotis, des gens font leur lessive. D’autres posent des filets. Des branchages délimitent des piscicultures – un peu comme l’akadja du Bénin.

la vie à bord

Sur la rive de  Canthô, une activité commerciale intense se déroule : vente de centaines de piquets de palétuviers qui servent à construire sur pilotis mais aussi à étayer des bâtiments quand le sol est trop meuble. On décharge les morceaux de bois et on les aligne comme d’énormes bûchettes. Plus loin, les gros troncs dont on fera des planches « bois ordinaire » dit le guide. Encore plus loin, des gros tas de sable tiré du lit du fleuve, qu’on décharge, stocke et revend. De gros engins sont au travail. Ailleurs, des entrepôts, des scieries, des fabriques artisanales de parpaings, des grossistes en céramique.

commerce de détail

Le fleuve immense (ce n’est que le bras postérieur du Mékong), aux eaux boueuses, dégage une atmosphère paisible. La croisière, dans la lumière du matin aux couleurs vives, se déroule tranquillement. C’est un peu la dérive du bateau fantôme. Le guide qui a regardé le match  jusqu’à 3h du matin, dort, la tête contre le bastingage. La jeune fille s’est allongée sur une banquette. Le chauffeur est silencieux. Est il, lui aussi fatigué par la nuit blanche de la finale ?

Au fond du bateau nous regardons le paysage défiler. Autant le voyage en taxi fut décevant, autant la croisière nous ravit.

marché flottant

noix de coco fraîches

Juste après le pont qui enjambe le fleuve à l’entrée de Canthô, le marché flottant occupe tout le lit du Mékong. Il s’annonce par une flottille de petites barques menées généralement par une femme, sous son chapeau traditionnel. C’ est un marché de gros. Les gros bateaux ventrus sont allés loin chercher les marchandises introuvables aux alentours. Les petits sampans distribuent les produits aux détaillants. Sur chaque bateau une perche sert d’enseigne annonçant la cargaison. On y accroche une citrouille si le bateau est rempli de citrouilles, des rutabagas, du manioc. Certaines perches sont décorées de toute une série de légumes : choux, carottes, fruits du dragon, jacques…quand toutes les marchandises seront vendues, le bateau ne repartira pas à vide. Il cherchera une nouvelle cargaison.

la perche annonce le chargement : citrouilles, oignons, choux;…

A l’avant de tous les bateaux, petits et grands est peint un masque rouge avec des yeux noirs cernés de blanc. Permanence des symboles : combien de marins, de piroguiers ont peint des yeux semblables sur leurs embarcations ? Égyptiens, Portugais…Sur le toit de chaque cabine se trouve un pot où pousse une sorte d’herbe ressemblant à de la ciboulette., des fleurs, offrandes au Génie du Fleuve. Munie de cette explication, je remarque ensuite des bouquets fleuris sur les moindres barques.

Sur les flancs d’une barque sont disposées des bouteilles. « c’est la buvette ! ». je vise avec mon appareil photo. La cabaretière surgit une canette de coca à la main. Je n’achète pas le coca mais une bouteille d’eau. Un autre petit sampan se faufile chargé de pacotilles diverses «  la mercerie ! ».

C’est la buvette!

 

Après la visite au marché de gros, la croisière continue vers un marché de détail avec beaucoup de petits bateaux plus loin en amont. Le fleuve coule dans une campagne très verte. Si on est attentif, on peut constater que la verdure cache des habitations, des cabanes sur pilotis ou au contraire des chalets coquets ornés de bois sculptés de grilles ouvragées à la place des vitres (il ne fait jamais froid). Beaucoup d’antennes de télévision. Un homme se lave dans le fleuve. J’interroge le guide :

–   Ont-ils l’eau courante ?

–    Pas tous. Dans les grandes jarres, ils gardent l’eau de pluie. On se lave dans le Mékong pour économiser l’eau de la citerne. 

Sur la rive opposée, des bateaux-maisons, les pauvres des pauvres, gris délavés. On devine les hamacs suspendus. Dans la cabine, du linge sèche. Un homme puise l’eau directement dans le fleuve et la verse sur lui pour sa toilette matinale. Un autre rince son pantalon, l’essore en le tordant. Les plus gros bateaux ont une fenêtre ouverte sur le flanc, les plus modestes ont peint la fenêtre en trompe-l’œil ou l’ont gravée. Mais toujours les pots de fleurs, offrandes au Génie..

grossiste et petit bateau

Notre programme ne comprend que l’excursion des marchés. Comme il est encore tôt, le guide nous propose la visite d’un jardin :

-« Vous devrez payer, mais c’est une somme dérisoire ! «

Le jardin est un parc d’attraction avec des bungalows, un karaoké, une jolie piscine aux formes contournées, des « îles » avec des gloriettes où l’on peut se restaurer ou boire un verre. Plus loin, les vergers de longaniers et de pamplemoussiers irrigués de petits canaux avec des nénuphars en fleurs. Des hamacs sont suspendus entre les arbres fruitiers.

jardin sur le Mékong

Le temps s’est couvert. Les premières gouttes tombent suivies d’une belle averse. Notre guide qui n’a pas un gramme de jugeotte, n’a même pas l’idée de s’asseoir à une table. Je lui suggère avec insistance. Nous commandons du thé, glacé pour lui, chaud pour moi et un coca .

Sur le bateau, la jeune fille m’a fait essayer une tenue vietnamienne, pantalon brillant rouge et veste fendue. La taille est la bonne mais l’assistance ne trouve pas le rouge seyant. La petite insiste. Elle a aussi du blanc (trop salissant). Je préférerais du bleu ou du vert. Au retour elle m’apporte les couleurs désirées. Elle en demande 10$, 8€ lui conviendrait. Comme il faut laisser 50 000 dongs de pourboire au chauffeur, le guide organise un compromis, je laisserai 10€ et elle rendra la monnaie à son frère.

Promenade à pied sur les bords du Mékong

Cet après midi : programme libre. Notre guide n’est d’aucune aide. Ayant veillé à cause du foot, il est pressé d’aller faire la sieste. Le long du fleuve, sur la rive agreste, nous avons remarqué un chemin dans la verdure. Le guide (qui a refusé de décliner son nom tout à l’heure) ne nous y accompagnera pas. Il cherche à nous dissuader :

« C’est dangereux ! » Affirme-t-il

–   Dangereux, quelle sorte de danger ? Je lui réponds, incrédule

–          Des voleurs

–          Des voleurs ? on n’emportera que le porte-monnaie avec très peu d’argent, pas de sac. Si on n’a rien, on ne risque rien.

–          Si, vos appareils photos

–          On les cachera ! »

Je ne comprends pas pourquoi il cherche à nous décourager puisqu’il ne propose aucune autre alternative. Comme il voit que nous sommes décidées à y aller quand même, il prend les renseignements pour le bac auprès du chauffeur. Le bac coûte 500 dongs (tout juste 2.5centimes d’€) et il y e a sans arrêt jusqu’à 10heures du soir. A cette heure nous serons couchées, d’ailleurs à 6H30  sont prévus les moustiques et nous nous calfeutrerons dans la clim.

L’averse menace à nouveau, j’achète une pèlerine jetable 800 dongs (0.40€), très fine, à peine plus épaisse qu’un sac en plastique pour les légumes. Elle se déchirera sûrement mais au moins, elle n’encombrera pas le sac à dos comme la cape de randonnée verte. A peine achetée, à peine étrennée. La pluie tombe dru un petit quart d’heure et le soleil revient.

Le bac nous a conduites dans un quartier très différent de ceux que nous avons visités à Canthô. Pas d’immeuble ni de rues, une ruelle cimentée court entre des maisonnettes faites de bric et de broc. On ne saura jamais pourquoi la venelle est pavoisée de drapeaux rouges. Il règne une grade animation, des files de motos passent – croisement délicat par endroits – les piétons montent sur le seuil des maisons. Sur les bords, sous des auvents, de nombreuses vendeuses proposent des légumes, des brochettes minuscules, des petits paquets emballés dans des feuilles de bananiers qui ressemblent à des paquets-cadeaux. Sur des charbons de bois, une femme fait rôtir des saucisses empaquetées dans des feuilles ; on ne voit pas les saucisses, c’est l’odeur qui les trahit.

Plus loin, des femmes découpent au ciseau les têtes de menu fretin, décortiquent des crabes rouges. Ailleurs, une autre a confectionné des omelettes très fines fourrées avec des nouilles et des fines herbes. Si c’était l’heure du repas, c’est ce que nous aurions choisi. Je passe les plus classiques sandwiches de banh my et pâté, en vietnamien dans le texte (le pain de mie se trouve être de la baguette). Dans un  atelier, on empaquette de la pâte orange ( ?).

La pluie n’a pas duré mais la ruelle est pleine de flaques noires. Nous marchons l’une derrière l’autre en regardant bien où poser nos pieds. Il faut aussi prendre garde aux vélos qui nous frôlent silencieusement. Les motos, au moins, on les entend venir, d’autant plus qu’elles klaxonnent à notre approche. Des enfants accourent et nous font escorte quelques mètres. Serons nous harcelées comme en Égypte ou au Maroc ? Non ! Ils n’insistent pas. On dit bonjour aux gens qui nous regardent passer. Nous glissons un regard dans les maisons entrouvertes en essayant d’être discrètes. Les maisons sont souvent misérables, encombrées de grands lits avec parfois un hamac suspendu. Partout la télé est allumée.

Après quelques centaines de mètres, la densité des habitations diminue, le ruban de ciment court entre le fleuve et les jardins. Les maisons sont cachées dans la verdure. La circulation des motos se tarit. Le soleil est revenu. La promenade devient très agréable.

La végétation est très variée : cocotiers, bambous, des arbres que nous ne connaissons pas, des lianes à grosses clochettes jaunes ou bleu pâle. Dans le fleuve, des jacinthes d’eau (mais aussi des détritus). Les chiens vaquent librement. Ils ne sont pas agressifs. Heureusement que l’épidémie de grippe aviaire est terminée ! Poules et poussins divaguent. Un vieil homme en pyjama promène son coq. Quelques instants plus tard, sur une moto, un jeune homme porte un autre coq comme on prendrait un enfant. Celui là n’est pas destiné à la casserole ! Sous trois mues en bambou, encore des coqs magnifiques aux plumes étincelantes. Leur propriétaire, un homme aux cheveux longs à allure de pirate, capte notre regard. D’un geste, les deux pouces s’opposant, il nous explique que ce sont des coqs de combat. Il est très fier que nous prenions en photo ses champions. Sa maison bleue, en retrait, surplombant un petit canal, est très jolie. Il prend la pose sur la minuscule terrasse. J’avais l’intention de dessiner les maisons sur pilotis et les embarcations sur le Mékong. Il faut trouver une place pour s’asseoir. Avec la foule et la pluie, ce n’est pas facile. Quand finalement, nous faisons halte sur le rebord d’un embarcadère en ciment, il n’y a rien à dessiner. Dessiner demande plus de temps, de disponibilité. Une promenade ne suffit pas. Il faudrait revenir.

Le long du fleuve, dans un  enclos délimité par une palissade métallique peinte en vert, au dessus du portail en lettres latines « Bismilla el Rahman… » : Un cimetière musulman, les tombes envahies par les herbes folles. D’où sont venus les musulmans ? On n’a pas vu de mosquée à Canthô.

 

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

2 réflexions sur « marchés flottants sur le Mekong »

  1. à propos de musulmans à Canthô, peut-être serait-il intéressant de chercher du côté du peuple Cham, converti à cette religion au XIIIe ?
    ces Chams musulmans (enfin, pas en odeur de sainteté par rapport aux grands courants musulmans contemporains) avaient structuré une société… matriarcale !
    de l’autre côté de la frontière, au Cambodge, ils ont été particulièrement frappés lors du génocide sans même que leur persécution ait été quelque peu évoquée

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