MARRAKECH ET LA VALLÉE DU DRAA

Il faut contourner la mosquée pour parvenir au Palais Badi. Mais de quel côté ? Les avis des passants sont contradictoires. Un homme nous montre un raccourci : une porte qui semble entrer dans une maison. Les ruelles conduisent à une boutique nommée justement « le Palais El Badi ». C’est le traquenard ! L’homme nous barre le passage étroit et tend la main :
– « j’ai deux garçons ! »
Je sors un euro pour pouvoir passer. En revanche, le propriétaire de la boutique, habitué sans doute au passage, n’insiste pas pour nous faire admirer sa marchandise (beaux cuivres : plateaux, aiguières, bassins, menorah(on est dans le mellah). De l’autre côté, une rue passante avec des herboristeries.

La place des Ferblantiers m’avait laissé un souvenir très net. Il y a une douzaine d’années, on voyait travailler les artisans et tout un déballage hétéroclite. Elle a été modernisée, équipée de bancs. Les boutiques pour touristes sont amusantes avec des cônes de pigments multicolores imitant un cône de glace fondante. A peine assises, nous sommes la proie des vendeuses de bracelets, djellaba, voile, bouche masquée mais très insistantes.
– « il ne faut pas casser la baraka ! »
Le Palais Badi est énorme. Les cigognes sont bien présentes. Nous ne trouvons pas l’entrée.
– « C’est fermé ! » dit un vieux monsieur qui propose de nous conduire dans le mellah
– « c’est samedi, vous verrez le marché aux épices. Encore 500 juifs vivent ici il reste une synagogue, voyez la maison du rabbin ! »

« La maison du rabbin » ce sont des chambres d’hôtes. Chabbat, cela devrait être fermé ! Je pense à Canetti sachant que je ne verrai plus rien de ce qu’il a décrit dans les années 50. 500, ce n’est pas beaucoup à côté des 16.000 juifs qui peuplaient le mellah. Des maisons juives, il reste les fenêtres grillagées avec un petit auvent de bois. Nous ne chercherons pas la synagogue aujourd’hui samedi.
Les épices embaument. Je confonds les fines feuilles vertes du henné avec de la verveine. Dans les allées des ânes tirent des charrettes. De mystérieux filaments pendent, des courges séchées tordues et géantes, des peaux de bêtes, même panthère mitée et zèbre.
Palais de la Bahia

Caché de la rue par un jardin arboré, ce palais est récent (fin 19ème début 20ème). On entre par un patio chaulé. Le parcours fléché nous balade de cours en pièces d’apparat, montant, descendant des marches, sans logique apparente. La première cour est découpée de 4 carrés plantés d’orangers et de bananiers séparés par des allées de zelliges aux cinq couleurs blanc- noir-vert-jaune- bleu, les plus grands carrés sont pris dans une sorte de résille formée par des rectangles. Au centre, une vasque de marbre. Les pièces sont vides, leurs plafonds mobilisent toute notre attention, peints de motifs traditionnels géométriques mais aussi de bouquets de fleurs rappelant l’Art Nouveau. La fraîcheur de leurs coloris est étonnante. Dans une pièce, des parterres fleuris entourent des entrelacs orientaux bleus. Dans l’appartement de la Noble Épouse, minarets et coupoles stylisé. On s’arrête souffler dans une cour carrelée, avec le torticolis d’avoir contemplé ces plafonds merveilleux.

Dar si Saïd
Deux rues plus loin, le Musée ethnographique berbère Dar si Saïd présente des collections analogues à celles du Musée Majorelle. Avantage : on peut prendre toutes les photos qu’on veut. Le palais vaut aussi la visite. Mais c’est moins bien présenté qu’à Majorelle, les vitrines sont vieillottes. C’est un havre de paix après la foule touristique de la Bahia.
Je passe assez vite devant les portes sculptées des greniers collectifs (agadir) en bois d’amendier (sic). La cuve monolithe de marbre sculpté a une longue histoire : elle vient d’Espagne, datée 1002-1007, elle a été transportée à Marrakech au temps des Almoravides. Les planchettes de bois pour els inscriptions coranique, les pièces de maroquinerie, les broderies (le plus souvent au point de croix) ne me retiennent pas longtemps.

Je découvre un jardin tranquille occupé en son centre par un kiosque octogonal abritant une fontaine. Les allées carrelées en zigzags verts et blancs rappellent le motif de l’eau. Les rectangles sont plantés d’agrumes, de bananiers mais aussi d’hibiscus encore fleuris, qui s’adossent à un haut cyprès. Ce jardin enchanté est un coup de cœur !
Dans les salles entourant le jardin on a présenté des céramiques et des poteries. Les plus belles sont de Fès et de Safi. Je photographie un enfumoir (moins beau que ceux de Majorelle). A l’étage sont exposés les tapis et une curieuse balançoire de bois travaillé.
Retour au riad
Comment rentrer ? Les taxis ne passent pas dans les ruelles. Il faut donc rentrer à pied en suivant les panneaux Jamaa el Fna. Nous passons ensuite dans des souks qui vendent des vêtements. Tant que les articles n’intéressent pas les touristes on nous laisse une paix royale. Nous n’allons pas acheter une robe de chambre fuchsia ni un épais pyjama de peluche rose ! (je découvrirai plus tard que Beija, la cuisinière porte le même dans sa cuisine, pour sortir elle). Plus on s’approche de Jema el Fna, plus il y a de boutiques pour touristes.
La Place Jemaa el Fna est occupée par des barraques de jus d’orange. Nous ne verrons ni montreur de serpent, ni conteurs. Trois acrobates font une pyramide rapide On se serait bien attablées en terrasse pour manger un morceau mais les supporters de Foot drapeaux, écharpes et même haut de forme occupent toutes les tables. On trouve une table libre dans un boi-boui, menu unique : tagine de poulet (c’est prévu pour ce soir).
La faim au ventre et bien fourbues nous continuons le chemin vers le riad. Quel chemin ? Les policiers sont incapables de nous orienter. Ils s’y mettent à 8 ou 10. Peut être ne sont-ils pas de Marrakech, appelés en renfort à cause du match ? Sans un arrêt ni un regard sur les étals nous nous traversons le souk des maroquiniers, le souk des babouches. Nous acceptons avec répugnance l’aide de jeunes hommes qui n’est pas forcément désintéressée. Nous n’avons pas le choix, nous sommes perdues.
– « la Medersa, c’est tout droit ! »
Enfin, nous apercevons l’enceinte de la mosquée Ben Youssef, le Riad est tout près ! Des brochettes sont bien appétissantes et bon marché 2dirhams l’une. Malentendu sur la monnaie, rendue, on les laisse. Le jeune qui nous accompagnait nous laisse aussi. Nous sommes trop mauvaises clientes !
Tout proche du but, mais perdues ! On entre dans des impasses. Enfin un homme en djellaba nous dépanne, il connait le Riad Esprit du Maroc, nos voisins. Le temps de redescendre, les boutiques ont fermé. Je retrouve devant la gargote des brochettes le même jeune homme, pas rancunier.
Nous passons l’après midi au soleil sur la terrasse à côté de la piscine ; les heures s’égrènent tranquillement. Les clameurs du stade pourtant lointain nous parviennent. Ahmed des billets pour le match. Beija, la cuisinière, charmante et toute en rondeurs, assure le service. Hier, sa harira avait fait un repas complet. Aujourd’hui, le menu est plus étoffé : velouté de carottes, légèrement épicé. Arrivent ensuite trois plats à tagine : deux poulets-citron et dans le 3ème les légumes qui ont mijoté à l’étouffé : minces bandes de courgettes et de carottes, lanières de poivron, aubergines, fèves, navet et pois frais. Pour finir oranges à la cannelle et cornes de gazelles. Yannick nous tient compagnie. Ahmed, Beija et Yannick savent recevoir non pas comme des clients mais comme de la famille.