J’étais roi à Jérusalem – Laura Ulonati

Moi, je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, Wasif, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j’étais
roi à Jérusalem.

 

Wasif Jawhariyyeh, joueur d’oud,  naquit en 1897 dans une famille de notables  arabes chrétiens orthodoxes de Jérusalem alors ottomane. Laura Ulonati a choisi ce personnage artiste, buveur, jouisseur, un « non-héros » pour conter l’histoire de Jérusalem du début du XXème siècle jusqu’aux lendemains de la guerre des Six Jours avec la conquête de la Vieille Ville par Israël. Témoin de tous les changements du Moyen Orient, de la première Guerre Mondiale avec la Déclaration Balfour, le Mandat britannique, les émeutes de Nabi Moussa en 1920, celles de  1929, et les différents Livres Blancs britanniques (1922, 1930, 1939) puis les guerres, la Nakba et la destruction des maisons, des souvenirs disparus…


Mieux que des mots, le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de
peaux. Sa langue tambour, son toucher cuir. Ce filet de flûte sur lequel tient la géographie de nos cordes
sensibles. Tout ce qui mérite le souvenir : les arpèges d’un poème séfarade, la transe d’une mélodie
improvisée, les jeux de prunelles avec une spectatrice, le silence des corps juste avant cette lutte qu’est l’
amour, les acclamations d’une foule qui se soulève, la peur qu’inspire une simple chanson aux pires
tyrans. Une musique unique.

Jérusalem, 1900 – 1917, laisse entrevoir la coexistence des différentes communautés, la musique un lien pour les unir. Mais la fin de la guerre sonne la fin de cette communauté

Les Balfour et les Allenby ne renversèrent pas la potion magique, non. Ils la détournèrent. Selon un
savoir-faire colonial bien rodé, ils la captèrent, puis la divisèrent pour mieux régner, ne donnant plus qu’
à boire à une minorité. Une ration distillant la haine goutte à goutte, jusqu’à tarir la source commune.

Un roman historique, nostalgique, loin des proclamations religieuses ou ethniques. Agréable à lire. Mais pour l’Histoire avec un grand H je recommanderais plutôt les ouvrages de Vincent Lemire : Jérusalem 1900 CLIC et l‘Histoire de Jérusalem et surtout Il était un pays : Une vie en Palestine de Sari Nusseibeh. CLIC l’auteure les cites dans ses références bibliographiques. 

Aimer Israël, soutenir la Palestine – Nir Avishai Cohen – trad. Bertrand Bloch – l’Harmattan

 APRES LE  7 OCTOBRE … 

Depuis le 7 Octobre, l’actualité s’impose avec des images très douloureuses. Grâce à Facebook, j’obtiens des documents, au jour le jour, sur la page de LA PAIX MAINTENANT, la Newsletter de +972,. Je guette les prises de parole des écrivains israéliens que je suis depuis longtemps. Après la stupeur, les voix ont mis du temps à se faire entendre : David Grossman et sa tribune dans La Repubblica, Dror Mishani, Au ras du sol. Les paroles prémonitoires d’Amos Oz.  Et récemment, de nombreux officiers. 

Aimer Israël, soutenir la Palestine est un court essai de 212 pages, écrit et publié à compte d’auteur en 2022, traduit récemment par Bertrand Bloch avec un addendum rédigé après le 7 Octobre.

En 12 chapitres, Nir Avishaï Cohen présente son soutien à la solution à deux états et une analyse très pointue de la situation politique en Israël. Cet essai est très agréable à lire parce qu’il se lit comme un roman. Nir Avishai Cohen se raconte depuis son enfance dans un moshav, puis son service militaire, ses périodes de réserve, et son engagement politique au sein du parti Meretz et dans « Breaking the silence » organisation d’anciens militaires témoignant de l’action des militaires dans les Territoires occupés. 

Bien qu’il ait été vilipendé, traité de traitre, même insulté de kapo, Nir Avishai Cohen se présente comme un patriote, un combattant, un officier de Tsahal qu’il ne renie jamais.

« Oui, c’est comme ça aujourd’hui dans de nombreux endroits en Israël: si vous ne faites pas partie du courant dominant, vous êtes automatiquement quelqu’un qui hait les Juifs et un ennemi de votre pays. »

Il raconte comment il a pris conscience des aspects négatifs de la colonisation au fil de son histoire personnelle et de ses faits d’armes. Jeune recrue, il n’a pas eu conscience tout de suite des conséquences de ses actions, au Liban d’abord puis dans les territoires :

« au plus profond de moi que les deux valeurs fondamentales dans lesquelles j’avais grandi, l’amour de la terre et l’amour de l’autre, étaient bafouées. Ces valeurs n’étaient pas prises en compte à Jénine en 2002. Mes actions militaires n’avaient rien à voir avec cet amour de la terre et mon respect de l’autre. »
Cette prise de conscience n’a pas été immédiate du fait du lavage de cerveau que tous subissent.
C’est un véritable lavage de cerveau orienté à droite, qui glorifie les colonies, et maintient ces jeunes dans une ignorance certaine. Moins ces garçons et ces filles en savent, plus le système peut introduire dans leur cerveau le mantra “Les Arabes sont mauvais et les Juifs sont bons”.
Ajouter à ceci qu’il n’est pas souhaitable de douter ou de discuter. Un militaire agit d’abord et réfléchit (peut-être) après….
Il découvre finalement un véritable apartheid. Son sens moral, et ses conviction démocratiques, ne sont pas les seuls arguments. Selon lui, défendre les colonies est aussi une très mauvaise stratégie pour la défense d’Israël :
de plus, les colonies nuisent à la sécurité du pays puisque leurs positions rendent impossible le tracé d’une frontière solide entre les Palestiniens et l’État d’Israël.
Les colonies constituent aussi un véritable obstacle, probablement le seul, à un traité de paix entre Israël et les Palestiniens
Le lecteur suit le cheminement de la pensée dans ces témoignages criants qui débouchent sur l’action militante. Une voix discordante porteuse d’optimisme quand même.
J’aime mon pays, mais je n’en suis pas fier. J’aspire à ce moment où je serai fier d’Israël, où je pourrai parcourir le monde et dire fièrement que je suis Israélien. Je crois que ce jour viendra; le bien finira par prévaloir.
d’avoir présenté cet ouvrage illustré d’une belle carte.

La Violence en embuscade – Dror Mishani

POLAR ISRAELIEN

J’ai retrouvé avec plaisir Avraham au commissariat de Holon. J’avais apprécié Les Doutes d’Avraham non pour l’intrigue trépidante, en fait pas trépidante du tout, mais pour le policier consciencieux et très humain. 

Dans La Violence en embuscade pas de course poursuite ni de découvertes sanglantes ou gore. Tout est caché. Une disparition inquiétante. Une machine infernale (bombe dans une valise) est placée aux abords d’une crèche.  C’est un jouet – pas de risque d’explosion. La violence peut elle survenir dans un jardin d’enfants? 

L’enquête commence la veille de Rosh Hashana, se déroulera pendant Kippour. Les fêtes ralentissent le travail…Réunions de familles, familles dysfonctionnelles.

Avraham a plutôt raté sa dernière affaire. Il a des doutes (encore). Ce drame le poursuit et le pousse à être encore plus rigoureux…

Résumé comme cela, on ne devinerait pas un polar addictif, et pourtant les pages se tournent toutes seules.

Mamelouks (1250 – 1517) au Louvre

Exposition Temporaire jusqu’au 28 juillet 2025

Brûle parfum

De 1250 à 1517, les sultans mamelouks régnèrent sur l’Egypte, la Syrie. 1260 – ils arrêtent l’avancée des Mongols, 1291, prennent Acre et mirent fin au Royaume Croisé de Jérusalem, 1400 arrêtent Tamerlan jusqu’en 1517 où il furent défait par l’armée ottomane de Sélim 1er.

Caparaçon

Les mamelouks étaient des esclaves militaires, enfants ou adolescents achetés ou enlevés dans les plaines de Russie puis dans le Caucase. Cavaliers d’élite, ils formaient un e caste militaire parlant turc. Cet honneur n’était pas héréditaire, les fils des mamelouks devaient intégrer un autre corps ou se lacer dans une carrière civile.

Clé de la Kaaba au nom du sultan Faraj (1399-1412)

Protecteurs des lieux saints, à la Mecque et Médine les sultans possédaient la clé de la Kaaba. –

La visite commence au Caire dans le Complexe de Qalawun (1284-1285) comprenant une madrasa, un hôpital et le mausolée de Qalawun. Projetées sur trois murs, les images et les zooms nous offrent toute la variété des décors, stucs, marbres, colonnes antiques, géométries élaborées….

Lampe au nom de l’émir

De magnifiques objets accompagnent les images, brûle-parfum, bassins, coupes et chandeliers  en métal cuivreux, incrusté d’or et d’argent finement ciselé. Ouvrages à décor géométrique, ou arabesques ou portant des écritures calligraphiées et même des scènes de chasse ou équestres

Bassin orné de scènes de chasse

De petits encarts présentent les sultans les plus fameux :

Baybars, (1260_1277) le fondateur

Qaytbay (1468-1496) « la force tranquille » (1501-1516)

Qansawa Al Ghawri (1501 – 1516)

Ainsi que d’autres personnages  :

Muhammad ibn Khalil Al-Samadi qui aurait vécu à Damas et aurait soutenu les troupes mamlouks de son tambour soufi.

Qawsun, grand émir et favori, arrivé en Egypte en 1320 comme marchand. Séduit par sa beauté, le sultan l’achète, le fait émir et lui donne sa fille pour épouse.

l’épouse de Qaytbay, Khawand Fatima, « sultane d’affaire »

Si les objets, d’une grande sophistication, sont toujours un peu les mêmes, cette présentation des mamelouks est passionnante.

Coran monumental

De nombreux manuscrits sont exposés, des Corans monumentaux fastueusement enluminés d’or et de couleurs. Des encyclopédies contiennent toutes les connaissances scientifiques de l’époque. Des manuels de chasse ou de technique militaire représentent des mamlouks à l’exercice, en effet la Furusiya ou art équestre est à la base de la culture de ces cavaliers.

Furusiya : exercices à la lance

Cavaliers turcophones dans un environnement composite où coexistent diverses cultures et religions

Certificat de pèlerinage à la Mecque Hajj

mais aussi certificat juif de pèlerinage sous forme de rouleau dessiné figurant la route du sud du Caire jusqu’au Liban à travers la Terre Sainte, annoté en italien et en hébreu

Rouleau de pèlerinage juif

ou bois sculpté des églises Coptes du Vieux Caire

Eglise copte du Caire

La littérature est présente, elle a même traversé les siècles et est parvenue à nous à travers les contes qui animent encore les cafés traditionnels ou avec les théâtres d’ombre. Influences persanes, et même indiennes comme dans ce livre

Conte indien avec un éléphant et un lion

Au centre des réseaux de commerce avec Venise, la Perse et même la Chine, plus étonnant les vases africains ashanti. Commerce maritime et de caravanes.

Grand gobelet aux oiseaux 1330-1350

Travail du métal ciselé, travail du bois et marqueterie de toute beauté, tapis témoignent du raffinement de cette civilisation.

Baptistère de Saint Louis;

La visite se termine autour d’un chef d’œuvre étonnant : le Baptistère de Saint Louis signé Muhammad ibn al Zayn arrivé au château royal de Vincennes au XVème siècle et qui a servi au baptême de Louis XIII puis à celui d’Henri d’Artois en  1821 et à celui du prince Napoléon Eugène en 1856. on pourrait rester des heures à détailler les personnages dans les médaillons, mamelouks à la chasse, les frises d’animaux, éléphants et félins, oiseaux étranges…..

mamelouks à la chasse

 

 

Au Fil de l’Or- l’Art de se vêtir de l’Orient au Soleil Levant – Au Quai Branly

Exposition temporaire jusqu’au 6 juillet 2025

Guo Pei – 5 robes brodées de fil d’or 15 personnes et 5 années de travail

De soie et d’or, costumes d’apparat, de pouvoir, de noces,  ou d’Eglise, d’Orient en Occident, fils d’or, brocarts, lamés ont voyagé et l’exposition du Quai Branly emmène le visiteur pour un voyage éblouissant.

maroc

Mais attention, prévoir du temps, l’exposition est très riche, riche de l’or, bien sûr, mais riche en thématiques, le fil d’or et les techniques du travail de l’or, et les brodeuses au travail.  Un parcours chronologique au fil du temps, de la Préhistoire à l’invention du lurex qui imite le fil métallique.

Tunisie : Robes de noces

Un voyage d’Ouest en Est, du Maghreb au Pays du Soleil Levant.

Arabie Saoudite

Comme le fil d’or a souvent été mêlé au fil de soie, des digressions à Madagascar où on a essayé de filer la soie des araignées, et au Cambodge avec les petits cocons de soie jaune.

Non, ce n’est pas de l’or, mais des cocons de soie jaune cambodgienne

Et comme s’il fallait encore en rajouter, les mannequins habillées des robes prestigieuses de Guo Pei ponctuent le parcours. 

Guo Pei : Manteau traîne de l’Himalaya – 25 personnes y ont travaillé

Les techniques de broderies et tissages sont tellement variées qu’il est impossible de les résumer. Des pépites battues pour obtenir des bractées (feuilles d’or) dès la préhistoire, aux lamelles d’or collées à de la baudruche et découpées en rondelles, au fil tréfilé, puis enroulé … j’ai été fascinée par la vidéo montrant 6 femmes nouant dans leur doigts le fil que la maîtresse aplatissait en un galon précieux.

Broderie chinoise

Combien de points variés dans cette broderie chinoise?

Vous ressortirez ébloui!

 

 

 

 

 

Les Doutes d’Avraham – Dror Mishani – Points Policier

LITTERATURE ISRAELIENNE

« J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer » Anne Sylvestre

Avraham est le policier de la série israélienne de Dror Mishani. Le cancer a contraint sa supérieure à s’arrêter et Avraham se voit confier pour la première fois la responsabilité d’une enquête délicate : un féminicide. Il doute de ses capacités à mobiliser son équipe, il veut agir avec délicatesse. Faire du chiffre, résoudre l’énigme à la va-vite, ne l’intéresse pas. Et cela me convient bien. 

Pas, peu de rebondissement, dans l’intrigue. Mystère cousu de fil blanc : le lecteur connaît dès le début la victime et peut deviner rapidement l’assassin. Reste, le mobile. Surtout les preuves. Avraham prend son temps, il ne veut surtout pas arrêter un innocent. Il laisse l’initiative à ses équipiers. Et c’est bien sympathique.

Cela fait du bien, un policier consciencieux et humain. Je vais le retrouver dans les autres tomes de la série

Au ras du sol -Journal d’un écrivain en temps de guerre – Dror Mishani

APRES LE 7 OCTOBRE

Soulage noir et blanc

« Et si une guerre totale n’était pas inéluctable ? Et si on se demandait à quoi bon utiliser la violence pour tenter d’éviter une catastrophe qui s’est déjà produite ? Peut-être qu’au lieu d’attaquer et de tuer, de meurtrir ceux qui nous ont meurtris, il faudrait d’abord accepter de souffrir et ensuite seulement réfléchir à la manière de nous épargner la prochaine catastrophe »

Que fait un écrivain en temps de guerre?

Peut-on écrire en temps de guerre?

« A quoi bon lire une fiction sur un fils assassiné par sib père , ou une femme par son mari, quand en une matinée, ont été massacrés des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, chez eux ou dans la rue où ils habitaient »

Dror Mishani est à Toulouse le 7 Octobre, il prend le premier avion pour  rentrer à Tel Aviv et dans l’avion il commence à rédiger un article :

« Peut-être ne fait-il pas se précipiter pour effacer Gaza, ni par offensive terrestre, ni même par des bombardements aérions? Ne pas raser, ne pas écraser. ne pas se venger[…]Transférer le malheur ailleurs, sur Gaza et ses habitants, ne fera que l’entretenir encore et encore – car il est évident que le mal causé dans cette enclave détruite ou affamée nous reviendra en pleine face, décuplé, dans un, deux ou cinq ans »

Un tel article suggérant de casser le cycle infernal de la violence est paru dans Haaretz. L’écrivain pense à écrire un témoignage, pas un roman comme l’avait écrit Joseph Roth

« Il ne s’agit plus d’inventer des histoires. Le plus important c’est d’observer »

Avant de se remettre à l’écriture, il interroge ses proches,  s’interroge sur ce qu’est « Etre parent en temps de guerre« , protéger, écouter ses enfants…Il se rend sur la Place des Otages, se porte volontaire pour ramasser les salades que ne cueilleront pas les travailleurs thaïlandais, ou palestiniens.

A la demande de son éditeur, Dror Mishani va rédiger son Journal. Il rapporte ses réflexions, les réactions de sa famille, ses cours de littérature. Il note également ses lectures : Ezechiel, les Juges, Natalia Guinzburg, L’Iliade, Zweig…Il note aussi ses idées pour un roman, des nouvelles.

Ce témoignage me fait penser au Journal de Kourkov, l’écrivain ukrainien pendant les premiers mois de la Guerre d’Ukraine que j’ai beaucoup aimé.

La parole des intellectuels israéliens est assourdie par le fracas de la guerre quand elle n’est pas menacée comme celle D’Eva Illouz qu’on prive de son prix mérité.

Mais que fait un écrivain en temps de guerre?

« ce moment, alors que la guerre n’est toujours pas terminée, il est sans doute dans son bureau, peut-être
essaie-t-il de reprendre son roman, peut-être s’allume-t-il encore une cigarette, qu’il éteindra. Il
contemple les ruines du bâtiment désert qui se dessinent à sa fenêtre, lutte contre le désespoir, se
demande si cela sert à quelque chose de se préoccuper de littérature en un tel moment et ne trouve qu’
une seule réponse : oui »

Trésors sauvés de GAZA – 5000 ans d’Histoire – à L’IMA

Exposition temporaire à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 02 novembre 2025

Un patrimoine en exil 2006, 529 œuvres rejoignent Genève pour une exposition. Elle devaient constituer le futur musée archéologique de Gaza.

Cette exposition s’inscrit dans une démarche de préservation des trésors culturels du monde. Dans le même esprit, j’avais beaucoup apprécié l’exposition Cité millénaires – Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul à l’IMA en 2018 ICI

Dromadaire chargé d’amphores

Les images de Gaza sont désolation et ruines, on n’imagine pas que sous les décombres une histoire très riche se cache. Gaza, oasis, à la limite du désert et de la mer, fut selon Strabon la plus grande ville de Syrie. Elle est entrée dans l’Histoire avec Thoutmosis (1504 – 1450). Au mur, une immense carte incluant la Méditerranée et  l’Arabie montre les routes commerçantes convergeant vers cette cité maritime. 

Des ancres de pierre, des anneaux d’amarrage témoignent de cette vocation maritime dès l’Age de Bronze. Egyptiens, Hittites, Philistins, Nabatéens y convergèrent. Alexandre de Macédoine livra bataille pour la conquérir. De la période hellénistique l’exposition présente une série d’amphores et une jolie statue d’Aphrodite (ou Hécate)

97 av. JC, Gaza est conquise par un royaume Juif puis laissée à l’abandon. En 61 av. JC, Pompée s’en empare et construit une cité romaine. De cette époque témoignent de très fines lampes à huile

Cupidon lance ses filets dans les vagues

Au IVème siècle  s’installent. le monachisme se développe avec le monastère de Saint Hilarion, l’église Saint Porphyre.

Une belle mosaïque occupe le centre de la pièce avec des motifs d’animaux exotiques, girafes, éléphants, béliers, aigle et des grappes de raisin séparant les médaillons.

631 : la ville est conquise par les armées musulmanes, la population étant majoritairement chrétienne avec de petites communautés juives et samariennes.

Gaza : une ville commerçante balance romaine, pièces de monnaie et trésor de pièces agglomérées

Les Croisades 1149 et 1187 induisent une nouvelle période de violence.

Les Mamelouks l’occupent (1260 – 1279).

En 1516 Gaza devient ottomane

Gaza au début du XXème siècle

La deuxième partie de l’exposition contient des photographies anciennes de l’Ecole Biblique et Archéologique française de Jérusalem (1905-1922). Elles montrent les monuments et surtout une campagne paisible ainsi que les monuments.

Au centre de la pièce, des photos récentes en couleur (2022 à 2025) Certaines témoignent des destructions récentes. Le Qasr al Basha, siège du pouvoir mamelouk était le musée depuis 2010. Bonaparte y a passé trois jours;

Photo émouvante de la cérémonie de Noël célébrée dans l’église orthodoxe Saint Porphyre le 7 janvier 2025.

Une vidéo en images de synthèse reconstitue le monastère Saint Hilarion.

Enfin au mur on voit la cartographie des sites archéologiques bombardés.

Toutes les vies de Théo – Azoulai Nathalie

APRES LE 7 OCTOBRE…

Giacometti et Rothko

Depuis le 7 octobre, je suis saisie de « Judéobsession » comme l’a écrit Guillaume Erner dont je suis justement en train de lire le livre. Ecoute  compulsive de podcasts sur l’antisémitisme, les Juifs, la Shoah. J’ai découvert Toutes les vies de Théo en même temps que L’Annonce d’Assouline sur Répliques : la Littérature face aux attaques du 7 octobre. En même temps que l’Annonce, j’ai téléchargé Toutes les vies de Théo. Autant le livre d‘Assouline m’a parlé, autant j’ai été agacée par celui d’Azoulai

Théo, à moitié allemand par sa mère, à moitié breton, rencontre Léa à une séance de tir sportif, en tombe amoureux et l’épouse. La mère de Théo pour vaincre sa culpabilité d’allemande vis à vis de la Shoah, est ravie de cette union avec une juive, une sorte de rédemption par son fils. Ils ont une fille Noémie. le 7 octobre va déchirer cette union.

« Elle dit que l’histoire l’avait prise par le col, qu’elle l’obligeait à retourner dans sa niche. »

Léa se sent renvoyée à son identité juive, solidaire d’Israël. Théo se sent exclu. Il rencontre une plasticienne libanaise, en tombe amoureux et épouse la cause palestinienne sans réserve. Mais la belle est volage et il va se retrouver abandonné

La fracture que le 7 octobre peut induire dans un couple mixte, je la comprends ; son analyse m’aurait passionnée. Fracture réelle pour de nombreux juifs s’éloignant d’amis proches et de relations, de militants, et surtout de toute une gauche qui maintenant les rejette. Je pensais trouver cela dans le livre.

« On aurait voulu inventer ta vie, Théo, qu’on n’aurait pas osé, dit Léa. Tu auras passé la première moitié à
vouloir être juif et la deuxième à vouloir être arabe. – Et toi, à vouloir oublier que tu étais juive puis à t’en
vouloir d’avoir voulu l’oublier, dit-il du tac au tac. – Au moins, moi, je me débrouille avec ce que je suis.
Mais qui sait, un jour, tu seras peut-être toi-même… »

Mais non, plutôt une caricature. Je n’ai pas pu m’attacher à la personnalité de Théo réduite à son attraction vers les Juifs puis les Palestiniens. Il est dessiné en creux, amoureux de l’autre différente, puis retourne à son identité. J’aurais aimé voir vivre la famille de Léa, comprendre les réactions différentes au départ des deux soeurs Léa et Rose qui vivent un mariage symétrique et un divorce aussi prévisible. Cette symétrie me semble bien artificielle. Quant à la conversion de Noémie au catholicisme puis son retour au judaïsme, cela m’ a paru bien superficiel.

 

L’Annonce – Pierre Assouline

APRES LE 7 OCTOBRE….

« De quoi s’agit-il ? D’un pogrom. Le premier depuis 1945, date qui pour l’Histoire sonnait en principe le glas des massacres de masse des Juifs. »

[…]

« Fin de l’innocence pour tout le monde. Et dire que tout cela arrive au moment où disparaissent les derniers témoins de la Shoah… »

 

La sidération du 7 octobre ne s’efface pas. A l’horreur du massacre, s’ajoutent les manifestations antisémites.  Mon effarement devant la vengeance sans limites de Netanyahou sur Gaza, la découverte qu’il existe des fascistes juifs, des racistes juifs et qu’ils sont en capacité de nuire, capables d’oublier les otages et de saboter toute solution raisonnable.

Au réveil, je dépouille le Monde, les posts de La   sur Facebook, et tout ce que la Presse écrite veut bien délivrer.

Et bien sûr la littérature!

La pensée magique ne m’a pas imposé de me lancer dans ce projet de livre. Un autre l’a déclenché bien en
amont après une dizaine d’années de ruminement, de maturation, de décantation : Une femme fuyant l’
annonce.

Pierre Assouline a placé ce livre sous le patronage de Grossman. Le titre L’Annonce fait penser à Une Femme Fuyant l’AnnonceEt le livre commence avec une citation de Grossman en épigraphe . J’aimerais tant lire Grossman depuis le 7 octobre!

50 ans séparent les deux parties du livre :

6 Octobre 1973, guerre de Kippour dont Raphaël, le narrateur, 20 ans alors, apprend le déclenchement à la synagogue. Comme de nombreux jeunes juifs, Raphaël part volontaire. Il se retrouve dans un moshav à remplacer un agriculteur mobilisé pour s’occuper des dindons. Belle histoire d’amour de jeunesse, au hasard d’une partie d’échecs, il rencontre Esther, une jeune soldate de son âge

7 octobre 2023, Raphaël se trouve en Israël. Il est confronté avec l’évènement

Je suis revenu seul avec mon paquet de souvenirs, sans imaginer que mon in memoriam serait percuté de
plein fouet par un bis repetita.

Raphaël va confronter ses souvenirs

Je ne reconnais plus le pays. Plus je le dévisage, moins je le retrouve. Nous nous sommes tant aimés, mais
c’est loin. Deux générations ont surgi.

Pour le reportage gore, rembobiner les images . Tout le monde les connaît. Idem pour les combats, les bombardements, même les alertes. Ce n’est pas le propos du livre. Raphaël raconte la vie des civils qui se mobilisent, rencontre des manifestants de la Place des Otages, analyse les réactions des parents, des endeuillés et de ceux qui ne savent rien de leurs proches.

« C’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de comparer 1973 et 2023, ne serait-ce que pour des
détails anodins.
[…]
1973, c’est le triomphe du système pileux en liberté, on croirait une bande de hippies ; 2023, la boule à
zéro ou presque pour tout le monde »

Dans les couloirs de l’hôpital Tel Hashomer, le passé vient télescoper le présent. Devant un échiquier, il rencontre Eden, la fille d’Esther. L’histoire bégaie.

Esther, en 1973, avait pour mission d' »Annoncer« . » Annoncer » c’était rencontrer la famille pour annoncer le décès de leur mari, enfant. C’est cette « Annonce » que la mère du livre de Grossman fuit, pensant protéger la vie de son fils. C’est une mission difficile et Esther en a eu le cœur brisé, une attaque cardiaque simulant l’infarctus. Le « syndrôme du coeur brisé » est aussi désigné sous le nom de « syndrôme de mawashi-geri« . Nurit, la petite-fille d’Esther en est victime. Et pour la même cause. Elle aussi « Annonce« la mort.

« Cette fois, ce n’est pas comme en 1973. Il n’y a pas que la mort des soldats à annoncer. Il y a des
disparitions. Il y a des otages. Annoncer, des mois après le 7 octobre, que l’on a enfin pu identifier les
ossements de ce qui fut un corps. Et parfois annoncer l’inverse et oser dire en face que le corps que l’on
croyait être, en fonction de la dentition, celui de leur fils ou de leur fille et qui a peut-être déjà été
inhumé n’est pas celui que l’on croyait »

 

L’Annonce est un roman très personnel, pas un reportage, peu d’analyse politique. Quand il évoque le triomphalisme, l’hybris, dans le début de la guerre de 1973 au début du roman, il pourrait recopier le paragraphe pour expliquer l’absence de l’armée en octobre 2023. 

Y a aussi l’esprit. Je ne sais plus comment tu appelles ça, tu l’as dit l’autre jour… — L’hubris, ce satané
orgueil israélien qui s’est endormi sur sa réputation de supériorité (réelle) et d’invincibilité (ça se
discute). Jusque-là, Israël paraissait bourrelé de certitudes. Il ne craignait rien ni personne. Aveuglés par
un narcissisme collectif, une surestimation de soi et un excès de confiance, ils se sont laissé enfumer par
les fausses nouvelles de la propagande, sans parler de l’obsession du terrorisme international qui a tout
focalisé aux dépens de la vigilance. Leur triomphalisme de la guerre des Six-Jours, ils l’ont payé cash

Quand le narrateur évoque le roman qu’il va écrire, on lui demande s’il parlera des Palestiniens. Et bien, non! parce que vus d’Israël, les Palestiniens sont bien absents :

« Les Israéliens semblent parfois s’être enfermés dans une bulle cognitive qui les rendrait insensibles au
sort des Palestiniens. »

Cette histoire m’a parlé : à l’inverse de Raphaël, j’étais en Israël, au kibboutz Yekhiam le  6 Octobre 1973, et à Créteil en 2023.Pour moi aussi, la bande musicale sera de Leonard Cohen. Et Grossman un de mes écrivains favoris. Terminant d’écrire cette chronique je suis retournée à relire l’oraison de Grossman.

Ecouter aussi le podcast de Répliques Radio France