Le Côté de Guermantes (2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de Madame de Villeparisis

LECTURE COMMUNE AVEC CLAUDIALUCIA, AIFELLE, KEISHA, FANJA, SANDRINE,  DOMINIQUE et d’autres…..

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Dans le salon de Madame Verdurin, aux dîners de Madame Swann, aux réceptions de Madame de Villeparisis, je m’ennuie. Les présentations sont interminables, les généalogies remontant aux Croisades ou à la noblesse d’Empire ne m’intéressent pas.  Je me perds dans  les relations familiales entre les différents membres de la famille de Guermantes trop de neveux, de cousins, je confonds Princes et Princesses, Duchesse. et barons…

La scène entre Bloch et Monsieur de Noirpois m’a frappée. Passons sur le fait que ces deux personnages sont antipathiques, Bloch est extrêmement mal élevé dans ces milieux très policés. Il tient à connaître de Norpois, diplomate, son opinion sur l’Affaire Dreyfus et le questionne directement. 

– Monsieur, dit Madame de Villeparisis, lui avez-vous parlé de l’affaire Dreyfus?

Monsieur de Norpois leva les yeux au ciel, mais en souriant comme pour attester l’énormité des caprices auxquels sa Dulcinée lui imposait le devoir d’obéir. néanmoins il parla à Bloch avec beaucoup d’affabilité, des années affreuses peut-être mortelles, que traversait al France. Comme cela signifiait probablement que M. de Norpois () qui Bloch cependant avait dit croire à l’innocence de Dreyfus) était ardemment anti-dreyfusard, l’amabilité de l’Ambassadeur, l’air qu’il avait de donner raison à son interlocuteur, de ne pas douter qu’ils fussent du même avis, de se liguer en complicité avec lui pour accabler le gouvernement, nattaient la vanité de Bloch et excitait sa curiosité[…]Bloch était fier de surnager seul dans le naufrage universel[…]Il en revint à l’affaire Dreyfus mais ne put arriver à démêler l’opinion de M. de Norpois. il tâcha de le faire parler des officiers dont le nom revenait dans les journaux…. »

En fin diplomate, et pour ne pas contrarier Madame de Villeparisis, M. de Norpois ne donnera aucune réponse à l’interrogatoire de Bloch

En revanche M. de Guermantes qui n’a aucune susceptibilité à ménager réagit vivement :

« Ah! diable! A propos saviez-vous qui est partisan enragé de Dreyfus? Je vous le donne en mille. Mon neveu Robert ( Saint-Loup) ! Je vous dirai même qu’au Jockey, quand on a appris ces prouesses, cela a été une levée de boucliers, un véritable tollé. »

il insiste plus loin:

« Quand on s’appelle le marquis de Saint-Loup, on n’est pas dreyfusard, que voulez-vous que je vous dise! »

la conversation rapporte toutes sortes de ragots :

« Vous savez pourquoi on ne peut pas montrer les preuves de la trahison de Dreyfus. Il paraît que c’est parce qu’il est l’amant de la femme du ministre de la Guerre, cela se dit sous le manteau. — Ah! je croyais de la femme du président du Conseil, »

La Duchesse de Guermantes rajoute :

« Je vous trouve tous aussi assommants, les uns que les autres avec cette affaire, dit la duchesse de Guermantes qui, au point de vue mondain, tenait toujours à montrer qu’elle ne se laissait mener par personne. Elle ne peut pas avoir de conséquence pour moi au point de vue des Juifs pour la bonne raison que je n’en ai pas dans mes relations et je compte rester dans cette bienheureuse ignorance. Mais, d’autre part, je trouve insupportable que, sous prétexte qu’elles sont bien pensantes, qu’elles n’achètent rien aux marchands juifs ou qu’elles ont «Mort aux Juifs» écrit sur leur ombrelle, une quantité de dames Durand ou Dubois, que nous n’aurions jamais connues,

 

Le jeune Duc de Châtellerault pris à témoin par Bloch ne lui vient pas en aide :

« Du reste je sais qu’on peut causer avec vous, Saint-Loup me l’a dit.» Mais le jeune duc, qui sentait que tout le monde se mettait contre Bloch et qui était lâche comme on l’est souvent dans le monde, usant d’ailleurs d’un esprit précieux et mordant que, par atavisme, il semblait tenir de M. de Charlus: «Excusez-moi, Monsieur, de ne pas discuter de Dreyfus avec vous, mais c’est une affaire dont j’ai pour principe de ne parler qu’entre Japhétiques.» Tout le monde sourit, excepté Bloch, non qu’il n’eût l’habitude de prononcer des phrases ironiques sur ses origines juives, sur son côté qui tenait un peu au Sinaï. »

Le baron de Charlus pousse l’argumentation plus loin : pour lui, Bloch n’est même pas français. La trahison de Dreyfus n’en serait même pas une 

En tout cas le crime est inexistant, le compatriote de votre ami aurait commis un crime contre sa patrie s’il avait trahi la Judéen mais qu’est-ce qu’il a à voir avec la France?

L’arrivée de Madame Swann ne fait pas cesser les réflexions antisémites. 

« Mme Swann, qui parut assez gênée de me rencontrer. Elle se rappelait sans doute qu’avant personne elle m’avait dit être convaincue de l’innocence de Dreyfus. — Je ne veux pas que ma mère me présente à Mme Swann, me dit Saint-Loup. C’est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. »

« Mme Swann, voyant les proportions que prenait l’affaire Dreyfus et craignant que les origines de son mari ne se tournassent contre elle, l’avait supplié de ne plus jamais parler de l’innocence du condamné. »

Quand il n’était pas là, elle allait plus loin et faisait profession du nationalisme le plus ardent; elle ne faisait que suivre en cela d’ailleurs Mme Verdurin chez qui un antisémitisme bourgeois et latent s’était réveillé et avait atteint une véritable exaspération. »

J’ai choisi ces textes provenant du salon de Madame de Villeparisis mais j’aurais pu en copier d’autres. L’Affaire Dreyfus traverse en filigrane toute la Recherche. La société se polarise aussi bien dans les salons qu’à l’office où les domestiques se disputent également

c’était une dispute entre notre maître d’hôtel, qui était dreyfusard, et celui des Guermantes, qui était antidreyfusard. Les vérités et contrevérités qui s’opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie française et celle des Droits de l’homme se propageaient en effet jusque dans les profondeurs du peuple

Comme je m’étais donné le défi de lire Zola et tous les Rougon-Macquart je découvre des points de vue tout à fait opposés qu’il est intéressant de confronter. 

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

7 réflexions sur « Le Côté de Guermantes (2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de Madame de Villeparisis »

  1. Finalement, je ne pense pas attendre le 11 septembre pour écrire mes billets mais la semaine prochaine le 4 et le 5 . Le côté de Guermantes m’a tellement ennuyée (comme toi je ne supporte pas d’avoir à fréquenter ces gens-là ! et pendant si longtemps !) que je veux en finir.

    Ton billet sur Dreyfus est très intéressant. Du coup, j’en parlerai plutôt pour Sodome et Gomorrhe car l’Affaire continue et les personnages évoluent par rapport à elle.

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    1. @claudialucia : petit problème : nous partons lundi 2 septembre pour deux semaines en Normandie sans ordinateur ni Wifi. Nous ne serons de retour qu’autour du 16 ou du 17 septembre. Je ne pourrai pas faire de bilan avant le 18 septembre. Les billets déjà rédigés paraîtront tout seuls mais pour intégrer les liens des autres ce ne sera pas possible.
      On fait comment?

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      1. A myriam, on repousse la date du bilan au 18 ou plus tard si tu veux ! Rien ne presse.

        A Aifelle : Heureusement on ne fait pas que s’ennuyer ! Proust est tellement riche qu’on trouve toujours des centres d’intérêt ! Mais je continue à préférer le premier Du côté de chez Swann ! Et là, je crois que tu pourrais le lire sans t’ennuyer

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  2. Proust est une mine inépuisable, oui cette affaire court dans la Recherche..;

    (j’aurai un billet, mais j’attends votre retour…

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