CHANA ORLOFF – Sculpter l’époque – MUSEE ZADKINE

Exposition temporaire jusqu’au 31 mars 2024

Chana Orloff autoportrait

J’ai découvert Chana Orloff à l’Exposition Pionnières au Luxembourg en 2022, je l’ai retrouvée à Paris de la Modernité au Petit Palais qui vient de se terminer et au Mahj  à l‘Exposition Paris pour école 1905-1940. 

Chana Orloff : L’Amazone

La rétrospective que lui offre la Musée Zadkine est donc bienvenue!

Ce n’est pas tout, il me reste à visiter la Maison Seurat, la Maison-Atelier qui se visite sur rendez-vous pour des visites-conférences.

Noter aussi les 2 podcasts de France culture Talmudiques  – Le Temps de Chana Orloff

Galerie de portraits

Le visiteur est accueilli par une galerie de portraits, plâtres, bois, pierre, bronze, même ciment, Chana Orloff a sculpté les têtes de ses contemporains. Sculpter l’époque, s’intitule l’exposition! Sont-ils ressemblants? sans doute, ils sont amusants, à la limite de la caricature en empathie avec le modèle. Pleins d’humour. la Sculptrice s’amuse particulièrement avec les binoclards à qui elle offre des yeux au-dessus des lunettes!

Ida Chagall

Têtes d’hommes, mais aussi femmes et enfants, elle fait poser son fils Didi et les enfants de ses amis comme Ida Chagall. Des maternités, mères et enfants, mais aussi femme enceinte .

maternité : femme enceinte

Je n’avais jamais vu ses sculptures animalières de toute beauté, oiseaux, inséparables très stylisés, dindon plantureux, caniches et même une sauterelle sinistre évoquant un canon nazi, les sauterelles étaient des plaies d’Egypte!

Sculptures de poche qu’elle a pu emmener quand elle a fui les rafles (juste à temps mais l’atelier sera pillé en son absence).

Danseuses

J’ai surtout été étonnée de la variété des productions, variété des matériaux, des sujets, des styles.

Comment ça va pas? Conversations après le 7 octobre – Delphine Horvilleur – Grasset

APRES LE 7 OCTOBRE….

 

Comme un déchirement, qui s’étire.

Une blessure qui s’envenime.

Besoin de lire, d’écouter des voix amies, familières, je me précipite sur toute lecture amie, Delphine Horvilleur, dès la sortie de son livre, Valérie Zenatti aussi, et puis Albert Cohen, Ô vous, frères humain. 

Des soupçons. Soupçons d’antisémitisme dans ce que je considérais être ma famille politique, soupçons de connivence avec l’impensable, impensable à Gaza pour les otages, impensables massacres.

Delphine Horvilleur écrit :

« Moi par exemple, j’avais l’habitude, sur les réseaux sociaux, d’être une « sale gauchiste, trop libérale, qui
manquait de respect aux traditions ». Je m’y étais faite. Et là, je ne comprends plus rien. L’arbitre a dû changer,
parce que soudain je suis devenue une « raciste, sioniste, complice de génocide ». Parfois, je poste des messages »

Les réseaux sociaux me rappellent sans cesse ce cauchemar. Liker? utiliser cet imoticone qui pleure. Dire que cela ne va vraiment pas, comment?

 

« Oy a brokh’… À mes oreilles d’enfant, ces trois mots suscitaient une étrange conscience d’appartenance. Non
pas à un judaïsme dont je me fichais pas mal, à une tribu ou un groupe religieux, mais à une sorte de confrérie humaine : une fraternité de la poisse, une confédération internationale du pas-de-bol, dans laquelle quoi qu’il arrive je pourrais toujours m’engager. »

Si éloignés des discours martiaux, ces trois mots yiddisch qu’on aurait pu reléguer à un temps révolu. Pas révolu du tout l’antisémitisme qui surgit là où on l’attendait le moins.

« Depuis le 7 octobre, c’est comme si nos langages ne parvenaient plus à dire, nous trahissaient constamment ou se retournaient contre nous. Les mots qu’on croyait aiguisés ne servent à rien, et ceux qu’on croyait doux n’apaisent personne. Les images, caricaturales et manipulables, ont pris le relais, sur nos écrans. Les yeux
subjugués abrutissent un peu plus nos oreilles et nos cerveaux. »

Malgré les trois citations que j’ai copiées, ce n’est nullement un livre pleurnichard, il est parfois amusant, toujours instructif comme ces références aux textes quand Jacob devient Israël, et boiteux…

Une réflexion lucide : Ca ne va vraiment pas!

A l’Orient désorienté – Errances Israël – laure Hoffmann – L’Harmattan Poésie(s)

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

;

Quelques semaines après le 7 Octobre, j’ai coché sur la liste de Babélio cet ouvrage dont le titre correspond à mon état d’esprit. Sidération!

Le parcours de l’autrice, de Jérusalem à Tel Aviv, en passant par le Kibboutz me parle. Le poème A mon Orient Désorienté – daté 7 octobre 2023

A l’Orient Désorienté

Ce cri résonne

raisonne puis déraisonne

un cri soleil noir

qui chante en moi

*depuis que j’ai commencé

à comprendre

qu’on ne comprend rien

par petites étincelles

par ouverture béante

de la faille

la blessure originelle

A l’Orient désorienté

ce cri d’impuissance

qui s’élève contre toute intolérance

contre la haine de l’autre

si contre nous tout contre

contre la malédiction de frères ennemis

contre tout racisme toute xénophobie

tout apartheid toute guerre

de religion – le pire obscurantisme

au nom de la lumière

….

Comment ne pas souscrire à ce cri!

Mais est-ce poésie? Est-ce le temps de la poésie? J’ai plus envie de hurler que d’élégies, de fleurs de soleil. Comment dire le déchirement?

Qui-vive – Valérie Zenatti – Ed de l’Olivier

Valérie Zenatti est la traductrice d’Aharon Appelfeld que j’apprécie beaucoup. Elle est aussi l’autrice de Une bouteille dans la mer de Gaza, et Dans le faisceau des vivants.

Depuis le 7 octobre, j’ai écouté sa voix sur l’appli Radio-France sur  Totemic de France Inter et sur France Culture dans La Nuit Rêvée, voix familière amicale d’une femme dont je partage la culture française, l’hébreu et le goût de la musique de Leonard Cohen.

Acheter Qui-vive dès sa sortie m’a paru une évidence.

J’ai donc suivi avec empathie le voyage de Mathilde, mariée, mère d’une adolescente, professeur d’histoire qui part sur un coup de tête en Israël.  Le décès  de Leonard Cohen quelques jours après la victoire de Trump (2016), les confinements puis la perte de son grand père, autant d’évènements démoralisants se cumulant, l’ont déstabilisée. 

En Israël, elle retrouve son cousin Raphy, qui évoque deux concerts de Léonard Cohen, en 1972 et  1973 disponibles sur YouTube : à Jérusalem,le chanteur a quitté la scène, avouant sa faiblesse, pendant la Guerre de Kippour devant des soldats au Sinaï. Occasion pour moi de réécouter Like a bird on a wire et Who by fire, loin enfouis dans ma mémoire. J’ai recherché sur Youtube les vidéos et les ai visionnées avec attention. 50 ans ont passé l’émotion demeure.  Les images violentes me semblent prémonitoires . Les paroles de Who by fire renvoient à la prière de Kippour. Rien n’est explicité dans le livre, mais tout est sous-jacent. Merci à Valérie Zenatti pour ces révisions; 

Au volant d’une voiture de location, Mathilde entreprend une virée vers le nord, Tibériade, au pied du Golan…road trip un peu limite .  Même en temps calme, la guerre n’est pas loin.

Son voyage se termine à Jérusalem, dramatiquement…non je ne spoilerai pas à vous de le lire. Et cette fin dramatique me renvoie à la réalité actuelle. 

Même si ce n’est pas le meilleur livre de cette autrice, cet ouvrage me parle. Et cela me suffit!

 

Adieu mes Frères – Peter Blauner -Harper Collins NOIR

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

410 pages, traduit de l’américain par Estelle Roudet.

Un thriller qui va vous emporter au Caire en 1954 sur le tournage des Dix Commandements de Cecil. B De Mille et accessoirement dans une base de Daech. 

Trois thèmes sont abordés :

l’engagement d’Alex, jeune adulte, encore adolescent auprès de l‘Etat Islamiste.

La prise de pouvoir de Nasser et l’éviction de Naguib dès 1954 ainsi que les purges auprès des Frères Musulmans

le tournage du film et la cinéphilie de Ali Hassan, le grand-père d’Alex

Accessoirement, les rapports entre l’adolescent et son grand-père sont la trame de ce roman épistolaire.

Ces trois thèmes avaient tout pour m’intéresser. Et pourtant cela n’a pas fonctionné comme je l’aurais aimé.

D’abord, la forme : les échanges de mails sont assez frustrants. Le jeune homme, écrivant clandestinement envoie des messages assez dénués d’intérêt (on comprend pourquoi mais on reste sur sa faim). Au contraire, le grand-père envoie un long « livre » en pièces jointes :  l’histoire de sa jeunesse à ce petit-fils qu’il a peur de ne plus revoir. Cela donne un roman déséquilibré.

chefren et le sphinx

Ensuite les personnages : Alex est tout à fait désincarné. Pourquoi a-t-il rejoint Daech? Comment est-il arrivé sur le théâtre des opérations (y-est-il même parvenu? Tout ce qu’il raconte concerne un jeu vidéo qu’il aurait aussi bien pu inventer dans sa chambre américaine. Une « épouse » esclave sexuelle yezidie fait une courte apparition dans les échanges épistolaires. Rien sur les opérations militaires ni sur les conditions de vie…

Le grand-père est beaucoup plus intéressant : c’est un jeune éduqué, cinéphile, amoureux, mais influençable. Il ne sait pas choisir son camp et se laisse entraîner plus par faiblesse que par conviction dans les manœuvres des Frères Musulmans. Il se donne le beau rôle, évitant un attentat puis un massacre; on ne comprend ni pourquoi ni comment. Ces retournements de veste et ses atermoiements m’ont lassée.

Le plus réussi, c’est le tournage du film. Les caprices du metteur en scène qui est un véritable dictateur. Mais comment régir des milliers de figurants, des acteurs à l’égo surdimensionné, des techniciens peu efficaces? Et réussir un chef d’œuvre qui récoltera  un Oscar et deviendra un  classique de la télévision américaine.

J’aurais aimé plus d’analyse politique, plus d’histoire, moins de politique-spectacle dans l’ascension de Nasser et sa prise de pouvoir. J’aurais aussi aimé sentir vibrer Le Caire, son peuple, ses cafés et ne pas rester dans les hôtels coloniaux et leur golfe. Un thriller bien américain!

La faille du Bosphore: Entretiens de Rosie Pinhas Delpuech par Maxime Maillard

LITTERATURE ISRAELIENNE

« Oui. Je pense que rien ne doit aller de soi en littérature. Quand vous dites familiarité, j’entends confort et
l’inconfort que Fernando Pessoa appelle joliment l’intranquillité, c’est une chose qui nous est nécessaire. »

Rosie Pinhas-Delpuech est l’auteur de Suite Byzantine et de Le Typographe de Whitechapel que j’ai lus avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, et d’autres romans et essais que je me promets de lire. 

Rosie Pinhas-Delpuech est aussi la traductrice de Ronit Matalon dont j’ai lu récemment De face sur la photo et Le Bruit de nos pas, de Yael Neeman Nous étions l’avenir, Orly Castel-Bloom, Le Roman Egyptien… 

Sa voix m’est familière, entendue à la radio, dans les podcasts de L’entretien littéraire avec Mathias Enard, La salle des Machines 28.11.21 et Talmudiques 31.07.22 à propos de Brenner et le désir d’hébreu. 

A la suite du billet de La Viduité  j’ai téléchargé La Faille du Bosphore que j’ai lu d’un seul souffle sans pouvoir le lâcher, une petite centaine de pages. 

Ces entretiens portent sur le métier de traductrice et ses rapports avec le travail d’écriture puisque Rosie Pinhas-Delpuech pratique les deux activités. 

« Paris, dans son appartement où depuis plus de quarante ans, elle confectionne à la manière d’une cordonnière, assise sur cette même chaise au cuir élimé, des textes dans les mots des autres et dans les siens propres. »

La traduction comme artisanat, comme  critique littéraire, comme souffle, rythme et musique.

« Chaque matin, je dois m’échauffer, en relisant la traduction je remets du rythme, j’enlève des mots, je remplace des mots, j’entends des syllabes, c’est presque du travail poétique sur de la prose. Et ça ne se voit pas. On dirait que je raconte l’histoire qu’il raconte, mais ce n’est pas vrai. On travaille beaucoup ensemble, »

Rythme et musique du texte, l’hébreu lui évoque le Free Jazz, je ne m’y serais pas attendue. Et dans la musique du texte traduit la longueur des mots, des phrases, la ponctuation jouent leur rôle dans cette musique. Epurer, raccourcir, en dépit de la syntaxe très codifiée du français. C’est fascinant, inattendu.

En conclusion, la question très prosaïque qu’on n’oserait pas aborder : celle de la rémunération de la traduction qui est payée au feuillet et dont le statut est encore plus précaire que celui des intermittents du spectacle.

Et Le Bosphore, là-dedans? Istanbul est le lieu de naissance de Rosie Pinhas-Delpuech, ville cosmopolite et polyglotte, où petite fille elle est passée du Français paternel, à l’Allemand maternel, au Judéo-espagnol de la grand-mère et au Turc de l’école. Sans oublier la musique.

Istanbul, dans cette ville qui est un carrefour linguistique et culturel ainsi que dans votre famille où les langues se superposent à la manière des lignes d’une partition musicale […]bien avant de savoir parler, j’entendais beaucoup d’instruments, c’est-à-dire beaucoup de langues.

 

 

Israël – L’agonie d’une démocratie – Charles Enderlin – Seuil Libelle

LIRE POUR ISRAEL

Ce très petit livre  (55 pages, format -12.5cmx17cm), un peu plus épais qu’un tract, est paru le 29 septembre 2023 alors que des foules manifestaient à Tel Aviv pour la Démocratie . Huit jours plus tard, l’horreur…Beaucoup de choses ont changé mais c’est toujours un livre indispensable.

Charles Enderlin fut le correspondant d‘Antenne2 à Jérusalem de 1981 à 2015. Son visage nous est encore familier et plus encore sa voix. Chaque jour devant la télévision, je peste que les journalistes (même très pros, excellents) se succèdent et changent alors qu’Enderlin assurait une permanence garantissant une analyse approfondie de chaque évènement. 

Cet opuscule livre l’historique des idées qui aboutissent à la mise en place, le 28 mai 2023, d’une Agence gouvernementale de « l’identité nationale juive » par Benjamin Netanyahou aboutissement des théories de son père Bension, adhérant  en 1928 au parti révisionniste de Jabotinsky . Il présente également les théories du messianisme moderne du rabbin Kook, l’idéologie des colons et leur média Nekouda et leurs émules Moshé Koppel, Israël Harel.

Rappel des différentes étapes de la montée de la Droite nationaliste

  • 2011, « loi dite de la Nakba » permettant de refuser toute subvention aux organisations commémorant la Nakba
  • 2014 attaque contre des dirigeants d’ONG comme Breaking Silence (vétérans témoignant contre l’occupation, B’Tselem, et.  associations israéliennes « accusées d’être des taupes complices du terrorismes ».
  • 2016 nouvelle loi sur les financements  » transparence des organisations soutenues par des entités étrangères ». 

Sans parler du jugement rabbinique déclarant Rabin « rodef » légitimant ainsi son assassinat….

  • 2022     entrée en scène  de Smotrich et de Ben-Gvir au gouvernement, ouvertement racistes et suprémacistes à des postes décisionnaires
  • 2023 projet de changement de régime du système judiciaire

« les ânes du Messie se sont rebellés »

Le lendemain, les manifestations de masse se sont organisées et ont continué pendant des mois.

Ceux que je prenais pour de doux rêveurs en costume folkorique, attendant le Messie en priant dans leurs quartiers réservés s’avèrent aussi de dangereux idéologues…glaçant!

Rhapsodie Balkanique – Maria Kassimova- Moisset

BULGARIE

Une belle histoire d’amour à Bourgas puis Istanbul !

Charme des Balkans , mosaïque de religions, de traditions, de langues dont l’autrice nous restitue la musique avec le Grec et le Turc qui se mêlent au Bulgare – le roman est traduit du Bulgare – mais que la traduction française occulte.

A la naissance de Miriam, la Bulgarie vient juste d’être indépendante et de sortir de l’Empire Ottoman. Ahmed, son amoureux arrivera plus tard d’Albanie sur une charrette. Imbrication des communautés qui se définissent par leur confession qui ne peuvent s’unir par le mariage.

Ahmed, le musulman, et Miriam orthodoxe ne peuvent vivre leur amour. Miriam est maudite par Théotitsa, sa mère, elle devient « la putain turque » stigmatisée dans toute la ville, elle perdra aussi sa sœur tant aimée qui ne lui parlera plus. Miriam est une femme forte, ardente, un peu sorcière. Elle ne se laisse pas intimider. Ahmed et Miriam fuient donc la ville provinciale pour Istanbul, la Ville. Dans l’anonymat de la grande ville ils trouveront un foyer, élèveront leurs deux enfants avec la complicité bienveillante de leur voisine. Cruauté du sort : Ahmed, phtisique va mourir et la jeune femme sera démunie, rejetée parce que chrétienne. Ils connaissent la misère. La vie n’est pas facile pour une jeune veuve avec deux enfants. Miriam croit trouver une solution en abandonnant l’aîné dans un pensionnant militaire de la Turquie kémaliste. Choix douloureux! 

La vie n’est pas simple pour les femmes des Balkans : même très fortes comme Miriam et avant elle pour sa mère Theotitsa. Indépendante, douée d’une imagination étonnante, presque sorcière, Miriam tente suivre sa voie, son amour. Elle paie le prix fort.

J’ai beaucoup aimé le soin et la poésie que l’autrice apporte pour décrire le quotidien des femmes : lessives, repassages, pliages, dignité de ces vêtements raides, des robes noires, soin aux reliques des enfants morts – petits habits pliés dans le coffre interdit. Evocation de l’enfance, intimité des deux soeurs et courage et débrouillardise de Haalim, le fils de Miriam.

Stupeur – Zeruya Shalev

LITTERATURE ISRAELIENNE

Joan Mitchell cyprès pour le plaisir

Merci à Babélio et aux éditions Gallimard de m’avoir permis de lire ce livre et de participer à la rencontre avec l’auteure Zeruya Shalev dont j’ai lu, et apprécié les romans précédents, Thera, Ce qui reste de nos vies et Douleur. je retrouve avec grand plaisir son univers familier : un regard féminin et aiguisé sur la réalité israélienne racontée dans le théâtre familial de personnages qu’elle fait vivre au quotidien. 

Deux voix féminines alternent : celle d’Atara, à peine la cinquantaine, architecte spécialisée dans la conservation de bâtiments anciens, mère de famille de deux enfants adultes de deux mariages successifs. Celle de Rachel, 90 ans, mère de deux fils. Un secret de famille dévoilé au décès du père d‘Atara , Mano: son mariage caché avec Rachel.

Atara retrouve Rachel et va exhumer un autre secret de famille : la participation de Rachel et de son premier mari , Mano (le père d’Atara) à la lutte du Lehi à la fin du Mandat Britannique. Mano et Rachel se sont aimés et mariés dans la clandestinité. Leur séparation est un autre mystère qui a pesé sur les relations familiales des deux familles et de leurs enfants. Nous découvrons cette époque lointaine, il y a 70 ans, des combats qui ont été occultés, l’amertume de ces idéalistes exaltés qui ont combattu les britanniques par le terrorisme tandis que ceux de la hagannah étaient loués en héros. 

Est-ce un hasard si ces souvenirs resurgissent maintenant que l’extrême droite est au gouvernement en Israël? Selon Zeruya Shalev à qui j’ai posé la question hier, Lehi et Extrême Droite actuelle n’ont aucun rapport. 

Un autre terrorisme sévit : Après une attaque au couteau à Jérusalem (p.124)

« pourquoi cela te choque? Vous aussi vous avez combattu l’occupant! Vous aussi vous avez combattu l’occupant! Quelle différence entre les combattants pour la libération d’Israël et ceux pour la libération de la Palestine » 

Dans la double famille de Rachel et d’Atara toutes les nuances politiques coexistent : Rachel a choisi de vivre dans une implantation alors que son fils Yaïr refuse de passer la Ligne verte et d’aller dans les territoires occupés. Son deuxième fils Amihaï, a choisi d’être ultra-orthodoxe, voir sa mère dans les territoires occupés ne lui pose aucun problème, en revanche exposer ses enfants à la vie laïque est hors de question, la grand-mère ne peut donc pas les recevoir. . Lors de la rencontre avec l’autrice, le thème de la transmission, est au cœur du roman. Aucun des deux fils de Rachel ne partage ses idées laïques mais nationalistes.

La famille recomposée d’Atara est aussi compliquée : elle a eu une fille d’un précédent mariage et son mari Alex aussi, ensemble ils ont un fils Eden. Les trois enfants sont dispersés : Avigaïl  la fille d’Atara étudiante aux Etats Unis, Yoav, le fils d’Alex est quelque part en Amérique latine, tandis qu’Eden   qui a servi dans les commandos, est revenu mutique.

Alex et Atara habitent Haïfa, ville multiculturelle (p. 113)

« …sa ville-refuge, celle qui l’a accueillie à bras ouverts des années plus tôt; toute de vert et de bleu parée et dont le fonctionnement architectural l’a immédiatement émerveillée. Des constructions arabes datant de l’Empire ottoman et du mandat britannique, du bâti templier à côté d’édifices Bauhaus, un brassage culturel qui accompagne le brassement hypnotique de la montagne et de la mer… »

Pour cette architecte, les lieux jouent aussi leur partition dans le livre et toute leur symbolique.

Rachel (p.2567 exprime ses doutes

« Israël est devenu un endroit surpeuplé, gris, barricadé, qui se cache derrière des murs et des barbelés, signe qu’il n’a plus foi dans sa légitimité »

Le contexte historique,  politique, social et géographique m’a bien sûr intéressée mais Stupeur est avant tout une histoire familiale. Zeruya Shalev est une experte dans l’analyse des rapports dans le couple, entre parents et enfants. Elle dissèque ces relations avec une acuité particulière. Aussi bien l’amour, le coup de foudre que les choix qu’une femme fait entre l’amour maternel et l’attention portée à son conjoint. Elle met en évidence toutes les facettes et les choix qui se posent à une femme, surtout si elle est mère.

J’ai été happée par l’histoire de la rencontre d’Atara et de Rachel, j’ai aimé aussi l’évocation des relations conjugales entre Alex et Atara.

J’ai aussi été intéressée par les références bibliques, l’irruption du bouc émissaire, du personnage de Jephté même si cela n’est pas vraiment ma tasse de thé.

Je ne dévoilerai pas plus loin l’histoire, lisez-le livre! 

En attendant de rencontrer Zeruya Shalev dans les salons de l’éditeur Gallimard , j’ai eu le plaisir de l’écouter sur les podcasts de RadioFrance dans l’Heure Bleue de Laure Adler CLIC Quel dommage que cette émission s’arrête! et Par les Temps qui courent pour son roman Douleur. CLIC

 

La soirée de présentation de Stupeur par Zeruya Shalev dans les salons de son éditeur, Gallimard, a été très chaleureuse. J’ai eu le plaisir de l’écouter en hébreu, relayée par son interprète, à tour de rôle, tandis qu’à la radio la voix de la traductrice se superpose et empêche l’écoute en V.O. J’ai apprécié sa grande simplicité : une leçon d’écriture. L’écrivaine se laisse guider par ses personnages qui s’imposent à elle dans toute leur complexité et elle nous a montré comment elle les fait vivre. Héroïnes fortes, sans filtre, qui ont même occasionné des réactions violentes chez les lecteurs en Israël qui l’ont abordée dans la rue . Je crois que je vais relire ses romans!

De face sur la photo – Ronit Matalon – Actes Sud trad. Rosie Pinhas Delpuech

LITTERATURE ISRAELIENNE

« les photographies témoignaient, exagéraient, ou bien ni l’un ni l’autre : elles créaient un troisième monde, une zone intermédiaire de pénombre entre les deux, à l’intérieur de laquelle proliférait l’erreur comme dans un bouillon de culture, l’échec de l’œil, l’histoire fallacieuse, l’illusion qui la produit. »

On lit le roman comme on feuillette un album de famille.

Famille de Juifs égyptiens dispersée entre Israël, d’où vient la narratrice, Esther, Douala où vit son oncle Cicurel qui l’accueille, les Etats Unis, la France, l’Australie. Cet album de famille rassemble des photos anciennes prises en Egypte à la fin des années 40, quelques photos en Israël, la plupart mettent en scène l’oncle Cicurel, l’homme d’affaires qui a réussi en Afrique. Il y a  aussi des « photos manquantes » perdues ou volées par ceux qui ont voulu emporter une image de famille.

« Elles m’expédient là-bas, en Afrique, chez l’oncle riche qui fera peut-être de l’ordre dans ma tête, pour que je
me pose un peu, ici ou là-bas, peu importe. L’essentiel étant que quelque chose m’atteigne, l’idée de “famille”
avec le totem du patriarche, fût-ce l’ombre de son ombre. »

La narratrice décrit avec  précision les personnages, le décor. On comprend qu’un personnage central, la Nonna Fortunée, a perdu la vue et la nécessité de cette description minutieuse.

Façon puzzle, on reconstitue l’histoire de cette famille levantine dans les mots d’Esther qui est venue apporter au Cameroun le lien familial si important mais si distant que l’Oncle Cicurel tient à maintenir. Le commerçant n’est pas vraiment un raconteur, il se met en scène, met en scène sa réussite sur des photos qu’il expédie à sa mère et à ses frères et sa sœur. On découvre aussi l’Oncle Moïse, le sioniste, qui a fait venir sa famille. Et aussi, les absents comme cette cousine énigmatique, Nadine perdue de vue à New York…Diversité des personnalités et des destins.

Est-ce que tu regrettes d’avoir quitté l’Égypte ? — Regretter ? s’étonne ma mère. Pas du tout. J’ai la nostalgie, je crève de nostalgie, mais je n’ai pas de regrets, Zouza. Notre vie là-bas est finie. — Mais vos racines sont là-bas, tante Inès. Qu’aviez-vous à faire ici ? — Des racines, des racines. C’est des chaussures qu’il faut. L’être humain n’a pas besoin de racines, Zouza. Il a besoin d’une maison.

Esther découvre aussi l’Afrique, la colonisation, le monde colonial séparé de la population autochtone, les rapports de domination qu’elle saisit avec vivacité.

J’ai beaucoup aimé ce roman.