la route de Marrakech à Essaouira, première visite

PLAGES DE L’ATLANTIQUE – ANTI-ATLAS

La route longe l’oued Issil puis bifurque dans la campagne. Evitant l’autoroute nous préférons la N8, route d’Agadir, le plus souvent à 2 voies. Il y a peu de circulation mais des radars et des barrages de la police de la route à l‘entrée de chaque ville ou village.

Autour de Marrakech, le paysage est difficile à interpréter : des espaces vides, désertiques alternent avec des oliveraies ou des vergers d’agrumes. La sécheresse est criante de nombreux vieux oliviers sont morts, desséchés. A proximité d’autres vergers prospèrent : de fins tuyaux de l’irrigation goutte à goutte courent sur le sol. Certains oliviers ont-ils été abandonnés, l’irrigation arrêtées, ou poussaient-ils sans irrigation autrefois ? Est-ce la conséquence du changement climatique ou de l’exode rural ? Même les haies d’eucalyptus ou de cyprès sont sèches. Spectacle attristant. A côté, des cultures maraîchères, irriguées sont bien vertes. Dans les champs, des femmes coiffées de grands chapeaux de paille cueillent les pois et les fèves.

Les villages sont rares. De temps en temps, de gros bâtiments de béton concentrent les habitants. Grosses cités scolaires, garages ou rangées de boutiques et d’ateliers sous de tristes arcades rudimentaires. Garées devant des triporteurs, des motos, de nombreuses calèches avec des capotes grises poussiéreuses tirées par de petits chevaux très fringants.

On passe devant une cimenterie avec des antennes, aux allures de science-fiction : Heidelberg (anciennement Lafarge).

A l’ entrée de Chichaoua, une casbah moderne de ciment porte une fresque Street-art : une fantasia. C’est aussi à Chichaoua que la route d’Agadir prend la direction Sud-Ouest tandis que celle d’Essaouira continue vers l’Ouest.

Nous arrivons dans une campagne plantée d’arganiers. Des coopératives de femmes vendent aux touristes huile d’argan, miel et autres produits dérivés. Les arganiers sont de très beaux arbres très verts formant un parasol déployé au feuillage de petites feuilles coriaces vert foncé qui font le délice des chèvres qui se lèvent pour brouter. Nous quittons la route principale pour parcourir les collines tranquillement. Des bergers gardent leur troupeau de chèvres et quelques dromadaires. les photos sont payantes, mais nous donnons de bon cœur à ces hommes qui ne sont pas bien riches. Ravages de la sècheresse ici aussi : de nombreux arbres sont grisâtres, défeuillés.

Arrivée vers midi à Essaouira qu’on découvre d’un belvédère, ville blanche avec ses iles. Des dromadaires attendent les touristes pour d’autres photos payantes.

Sardines grillées au port

Le parking du port est bien complet. Les placiers font beaucoup d’efforts pour nous trouver la place la plus proche  possible des restaurants de sardines grillées. Comme la voiture est pleine, Dominique est peu encline à leur laisser les clés de la Citroën. Sur un très joli étal je choisis les poissons : six sardines, le serveur ajoute une poignée de crevettes roses et tout passe sur le grill. Nous aurions pu nous attabler aux longues tables bleues. J’emporte une assiette des couverts une baguette fraiche, des serviettes et du citron. Le serveur qui m’accompagne avise le carton ondulé cadeau du parking de l’Hôtel de Ville de Marrakech destiné à faire un pare-soleil. Le carton posé sur nos genoux se transforme en une table confortable. Les sardines sont délicieuses, très fraîches, les crevettes aussi. Ce repas fameux aura coûté 70 dh (10 de pourboire pour le service) à peine 7€ pour nous deux.

dans la médina

Essaouira ; bastion

Dominique a trouvé une place gratuite sur la corniche. Je pars dans la médina à la recherche de notre ancien gîte « la maison des escaliers » où nous avions passé trois jours en face du bastion. Jolie médina blanche et bleue égayée par tous les étals de chapeaux, babouches, tapis, céramiques, antiquités, cuirs et bois de thuya installés dans la rue. Je n’avais pas souvenance de tant de clinquant touristique. Alors, il avait beaucoup plu. La marchandise était rentrée dans les échoppes.

Essaouira paniers babouches

Je suis tentée par un échiquier en bois et j’ai besoin de remplacer le pouf qui tombe en loques. En une minute le pouf annoncé 500dh descend à 200, mais il ne plait pas. C’est une erreur de marchander un article qui ne fait pas vraiment envie. Je photographie les portes décorées d’entrelacs ciselés ou de zelliges. Il faudrait ôter les pendillocheries et les enseignes contemporaines snobinardes des restaurants ou salon de bien-être. J’entre plus avant dans les ruelles où la vie des habitants s’est retirée. Je me sens intruse quand j’arrive dans une cuisine.

Une belle exposition de photographie est installée sur la terrasse des remparts, justement sur le thème des terrasses et de l’intimité de femmes.

Belle promenade sur la corniche.

Les jardins de Marrakech

 PLAGES DE L’ATLANTIQUE, ANTI-ATLAS

Le muezzin chante à 6h50 ; la nuit est étoilée. Je regarde le jour se lever entre les troncs des palmiers. Le soleil paraît à 8h24 . Réveil en douceur, je continue le livre de Samira El Ayachi.

La Ménara

Après notre équipée en voiture hier, dans la médina, nous choisissons une promenade plus tranquille et plus agréable pour Dominique : le jardin et le bassin de La Menara. Nous l’avions visité autrefois un dimanche. Les familles marocaines y étaient installées pour un pique-nique dominical. Ce matin, vers 10 heures c’est beaucoup plus tranquille. Quelques promeneurs seulement, des couples, des jeunes gens en bandes filles d’un côté garçons de l’autre arpentent les bords du bassin. Dans l’eau trouble les poissons ne se remarquent que quand ils sautent. La lumière éblouissante du matin ne met pas en valeur le site : les sommets, enneigés sur les photos, sont noyés dans la brume et le pavillon est dans l’ombre. Préférer la fin de l’après-midi !

Construit en 1157 du temps des Almohades par le calife Abd- Al- Mumin qui a également commandé la construction de la Koutoubia, le bassin 200mx150, était destiné à irriguer le jardin d’olivier 88 ha. Il a également servi de bassin d’entraînement aux soldats de l’armée almohade pour traverser la Méditerranée. L’eau provient de la nappe phréatique à travers le système de khettaras  installé au XIIème siècle par les Almoravides.

Le pavillon signalé par les Saadiens en 1579 est doté d’un belvédère. Des pavillons de même style XVIIIème siècle ont été construits à Fès et à Meknès.

Je rentre en traversant l’oliveraie. Les vieux oliviers ont subi une taille sévère. Des branches épaisses comme des troncs ont été coupés à la tronçonneuse. Je suis étonnée de ne pas voir d’olives. Les a-t-on déjà récoltées ou les arbres n’ont-ils rien donné ?

Avec la Koutoubia pour cap, nous nous dirigeons vers le centre de Marrakech. Des fontaines jaillissantes et des jardins nous accueillent. Dominique trouve une place de parking devant l’Hôtel de Ville et je pars pour une heure de promenade à pied pour des photos de la Koutoubia et une incursion dans la Médina. Je m’attarde dans le Cyber-Park Moulay Abdeslam. Le Musée des télécoms ne m’attire pas plus que cela mais les vieux arbres, certains plantés au XVIIIème siècle sont parfaitement mis en valeur, les allées ratissées avec soin, les essences étiquetées comme dans un arboretum. Certains topiaires sont surprenants. Les panneaux explicatifs et des bornes multimédias sont conçus pour une sensibilisation au développement durable. Evidemment, je ne fais que passer mais je regretterai ultérieurement de ne pas m’être mieux renseignée sur les pratiques agricoles marocaines qui ont des tradition d’irrigation séculaires.

Toujours avec la Koutoubia pour cap, je découvre les rangées de piliers, ruines de l’ancienne mosquée. Des étais de bois soutiennent le mur et le haut du minaret est tout entortillé. Conséquences du séisme de septembre 2023.

Les jardins de la Koutoubia ont des bassins comme ceux de l’Alhambra de Grenade. Je me promène avec grand plaisir dans ces jardins verts et bien entretenus. A notre premier séjour, nous logions tout près et j’avais le souvenir d’un square tout poussiéreux. A nos passages suivants, nous logions à l’intérieur de la médina et étions restées dans l’entrelac des ruelles. Jamais, je n’avais imaginé cette verdure. Pourtant en regardant les plans de la ville, les espaces verts occupent une place considérable.

Jardin Majorelle

Jardin Art Déco, graphique et égayé du bleu Majorelle, c’est un passage obligé, un paradis moderne finalement bien dans l’esprit de la ville. Nous tournons en voiture autour du jardin et du Musée Yves Saint Laurent. Nous ne sommes pas seules, il y a foule. Plutôt que de faire la queue, nous retournons dans notre palmeraie moins sophistiquée mais bien plus calme.

C’est donc une visite bien différente des précédentes. Evitant la médina intramuros, nous tournons en voiture dans le Guéliz et les quartiers modernes.

En face du Carrefour-Contact, le grand restaurant propose des plats à emporter. Je commande un tagine-keftas . Le tagine-kefta est servi dans une barquette aluminium. Les boulettes de viande minuscules sont figées dans une omelette et dans la sauce tomate. C’est très bon mais les chats ont été alertés par l’odeur. Six sont installés autour de nous. Un tout jeune tigré est particulièrement effronté. Il grimpe sur ma chaise. Les autres sont plus placides quoique insistants.

Je passe l’après midi tranquille dans cette palmeraie fleurie finalement très étendue le long de l’oued. Certaines villas très grandes ont des piscines privées. Porsche et Mercédès-Benz ne déparent pas.

Premier jour à la Palmeraie de Marrakech

 PLAGES DE L’ATLANTIQUE, ANTI-ATLAS

Vol AT 641 Royal Air Maroc

 6h50 – Orly dans la nuit. La brume cache l’Espagne. Le soleil se lève au petit jour au-dessus de Gibraltar. Je devine le Rocher, la côte africaine, Tanger. L’avion suit la côte atlantique frangée d »une double rangée de vagues. Quittant l’océan, il survole la campagne avec énormément de plastique. Serres ou tunnels, à 11 000 m difficile de le distinguer. Le désert rouge et ocre. A l’approche de Marrakech, des vergers, oliviers et orangers en damier. Atterrissage 9h15, une journée pleine devant nous

Petites courses à l’aéroport :

distributeur automatique de billets pour avoir des dirhams

MarocTelecom. La Carte Sim est offerte. Les filles changent la puce d’un seul geste, introduisent la carte SFR dans une pochette, inscrivent le numéro de téléphone marocain et créditent 20 € pour 20 Gigas (il faut payer en euros, heureusement qu’il nous en reste). Miracle de la technologie, je récupère mes applications, Facebook, Booking.com où se trouvent les réservations. Le GPS fonctionne. Je peux appeler le loueur de voiture au numéro qu’il m’a indiqué. Je n’ai pas fait attention que la nouvelle carte Sim a un nouveau code PIN. Je ne m’en apercevrai qu’au cours de l’après-midi quand par une fausse manœuvre j’éteins le téléphone. Plus de téléphone, plus de répertoire, plus de réservations surtout celles que j’ai faites sans Booking.com, par téléphone. Après deux fausse manœuvres, alors qu’il ne me restera plus qu’une dernière chance, j’ouvre la pochette et découvre le nouveau code PIN. Soulagement !

La location de la voiture est plus délicate. Addcar réservé à la suite de la réservation du billet d’avion sur le site de la RAM, n’est pas une compagnie internationalement connue comme Hertz, Avis ou Budget. Elle ne dispose d’aucun bureau permanent à l’aéroport ou sur les parkings. Dans une voiture ordinaire garée à côté de la sortie du parking l’employé dispose d’un téléphone portable, un terminal de Carte Bleue de formulaires papier qu’il remplit manuscritement avec du papier carbone comme au siècle dernier. Comme la location de la voiture a été payée d’avance, il faut faire confiance. Nous avions réservé une Fiat 500 ou une C1 (catégorie A). La voiture qu’on nous prête est une Citroën-Elysée, grosse Citroën marocaine « la Citroën des pays émergents partageant la même base que la Peugeot 208 » selon Internet. 51.000 km au compteur, blanche un peu égratignée de partout. L’employé insiste pour qu’on prenne une assurance supplémentaire avec une caution minorée. Généralement, nous nous contentons de l’assurance de Visa 1er mais nous acceptons le supplément.

Googlemaps nous guide le long des Remparts puis de l’Oued Issil qu’on traverse . La première impression de la Palmeraie est mitigée. Elle se meurt.  Les arbres sont en mauvais état, troncs noircis, déplumés moribonds. Au sol, de la poussière sèche, quelques épines des déchets épars. Des chameaux lâchés-là pour le bonheur des touristes amateurs de méharées express.  Que peuvent- ils bien brouter ?

Notre palais à La Palmeraie

Derrière de très longs murs de terre, la végétation est luxuriante : hauts palmiers bien verts taillés et fournis, bougainvillées de toutes couleurs de l’orange au violet en passant par le rose fuchsia et le rouge. Nous avons réservé un studio dans un de ces condominiums fleuris et verdoyants. Nous passons sous une arche majestueuse gardée par un portier en uniforme noir qui lève la barrière et nous guide vers notre logement C4, appartement 5. La route dallée et sinueuse décrit des courbes contourne un groupe de palmier et les massifs fleuris. Les clés censées se trouver sous le paillasson n’y sont pas. J’appelle Nawfel : elles sont dans une boîte à clés, mais le code est erroné, heureusement une employée de ménage (tablier bleu et voile) nous dépanne.

L’appartement est très vaste : dans le salon un canapé profond devant un téléviseur à un écran plat très grand format, une cheminée en angle. Le sol dallé de marbre est bordé d’une élégante frise. Le plafond est en bois sculpté. Le carrelage de la salle d’eau est magnifique. Grand luxe !

De grandes baies s’ouvrent sur une pelouse verte plantée d’orangers, de citronniers, grenadiers avec un grand feuillu qui ressemble à un frêne avec des feuilles composées roussies par l’automne, un olivier. Une rangée de poteries peintes s’inspirant du jardin Majorelle complète le décor. Grand luxe !

Nous allons déchanter.

L’appartement n’est pas dans une résidence touristique de vacances comme nous l’imaginions. Ce sont des appartements privés pour des résidents fortunés. Rien n’est prévu pour des locations de courte durée. Pas de papier-toilette, ni de sacs poubelles. Encore moins de produits d’entretien ou d’épicerie courante. Il y a bien un four moderne et des plaques vitrocéramique mais l’unique casserole pourrait cuire deux œufs durs mais sûrement pas des pâtes ou de la soupe. Très peu de vaisselle, dépareillée perchée dans des tiroirs que seul un géant pourrait atteindre sans escabeau, pas même un tabouret. Seulement 4 chaises autour d’une table de jardin sur la terrasse – attachées avec une chaîne cadenassée.

Les gens qui occupent un si beau logement mangent sûrement au restaurant. Pourquoi pas nous ? Je pars en quête d’un restaurant (fermé). Les deux piscines, en revanche, sont bien remplies d’une eau claire irréprochable mais froide. Pas plus de supermarché, la superette de l’autre côté de la route est fermée. Le portier m’indique à 1.5 km Carrefour-Contact et en face, un beau restaurant.

Notre première visite sera donc Carrefour pour des bouteilles d’eau (à l’effigie d’un footballer Romain Saïss) des yaourts Danone, des oranges navel d’Agadir. Notre premier déjeuner dans la résidence de luxe sera bien frugal : un yaourt, une banane et une orange.  Heureusement nous avons apporté de France de la truite fumée.

Incursion dans la Médina

 

La Palmeraie se trouve à une dizaine de kilomètres de la Médina. Sur la route les petits taxis sont rares (inexistants). J’avais pensé rendre visite au Riad Jenaï voir les travaux que Yannick a fait après les dégâts du séisme de septembre. Dominique propose de m’emmener plus près. Nous entrons dans la médina en voiture par Bab Khemis et Dominique passe outre les avertissements des passants. Devant les souks il faut se garer, justement il y a des parkings dans les arrière-cours où les véhicules s’entassent sous la direction des placiers. Je laisse Dominique coincée dans la Citroën, règle le GPS en mode piéton. Le Riad Jenaï n’est qu’à 600 m. Je devrais arriver rapidement. Mais ce n’est pas simple. Rues, ruelles, couloirs sont beaucoup plus complexes que sur le plan à l’écran. Mademoiselle IA ânonne de sa voix synthétique des noms de rues impossible à identifier. Sans compter le tas de verdure (pour les ânes et chevaux) qu’il me faut contourner par la droite ou la gauche si bien que je perds le sens de l’orientation. Sans compter que, si jamais j’arrivais chez Yannick, je serais bien incapable de retrouver le parking caché. Je renonce à regrets, si près du but.

Comment retrouver le gîte maintenant que mon téléphone s’est bloqué ?  la localisation est sur le Whatsapp . Nous programmons Carrefour-contact de la Palmeraie sur le téléphone de Dominique et repassons au moins trois fois devant les mêmes dromadaires avant de reconnaître l’entrée monumentale du condominium.

Les soirées sont très fraîches en décembre, surtout dans un appartement inoccupé. Nous sortons les couvertures cachées roulées dans une armoire.

La malchance continue, l’électricité a sauté. Dans une heure, il fera nuit . Nawfel  ne répond pas à mes messages . En désespoir de cause, je retourne chez le portier très aimable qui appelle en arabe le « syndic ». Je découvre alors que Nawfel n’est pas le propriétaire de l’appartement mais le syndic de la copropriété. S’il gère des dizaines de villas notre cas est bien un souci mineur. Cela me vaut une belle promenade. J’ai 16000 pas au podomètre. Miracle Nawfel a répondu : il est « en réunion »  le disjoncteur est « dans le placard ». Lequel ? On finit bien par trouver.

Nous terminons la soirée devant France24. Ukraine, Gaza, Viktor Orban, rien que des bonnes nouvelles !

Dîner yaourts et bananes.

On se terre sous deux couvertures .  Je dévore Le Ventre des Hommes de Samira El Ayachi une autrice franco-marocaine entre Germinal et Zagora. J’ai lu Germinal le mois dernier, cela me va.

 

Regardez nous danser(le pays des autres t2) Leila Slimani

LIRE POUR LE MAROC

Dans deux jours, nous serons à Marrakech puis à Essaouira.

Regardez nous danser devait nous accompagner pour les vacances. Impatiente, je n’ai pas attendu.  J’ai pris un peu d’avance : de Meknès à Rabat, un détour avec les hippies 1969-70 à Essaouira. 

Regardez-nous danser fait suite au premier tome :  Le Pays des Autres que j’avais bien aimé. J’ai  retrouvé Mathilde, l’alsacienne, qui sait se faire apprécier en soignant les paysannes. Amine a réussi son rêve d’exploiter la terre que son père lui a légué.  Propriétaire terrien prospère, il peut prétendre à la bourgeoisie cossue du Rotary. Aïcha, la studieuse écolière fait médecine à Strasbourg tandis que Sélim rate eux fois son baccalauréat. Le Maroc est indépendant, une riche bourgeoisie marocaine prend la place des colons ou plutôt cohabite avec les Français qui sont restés.

La jeune génération, après 1968, s’est installée en bord de mer. Une ambiance décontractée, hédoniste, règne dans la bande de copains qu’Aïcha fréquente qui affecte des positions progressistes et rêve de changer le monde.

29 mars, Hassan II avait fait cette déclaration : « Il n’y a pas de danger aussi grave pour l’État que celui d’un
prétendu intellectuel. Il aurait mieux valu que vous soyez des illettrés. » Le ton était donné.

Omar, le frère d’Amine, est un gradé des services de renseignements, par son intermédiaire l’auteur nous fait sentir le côté obscur du règne de Hassan II. Les débuts des années 70, les attentats manqués et la répression qui a suivi.

Le monde fonctionnait ainsi : les anciens transmettaient leur art aux plus jeunes et le passé pouvait continuer d’infuser le présent. C’est pour cela qu’il fallait embrasser l’épaule ou la main de son père, qu’il fallait se baisser en sa présence et lui signifier son entière soumission. On ne se libérait de cette dette que le jour où l’on devenait soi-même père

La vie ressemblait à la cérémonie d’allégeance où tous les dignitaires du royaume, tous les chefs de tribu, tous
les hommes fiers et beaux dans leur djellaba blanche, dans leur burnous, embrassaient la paume du souverain.

 

Par la suite, les jeunes s’installent. Les idéalistes font carrière et l’amour romantique et incandescent fait place à des relations plus traditionnelles, surtout pour les femmes qui n’ont de place qu’à l’ombre de leur mari.

Elle pensait que c’était cela aimer. Être loyale. Laisser l’autre inventer sa vie, la reconstruire, ne pas s’opposer à son désir d’être un personnage.

Quant à la fin, je n’ai pas bien compris que l’histoire était terminée, sans doute elle l’était puisque l’auteure remercie ceux qui l’ont aidée…Je suis restée un peu sur ma faim.

Une belle lecture avant de partir. Cependant il faut lire d’abord Le Pays de autres avant! 

Yasmine Chami – Casablanca Circus – ACTES SUD

MAROC

Une bonne pioche de la Masse Critique de Babélio que je remercie ainsi que l’éditeur ACTES SUD !

196 pages, un court roman qui se lit facilement. 

May et Cherif se sont connus à Paris, étudiants. May est historienne, Chérif architecte. Ils ont un petit garçon Elias, et au début d’une deuxième grossesse décident d’élever leurs enfants à Casablanca d’où ils sont natifs.

Avant leur retour au Maroc, Chérif veut finaliser son projet dans la Cité des Bosquets :  reconquête des territoires perdus de la République en repensant les espaces communs de cette cité-ghetto. Rêve d’architecte se basant sur le travail ethnologique documenté par May. Faute de soutien et de volonté politique, il n’aboutira pas.

A Casablanca, une nouvelle opportunité s’offre à Chérif : Nassim, un promoteur, cousin de May lance une vaste opération immobilière : l’aménagement de la corniche dominant l’Atlantique et le recasement des habitants du bidonville dans un « lotissement pilote » à l’extérieur de la ville dans le cadre du programme Villes sans bidonvilles Deux autres chantiers s’offrent : la construction d’un écovillage dans le sud et celle de la villa du promoteur.

May se lance dans une recherche concernant la population du bidonville, le Karyane El Bahirine, elle fait la connaissance des habitants, met en évidence les relations de ceux-ci avec la proximité de l’océan, leurs moyens de subsistance – tout ce qu’il vont perdre avec leur « recasement ». Elle noue des amitiés, s’investit émotionnellement et s’éloigne des plans de son mari qui suit le promoteur. Le projet du couple perd, au fil des concessions, sa consistance. 

Je ne suis pas entrée dans le roman dès le début. L’auteure a eu l’idée de dédoubler le récit à deux voix, distinguées par deux polices de caractère : le récit et un monologue de May qui s’adresse à sa fille-fœtus tout au long de sa grossesse. Ce procédé artificiel m’a dérangée. Les états d’âme de la femme enceinte m’ont un peu ennuyée.

La présentation de  la famille de May et de Chérif m’a bien intéressée : analyse de la société marocaine aisée, bourgeoisie intellectuelle – médecins ou avocats – et parvenus « m’as-t-vu ». Apparition des absents, fantômes de la colonisation, français mais aussi juifs qui ont quitté le Maroc. Les positions politiques féministes et anticoloniales de May et de Chérif au langages radical en France se heurtent à la vie marocaine et des contradictions se font jour. Gouffre entre le mode de vie des classes aisées et des habitants du Karyane que May découvre….Solidarités entre femmes, inattendues aussi. J’ai beaucoup aimé  cette analyse ethnographique très fine et je me suis laissé emporter par le reste du récit.

le pays des autres – Leila Slimani – folio

MAROC


Mekhnès, 1946 – 1955, Mathilde, une jeune alsacienne, enceinte vient rejoindre son mari, Amine, qu’elle a épousé en Alsace à la fin de la guerre. Officier de l’armée française, prisonnier de guerre dont le rêve est de faire fructifier la terre que son père a acquis à 25 km de Mekhnès. Mathilde rêve d’aventure ; très amoureuse d’Amine, elle ne sait pas ce qui l’attend au Maroc.

La ferme est isolée, la terre ingrate, Mathilde se trouve bien solitaire. Etrangère dans la famille traditionnelle de son mari qui vit dans la médina. Moquée et méprisée par les Français de la ville européenne. Heureusement, Mathilde est inventive, pleine d’énergie et mère de deux enfants Aïcha et Selim. Aïcha étudie dans une école catholique, son intelligence aiguisée lui donne un statut de première de classe alors que ses petites camarades la snobent.

Au fil des années, la ferme se développe. Mathilde soigne les femmes dans une sorte de dispensaire. Amine a trouvé un débouché à l’exportation pour les fruits de ses vergers. La vie pourrait être plus douce si les luttes pour l’Indépendance ne devenaient pas de plus en plus pressantes.

« Il fut un temps pas si lointain où nous appelions terroristes ceux qui sont devenus des résistants. Après plus de quarante ans de protectorat, comment ne pas comprendre que les Marocains revendiquent cette liberté pour laquelle ils se sont battus, cette liberté dont nous leur avons transmis le goût, dont nous leur avons enseigné la valeur… »

Cette famille mixte ne sait plus où se situer. Comme les colons, ils ont un domaine et des ouvriers agricoles. Amine était fier de son statut d’ancien combattant .

« Non, à cet instant, ils appartenaient tous les deux à un camp qui n’existait pas, un camp où se mêlaient de manière égale et donc étrange, une indulgence pour la violence et une compassion pour les assassins et les assassinés. Tous les sentiments qui s’élevaient en eux leur apparaissaient comme une traîtrise et ils préféraient donc les taire. Ils étaient à la fois victimes et bourreaux, compagnons et adversaires, deux êtres hybrides incapable de donner un nom à leur loyauté. Ils étaient deux excommuniés qui ne pouvaient plus prier dans aucune église et dont le dieu est un dieu secret, intime, dont ils ignorent jusqu’au nom.. »

Cette ambiguïté, cette ambivalence se trouve aussi dans son statut de femme. Comment se définir parmi les femmes de la famille de son mari? Mathilde se sent proche de sa bonne, berbère, mais si différente, illettrée et peu soignée, elle voudrait aussi être l’amie de Selma, la petite sœur de son mari qui cherche à s’émanciper mais qui devra faire un mariage de convenance.

Juifs d’Orient – une histoire plurimillénaire à l’Institut du Monde Arabe

Exposition temporaire jusqu’au 13 mars 2022

L‘IMA poursuit avec Les Juifs d’Orient la série : Hajj pèlerinage à la Mecque et Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire avec la même ambition et la même approche chronologique dans un Orient qui s’étend de l’Atlantique à la Perse et à l’Arabie. Coexistence millénaire des Juifs et des Musulmans .

brique funéraire – Espagne IV -VI ème siècle

La chronologie remonte à la destruction du premier temple (586 av JC) et l’exil à Babylone, puis à la destruction du second temple (70)et l’interdiction  aux Juifs de vivre à Jérusalem qui devient Aelia Capitolina (130)

Des papyrus trouvés dans l’Île Eléphantine sont datés 449 – 427 – 402 av JC

Des objets illustrent l’époque romaine : lampes portant la ménorah en décor,(Egypte, Tunisie, Maroc) des ossuaires de marbre, mosaïques de la synagogue de Hammam Lif (Tunisie)  avec des inscriptions en latin. magnifique vase de Cana en albâtre.

Doura Europos traversée de la Mer rouge

La synagogue de Doura Europos (Syrie 244 -245) fut entièrement peinte à fresques sur des thèmes bibliques. On entre dans une petite salle où les photographies des fresques ont un aspect saisissant. On s’y croirait. C’est une surprise totale. Je n’imaginais pas de telles peintures figuratives. 

Doura Europos scène du Livre d’Esther

Un dessin animé montre la rencontre du prophète Mohamet avec les tribus juives de Médine qui se soldera mal.

En parallèle une peinture de J Atlan  rappelle la figure de la Kahena (reine berbère, peut être juive qui mourut en 703 dans les Aurès combattant les invasions arabes;

Dans une petite salle un documentaire nous montre la Gueniza du Caire et les  autographes de Maïmonide. C’est très émouvant de voir ces documents : en plus des écrits religieux on découvre même la punition d’un écolier qui a fait des lignes, répétant 500 fois que « le silence est d’or » on imagine le garçonnet turbulent! Dans une vitrine sont exposés des manuscrits et même celui de la main de Maïmonide (la photo était floue à travers le verre) .

Une salle reproduit la synagogue de Tolède je remarque le sceau personnel de Todros Halevi fils de Don Samuel halevi Aboulafia de Tolède. 

Souvenir de pèlerinage à Jérusalem (affiche)

Le Temps des Séfarades raconte la vie des Juifs à Istanbul avec des photos anciennes et d’amusants souvenirs de pèlerinages à Jérusalem

Istanbul, les trois religions

Le temps de l’Europe avec un grand tableau de Crémieux, des photos de classe de l’Alliance Israélite évoque l’Algérie et la colonisation française. En face des dessins et aquarelles de Delacroix, Chasseriau montre l’intérêt pour l’orientalisme. 

tikim pour la Torah

La vie des communautés juives au tournant du XXème siècle 

montre des objets venant du Maroc (vêtements, bijoux, objets)

bijouxMaroc

 

bijoux et photos du Yémen . Un film m’a étonnée : un pèlerinage  à la Ghriba de Djerba, ces Juifs semblent sortis de la haute Antiquité alors qu’il a été filmé en 1952. La Ghriba était bien vide lors de nos passages il y a 3 ans. 

Ctouba : contrat de mariage

Dans une salle, des photos de familles marocaines, algériennes et tunisiennes montrent l’exil vers la France ou le départ en Israël. Un monde disparu.

La fin de l’exposition montre la création de l’Etat hébreu et ses conséquences : départ des juifs marocains (Aliya spirituelle pour ces populations très religieuses, mais aussi émigration économique de villageois très pauvres), l’arrivée des Juifs Irakiens, accueillis au DDT alors qu’ils avaient revêtu leurs plus beaux habits. Déchirements de ces Irakiens établis depuis l’Exil à Babylone bien avant l’arrivée des Arabes.

Une vidéo très joyeuse de Yemennight 2020, Talia Collis jeunes yéménites rappeuses préparant la mariée avec le maquillage au henné, danses et musique aux paroles ironiques sur le pays où coule le miel, le lait, les dattes….j’aimerais retrouver sur Internet cette vidéo.

Cette exposition est très ambitieuse, peut être trop. Très riche en documents, peut être trop. Qui trop embrasse, mal étreint. Je me suis sentie un peu perdue dans tous ces témoignages très touchants mais pas toujours bien mis en évidence. Il y avait matière à plusieurs expositions.

 

 

De l’autre côté des Croisades – L’Islam entre Croisés et Mongols – Gabriel Martinez-Gros

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

L’Islam entre Croisés et Mongols XIème – XIIIème siècle

Attention! Livre d’Histoire savante destiné à des initiés qui maîtrisent histoire et géographie sur le monde d’Islam, de l’Atlantique (Maroc et Espagne) jusqu’à la Chine d’où viennent les Mongols, en passant par les steppes d’Asie Centrale, Afghanistan et Transoxiane, Perse et Mésopotamie. J’ai interrompu ma lecture à nombreuses reprises  pour saisir mon ami smartphone et GoogleMaps pour situer les villes Merv, Tus, Nichapour… Coquetteries de l’auteur qui utilise les vocables d’Ifrikiya (Tunisie) ou Jéziré (Mésopotamie) que je connaissais déjà.  De même quand il assimile les envahisseurs nomades aux Bédouins. Bédouins les Almoravides ou Almohades qui conquièrent l’Andalousie, cela me paraît naturel, comme les Berbères au Maghreb… Bédouins, les hordes des Turcs et Mongols, c’est déjà plus étonnant, encore plus quand les Chevaliers Francs entrent dans cette catégorie. 

L’auteur nous rend accessible les textes de trois historiens arabes médiévaux : Ibn Khaldoun (1332 -1406), Ibn Al-Athir (1160 – 1233) et Maqrizi (1364- 1442) qu’il fait dialoguer avec Machiavel (1469 -1527). Chacun de ces chroniqueurs va raconter à sa manière l’histoire de la région. 

shawbak

Même si ma lecture fut laborieuse et lente ce fut un réel plaisir d’entrer dans ces chroniques pratiquement sans filtre ni anachronisme. L’universitaire contemporain s’efface pour nous présenter les textes, intervenant fort peu pour nous laisser la saveur orientale et l’authenticité médiévale. Il cite les textes racontant les massacres mongols, les dialogues entre les différents chefs de guerre hésitant entre telle ou telle alliance (Ibn Al-Athir) .

Comme les historiens médiévaux, il enregistre toutes les dynasties, les changements d’alliances, de capitales. Là, je me perds un peu. Un ouvrage de vulgarisation aurait simplifié, mis l’accent sur tel ou tel chef de guerre en laissant de côté les intrigues secondaires. Mais De l’autre Côté des croisades n’est pas une vulgarisation, c’est un ouvrage universitaire suivi d’un corpus de notes (70 pages) avec index, bibliographie, repères chronologiques etc… Rien que pour cette somme de notes, il est à ranger à côté des encyclopédies et des dictionnaires. Pour qui voudrait une histoire plus accessible Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf donnent un récit vivant que j’avais beaucoup apprécié .  Le récit de la conquête du pouvoir par Baybars (1277 -1223) dans Hakawati de Alameddine sur le mode d’un conte oriental m’a aussi beaucoup appris. 

le Caire Bab zoueila (1090)

Chronique de la succession des dynasties, des migrations des capitales, c’est aussi une réflexion plus générale sur la conquête du pouvoir, de la succession dynastique, et du renversement par un conquérant plus agressif. Ibn Khaldoun oppose le centre sédentaire qui perçoit l’impôt, s’enrichit, s’amollit tandis que les bédouins en périphérie, guerriers, s’enrichissant de razzias et prédations vont à la conquête du centre, s’associant à un chef charismatique ‘asabiya, puis se sédentarisant, s’amollissent. D’après Ibn Khaldoun, la durée moyenne d’une dynastie serait d’une « vie »(120 ans). J’ai eu du mal à cerner cette notion d‘asabiyaUn autre concept est resté flou malgré mes efforts : le « dépotoir d’empire » situé en marge des capitales Bagdad, Mossoul, Damas ou Le Caire. 

p.73 : « L’ironie de l’histoire a voulu que l’Anatolie soit aujourd’hui devenu la « Turquie », expression politique majeure du monde turc et surtout que Constantinople ait remplacé Bagdad et Le Caire… »

Ibn Al-Athir va moins généraliser et montre les choix et les stratégies individuelles : alliances ou appel au Jihad

p157 : « s’éloigner de plus puissant que soi et ne céder aux instances et aux raisons de la religion sont de véritables structures de l’Histoire selon Ibn Al-Athir. Il en existe d’autre comme le balancement d’Orient en Occident »

Une autre stratégie serait le maintient d’un glacis favorisant un voisin peu dangereux pour se protéger des incursions bédouines. 

Ajloun : château de Saladin pont levis et barbacane

Et les Croisades? Evènements majeurs de la géopolitique de l’époque et de la région, mais moins redoutées que l’intervention des Mongols. L’auteur les présente comme la reconquête de l’empire romain, les resituant dans le cadre plus vaste des expéditions des Normands en Sicile et  Afrikiya, et la Reconquista en Espagne et de la maîtrise des mers par les républiques Italiennes dans le Bassin Méditerranéen.

Maqrizi a un point de vue égyptien. L’Egypte occupe une position privilégiée. Le rôle des mamelouks est bien mis en évidence. 

Quant à Machiavel, théoricien de la prise du pouvoir, il introduit une nouvelle notion : le peuple dont le prince doit tenir compte s’il veut se maintenir au pouvoir. 

Malgré mes difficultés, malgré certaines longueurs, j’ai été contente d’aborder de si près les auteurs de l’époque.

 

 

En camping-car – Ivan Jablonka – Le Seuil

LIRE POUR VOYAGER

Si le voyage est une si bonne école, c’est parce qu’il est une source d’émerveillement en même temps qu’une leçon de modestie. À quinze ans, j’avais vu Palerme, Tanger, Zagreb, Lisbonne, j’avais passé le canal de Corinthe par voie de terre et par voie de mer, j’avais navigué en gondole, pique-niqué sur les marches d’églises baroques, fait ma prière sur l’Acropole, joué avec un caméléon, couru sur le stade d’Olympie, caressé le sable du Sahara, soutenu la tour de Pise, dégusté des souvlakis et des loukoums à la rose, dormi dans une oasis, glissé
mes pieds dans des babouches, assisté à la relève des Evzones, admiré un coucher de soleil au cap Sounion,
gravi l’Etna et le Vésuve, plongé dans les rouleaux d’Essaouira, suivi des étoiles filantes dans le ciel d’Anatolie.

Merci pour cette parenthèse heureuse à bord de votre Combi Volkswagen! Merci pour le récit de vacances ensoleillées au bord de la mer en Corse, en Sicile, en Grèce ou en Turquie, dans les yeux émerveillés d’un enfant, paysages que nous avons sillonnés mais où je saisis toute occasion de revoir.

Le Draa : les enfants préfèrent jouer aux cartes plutôt que de regarder le sublime paysage de la Vallée du Draa

Une injonction paternelle : « Sois heureux ! » dans cette période bénie de l’enfance, dans l’insouciance des années 80 quand l’esprit hippie flotte encore (surtout en Californie), mai 68 est encore en mémoire. Cette injonction n’est pas gratuite, elle est sous-tendue par l’Histoire (l’auteur est historien) de son père orphelin de la Déportation, et Jablonka se définit lui-même comme un « enfant-Shoah ». En filigrane, on devine l’errance des Juifs

« Notre Terre promise, c’est la carriole qui nous y mènera. Fidèles au camping-car qui était lui-même une fidélité au judaïsme, mes parents n’ont jamais eu de résidence secondaire. »

Auprès de ses camarades de lycée, Ivan ne se vante pas de ses voyages et de ses vacances atypiques « vacances ridicules » écrit-il qui ne correspondait à rien de répertorié

« Cette manie ambulatoire était suspecte, elle inquiétait les conformistes de masse par son aspect excentrique ; elle paraissait grossière aux enfants de l’élite. nous bougions tout le temps, nous étions les SDF de l’été. Instables. Nomades nous avions des choses en commun avec les gens du voyage »

Sans doute je suis prétentieuse, mais il me semble que ce livre a été écrit pour moi, mes semblables :

« Quels que soient mes succès et mes échecs, je n’ai jamais oublié d’où je viens. Je viens du pays des sans-pays.
Je suis avec ceux qui traînent leur passé comme une caravane. Je suis du côté des marcheurs, des rêveurs, des colporteurs, des bringuebalants. Du côté du camping-car. »

Et ce n’est sans doute pas un hasard qui me ramène Rue Saint Maur, quartier raflé en 1942 et près des terrasses qui furent la cible des terroristes

On peut railler la « bobo-écolo attitude », mais, à l’heure où le populisme et le fanatisme sévissent de tous côtés, elle est le bastion de valeurs dont nous avons désespérément besoin : la culture, le progrès social, l’ouverture à autrui, une certaine idée du vivre-ensemble. Ce sont ces valeurs qui ont été visées lors des attentats de Paris, le 13 novembre 2015, 

Vies de Job – Pierre Assouline

Dominique nous a chaudement recommandé cet essai.

Je me suis lancée dans cette biographie des Vies de Job (c’est l’auteur qui met le titre au pluriel). Pierre Assouline est hanté par Job. Il se lance dans une enquête minutieuse dans les textes bibliques mais aussi dans la littérature, la peinture et même la musique pour traquer le personnage.

« Telle est l’histoire de mon ami Job, symbole du juste confronté au Mal et à la souffrance. C’est l’histoire d’un livre et c’est l’histoire d’un homme. L’histoire d’un livre fait homme. »

Pour enquêter sur l’Histoire d’un livre, Pierre Assouline recherchera la société des écrivains et le soutien de François Nourrissier, de Carlos Fuentes dans le prologue que j’ai un peu de mal à suivre.

Erreur de ma part, j’ai égaré ma Bible, et ne peux pas revenir au texte. D’ailleurs quel texte? quelle traduction? La Thora traduite par Zadoc Kahn? ou Le Livre de Job de Renan? Assouline raconte l’histoire des traductions, de la Septante à la Vulgate, cela plane bien au-dessus de moi, je décroche un peu. La souffrance des traducteurs m’indiffère. mais je croise Artaud, Yeats, Proust et Kafka qui me parlent plus.

La voyageuse voit sa curiosité éveillée quand Assouline arrive à Jérusalem pour approfondir ses recherches. Je l’imaginais en compagnie de talmudistes, je le trouve à l’Ecole Biblique chez les dominicains. Je réprime un ressentiment : les dominicains me renvoient à l’Inquisition, et cela je réprouve! Quelle étroitesse d’esprit de ma part! Cette Ecole biblique renferme une bibliothèque où la convivialité et l’ouverture d’esprit de ce phalanstère sont remarquables. Régis Debray vient de quitter les lieux, Claudel y a travaillé…La première perle que je trouve (et note dans mon pense-bête) est Yossel Rakover s’adresse à Dieu de Zvi Kolitz, récit en date du 28 avril 1943 prétendument trouvé dans une bouteille sous les ruines du ghetto de Varsovie. Il me vient une furieuse envie de trouver ce texte!

Si Assouline a préféré l’Ecole Biblique à l’Université hébraïque, c’est à cause de la langue française. Vies de Job est avant tout littéraire, et la langue importe, comme la littérature.

fresque de doura europos

Parmi toutes les sources, Assouline n’oublie pas  que Job vut aussi en islam  :  Ayoub, pour les Musulmans est aussi un prophète. Il a ses pèlerinages, en Jordanie et même à Boukhara où nous avons visité son « tombeau ».

Digression chez les solitaires de Port-Royal où Sacy a fait une traduction (1688). Nouveau venu chez les traducteurs au 21ème siècle, un médiéviste : Alféri qui m’emmène dans l’univers du Nom de la Rose, et puis seul sur l’île de Groix.La quête de Job transporte Assouline, et ses lecteurs, comme des gobe-trotter à Heidelberg, à Bombay….Job, l’homme souffrant sur son fumier est ubiquiste. Et la voyageuse nomade se régale du périple littéraire. Les chapitres sont divisés en paragraphes numérotés (comme les versets des textes sacrés?) courts qui sautent du coq à l’âne. On voyage dans le temps et dans l’espace.

Occasion de nombreuses rencontres même Eliezer Ben Yehouda ou parfois Woody Allen. On suit même Etherie (ou Egérie) une pérégrine venue de Galice ou d’Aquitaine entre les pâqus 381 et 384, venue à Carnéas, à l’endroit où Job était sur son fumier. Je ne peux pas citer toutes les excursions aussi variées que l’hôpital psychiatrique où l’on accueille les fous de Jérusalem (comme il existe à Florence un syndrome de Stendhal) ou au théâtre de l’Odéon à Paris…Rencontres inattendues : Toni Negri , lui et les gauchistes italiens étaient-ils d’autres Job? Muriel Spark. Et même les Chants de Maldoror.

William Blake

Illustrations : Job raillé par sa femme (sur la couverture) de De La Tour, les fresques de la synagogue de Doura Europos, Job sur ses cendres de Fouquet, mais aussi le Job de notre temps et les peintures de François Szulman et Jean Rustin  que cette lecture m’ont fait découvrir. Depuis que j’ai un smartphone je cherche les illustrations des tableaux .

La partie la plus émouvante, la plus personnelle : le chapitre Les miens. L’auteur nous entraîne au Maroc dans le Sahara, à Figuig d’où sa famille est originaire. De l’ancêtre engagé en 1918 pour obtenir la nationalité française, à Casablanca où l’auteur a passé son enfance. a Paris le Grand-père qui avait réussi…Le roman familial bascule dans la tragédie. Revient Job! Du Livre de Job au Kaddish et aux deuils, il n’y a qu’un pas…Ecrire sur Job, c’est aussi évoquer cette douleur.

Jean rustin

Comment ça va avec la souffrance? La maladie de Job, les ulcères, la lèpre, les maladies de peau diverses. Le sida. Les souffrances de Job – pièce de Khanokh Levin, je note encore. Il faudrait que je revienne à Khanokh Levin, traduit par une amie proche. De la peau malade, on glisse vers le tatouage des déportés. La souffrance culmine avec la Shoah. « Job est rentré de déportation » est la conclusion du chapitre. Mais il y a pire : la mort des enfants. Le dernier chapitre qui l’évoque est presque impossible à lire. Tant de souffrance , et pourquoi? Pourquoi demande Ricoeur. Manitou,   philosophe de haute volée revient sur cette souffrance, s’attachant au scandale de Job. J’ai du mal à comprendre. Après la mort des enfants, j’ai du mal à terminer le livre.

Je quitte à regrets ce livre, j’y reviendrai. J ‘ai téléchargé sur la liseuse la traduction de Renan et celle de Zadoc Kahn. Et toutes ces références des livres que j’ouvrirai avec une autre intention. J’aime les livres qui ouvrent des portes sur d’autres lectures.