Rhodes : quartier juif

La place des Martyrs Juifs est bordée de beaux restaurants en terrasses et sur les toits aux murs jaunes ocre tranchant sur la verdure. Ce serait une place très agréable si on oubliait le monument : une colonne tronquée de marbre noir : sur chaque face un court texte en hébreu, ladino, italien anglais et français rappelle le souvenir des 1604 juifs de Rhodes et de Kos déportés à Auschwitz. Derrière cette place s’étendait le quartier juif.

Les visites de l’église sainte Marie du  bourg et de l’Hospice Sainte Catherine tournent court. Sainte Marie du bourg est vraiment très ruinée. Des ogives imposantes permettent d’imaginer les dimensions originelles de l’édifice. Une foule bruyante  se manifeste. Chacun veut se faire photographier devant la base d’une colonne. Un bateau en provenance de Haïfa s’est déversé ici. Comme d’habitude, les Israéliens s’interpellent à haute voix pensant que personne ne les comprend. Nous les retrouvons devant l’Hospice Sainte Catherine fermé. Le gardien bataille avec un nombre incroyable de clés. Enfin la porte s’ouvre sur a salle de réception des Chevaliers pour les hôtes de marque, belle pièce meublée (le pavement en mosaïque est protégé par un tapis). Dès que nous sommes entrées on nous chasse.

–    « Ce sera ouvert demain ! »
–    « demain nous serons loin ! »

Je fais d’abord une visite éclair à la synagogue – gâchée par la présence de ces touristes mal élevés. L‘un d’eux tient en main un livre de prières dans l’autre un téléphone.

Après avoir relu nos guides j’y retourne, bien décidée à visiter aussi le musée, la maison catalane et les rues adjacentes pittoresques passant sous des arches.

La synagogue est très belle très claire : arches romanes peintes, un beau plafond, des lustres aux pendeloques de cristal. Le musée présente des photos et des panneaux illustrés racontant l’histoire de la communauté juive de Rhodes, très ancienne. La présence des juifs est attestée dès le 2ème siècle. La première communauté « Romaine » s’était assimilée aux Grecs, écrivait en lettres grecques et avait adopté de nombreux mots et expressions grecs. Après 1492 , les Juifs séfarades vinrent se réfugier à Rhodes formant une nouvelle communauté. De la cohabitation avec les Chevaliers les panneaux ne disent pas grand-chose si ce n’est que les Turcs en 1522 furent accueillis avec soulagement. J’imagine volontiers que cette communauté eut un sort analogue aux autres de l’empire ottoman à Salonique, en Bulgarie à Istanbul ou ailleurs en Turquie. Toutes les photos du début du 20ème siècle me paraissent familières. A Rhodes aussi, l’Alliance Israélite Universelle avait ses écoles, les sionistes leurs adeptes : Israël est bien proche. Les costumes ottomans sont les mêmes que sur les vieilles photos de famille.  Les clichés n’ont rien d’officiel ; on monte la vie quotidienne, en maillot de bain, en vacances…je suis extrêmement émue. Penser que tout cela a pris fin brutalement comme à Salonique dans une guerre européenne si éloignée de ce décor du Proche Orient !

insomnie

Je ne sais si c’est le ronflement du ventilo, les trois cafés que j’ai pris dans l’après midi ou la peur de ne pas me réveiller au lever du jour avec la porte fermée mais j’ai eu une grande insomnie pendant laquelle revenait le souvenir des Juifs de Rhodes dont j’ai vu les photos. J’ai pensé à Mangeclous, Solal de Cohen à Vidal et les siens de Morin au duc de Naxos et à la Senora… à l’histoire de l’Alliance Israélite qui fait partie de mon roman familial, au livre de Julia Kristeva qui est dans ma valise. J’ai une envie intense de mieux connaître ce monde séfarade où plongent mes racines. Surtout la première partie du 20ème siècle quand la modernité et l’éducation positiviste en tout cas francophone de l’Alliance ont fait irruption dans le monde désuet de l’empire ottoman. Et jusqu’à l’extermination dans les camps où il m’apparaît clairement que le monde a perdu son innocence. Que tous les rêves optimistes d’alors : sionisme, communisme ont trouvé brusquement leurs limites. Ce n’est pas une idée rationnelle, bien sûr. Jamais le monde n’a été sans péché. L’esclavage, l’extermination des Indiens d’Amérique, le génocide arménien… ont sûrement marqué d’autres esprits pareillement.

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

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