FEUILLES ALLEMANDES

C’est un grand livre qu’a signé Jakob Wassermann (1873-1934). Premier livre d’une trilogie L’Affaire Maurizius (1928) est suivi de Etzel Andergast (1929) et de Joseph Kelkhoven (1934) . C’est un pavé de 624 pages si on compte la postface d’Henry Miller.

L’Affaire Maurizius est une erreur judiciaire. Leonard Maurizius a été condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme. Il croupit en prison depuis 18 ans. Il a toujours clamé son innocence. Seul son père se démène pour une révision du procès.
Etzel Andergast, 16 ans, fils du procureur qui a obtenu la condamnation de Maurizius entre en contact avec le père de Leonard. Elève brillant, garçon docile, il est élevé de manière très rigide par son père qui le tient éloigné de sa mère coupable d’adultère et interdite de contact. Arrivé à l’adolescence, Etzel recherche sa mère. L’Affaire Maurizius lui fait prendre conscience de la personnalité de son père et de sa situation familiale singulière:
« C’était la méthode du silence. Cette anormale situation de famille avait pour résultat que les habitants de la
maison semblaient pratiquer de plein gré l’espionnage ; fournisseurs, commissionnaires, facteurs, huissiers, tous étaient assujettis à cette volonté supérieure partout sensible et qui gouvernait sans déclarer ouvertement sa toute-puissance ni prendre la peine d’en instruire chacun en particulier. Ils étaient amenés à l’obéissance et dressés à la délation par le seul fait qu’elle régnait là, écrasante et grandiose comme une montagne. »
Etzel, intelligent, révolté par l’injustice avait déjà manifesté, enfant, en camp de vacances des talents de justicier :
« Il s’y trouvait un garçon de dix-sept ans, Rosenau, camarade de chambre d’Etzel. Il n’était pas particulièrement estimé, comme Juif d’abord, puis à cause de son air grincheux et méfiant et enfin parce qu’il faisait des vers, de la pacotille, fade délayage selon les modèles célèbres et mêlé au surplus d’un brin d’érotisme ; aussi les railleries dont les gamins le poursuivaient n’étaient-elles pas tout à fait sans fondement, mais naturellement, cela ne faisait que l’aigrir davantage. Au reste, c’était un brave garçon sans la moindre méchanceté. Mais on le détestait tout
simplement et il n’y avait rien à y faire, le plus grand nombre voulait se débarrasser de lui ou du moins lui rendre le séjour insupportable. »
Il avait innocenté ce jeune juif, victime des menées antisémites de ses camarades en fournissant des preuves après une enquête judicieuse.
Etzel part à Berlin, sur les indications du père de Leonard Maurizius à la recherche d’un témoin capital de l’assassinat dont le témoignage a été déterminant dans la condamnation de Maurizius. Il envoie une lettre à son père lui expliquant sa démarche mais sans lui donner d’indice permettant de le retrouver.
« Il y a encore quelque chose dont il faut que je te parle, c’est de l’abominable quantité d’injustices qui vous viennent tous les jours aux oreilles. Il faut que tu saches que l’injustice est la chose du monde qui m’inspire le plus d’horreur. Je ne peux pas t’expliquer ce que je ressens quand je suis témoin d’une injustice, à mon égard ou à l’égard des autres, n’importe. »
La fugue de son fils est un véritable choc pour le procureur qui ressort le dossier Maurizius et va même le visiter en prison.
Cette intrigue compliquée fourmille de personnages complexes. L’auteur analyse tous les aspects psychologiques, les personnalités et leurs contradictions, leurs évolutions. Seul bémol d’ailleurs que cet approfondissement de chaque situation, chaque protagonistes. Je me suis parfois perdue.
Aucun manichéisme si ce n’est la rigidité du juge, et d’ailleurs ce dernier évolue avec l’histoire. Etzel, le jeune garçon qui poursuit la justice craque à la fin du roman. Cherchait-il la justice pour Maurizius ou la vengeance vis-à-vis de son père. Maurizius offre lui-aussi divers aspects pas toujours sympathique de sa personnalité. Et que dire de la duplicité de Waremme-Warschauer, juif renégat qui se lie avec les pires nationalistes puis revient à ses origines, manipulateur, séducteur et menteur, mais sensible au racisme…
« Warschauer contre Waremme, comprenez-vous ? Là-bas, comme ici, deux antagonistes. L’Europe et le passé,
l’Amérique et l’avenir «
Ce roman est d’une grande richesse. Enigme policière. Roman à tiroirs : chaque protagoniste apporte son histoire. On navigue des salons universitaires au quotidien des forçats à la prison où est incarcéré Maurizius. Là, on découvre un personnage touchant : le gardien Klakusch rempli d’humanité.
J’ai dévoré ce pavé. Il me reste encore les deux autres livres de la trilogie!
C’est visiblement une très belle découverte. Est-ce que l’affaire n’est pas résolue à la fin du premier tome ? Ou bien les autres tomes porteront-ils sur d’autres sujets/personnages ?
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@sacha je n’ai lu que le premier mais le personnage principal donne le titre au second
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Ca a en effet l’air passionnant, d’autant plus que je suis dans une période « true crime » ! Mais 3 tomes quand même..
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@Ingannmic tu n’est pas forcee de lire toutes la trilogie
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Dans ce cas, y’a plus qu’à !
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J’ai beaucoup hésité entre Gaspard Hauser et ce titre. Je retrouve des thèmes communs aux deux livres – la recherche de la justice, de la vérité, les côtés obsurs de la nature humaine. Je me promets de lire celui-ci après avoir lu ton avis. Le second tome s’appelle Etzel Andergast, il reprend donc l’un des personnages principaux du premier tome. Vas-tu le lire prochainement ?
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Je crois comprendre que tu vas lire les deux autres tomes de la série. Je vais attendre les deux autres billets pour avoir une vue d’ensemble. En plus, je ne suis pas trop « pavé » en ce moment.
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@Aifelle : le premier se suffit à lui-même. Je vais attendre un peu pour les autres. J’ai aussi les Rougon-Macquart à continuer et il en reste encore 6
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Bon, à noter, mais pour les feuilles allemandes de 2024. ^_^
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@keisha : pareillement j ai une liste pour novembre 2024
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un grand classique lu à l’adolescence autant que je me souvienne mais dont j’ai gardé un souvenir très fort
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Je vous lis souvent, bravo et merci pour vos récits. J’avoue être assez bluffé par la quantité de bouquins que vous lisez d’où une question de béotien qui me taraude : c’est votre métier de lire autant de livres ?
Profession : dévoreuse de livres.
La classe 🙂
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@Nicolas : vous allez me faire rougir 😊. Mon métier : retraitée me laisse en effet beaucoup de temps pour lire
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Quel joli métier ! Je comprends mieux 😉
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Ce qui me plaît, d’après ce que tu dis,c’est la complexité des personnages et un pavé, en plus, j’adore ! Comme je ne peux tout lire en même temps, je note.
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@claudialucia : je te le recommande vraiment c est un très bon livre
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Cette réédition fait l’unanimité !
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