Zola – L’Assommoir

LES ROUGON-MACQUART tome 7

« J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort. C’est la morale en action, simplement. »

Le titre est tout un programme. Dans la préface, ci-dessus,  Zola s’explique. Il n’y aura pas de surprise, le dénouement est contenu dans ce mot l’« Assommoir« . Le lecteur doit s’attendre à un Zola très noir : âmes sensibles s’abstenir, rien ne sera épargné dans la déchéance de Gervaise et de Coupeau

Contrairement aux opus précédents  datés très précisément et dont l’action se déroulait en une courte période, L’Assommoir s’étale sur une vingtaine d’années.

Au début,  Gervaise, 22 ans, est la fille d‘Antoine Macquart et, la sœur de Lisa, la belle charcutière du Ventre de Paris. Elle a quitté Plassans avec Lantier et leurs deux enfants. Le roman s’ouvre sur la désertion de Lantier et une terrible bataille au lavoir entre Gervaise et Virginie, la sœur de la nouvelle maîtresse de Lantier. Morceau d’anthologie entre ces deux lavandières qui se frappent avec le battoir. Gervaise est courageuse,  blanchisseuse, excellente ouvrière, jolie ; elle refait sa vie avec un ouvrier zingueur, Coupeau. Le ménage vit dans une relative opulence entouré de famille, d’amis et voisins très proches. L’un d’eux Gajet, un forgeron,  avance le financement de la boutique de Gervaise.

« Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le cou tendu, s’étourdissant à voir couler, entre
les deux pavillons trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des
hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques
arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ; »

 

L’Assommoir se déroule  entre la Goutte d’Or et la Porte Saint Denis dans le milieu ouvrier. L’art de Zola est de faire vivre ces différents ouvriers en décrivant les ouvriers au travail : le lavoir et le repassage des blanchisseuses (tri du linge, repassage fin de chemises d’hommes, de bonnets…On voit Coupeau  à l’ouvrage de zingueur sur le toit, et l’accident qui va changer la fortune du ménage. Frappante description de la fabrique de boulons, duel des forgerons au marteau pour fabriquer une pièce à la main alors que les machines commencent à remplacer le travail artisanal, et la paie des boulonniers diminue.

« Un homme magnifique au travail, ce gaillard-là ! Il recevait en plein la grande flamme de la forge. Ses cheveux courts, frisant sur son front bas, sa belle barbe jaune, aux anneaux tombants s’allumaient, lui éclairaient toute la figure de leurs fils d’or, une vraie figure d’or, sans mentir. Avec ça, un cou pareil à une colonne, blanc comme un cou d’enfant ; une poitrine vaste, large à y coucher une femme en travers ; des épaules et des bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d’un géant, dans un musée. Quand il prenait son élan, on voyait ses muscles se gonfler, des montagnes de chair roulant et durcissant sous la peau ; ses épaules, sa poitrine, son cou enflaient ; il faisait de la clarté autour de lui, il devenait beau, tout-puissant, comme un bon Dieu. »

 

Cependant, ce roman est loin d’être un catalogue des métiers : chaque personnage a une personnalité complexe qui évolue avec le temps. Gervaise, même abandonnée avec deux enfants par Lantier est une battante qui ne se laisse pas décourager, elle a de l’énergie et du charme, un bon métier et toutes les chances de réussir un nouveau départ avec Coupeau. Autour de Coupeau gravitent sa famille, sa mère, ses soeurs et cousins. Tout ce monde se fréquente, se jalouse, se retrouve pour des ripailles réjouissantes.

Avant de boire, on mange, et on mange la boutique!

« Lorsqu’on a un homme qui boit tout, n’est-ce pas ? c’est pain bénit de ne pas laisser la maison s’en aller en
liquides et, de se garnir d’abord l’estomac. Puisque l’argent filait quand même, autant valait-il faire gagner au boucher qu’au marchand de vin. »

Autant les beuveries dans les estaminets, à l’Assommoir sont déprimantes, autant les grandes tablées à l’occasion de la fête de Gervaise ou de la communion de Nana sont réjouissantes. Zola nous décrit les emplettes, les préparatifs, les plats qui se succèdent. Toute la famille est conviée, les ouvrières, les voisins, et à la fin tout le quartier profite des réjouissances. Une visite au Louvre des convives est tout à fait comique.

C’est aussi le roman des amitiés, fraternités d’atelier, de bistro, la familiarité de Copeau et de Lantier s’explique par cette convivialité. Entre femmes aussi, on s’entraide, on s’amuse. Evidemment, jalousie, ragots sont aussi de mise quand la bonne fortune de Gervaise a tourné et quand la misère s’installe.

Nana, adolescente, voit ses parents sombrer:

 

« C’est que, dans le ménage des Coupeau, le vitriol de l’Assommoir commençait à faire aussi son ravage

[…]
quand un père se soûle comme le sien se soûlait, ce n’est pas un père, c’est une sale bête dont on voudrait bien
être débarrassé.

[…]
des heures et sortant de là avec les yeux hors de la tête. Lorsque Nana, en passant devant l’Assommoir,
apercevait sa mère au fond, le nez dans la goutte, avachie au milieu des engueulades des hommes, elle était prise d’une colère bleue, parce que la jeunesse, qui a le bec tourné à une autre friandise, ne comprend pas la boisson. »

Viendra finalement la déchéance. Conséquences ultimes de l’alcoolisme, la folie et la clochardisation.

Je croyais lire un roman très sombre. La fin, certes, est noire, mais avant quelle vie!

 

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

16 réflexions sur « Zola – L’Assommoir »

  1. je ne dirais pas que je n’ai pas aimé ce roman mais il est pour moi un roman qui me rappelait trop des patients alcooliques soignés au fil des années et ce n’est pas un bon souvenir
    malgré tout comme toi j’ai aimé certains passages et globalement j’ai un avis positif mais je sais que je ne relirai pas cet opus là

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  2. Celui là je m’en souviens vraiment bien. Et j’ai revu plusieurs fois le film avec Maria Schneider dans le rôle de Gervaise. C’est assez désespérant quand même ..

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  3. C’est vrai ! Gervaise au départ est un personnage positif.
    Quel est le prochain livre de Zola que tu lis ? Si ce n’est pas un de ceux que je connais trop, lu, relu, étudié, je t’accompagnerais volontiers.

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    1. @claudialucia : je me suis mise au défi de lire toute la série des Rougon-Macquart à la suite, comme une série ou un feuilleton. j’en suis à Pot-Bouille que j’aime mieux que Nana. Donc si tu veux partager une lecture commune, pioche dans la fin et dis-moi lequel tu as choisi. En vrai je n’avais rien lu, des extrait au lycée, des adaptations au cinéma mais pas de roman en entier. Je me rattrape. Cette aventure remplace un long voyage de Juillet.

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      1. Pot bouille ! Je ne l’ai lu qu’une fois ! Cela dépend quand tu le publies, j’ai un livre à finir avant, si c’est possible, je prends le train en marche.
        Après au Bonheur des dames je l’ai lu, relu, fais étudier, comme Germinal, donc je passe. Ensuite La joie de vivre pas relu depuis des années. Pourquoi pas ?
        En fait ce sont ceux du début que je n’ai pas lus : La curée, Le ventre de Paris.

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      2. @Claudialucia : pour Pot Bouille je publierai dans une dizaine de jours et je peux attendre parce que nous partons en vacances à Albi et à Rodez fin septembre sans l’ordinateur bien entendu, mais il est gros. La Joie de vivre c’est une bonne idée, je ne le connais pas du tout. A découvrir ensemble?

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