L’Argent – Emile Zola

LES ROUGON-MACQUART t18

Si je ne m’étais pas lancé le défi de lire tous les livres des Rougon-Macquart dans l’ordre j’aurais abandonné au milieu L’Argent qui n’est pas à la hauteur de La Bête Humaine (t.17) ou de Germinal que j’ai lus récemment. 

Le héros est Saccard, le frère du puissant ministre de Napoléon III (Son Excellence Eugène Rougon).  J’ai assisté à son ascension dans La Curée spéculant sur la construction du Paris haussmannien, maître d’un hôtel particulier au Parc Monceau, mari de Renée qui a pris pour amant son fils Maxime. Je le retrouve ruiné, veuf à nouveau, locataire de la Princesse d’Orviedo, rue Saint Lazare. 

La princesse, dévote, dilapide sa fortune (mal acquise par son mari) en œuvres de charité. Elle loue un appartement à Madame Caroline et son frère, l’ingénieur Hamelin qui reviennent du Proche Orient.

Saccard, à l’affut d’un nouvel élan  pour rebondir, va se saisir des projets de l’ingénieur :  développement des transports (compagnies de paquebots unies dans la Méditerranée, réseau ferroviaire dans l’empire ottoman, exploitation d’une mine d’argent au Carmel. Et pour financer cette entreprise colossale : il fonde une banque La Banque Universelle.

Saccard organise une énorme spéculation boursière. Occasion pour Zola de nous expliquer en détail comment fonctionne la Bourse de Paris, bâtiment, corbeille, coulisse, boursiers, agents de change, remisiers, coursiers, mais aussi toute une faune « pieds humides » récupérant les valeurs déclassées. Le lecteur apprend tous les mécanismes haussiers, baissiers, le « jeu » des spéculateurs. Ce serait passionnant, mais c’est aussi long, répétitif.

 » il avait contre le juif l’antique rancune de race, qu’on trouve surtout dans le midi de la France; et c’était
comme une révolte de sa chair même, une répulsion de peau qui, à l’idée du moindre contact, l’emplissait de
dégoût et de violence, en dehors de tout raisonnement, sans qu’il pût se vaincre. Mais le singulier était que lui, Saccard, ce terrible brasseur d’affaires, ce bourreau d’argent aux mains louches, perdait la conscience de lui-même, dès qu’il s’agissait d’un juif, en parlait avec une âpreté, avec des indignations vengeresses d’honnête homme, vivant du travail de ses bras, pur de tout négoce usuraire. Il dressait le réquisitoire contre la race, cette race maudite qui n’a plus de patrie, plus de prince, qui vit en parasite chez les nations, feignant de reconnaître les lois, mais en réalité n’obéissant qu’à son Dieu de vol, de sang et de colère; et il la montrait remplissant partout la
mission de féroce conquête que ce Dieu lui a donnée, s’établissant chez chaque peuple, comme l’araignée au
centre de sa toile, pour guetter sa proie, sucer le sang de tous, s’engraisser de la vie des autres. Est-ce qu’on a
jamais vu un juif faisant œuvre de ses dix doigts? est-ce qu’il y a des juifs paysans, des juifs ouvriers? Non, le
travail déshonore, leur religion le défend presque, n’exalte que l’exploitation du travail d’autrui. Ah! les gueux!
Saccard semblait pris d’une rage d’autant plus grande, qu’il les admirait, qu’il leur enviait leurs prodigieuses
facultés financières, cette science innée des chiffres, cette aisance

 

Surtout, cédant aux préjugés de l’époque, de longs paragraphes antisémites sont insupportables. Comment, Zola, l’auteur de J’Accuse, le défenseur de Dreyfus a-t-il pu écrire de telles horreurs? Et moi, lectrice du XXIème siècle, même en contextualisant dans l’époque, suis-je obligée de m’infliger de telles lectures? J’hésite à poursuivre la lecture. Mais je veux comprendre.

Chronologie : L’Argent a été publié en 1891, Dreyfus condamné en 1894, J’accuse 1898. Dès Mai 1896 il avait publié un article Pour les juifs.

Zola, écrivain naturaliste, ne met pas de gants quand il raconte une histoire, il fait parler les blanchisseuses crûment ou les ouvriers comme des ouvriers, les prostituées  comme des prostituées, soucieux de vérité. Si l’antisémitisme caractérisait le vocabulaire des contemporains vivant autour de la Bourse il ne va pas édulcorer leurs propos. 

Par ailleurs, l’opposition entre  la « banque juive » la Banque Universelle de Saccard se présentant comme banque catholique, même catholique-ultra quand Saccard s’oppose à son frère est le ressort de l’action, le ressort de la bataille boursière qui va conduire à la spéculation effrénée puis à la faillite de la Banque Universelle. Le dévot et naïf Hamelin voit dans l’entreprise au Proche Orient une sorte de Croisade avec pour but final le couronnement Jérusalem du Pape (rudement secoué à cette période par les guerres italiennes et l’unification de l’Italie) . Pour réunir des actionnaires modestes, Saccard va jouer sur la fibre catholique et l’opposition aux financiers juifs. Les petits porteurs qui seront finalement ruinés croyaient faire acte de dévotion en consacrant leurs économies à la Banque Universelle. 

C’était la nouvelle Croisade, comme elles disaient, la conquête de l’Asie, que les croisés de Pierre l’Ermite et de Saint Louis n’avaient pu faire
,

 

Et la croisade des femmes surtout triomphait, aux petites réunions intimes de cinq heures, aux grandes
réceptions mondaines de minuit, à table et dans les alcôves. Elles l’avaient bien prévu Constantinople était prise, on aurait bientôt Brousse, Angora et Alep, on aurait plus tard Smyrne, Trébizonde, toutes les villes dont l’Universelle faisait le siège, jusqu’au jour où l’on aurait la dernière, la ville sainte, celle qu’on ne nommait pas,

L’histoire, c’est celle de Saccard, personnage odieux, mais c’est surtout celle de l’Argent corrupteur, l’Argent et le « jeu » qui dénature les relations humaines qui fait refuser aux Maugendre de donner à leur fille Marcelle quelques centaines de francs qui empêcheraient la saisie par les huissiers du mobilier du ménage, qui fait rater le mariage de Nathalie par son père espérant un gain plus important…qui fait perdre toute raison critique à des personnes pourtant incorruptibles comme la Princesse Orviedo ou l’ingénieur Hamelin.

Madame Caroline, garde un moment ses distances avec l’Argent corrupteur

« Ah! l’argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse,
l’amour des autres! Lui seul était le grand coupable, l’entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. A cette minute, elle le maudissait, l’exécrait dans la révolte indignée de sa noblesse et de sa droiture de femme. D’un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anéanti tout l’argent du monde, comme on écraserait le mal d’un coup de talon, pour sauver la santé de la terre. »

la réponse de Saccard aux objections de Caroline :

« Comprenez donc que la spéculation, le jeu est le rouage central, le cœur même dans une vaste affaire comme la nôtre. Oui! il appelle le sang, il le prend partout par petits ruisseaux, l’amasse, le renvoie en fleuve dans tous els sens, établit une énorme circulation d’argent qui est la vie-même des grandes affaires »

Il compare la spéculation boursière au sexe, nécessaire à la reproduction humaine…

La fin est inéluctable, le lecteur attend que la bulle boursière éclate, il y a peu de suspens, on se demande seulement comment cela arrivera!

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

9 réflexions sur « L’Argent – Emile Zola »

  1. Hou là, les passages qui tomberaient -et heureusement- sous le coup de la loi de nos jours. Franchement odieux. A bien lire, on dirait que c’est Saccard qui s’exprime (mais Zola n’avait pas besoin d’en rajouter!). Surtout, tu le dis bien, le Zola de l’affaire Dreyfus.

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  2. Je ne l’ai pas lu celui-là et tu ne me donnes pas du tout envie de le lire. Les passages antisémites sont en effet insupportables, même en se reportant à l’époque.

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  3. Je n’ai jamais lu celui-ci et ce n’est pas ton avis qui va me pousser à le lire. Je ne doute pas que « La débâcle » (le prochain de la liste si je ne me trompe) t’aura plu davantage.
    PS: pour notre lecture du Docteur Pascal, pourrait-on décaler d’une semaine ? (je suis en retard pour le mois Latino), par exemple le 7 mars ?

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  4. Bonjour Miriam, je ne tente même pas ce défi. Des Rougon Macquart, je n’ai lu que Germinal, l’Assommoir et La curée. Je ne suis pas sûre de lire les autres. Cela commence à être daté plus que les romans de Balzac. Bonne journée.

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