CARNET INDIEN

Nous avons décidé de nous passer de guide : le chauffeur d’autres touristes, anglophone et dégourdi, a expliqué le chemin au nôtre. Le temple de Delwara est fermé le matin, nous avons donc dépassé Delwara en direction de Trevor Tank dans la forêt. Sur la rambarde en ciment, les singes sont assis et nous regardent passer. Certains arbres sont très hauts et magnifiques. Beaucoup d’eucalyptus, mais je ne les aime pas. Des palmiers très hauts se balancent. Les maisons de ciment cubiques s’intègrent dans les gros blocs. On voit de l’eau captée dans des réservoirs ou stagnante dans les creux.
Au bout de la route il y a un petit marché touristique. Les marchandises proposées ne sont pas pour les occidentaux : gilets de laine, bonnets et chapeaux pour les Indiens qui ne savent pas qu’il fait frais à 1219m d’altitude. Derrière le marché, un petit temple jain de Achaleshwara Mahadeva où l’on vénèrerait l’empreinte d’un orteil de Shiva : portiques et coupoles de marbre blanc. 50roupies pour avoir le droit de photographier (que je ne regretterai pas puisque c’est interdit à Delwara). Une autre table, donation 50 rs pour avoir el droit d’aller voir la coupole ciselée de neuf où un ouvrier est en train de travailler ; Deuxième table, nouvelle donation, je demande la monnaie, surprise, on la fait sans problème. J’entre dans une petite salle sous une autre coupole. Dans un coin, un homme me fait signe. Il me tend une cupule d’eau bénite dont je ne sais que faire, puis imprime avec son pouce une marque sur mon front et hurle je ne sais quoi. A la sortie, je photographie une vache dorée avec un personnage, un dieu ? Lequel ?
A la sortie de ce temple, la route continue par un chemin bordé de boutiques de souvenirs (jolis mortiers et pilons de marbre, thermomètres, baromètres, pendules d’un goût contestable) . Dans la fraîcheur du matin, les vaches descendent de la montagne. Les maisons du village sont très misérables mais cette ambiance calme me plait bien. Au tournant du chemin : une batterie de télescopes (5rs) est pointée vers les sites intéressants. Un homme en haillons me regarde. Je me méfie mais décide de continuer le chemin escarpé qui traverse un village aux maisons peintes en blanc ; les cris des enfants me rassurent. Je ne serai pas seule avec le type aux chiffons orange. C’est le gardien du temple du village (moderne) qu’ il ouvre, je trouve une pièce sans décor, une estrade. Je mets une petite donation sur l’estrade. Il est furieux : c’est insuffisant ! C’est déjà trop puisqu’il n’y a rien à voir ! Je tourne les talons pour trouver toute la bande des enfants qui m’escortent avec une chanson dont je devine facilement le sens : ils veulent un « cadeau ». Ils ont la peau très noire, les cheveux ébouriffés, pieds nus, vêtus des pauvres fripes qu’on jette en occident. Un garçon s’enhardit et donne une tape sur mon sac à dos. Je me retourne et fais els gros yeux. Ils se dispersent comme une volée de moineaux. Puis l’escorte se reforme. Deuxième coup sur mon sac. Je gueule très fort ! Prends le sac à la main et presse le pas. Comme j’ai crié fort ils se sont sauvés, finalement plus craintifs que les enfants marocains ou béninois qui exigeaient « yovo, cadeau ! ». ils ont quand même gâché la sérénité de ma promenade. J’ai renoncé aux derniers temples en haut de la montagne annoncés par le Guide Bleu.
11h30, le chauffeur gare la voiture à l’ombre à proximité du temple de Delwara qui n’ouvre qu’à 12h. Deux files se forment : portique électronique, la policière s’intéresse de très près au Guide Bleu. Va-t-il être banni comme les objets de cuir, les chaussures, les appareils photos et les téléphones ? Non, elle veut savoir ce qu’on raconte sur le temple pour rendre service à deux indiens anglophones qui lui ont demandé un guide en anglais. Elle n’a pas remarqué que c’est en Français. Ils sont justement à côté de moi. Ils sont venus de Chennai exprès et rentreront en avion quelques heures après la visite.
Un homme nous harangue en Hindi. Que raconte-t-il ? Que nous veut-il ? C’est la visite guidée. Le groupe est important, je suis poussée par les autres sans rien comprendre ni voir.
Un vieux monsieur aux manières très policées, et parlant un anglais parfait, propose de me faire visiter le temple. Ravie, j’accepte. Vimal Vasahi fut construit entre 1021 et 1045 par Vimal Shah. Il se compose d’une coupole qui précède la salle de la statue. Tout autour de la coupole se trouve une galerie avec 57 niches renfermant des statues des prophètes Jaïns. Des guirlandes finement ajourées, des petites coupoles en lotus complètent l’ensemble. 16 statues des 16 « professeurs » des prophètes (Sarasvati d’après le Guide Bleu) font la ronde autour de la coupole principale ; Délicates statues féminines souples et aimables d’environ 60 cm de haut. Sur un registre inférieur : une ronde de danseuses et musiciennes dans des postures les plus souples, déhanchements et déséquilibres aux gracieux gestes de main. Tout autour, des éléphants charmés par les musiciennes, se tiennent par la trompe. Il y a aussi la ronde des canards, celle des petits lions, des cavaliers..le marbre est d’une finesse extraordinaire et ne trahit pas ses mille ans d’âge. Une dentelle de fleurs de lotus a été ciselée dans un seul bloc sous les petites coupoles. La galerie des prophètes est aussi très décorée. Des panneaux au plafond racontent des scènes mythologiques. Ma préférée est celle de Krishna avec les Gopis au cours de la fête du Holi. Aujourd’hui, on lance els couleurs ; les Gopis les propulsaient avec des cornes de vaches(les Gopis sont des vachères). Dans une autre représentation, Krishna a un corps de serpent. Ces scènes sont d’une délicatesse exquise. Certaines ont été martelées par l’intrusion de musulmans fanatiques. Ces derniers, pressés ont préféré s’attaquer au nez des idoles que de saccager l’ensemble. J’ai déjà entendu parler de cette pratique de casser le nez dans l’Egypte ancienne. Certaines niches ont été restaurées récemment. Le marbre est plus blanc mais la technique initiale est la même. A l’entrée, le guide me montre les deux lions sur les marches qui montrent qu’il faut laisser dehors sa colère. Je ne jette qu’un regard distrait à la statue d’Adinath dans sa niche.
Les éléphants ont joué un rôle important dans la construction du temple : coupoles et scène mythologiques sont monolithes. De très gros blocs de marbre ont été apportés à dos d’éléphant sur une distance de 60km, par des pistes malaisées. Un pavillon leur a été consacré : l’écurie des éléphants avec les statues des rois et de ses proches.
Le temple suivant Luna Vasahi fur élevé en 1230 par deux frères Tejapala et Vastupala. Le style des guirlandes diffère un peu du précédent, plus contournées, plus arrondies, baroques…la coupole représente une fleur de lotus pendant à sa clé, encore plus ajourée, encore plus ciselée. De chaque côté de la salle se trouve deux niches en l’honneur des épouses des deux frères. Une compétition s’engagea alors pour les sculptures des deux niches. Sept fois elles furent détruites. Pour cesser le concours, on décida de faire les mêmes sculptures à une légère différence près : un éléphant ou un cheval de plus pour l’épouse du frère ainé.
Nous sortons voir la statue d’Adinath (1468) pesant 4 tonnes, faite d’un alliage précieux d’or d’argent, de bronze. J’ai du mal à accéder à la statue. Les Indiens font leurs dévotions, certains font la révérence, certains se prosternent.
– « Sont-ils jaïns ? « je demande au guide
– « pas spécialement, les Hindouistes respectent aussi Adinath. »
Le dernier temple placé près de l’entrée, n’est pas aussi précieux que les deux précédents. Il a été édifié par les ouvriers du temple sur leur temps de pause pour les repas. Les matériaux étaient les restes non utilisés dans les autres temples. Les sculptures sont donc plus simples et ls blocs monolithes ont été remplacés par des blocs jointifs. Les ouvriers étaient payés à al tâche : ils ramassaient la poussière de marbre, pesée sur une balance. On leur payait l’équivalent en poussière d’or, raconte-t-on.
Au retour, le chauffeur nous arrête au lac Nakki.
Nous passons l’après-midi à prendre le soleil sur les lits du solarium. Des Indiens vivant aux États Unis convoitaient aussi cet endroit. C’est l’occasion de faire un brin de causette. Chez eux les Français n’ont pas bonne presse.
– « puis-je vous demander quelque chose sans vous offenser ? » dit la dame
– « pourquoi les Français refusent-ils de nous répondre quand nous leur parlons en anglais ? »
– « combien d’heures travaillez-vous ? » (nous passons pour des feignants)
Ils me montrent l’escalier qui mène en haut de la tourelle. Ce qui prolonge d’une bonne heure le soleil qui se couche plus tôt à la montagne.
D’un petit car sortent des femmes occidentales vêtues de voiles blancs. Elles parlent Espagnol et viennent de toute l’Amérique latine, Argentine, Chili, Pérou…Elles semblent être des adeptes de la secte brahmakumaris qui a un centre un peu plus bas
– « que lindo ! que bonito ! ». Elles ont des airs de ravies de la crèche parfaitement béates ! Mi-bonnes sœurs, mi-piquées.





























